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Accès aux soins premiers à la Réunion et en Métropole Volume 15, numéro 7, Septembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Introduction

La Réunion, département ultra-marin français, est le 26e département le plus peuplé de France. En 2015, le nombre d’habitants a été estimé à 843 500, avec un accroissement annuel moyen de 0,7 % [1]. En 2013, comparativement à la métropole, la population comprenait 39 % d’habitants de moins de 25 ans et 14 % de plus de 60 ans versus respectivement 30 % et 24 %. Toutefois à l’horizon 2030, le nombre de Réunionnais de plus de 60 ans devrait doubler [2]. En 2015, sur le plan social, 42 % des Réunionnais étaient en situation de pauvreté (14 % en France), le taux de chômage s’élevait à 24,6 %, soit 2,5 fois plus qu’en Métropole. Plus d’un Réunionnais sur trois bénéficie de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), cinq fois plus qu’en métropole ; un Réunionnais sur six renonce aux soins, notamment dentaires, pour raison financière, au moins une fois par an [1].

L’île présente des risques sanitaires spécifiques. Sur le plan géographique, le climat tropical humide peut majorer les maladies respiratoires chroniques (71 ‰ versus 52,1), notamment l’asthme allergique. Il favorise la propagation d’arboviroses : dengue et chikungunya. Les aléas météorologiques (cyclone) et le retard des infrastructures publiques de traitement des eaux peuvent engendrer les développements microbiens et parasitaires. L’incidence des gastro-entérites aiguës est deux fois supérieure à celle de la Métropole. La proportion de surpoids et d’obésité s’avère comparable. L’activité physique des Réunionnais est deux fois inférieure à celle des Métropolitains. Le taux standardisé du diabète est plus important à la Réunion : 109,2 ‰ versus 54,2 ‰. L’alcool et le tabac constituent les substances psychoactives les plus consommées. Les drogues illicites se trouvent peu consommées, bien qu’en augmentation [1].

Pour prendre en charge cette population, le département s’est doté d’un Centre Hospitalier Universitaire divisé en pôles Nord et Sud. En 2015, il a été recensé 24 établissements de santé dont 4 publics et 20 privés, déclinés en 55 structures réparties sur le territoire, dont 6 maternités. Tous secteurs confondus, cette prise en charge hospitalière mobilise 1 700 personnels médicaux. En 2018, selon l’ARS Océan Indien, les médecins généralistes libéraux (MGL), hors remplaçants, étaient au nombre de 809 parmi les 1 212 médecins généralistes, retraités ou pas, exerçant sur l’île [3].

Cette étude a pour objectif principal de comparer l’activité des MGL réunionnais à celle des MGL métropolitains et secondairement d’analyser l’accès aux soins premiers des Réunionnais.

Méthode

Une revue narrative de littérature a été conduite de janvier 2000 à mai 2019. Lors de la préparation de l’étude ont été recensées toutes les données traitant de l’activité des MGL ayant une activité régulière et pratiquant un exercice libéral strict et/ou mixte (libéral et salarial) en France. Les MG salariés et les MG à exercice particulier ont été exclus. De même les MG sans activité, les MG retraités sans ou avec maintien d’une activité médicale et les MG ayant une activité intermittente (remplacement ou contrat salarié court) ont été exclus.

Une comparaison a été réalisée entre l’activité des MGL réunionnais et métropolitains, selon la démographie médicale, l’activité professionnelle, les conditions de travail. Les possibilités d’accès au MGL de la population réunionnaise et métropolitaine ont aussi été comparées.

Plusieurs bases de données, sites d’institutions de santé officielles françaises et revues françaises de médecine générale ont été explorés : Haute Autorité de Santé (HAS), Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), Institut de Recherche et Documentation en Économies de la Santé (IRDES), Assurance Maladie En Ligne (AMELI), Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS) de la région Rhône-Alpes, le Catalogue et Index des Sites Médicaux de langue française (CiSMeF), la Revue du Praticien et la revue exercer, le Quotidien du médecin et Généraliste.fr.

La recherche a été menée par le premier auteur. Seuls les articles en langue française ont été sélectionnés. Les mots-clés utilisés pour l’étape préparatoire étaient : médecins généralistes, médecine générale, professions médicales, démographie médicale, accessibilité des services de santé.

