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Innovations & Thérapeutiques en Oncologie

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Nouvelles approches thérapeutiques dans les lymphomes T cutanés Volume 4, numéro 1, Janvier-Février 2018

Tableaux

Il n’existe pas de traitement curatif pour les lymphomes T cutanés (LTC) à l’exception de l’allogreffe de cellules souches, réservée à un petit nombre de patients sélectionnés [1]. Leur prise en charge thérapeutique consiste en une succession de traitements jusqu’à la perte de réponse. La survie dans ce type de pathologie pouvant être longue, les patients doivent faire face à des symptômes parfois très invalidants comme le prurit et les lésions cutanées qui altèrent leur qualité de vie [2].

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’European Organization for Research and Treatment of Cancer (EORTC) proposent une classification des LTC primitifs divisée en deux sous-groupes [3] : les lymphomes indolents et les formes agressives. Le mycosis fungoïde (MF) est la forme la plus commune des LTC et se présente le plus souvent de manière indolente à un stade précoce. Ces stades précoces se manifestent sous la forme de patches et de plaques cutanées (stade IA et IIA) [4] et peuvent évoluer vers des tumeurs cutanées, de l’érythrodermie, des adénopathies voire une atteinte viscérale (stades avancés IIB-IVB). Environ 25 % des patients sont diagnostiqués d’emblée à un stade avancé. La survie dans les stades précoces peut atteindre jusqu’à 25 ans, tandis que la médiane de survie dans les stades avancés est de un à quatre ans [5]. Le syndrome de Sézary (SS) est la forme leucémisée du LTC et est caractérisé par un prurit extrême, une érythrodermie, des adénopathies et des cellules de Sézary circulantes (> 5 %). Le traitement du MF/SS dépend du stade de la maladie.

Une autre catégorie de LTC est le LTC CD30+ incluant les lymphomes cutanés anaplasiques à grandes cellules (LAGC-Cut) et la papulomatose lymphomatoïde (Ply). Les LAGC-Cut se présentent de manière caractéristique sous la forme de larges nodules cutanés de progression rapide, et de plaques avec nécrose centrale, chez l’adolescent ou le jeune adulte. L’histologie montre une infiltration nodulaire ou diffuse par de grandes cellules CD30+. Bien que les rechutes soient fréquentes, le pronostic est bon et les atteintes systémiques sont rares, la survie à cinq ans atteignant plus de 90 % [3]. La papulomatose lymphomatoïde est une forme de LTC primaire de résolution spontanément favorable qui se présente typiquement chez l’adulte jeune sous la forme de nodules et papules de moins de 1 cm de diamètre localisés à des sites distants. Ils évoluent spontanément vers une nécrose et laissent une cicatrice atrophique.

Mycosis fungoïde et syndrome de Sézary

Recommandations actuelles

Il n’existe pas de guidelines définies pour la prise en charge thérapeutique des MF/SS mais des recommandations sont disponibles et dépendent du stade de la maladie, de l’âge du patient, de ses comorbidités et des lignes thérapeutiques déjà administrées [6-8]. Les traitements ciblant la peau sont proposés pour les stades précoces. Ils comprennent les corticoïdes topiques, le psoralène associé aux ultraviolets A (PUVA), les UVB à bandes étroites, la radiothérapie superficielle, les rétinoïdes en topique (bexarotène) et les agents cytostatiques locaux comme la méchloréthamine (Valchlor®) ou la carmustine (BCNU®). Malheureusement, la méchloréthamine et le bexarotène topiques ne sont pas autorisés en Europe. D’autres options thérapeutiques intéressantes ont été publiées dans le cadre de cas cliniques individuels, telles que la thérapie photodynamique [9, 10] et l’imiquimod en crème (5 %) [11].

