JLE

Innovations & Thérapeutiques en Oncologie

MENU

Chimiothérapie intra-artérielle hépatique et cancer colorectal métastatique Volume 4, numéro 1, Janvier-Février 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Les données de l’Institut national du cancer (INCa) placent le cancer colorectal au troisième rang des cancers en France avec 42 152 nouveaux cas et 17 500 décès en 2012. Un quart des patients présente une atteinte métastatique synchrone et la moitié développera cette atteinte de façon métachrone, principalement hépatique [1]. Le pronostic des cancers colorectaux métastatiques s’est considérablement amélioré grâce à l’utilisation des associations de chimiothérapies (doublets et triplets) et aux thérapies ciblées. Lorsqu’elle est possible, la résection des métastases hépatiques est l’option privilégiée puisqu’elle donne les meilleures chances de survie, avec des taux pouvant atteindre 50 % à 5 ans. Elle est toutefois réservée à une minorité de patients [1]. Deux tiers des patients opérés de métastases hépatiques récidiveront au niveau hépatique dans les trois ans suivant la chirurgie, et la réduction de ce risque représente donc un enjeu thérapeutique majeur [2]. Ces constats ont conduit à développer l’administration de chimiothérapie par voie intra-artérielle hépatique dans ces indications. Actuellement, les essais cliniques ont évalué son intérêt dans trois situations distinctes :

  • néoadjuvante où l’on vise une augmentation de la résécabilité hépatique ;
  • adjuvante où l’on vise une réduction du risque de récidive intrahépatique ;
  • palliative où l’on vise l’amélioration du contrôle de la maladie hépatique non résécable.

« Les essais cliniques ont évalué l’intérêt de la chimiothérapie par voie intra-artérielle hépatique en situation : i) néoadjuvante; ii) adjuvante et iii) palliative »

Principes de la voie intra-artérielle hépatique

La cartographie vasculaire des métastases hépatiques des cancers colorectaux, décrite depuis les années 1950, constitue le rationnel anatomique sur lequel repose la technique. En effet, l’apport sanguin des métastases hépatiques provient essentiellement du flux artériel hépatique, contrairement au parenchyme non tumoral dont l’origine du flux sanguin provient essentiellement du système porte [2, 3].

Pharmacologie

La concentration locale de la chimiothérapie administrée par voie intra-artérielle (IA) hépatique est élevée tandis que la concentration systémique reste limitée, avec un ratio de concentration variant de 4 à 400 fois, selon la molécule utilisée [4, 5]. L’exposition systémique étant ainsi diminuée, la toxicité du traitement est significativement réduite, ce qui permet d’utiliser des doses plus élevées comparées à la voie intraveineuse (IV) classique [6]. Plusieurs chimiothérapies ont été utilisées aux États-Unis par voie intra-artérielle hépatique, et notamment l’administration de la floxuridine (FUDR) qui a été développée avec l’inconvénient de nécessiter une perfusion continue en raison de sa demi-vie courte (10 minutes). L’administration IA d’irinotécan semblait initialement prometteuse puisqu’elle provoquait une transformation accrue en métabolite actif (SN38) mais elle n’a cependant pas montré d’augmentation de la réponse tumorale ni de réduction de la toxicité [7]. En France, la majorité des centres utilisent actuellement l’oxaliplatine qui permet d’obtenir un pic de concentration intrahépatique 4 à 5 fois supérieur à celui obtenu après une administration IV [4]. Il a été montré récemment que le 5-FU ou la mitomycine pouvaient aussi être utilisés après échec ou intolérance d’une chimiothérapie intra-artérielle hépatique (CIAH) à l’oxaliplatine [8].

Technique

Il existe deux méthodes pour mettre en place le cathéter intra-artériel permettant l’administration de la drogue dans l’artère hépatique : une voie purement radiologique, souvent privilégiée, et une voie chirurgicale.