Les premiers articles ont été sélectionnés grâce à leur titre et leur résumé, puis lus complètement permettant d’ajouter de nouveaux mots-clés : exercice libéral, honoraires des médecins, patientèle des médecins, état de santé des médecins, recours aux soins ambulatoires, condition de travail des médecins. La figure 1 présente le diagramme de flux de cette recherche. Au total 15 articles ou pages numériques ont été retenus et analysés.

Résultats

Démographie médicale

En 2018, l’effectif total de MG français était de 86 907, dont 1 163 réunionnais (moins qu’en 2015), et 83 823 en Métropole. À la Réunion, au premier janvier 2018, 787 MGL exerçaient une activité régulière libérale ou mixte soit 67 % de l’effectif des MG de l’île. Le nombre de MGL réunionnais est resté stable de 2017 à 2018. La densité médicale libérale s’élevait à 89 pour 100 000 habitants en moyenne. L’âge moyen des MGL était de 50 ans, et la proportion de femmes de 39 % [3, 4].

Comparativement, 52 824 MGL exerçaient en Métropole, soit 63 % de la totalité des MG répertoriés. Leur effectif avait diminué de 0,88 % entre 2017 et 2018. Leur densité était moindre : 70 pour 100 000 habitants. L’âge moyen était sensiblement le même avec une proportion supérieure de femmes (48 % versus 39 %). La pyramide des âges et le genre des MGL dans deux territoires sont présentés dans la figure 2.

Activités

Concernant l’activité, au 1er janvier 2016, seuls ont été pris en compte les MGL ayant une activité à part entière selon la définition de l’assurance maladie : exclusion des MGL installés en cours d’année, non conventionnés, de plus de 65 ans en activité et les MG salariés.

À la Réunion, en moyenne, un MGL a effectué en 2016 : 7 056 consultations et 159 visites à domicile. Sa patientèle comptait en moyenne 2 492 patients, tous patients confondus et ses honoraires moyens avoisinaient 241 775 euros hors dépassement.

En 2016, les MGL métropolitains avaient effectué près de moitié moins de consultations, mais près du triple de visites. Leurs patientèles comptaient environ 600 patients de moins. La moyenne d’honoraires était inférieure de 44 % [5].

Ainsi en moyenne annuelle, avec un mois de vacances, 25 jours de travail par mois, les MGL réunionnais réalisent 26,2 actes par jour sachant qu’ils effectuent moins de visites à domicile comparativement aux métropolitains qui en réalisent 18,4 avec plus de visites.

Sur le plan fiscal, en 2016, selon l’Union Nationale des Associations Agréées (UNASA), le bénéfice non commercial moyen des MGL français était de 85 199 euros versus 124 078 euros dans les DOM-TOM, majoration spécifique des actes conventionnés accordée aux DOMTOM de 16 % comprise.

Conditions de travail

En 2016, les MGL réunionnais travaillaient en moyenne 42 heures par semaine [6]. Le temps moyen de consultation était de 15 minutes et le temps d’attente moyenne en salle d’attente de 40 minutes. Moins d’un patient sur cinq prenait rendez-vous [6].

Les modalités d’exercice en association ou pas sont peu répertoriées, toutefois il semble qu’il existe une tendance à un exercice groupe [1]. En 2016, il existait six maisons de santé pluriprofessionnelles.

La permanence des soins ambulatoires est assurée 24 heures sur 24, dans 8 cabinets médicaux de garde qui fonctionnent avec 31 MGL et 5 maisons médicales de garde [1].

Plus de 80 % des MG de l’île disposent d’un secrétariat à leur cabinet. En 2015, avec une majorité de patients bénéficiant de la CMU-C, 97 % des MGL pratiquaient le tiers payant généralisé (TPG) [7]. Sa gestion et son suivi sont assurés par le secrétariat auprès des organismes sociaux obligatoires et une trentaine d’organismes de complémentaire santé [8].

Les MGL métropolitains travaillaient 54 heures par semaine avec un temps moyen de consultation de 18 minutes, la durée d’attente moyenne pour un rendez-vous est de 2 jours [9].

Début 2019 en Métropole, 61 % des MGL exerçaient en groupe, type d’organisation plus prisée par les plus jeunes (81 % des moins de 50 ans) [10]. Selon l’Observatoire des maisons de santé libérales pluriprofessionnelles, ces dernières étaient au nombre de 890 en 2017.