Les traitements systémiques incluent l’interféron alpha (IFN-α), les rétinoïdes, le méthotrexate, les inhibiteurs des histones déacétylases, la photophérèse extracorporelle, les anticorps monoclonaux tels que l’alemtuzumab, les chimiothérapies simples agents (doxorubicine, gemcitabine) et les chimiothérapies combinées en dernier recours. Pour les patients présentant une maladie avancée qui atteignent la rémission complète, l’allogreffe de cellules souches peut offrir une survie prolongée [12]. Une étude européenne portant sur soixante patients avec MF/SS avancés ayant bénéficié d’une allogreffe de cellules souches a montré une survie de 46 % à cinq ans et une survie sans progression de 32 % [13]. Le conditionnement optimal reste actuellement à établir. En cas de progression de la maladie, les traitements topiques peuvent être associés à des agents systémiques, par exemple la combinaison de la PUVA-thérapie à l’INF-α ou aux rétinoïdes systémiques.

Nouveaux traitements (tableau 1)

Depuis le bexarotène sous forme orale en 1999 (Targretin®, capsules), aucune nouvelle molécule n’a été approuvée par l’European Medical Association (EMA) dans le traitement des LTC. La Food and Drug Administration (FDA) a autorisé l’utilisation du bexarotène 1 % en gel (Targretin gel®) et de la méchloréthamine en gel (Valchlor®) pour les stades précoces. Récemment, le denileukin difitox (Ontak®), une cytotoxine dirigée contre le CD25, ainsi que deux inhibiteurs des histones déacétylases, le vorinostat (SAHA, Zolinza®) et la romidepsine (depsipeptide, Istodax®) ont été approuvés par la FDA pour les LCT avancés et réfractaires. Cependant, une étude incluant plus de 1 200 patients atteints de formes avancées de MF/SS n’a pu démontrer de bénéfice en termes de survie pour les malades malgré l’utilisation de ces nouveaux traitements [5], suggérant surtout un apport sur le plan de la qualité de vie et de la morbidité.

Les antifolates

Le pralatrexate, analogue synthétique de l’acide folique, est un nouveau traitement oral efficace dans le traitement des LTC. Dans une étude de phase II, le taux de réponse, estimé par évaluation centrale sur photographies, est de 25 %, mais il s’élève à 58 % lorsque l’évaluation est réalisée par les investigateurs en présence des patients. La survie sans progression médiane était de deux mois. Les mucites sont décrites comme des effets secondaires significatifs. Sur la base d’une étude incluant trente et un patients (MF/SS, LAGC-Cut en rechute ou réfractaire), le schéma d’administration optimal est de 15 mg/m2 1 ×/semaine pour trois à quatre semaines avec un taux de réponse de 45 % [14-16].

Inhibiteurs des histones déacétylases

En augmentant l’acétylation des histones, l’activité de certains gènes comme les gènes suppresseurs de tumeur peut être restaurée permettant l’apoptose et l’inhibition de la prolifération cellulaire. Deux inhibiteurs des histones déacétylases (HDAC-Inh), le vorinostat et la romidepsine, ont été approuvés par la FDA dans le traitement des LCT. Un taux de réponse de l’ordre de 30 à 40 % a été observé avec une nette amélioration du prurit opiniâtre.

Le vorinostat (acide hydroxamique suberoylanilide) est un pan-HDAC-Inh oral non autorisé en Europe dans le traitement des LTC. Une étude multicentrique de phase IIB a montré un taux de réponse de 30 % avec seulement un patient sur soixante-quatorze atteignant une réponse complète. Le temps médian pour observer une réponse était de 56 jours avec cependant des réponses tardives à six mois [17]. Les effets secondaires incluent la fatigue, l’anorexie, la diarrhée et la toxicité hématologique. Les doses recommandées sont de 400 mg/j. Le vorinostat est actuellement étudié en combinaison avec d’autres médicaments tels que le bortézomib, le lénalidomide et les chimiothérapies classiques.

La romidepsine (depsipeptide) est un HDAC-inh intraveineux approuvé par la FDA dans le traitement des LTC après échec d’une première ligne. Il n’est pas non plus autorisé en Europe dans l’indication. Il s’administre sous la forme d’une perfusion de 4 h, à la dose de 14 mg/m2 à J1, J8 et J15 d’un cycle de 28 jours. Le taux de réponse est similaire au vorinostat, de l’ordre de 34 à 39 %. L’étude a permis de démontrer un impact favorable sur le prurit qui n’est pas nécessairement corrélé à une réponse clinique. La durée de la réponse était de 11 à 15 mois [18, 19]. En général, la romidepsine est bien tolérée. Des nausées, de l’anorexie et des vomissements ont été décrits, ainsi qu’une prolongation de l’espace QT qui ne s’est pas avérée significative.