Dans les deux cas, un bilan d’imagerie exhaustif pré-thérapeutique est systématiquement réalisé. Il inclut une IRM hépatique avec des séquences de diffusion, plus sensible et plus spécifique que le scanner pour le dépistage et le suivi évolutif des métastases hépatiques, et une artériographie par voie fémorale qui permet une cartographie de la vascularisation artérielle du foie afin de repérer les variantes anatomiques qui conditionneront la faisabilité de la technique, en particulier le positionnement du cathéter artériel ainsi que d’éventuelles collatérales à risque qui devront au préalable être soit ligaturées, soit embolisées afin d’éviter une perfusion extrahépatique de la chimiothérapie [9]. Ces explorations permettent également de s’assurer de l’absence de contre-indications à la mise en place du dispositif, parmi lesquelles une sténose sévère de l’artère hépatique ou un flux rétrograde lié à une sténose serrée du tronc cœliaque. La thrombose du système porte n’est pas une contre-indication absolue mais est associée à un risque accru d’ischémie hépatique en cas de survenue d’une thrombose artérielle favorisée par la présence du cathéter dans l’artère hépatique. Par ailleurs, une infection locale ou générale en cours constitue bien entendu une contre-indication temporaire (figure 1A).

La méthode chirurgicale ne peut être réalisée que lors d’une intervention, c’est-à-dire lors de la résection du cancer colique primitif ou lors d’une réintervention visant à traiter les métastases. La première étape consiste à lier toutes les branches de l’artère gastrique droite et les branches de l’artère gastroduodénale à destinée du pylore et du duodénum ou du pancréas. Après dissection de l’artère gastroduodénale et ligature de son extrémité distale, le cathéter dédié est inséré en positionnant son extrémité juste au niveau de l’origine de l’artère gastro-duodénale, donc à la jonction artère hépatique propre et commune. Le cathéter est ensuite fixé par une ligature autour de l’artère, et relié au boîtier qui est implanté en sous-cutané.

La méthode radiologique peut, quant à elle, être réalisée à tous les stades de la maladie et dans les différentes indications (obtention de la résécabilité hépatique, en situation adjuvante après chirurgie, ou pour améliorer le contrôle de la maladie hépatique non résécable). La voie radiologique est réalisée dans les conditions d’une artériographie par voie fémorale classique incluant plusieurs étapes techniques spécifiques :

  • une embolisation des artères non cibles qui consiste à « monopédiculiser » le foie, c’est-à-dire emboliser les artères hépatiques accessoires en cas de variantes anatomiques et les artères collatérales de l’artère hépatique qui vascularisent des structures à risque, afin de délivrer le traitement à l’ensemble du foie et uniquement à lui. Il s’agit le plus souvent de l’artère gastrique droite dans laquelle un reflux de chimiothérapie pourrait entraîner des ulcères gastriques, mais aussi l’artère cystique dans laquelle un reflux de chimiothérapie pourrait entraîner une cholécystite chimique. Cette étape d’embolisation est importante et en général réalisée à l’aide de coïls mais peut s’avérer parfois difficile (et chronophage) s’agissant d’artères de très petits calibres (figure 1B, C et D).
  • la mise en place d’un cathéter artériel spécifique, de calibre plus faible en distalité. Ce cathéter comporte un orifice latéral qui doit être positionné précisément en regard de l’artère hépatique propre, et son extrémité distale est mise en place dans l’artère gastroduodénale (figure 1B). Une fois le cathéter en place (prépositionné), l’orifice latéral est utilisé pour permettre le passage d’un microcathéter (ou endocathéter) afin de larguer des coïls dans l’artère gastroduodénale autour de l’extrémité du cathéter, ce qui permet d’ancrer son extrémité dans l’artère gastroduodénale mais aussi d’occlure celle-ci, afin d’éviter le reflux de la chimiothérapie dans les artères irriguant le duodénum, le pancréas et la grande courbure gastrique (figure 1C, D). Si l’extrémité du cathéter ne peut pas, pour des raisons anatomiques ou techniques, être positionnée dans l’artère gastroduodénale, elle peut être laissée flottante dans une branche périphérique de l’artère hépatique propre, mais avec un risque majoré de complications associées (migration, thrombose) [10]. Une boucle de sécurité est ensuite réalisée en ascensionnant le cathéter dans l’aorte, afin de disposer d’un excès de longueur permettant d’éviter tout phénomène de traction sur le cathéter lors des mouvements du patient. L’étape suivante consiste à mettre en place un boîtier et le raccorder au cathéter par tunnelisation. Cette étape est techniquement similaire à la mise en place d’un boîtier de chambre implantable (PAC) veineux « classique ». Néanmoins ce boîtier est positionné en regard de l’épine iliaque antéro-postérieure (figure 2) pour disposer d’un plan dur sur lequel s’appuyer pour mettre en place l’aiguille de Huber et éviter l’inconfort du patient (en évitant la zone habituelle du port de la ceinture). Un contrôle angiographique systématique par opacification vasculaire est réalisé pour vérifier l’emplacement correct de la perfusion de l’ensemble du foie et l’absence de perfusion extrahépatique. L’entretien et la surveillance du cathéter intra-artériel et de son boîtier sont assez proches de ceux d’un boîtier veineux mais nécessite tout de même de fournir une formation aux personnels médicaux et paramédicaux en charge de son utilisation et/ou de la mise en place des aiguilles. L’asepsie doit être évidemment particulièrement rigoureuse, étant donné la position du boîtier et le risque septique globalement plus important que pour une chambre implantable veineuse classique. L’extrémité du cathéter étant de très petit calibre, la recherche d’un reflux de sang, à l’instar des boîtiers veineux est formellement contre indiquée puisqu’elle favorise la thrombose ; de plus l’absence de reflux ne signifie en aucun cas que le cathéter n’est pas en place ou obstrué, étant donné le très faible diamètre du cathéter en distalité. La plupart des équipes réalisent un contrôle systématique par opacification avant chaque utilisation.