Parmi les 56 % qui travaillaient avec un secrétariat, 80 % avaient un secrétariat au cabinet et 20 % un télé-secrétariat. Dans 44 % des cas, ils assuraient le secrétariat eux-mêmes [11]. Le TPG est effectué par 15 % d’entre eux, sachant qu’en Métropole, il existe environ 500 organismes complémentaires [8].

Au cours de l’année 2017, Les MGL métropolitains avaient consacré en moyenne 10 demi-journées à leur formation médicale continue [9]. Cette donnée concernant les MGL réunionnais n’a pas été retrouvée.

En 2018, selon le CNOM, les MGL réunionnais ont pris leur retraite à en moyenne 57,8 ans alors que la moyenne nationale se situe à 64 ans.

Accès aux soins

La DRESS et l’IRDES ont élaboré en 2012, et réajusté en 2015, un outil de mesure : l’accessibilité potentielle localisée (APL) [12]. Ce dernier représente le nombre de consultations (ou visite) par an et par habitant à l’échelle communale. Cet indice sert notamment à déterminer la fragilité en termes d’accès aux soins de la population : APL inférieur à 2,5 consultations par an et par habitant.

En 2016, à la Réunion, la moyenne de l’APL en médecine générale était supérieure à la moyenne de métropole : 5,1 versus 4,1. Une seule commune sur 24 a été classée sous-dense. Selon l’ARS Océan Indien, en 2014, les Réunionnais avaient consulté 6,7 fois dans l’année contre 4,8 fois pour les métropolitains [13].

En 2015, 95 % de la population réunionnaise et 98 % de la population métropolitaine accédaient à un MGL en 10 minutes en moyenne, 3 % des Réunionnais mettaient en moyenne 3 minutes de plus. Au niveau national, cette durée était de 8 minutes en moyenne [14].

Discussion

Cette revue narrative de la littérature montre que comparativement à la métropole, la densité des MGL réunionnais est supérieure. Un peu moins de femmes y exercent, alors que les hommes de plus de 55 ans sont proportionnellement moins nombreux. Ces derniers suivent en moyenne une patientèle plus nombreuse et réalisent 49 % de plus de consultations, mais moins de visites à domicile. Les consultations durent en moyenne 15 minutes contre 18 en métropole sachant que moins de visites à domicile sont effectuées. Ils ont un temps hebdomadaire de travail inférieur (42 versus 54 heures) et prennent leur retraite plus tôt (57,5 versus 64 ans). Leurs bénéfices non commerciaux sont plus élevés, majoration de tarification DOMTOM et secrétariat au cabinet compris. Les secrétaires de 80 % de MGL réunionnais assurent le suivi du tiers payant généralisé pour des patients en grande proportion bénéficiaires de la CMU-C, qui ne semble pas être un obstacle à l’accès aux soins auprès des MGL. La population réunionnaise dispose d’un accès aux soins auprès des MGL supérieur à celle de la métropole, (APL : 5,1 versus 4,8 en métropole). La durée moyenne d’accès aux MGL est peu différente de celle de Métropole sauf pour 3 % des Réunionnais (+ 3 minutes). Une seule commune réunionnaise est sous-dense.

Accès aux soins premiers et efficience en santé

Cette étude montre que l’accès de la population réunionnaise auprès des MGL est plus fréquent qu’en Métropole. Toutefois, en 2017, selon un état des lieux de la situation sanitaire réalisé par l’ARS Océan Indien, l’espérance de vie est plus faible à la Réunion qu’en métropole : hommes 77 ans versus 78,7 ans ; femmes 83,5 ans versus 85 ans. La population réunionnaise se déclare un peu moins souvent un bon état de santé général : 64 % versus 69 % [1].

À la Réunion, 35 % de la population déclare un problème de santé chronique, part relativement identique en Métropole. Les affections de longue durée (ALD) qui sont essentiellement des maladies contribuant au risque cardiovasculaire (diabète, hypertension artérielle) ou leurs conséquences (insuffisance rénale) sont deux fois plus fréquentes. Le taux de mortalité, toute cause confondue, est plus élevé à la Réunion : surmortalité pour le diabète (×4), l’asthme (×3), les affections périnatales (×3) et l’alcoolisme (×2). La mortalité infantile et l’incidence des infections sexuellement transmissibles sont également plus élevées. Le taux de résistance aux antibiotiques suit la même augmentation qu’en Métropole. Néanmoins, le taux de suicide est moins élevé à la Réunion et la couverture vaccinale meilleure, en dehors de celle contre la grippe et de la méningite C [1].