Les anticorps monoclonaux

Le SGN-35 (brentuximab védotin) est un anticorps conjugué composé d’un anticorps monoclonal anti-CD30 lié à la monoméhylauristatine E (MMAE), agent antimicrotubules. Une fois fixé à l’anti-CD30 à la surface de la cellule, l’anticorps conjugué est rapidement internalisé et se lie à la tubuline, induisant ainsi l’arrêt du cycle cellulaire. Des résultats impressionnants ont ainsi été obtenus dans le lymphome de Hodgkin (LH) et dans le lymphome anaplasique à grandes cellules (LAGC) avec une réponse globale de plus de 75 % conduisant ainsi à l’approbation rapide du médicament dans le LH et le LAGC en rechute et réfractaire. Cinquante pour cent (50 %) des LTC expriment le CD30. Une étude de phase II récente a montré un taux de réponse de l’ordre de 73 % avec 35 % de réponse complète. La réponse était de 100 % dans les LP et les LAGC-Cut. Dans le cas des MF/SS, le taux de réponse était de 54 %. Le temps nécessaire à la réponse était de 12 semaines (3 à 39), et la durée de réponse de 32 (3 à 93) semaines. Le traitement s’administre à la dose de 1,8 mg/kg toutes les trois semaines, dose qui peut être réduite à 1,2 mg/kg en cas de polyneuropathie périphérique (PNP) (65 % des patients). Les autres effets secondaires décrits consistent en la neutropénie et la nausée [20].

Le mogamulizumab (KW-0761) est un anticorps monoclonal anti-CCR4 humanisé induisant une cytotoxicité dépendant des anticorps sur les cellules exprimant le CCR4. Dans une étude récente, le mogamulizumab a été testé chez 41 patients atteints de MF/SS. La dose maximale tolérée n’a pas été atteinte en phase I. En phase II, les patients ont été traités à la dose de 1,0 mg/kg toutes les deux semaines jusqu’à progression. Les effets secondaires les plus fréquents étaient les nausées, les maux de têtes et les réactions au moment de l’infusion (grade I-II). Le taux de réponse globale était de 37 % avec une meilleure réponse en cas de SS (47 %) que dans les cas de MF [21]. Les résultats de l’étude de phase III sont actuellement attendus.

Le zanolimumab (HuMax) est un anticorps anti-CD4 humanisé dirigé contre le CD4 exprimé à la surface des lymphocytes T. Dans deux études de phase II, Kim et al. ont démontré un taux de réponse de 32 % chez 47 patients atteints de MF/SS en rechute ou réfractaires avec une durée de réponse de 12 à 24 semaines [22]. La réponse était dose-dépendante avec une meilleure réponse (56 %) et une durée de réponse moyenne de 81 semaines aux doses les plus élevées. Les effets secondaires principaux étaient les réactions cutanées et les infections. Des études futures sont attendues.

Le pembrolizumab est un anticorps monoclonal ciblant le récepteur programmed death-1 (PD-1), empêchant ainsi son interaction avec ses ligands PD-L1 et PD-L2. La voie de signalisation PD-1 inhibe la réponse immunitaire T et est utilisée par les cellules tumorales pour échapper à la surveillance immune. Une étude de phase II démontre, chez des patients atteints de MF/SS à un stade avancé et déjà lourdement traités, une réponse durable l’ordre de 38 %. Sur un suivi médian de 40 semaines, la durée médiane de réponse et le temps médian de survie sans progression n’ont pas été atteints. Le pembrolizumab a été administré à la dose de 2 mg/kg toutes les trois semaines pendant une période pouvant atteindre deux ans en cas de réponse. Le traitement était bien toléré avec essentiellement un risque d’effet « flair » au niveau cutané chez les patients présentant SS et deux cas de complications immunitaires sévères. Une étude combinant l’INF-α (activant la voie Th1) et le pembrolizumab est planifiée [23].