« La mise en place du cathéter intra-hépatique peut se faire par voie radiologique ou par voie chirurgicale »

Complications liées au dispositif

La perfusion extrahépatique reste la complication la plus fréquente et la plus grave, notamment en raison du risque de survenue d’ulcère gastrique lié à la perfusion dans l’artère gastrique droite si celle-ci n’a pas été embolisée. Un taux de 36 % de lésions de la muqueuse gastrique a été rapporté chez des patients traités sans embolisation de l’artère gastrique droite. Ce taux chute à 3 % chez les patients ayant eu une embolisation préalable. Cependant cette embolisation n’est pas toujours réalisable techniquement, bien qu’il ait été noté que le taux de réussite de cette embolisation s’améliore avec l’expérience du radiologue pour ce geste spécifique [11].

Le déplacement de l’extrémité du cathéter survient dans plus de 20 % des cas lorsqu’il est laissé libre dans l’artère hépatique, justifiant le choix préférentiel de l’ancrage dans l’artère gastroduodénale si possible [12]. La thrombose de l’artère hépatique est devenue peu fréquente depuis l’utilisation de cathéters de calibre 5 French, les plus couramment utilisés aujourd’hui. Mais le risque est accru lorsque le cathéter est libre dans l’artère, ou lorsqu’il existe une sténose même peu serrée du tronc cœliaque.

L’hémorragie au point de ponction est exceptionnelle si le cathéter utilisé pour la partie embolisation de l’acte et celui mis en place pour la chimiothérapie sont de même calibre. Elle justifie une surveillance attentive du point de ponction, surtout dans les jours suivant la mise en place du dispositif.

Tolérance de la chimiothérapie intra-artérielle hépatique

La fatigue, les toxicités hématologiques sur les trois lignées, les nausées, la diarrhée, une neurotoxicité et des hépatalgies représentent les principaux effets secondaires de la CIAH à base d’oxaliplatine. La toxicité biliaire (sténose ou cholangite) est rare et principalement liée à l’utilisation de FUDR en perfusion continue et pourrait être réduite par l’utilisation de corticoïdes [13]. L’oxaliplatine favorise la survenue de syndrome d’obstruction sinusoïdale.

« Quelles que soient les indications, la chimiothérapie intra-artérielle hépatique est relativement bien tolérée »

Indications de la chimiothérapie intra-artérielle hépatique

En cas de métastases hépatiques exclusives initialement non résécables mais pouvant le devenir

En cas de métastases hépatiques exclusives, les protocoles de chimiothérapie combinant deux ou trois agents cytotoxiques et une thérapie ciblée conduisent à une résection secondaire dans 15 à 30 % des cas, alors que l’atteinte hépatique était considérée comme non résécable initialement [14, 15]. L’enjeu de la CIAH dans cette indication est ainsi d’améliorer l’intensité de la réponse tumorale et d’augmenter la résécabilité secondaire en visant un downstaging des lésions hépatiques. Kemeny et al. ont ainsi montré une résécabilité secondaire atteignant 38 % chez des patients prétraités et 57 % chez des patients naïfs de tout traitement [16].