Néanmoins, les Réunionnais accèdent plus facilement aux soins premiers. Ils bénéficient en majorité de la CMU-C qui ne pose pas de problème aux MGL. Eu égard à la consommation de soins premiers par rapport à la Métropole, il semble exister un certain consumérisme médical à la Réunion associé à un manque d’efficience. L’IRDES souligne ce risque qui pourrait être attribué à la patientèle et aux professionnels de santé dans le cadre soins pratiqués au moyen de la CMU [15]. Les chiffres pourraient être le reflet d’une demande de soins ponctuels avec peu de prise en charge globale notamment la prise en charge des facteurs de risque, probablement plus chronophage. Pour contrecarrer ce manque d’efficience en santé et de prévention, l’ARS Océan Indien s’est engagée depuis 2016, dans le développement de politiques locales de santé : contrats locaux de santé, ateliers santé ville, programmes d’éducation thérapeutique, accent sur le dépistage des cancers (colorectal, mammaire et du col utérin) et « Projet Régional de Santé 2 » qui définit certains enjeux stratégiques [2]. Ces programmes devront probablement tenir compte du multiculturalisme présent sur l’île, et s’appuyer sur des patients-experts. Ils pourraient être complétés par la présence d’infirmières de type ASALEE dans les cabinets libéraux ou d’assistant médicaux dont le rôle reste à définir.

L’analyse ultérieure des programmes de prévention qui commencent à être mis en place par l’ARS Océan Indien et l’analyse des motifs de consultations et des réponses apportées par les MG pourraient compléter cette étude. D’autant que le modèle professionnel change du fait d’une formation initiale centrée patient et des nouveaux modes d’exercice pluri-professionnels associés ou non au salariat [16, 17]. De plus, il n’est pas exclu que le manque de MGL français retentisse à terme sur la Réunion.

Qualité de vie des MGL réunionnais

Selon les données recueillies, bien qu’ils prennent en charge une patientèle plus conséquente que les MGL métropolitains, ils travaillent moins : durée de travail hebdomadaire inférieure, et départ à la retraite plus précoce. Ceci peut expliquer un moindre stress professionnel, 8,3 % versus 48 % en métropole même si 6 MGL métropolitains sur 10 estimaient que leurs horaires de travail s’accordaient bien avec leur vie privée [7, 18].

Sur le versant de la sécurité, elle reste meilleure pour les médecins réunionnais avec un taux de « victimation » de 0,52 % au niveau national et de 0,3 % dans les DOM-TOM, sachant que 61 % de ces incidents sont subis par des MG [19].

Forces et limites de l’étude

Il n’existe à notre connaissance aucune étude antérieure comparant l’activité des MGL réunionnais à celle de métropolitains dans un contexte où l’efficience des soins est de plus en plus promue et alors qu’il existe de nouvelles organisations des soignants.

Il existe des limites à cette revue narrative, car les données obtenues de façon obligatoire (inscription à l’Ordre, études médico-économiques) ont été plus facilement comparables que celles obtenues sur le mode déclaratif lors d’enquêtes de terrain. Un biais d’interprétation est possible en raison de la formation initiale du premier auteur uniquement en métropole et de son activité de remplaçant réalisé uniquement à la Réunion. Ce biais a cependant pu être atténué par la deuxième auteure métropolitaine. Cette étude n’a pas permis d’analyser la qualité des soins en termes d’amélioration de la santé des Réunionnais malgré un accès relativement aisé au MGL.

Pour la pratique

Ce qui était connu :

  • La population réunionnaise est plus précaire et en moins bonne santé que la population métropolitaine. Une grande majorité bénéficie de la CMU.
  • Les médecins généralistes libéraux ont une activité et une organisation différente de celle de leurs homologues métropolitains.

Ce qu’apporte cette étude :

  • Les médecins généralistes libéraux réunionnais ont une activité et un revenu supérieurs.
  • Leur temps de travail hebdomadaire et l’âge du départ en retraite sont inférieurs.
  • Ils gèrent le tiers payant généralisé grâce à leur secrétariat.
  • Le meilleur accès aux soins premiers de la population réunionnaise ne va pas de pair avec une meilleure efficience des soins.

Remerciements

à Pascal Javerliat.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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