JLE

Innovations & Thérapeutiques en Oncologie

MENU

Quelles avancées en oncogériatrie pour les cancers digestifs ces dernières années ? Volume 4, numéro 2, Mars-Avril 2018

Depuis une dizaine d’année, une nouvelle « discipline » est née : l’oncogériatrie. Une approche spécifique de la prise en charge des patients âgés est rendue nécessaire par la double complexité que représentent, d’une part, les pathologies intriquées et les réserves fonctionnelles altérées (domaine de la gériatrie) et, d’autre part, les traitements du cancer (domaine de l’oncologie). Il a été constaté, au début des années 2000, que les patients âgés recevaient globalement un traitement différent des traitements de référence [1]. Cette situation s’expliquait par la crainte des oncologues des effets secondaires des chimiothérapies, la mauvaise appréciation de l’espérance de vie des patients âgés et de la balance bénéfice/risque des traitements des cancers. De plus, il y avait très peu de données scientifiques spécifiques concernant les patients âgés atteints d’un cancer. En effet, soit les essais thérapeutiques imposaient, comme critère d’exclusion, une limite d’âge supérieure, soit la sélection des patients inclus éliminait de fait ceux avec des co-morbidités, soit les oncologues « s’autocensuraient » en n’incluant pas les patients les plus âgés. Il est ainsi frappant de constater que la distribution des âges des patients inclus dans les essais thérapeutiques ne correspondait pas à la distribution épidémiologique : la population étudiée étant presque 10 ans plus jeune que la population réelle.

Il est donc apparu nécessaire de développer une recherche spécifique aux patients âgés atteints de cancer. Progressivement, des analyses rétrospectives évaluant les prises en charge des patients âgés puis des essais prospectifs spécifiques aux patients âgés ont été réalisés. L’investissement des groupes coopérateurs a été déterminant pour faire ces essais spécifiques, les essais industriels restant toujours pour la plupart réservés aux patients jeunes et en bon état général. Enfin, une société savante internationale consacrée à l’oncogériatrie, l’International Society of Geriatric Oncology (SIOG) a été créée en 2000. Les gériatres et oncologues français ont également créé la Société francophone d’oncogériatrie (SOFoG) en 2011.

En 2005, le Plan Cancer 2 a établi dans ses priorités l’oncogériatrie avec, notamment, comme objectifs :

  • améliorer la formation des professionnels pour la prise en charge des personnes âgées ;
  • obtenir que tous les patients âgés de plus de 75 ans atteints de cancer bénéficient d’une évaluation gériatrique préalable à la prise de décision ;
  • favoriser le rapprochement et la collaboration entre oncologues et gériatres.

Cette initiative a permis la structuration de l’oncogériatrie en France avec notamment la création des Unités pilotes de coordination en oncogériatrie (UPCOG) puis le déploiement national des Unités de coordination en oncogériatrie (UCOG) chargées de l’organisation de l’accès aux consultations d’oncogériatrie et de favoriser la recherche. Une culture de l’oncogériatrie est donc née. Des travaux pionniers ont montré que l’évaluation gériatrique modifiait la prise en charge des patients âgés atteints de cancer [2].

« L’oncogériatrie soutenue par le plan cancer réuni les compétences des gériatres et des oncologues »

Concernant les cancers digestifs des personnes âgées, les études réalisées ont essentiellement été faites dans les cancers colorectaux (CCR). Un certain nombre de connaissances a pu être établi notamment par des études françaises, mais il persiste de nombreuses questions [1].

Le diagnostic des CCR est plus fréquemment fait en urgence chez le sujet âgé. Or, la chirurgie en urgence est une cause importante d’augmentation de la mortalité [3]. Cette constatation pose la question du dépistage du CCR chez les patients âgés. Celui-ci s’arrête en France comme dans la plupart des pays après 75 ans. Une évaluation de la faisabilité d’une prolongation du dépistage au-delà de cet âge chez les patients âgés aptes à bénéficier d’un traitement chirurgical serait nécessaire.

Le traitement par chimiothérapie reste différent de celui réalisé chez les patients plus jeunes [4]. Mais ce constat ne signifie pas nécessairement une prise en charge moins pertinente. En effet, il a été montré en situation adjuvante que chez les patients de plus de 70 ans une bithérapie 5-fluorouracile + oxaliplatine n’apportait pas d’amélioration de la survie comparée à une monothérapie de 5-fluorouracile contrairement à ce qui a été observé chez les patients plus jeunes [5]. Il est néanmoins possible que la bithérapie puisse être bénéfique pour certains patients « robustes » sélectionnés par l’évaluation gériatrique. C’est la question posée par l’essai de phase III français PRODIGE 34 – ADAGE actuellement en cours. Chez les patients les plus âgés ou fragiles, l’utilité d’une chimiothérapie adjuvante n’est actuellement pas démontrée. Dans ce cas également, l’essai ADAGE évaluera l’intérêt de la chimiothérapie. La biologie tumorale a peut-être aussi un rôle à jouer dans la sélection des patients à traiter. En effet, l’instabilité microsatellitaire tumorale est particulièrement fréquente chez les patients âgés et elle est associée à un bon pronostic dans les adénocarcinomes colorectaux [6], mais également gastriques [7].