Le nivolumab est un anticorps bloquant le PD-1. Une étude de phase I récente incluait treize patients souffrant d’un MF avec une réponse observée chez deux patients. Les effets secondaires fréquents comprenaient la fatigue et des réactions cutanées [24].

Les inhibiteurs du protéasome

Les inhibiteurs du protéasome ont pour effet d’inhiber l’activité du facteur de transcription NF-κB. Dans une étude de phase II, lebortézomib (1,3 mg/m2 aux jours 1, 4, 8 et 11 d’un cycle de 21 jours) administré chez 15 patients atteints de LT en rechute ou réfractaire a permis un taux de réponse de 70 % dans les cas de MF dont une rémission complète. Les effets secondaires principaux ont été la neutropénie, la thrombopénie et la polyneuropathie périphérique [25].

Les agents alkylants

Le témozolomide (Témodal®) est un agent alkylant oral qui possède également des propriétés de méthylation de l’ADN, potentialisant son effet alkylant (75 mg/m2per os pendant 42 jours suivis d’une maintenance de 150 mg/m2 de J1 à J5 tous les 28 jours). Dans une étude portant sur 26 patients présentant un stade avancé de MF/SS, le taux de réponse global était de 27 % dont deux rémissions complètes [26]. Le témozolomide est le plus souvent utilisé dans le glioblastome et son efficacité a également été démontrée dans une petite cohorte de quatre patients souffrant de MF avec envahissement du système nerveux central [27]. Les effets secondaires comprennent la toxicité hématologique et hépatique.

Les agents immunomodulateurs

Le lénalidomide (Revlimid®) est un agent immunomodulateur oral aux propriétés antinéoplasiques, et autorisé dans le traitement du myélome et du syndrome myélodysplasique présentant la délétion 5q. Il stimule la réponse Th1 et potentialise la toxicité cellulaire médiée par les cellules NK. Il s’agit d’un dérivé synthétique de la thalidomide, contre-indiqué pendant la grossesse. Dans une étude de phase II menée par Querfeld et al., 32 patients atteints de MF/SS en rechute ou réfractaires montraient un taux de réponse de 28 %. Il n’y avait pas de réponse complète et la durée médiane de réponse était de dix mois. Le lénalidomide est administré à la dose de 15 à 25 mg/j pendant 21 jours d’un cycle de 28 jours. Les toxicités de grade 3 décrites concernaient la fatigue, les infections et les leucopénies [28].

Conclusion

Plusieurs nouveaux traitements ont été approuvés par la FDA dans la prise en charge des LTC. Malheureusement, ceux-ci ne sont pas disponibles en Europe dans cette indication. Le brentuximab védotin (Adcétris®) a notamment montré une excellente activité dans ce domaine, avec un taux de réponse supérieure à 50 %, contre environ 30 % pour les autres drogues. L’approbation de l’EMA est actuellement vivement attendue. Il existe un besoin urgent de traitement de maintenance permettant aux patients en réponse partielle de conserver une qualité de vie correcte.

Take home messages

  • Il n’existe actuellement pas de traitement curatif pour les LTC à l’exception de l’allogreffe de cellules souches envisageable chez certains patients.
  • La plupart des monothérapies ont un taux de réponse de l’ordre de 30 à 40 % à l’exception de la photophérèse extracorporelle et du brentuximab védotin qui peuvent atteindre 60 % de réponse dans certains cas.
  • Les futures études devront combiner les nouvelles drogues et identifier les synergies qui permettront d’améliorer objectivement et subjectivement la prise en charge des LTC.

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun.

Liens d’intérêt

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


Cet article, actualisé en 2018, est déjà paru dans Hématologie : Springael C, de Vicq M, Kolivras A, Bron DQQ. Nouvelles approches thérapeutiques dans les lymphomes T cutanés. Hématologie 2017 ; 23 : 230-5. doi : 10.1684/hma.2017.1286

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