En situation métastatique, deux études spécifiques aux patients âgés ont montré qu’une bithérapie par fluoropyrimidine + oxaliplatine ou irinotécan en première ligne n’améliorait pas la survie globale comparée à une monothérapie par fluoropyrimidine [8, 9]. Cependant, un meilleur taux de réponse objective était observé avec la bithérapie dans ces deux études. De plus, une méta-analyse rapporte une amélioration de la survie sans progression avec la bithérapie [10]. Ainsi, il est justifié de débuter une bithérapie en première ligne chez des patients symptomatiques ou chez qui une progression tumorale engagerait le pronostic vital.

Les thérapies ciblées ont été diversement étudiées chez les patients âgés. Le bévacizumab a fait l’objet de plusieurs études rétrospectives ou de cohorte et de trois études randomisées prospectives (AVEX, AGIT-MAX et PRODIGE 20). Les deux premières retrouvent une amélioration significative de la survie sans progression, sans aggravation notable de la toxicité [11, 12], la troisième, confirme la bonne tolérance du bévacizumab [13]. Cependant, aucune étude n’avait l’effectif nécessaire pour mettre en évidence une amélioration de la survie globale par le bévacizumab.

Les anti-EGFR n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation prospective randomisée chez le patient âgé. Plusieurs études de phase II monobras chez les patients âgés suggèrent une efficacité comparable à celle obtenue chez des patients plus jeunes [1]. Le niveau de preuve d’efficacité et de bonne tolérance des anti-EGFR chez le patient âgé reste donc faible. Une étude de cohorte, devrait débuter prochainement sous l’égide de la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD).

Enfin, concernant le régorafénib, une étude de phase II monobras suggère une tolérance et une efficacité acceptables chez les patients de plus de 70 ans sélectionnés (FFCD 1404-REGOLD) [14]. Pour tous les essais réalisés chez le patient âgé, l’analyse de la qualité de vie est un élément important, malheureusement encore insuffisamment pris en compte jusqu’à présent.

Dans le cancer du rectum localisé, bien que plusieurs études rétrospectives aient suggéré l’efficacité de la radiochimiothérapie chez les patients âgés [15], il existe des interrogations concernant le meilleur protocole à appliquer entre une radiochimiothérapie étalée sur cinq semaines et une radiothérapie courte sur cinq jours. C’est la question qui est posée par l’essai de phase III, PRODIGE 42 – NACRE. D’autre part, dans les cancers du bas rectum, l’intérêt d’une anastomose colo-anale comparé à une colostomie définitive doit être soigneusement discuté après évaluation de la fonction sphinctérienne. Des données de séries chirurgicales spécifiques aux patients âgés sont nécessaires.

Dans les autres cancers digestifs, plusieurs séries rétrospectives chirurgicales ou de chimiothérapies ont été rapportées ainsi que quelques phases II monobras. L’absence de données obtenues par des essais randomisés spécifiques aux patients âgés dans les cancers digestifs non colorectaux rend les décisions de stratégie thérapeutique particulièrement difficile à prendre en raison de la lourdeur des thérapeutiques chirurgicales ou médicales et des résultats d’efficacité souvent médiocres. L’établissement d’une stratégie thérapeutique en réunion de concertation pluridisciplinaire faisant intervenir autant que possible l’expertise d’un gériatre est souhaitable. La recherche en oncogériatrie dans ces cancers est nécessaire. Les résultats préliminaires d’une cohorte spécifique aux cancers oeso-gastriques et bilio-pancréatiques révèlent une faible proportion de patients recevant un traitement considéré comme optimal [16].

« La recherche en oncogériatrie doit être développée dans les cancers digestifs non colorectaux »

Au total, l’oncogériatrie s’est considérablement développée ces dernières années. Les données issues d’essais thérapeutiques ont donné des réponses claires à plusieurs questions posées. Plusieurs essais de phase III sont en cours et la France est particulièrement active dans le domaine de l’oncogériatrie. Cependant, il reste de nombreuses questions en suspens notamment en ce qui concerne la prise en charge des cancers digestifs non colorectaux. Enfin, il serait intéressant d’évaluer par des études de registre si les efforts développés pour l’oncogériatrie pendant la dernière décennie se traduisent par une amélioration de la survie des patients âgés atteints de cancers digestifs.

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent les liens d’intérêts suivants : TA (2014-2016) : Roche (conférence, prise en charge congrès, subvention de recherche), Sanofi (conférence, prise en charge congrès), Amgen (subvention de recherche), Bayer (subvention de recherche), Novartis (prise en charge congrès), Ipsen (prise en charge congrès). EP : aucun.


* Cet article, actualisé en 2018, est déjà paru dans Hépato Gastro. Aparicio T, Paillaud E. Quelles avancées en oncogériatrie ces dernières années ? Hépato Gastro 2016 ; 23 : 591-4. doi : 10.1684/hpg.2016.1317.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International