Plusieurs études randomisées comparant la CIAH à la chimiothérapie systémique, chez des patients avec MHCCR considérées comme définitivement non résécables ont été groupées dans une méta-analyse [17]. Celle-ci reprenait les essais ayant randomisé un traitement par fluoropyrimidine par voie IA versus par voie systémique (IV) chez des patients ayant des MHCCR, majoritairement naïfs de tout traitement. Dix études, comparant une fluoropyrimidine (FUDR principalement ou 5-FU) IA à une fluoropyrimidine (5-FU principalement ou FUDR) IV ont été retenues. Les taux de réponse tumorale objective étaient clairement en faveur du traitement intra-artériel : 42,9 % versus 18,4 % en cas de traitement IV (RR = 2,26 [1,8-2,84], p < 0,0001). Il n’y avait pas, en revanche, de différence significative sur la survie globale. Celle-ci atteignait 15,9 mois dans le groupe IA, contre 12,4 mois dans le groupe IV (p = 0,24 ; HR = 0,9 [0,76-1,07]. Cependant, sept des 10 essais inclus présentaient des limites méthodologiques (cross-over possible, métastases extrahépatiques concomitantes, dysfonctions des cathéters artériels) rendant prudente l’interprétation des résultats.

L’oxaliplatine a été évaluée par voie IA en première ligne et lors de lignes ultérieures dans le cas de métastases hépatiques non résécables. Ducreux et al. ont publié en 2005 les résultats d’un essai multicentrique de phase II de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer ayant inclus 28 patients atteints de cancer colorectal avec des métastases hépatiques exclusives, non résécables [18]. Trois quart de ces patients avaient déjà reçu une première ligne de chimiothérapie systémique, sans oxaliplatine. Le traitement à base d’oxaliplatine IA (100 mg/m2 en deux heures à J1 de chaque cycle) associé à du LV5FU2 IV, répété toutes les deux semaines, permettait d’atteindre un taux de réponse tumorale de 64 %. Une résection secondaire a été finalement possible chez cinq patients (17,8 %). Les médianes de survie sans progression et de survie globale avec cette combinaison thérapeutique étaient toutes deux de 27 mois, et le taux de contrôle de la maladie après quatre ou huit cycles était de 75 %. Dans l’essai CHOICE (phase II multicentrique) évaluant l’oxaliplatine en IA hépatique associé au LV5FU2 et au cétuximab IV en première ligne métastatique chez des patients ayant des métastases hépatiques initialement non résécables, le taux de réponse objective était de 85 %, le taux de résection secondaire de 66 % et la médiane de survie sans progression de 29 mois [19].

Goéré et al. rapportent également 24 % de résécabilité secondaire chez des patients avec métastases hépatiques initialement non résécables grâce à l’oxaliplatine combiné au LV5FU2 et une survie à cinq ans supérieure à 50 % chez les patients qui ont été opérés [20]. Après CIAH, les taux de réponse complète histologique sont plus élevés qu’après chimiothérapie systémique [21]. Par ailleurs, dans une série de 36 patients ayant une maladie hépatique extensive non résécable, traités par oxaliplatine IA hépatique en première ligne, De Baere et al. ont rapporté un taux de réponse de 90 %. Parmi ces patients, 48 % ont pu avoir une chirurgie ou un geste de thermoablation avec un taux de contrôle de 100 % et une médiane de survie sans progression de 20 mois [10].

L’essai de phase III randomisé multicentrique français PRODIGE 49 OSCAR, promu par la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD) et récemment ouvert aux inclusions, compare la survie sans progression hépatique entre deux bras, l’un recevant l’oxaliplatine IA hépatique et l’autre en IV, en première ligne de traitement de patients avec métastases hépatiques exclusives, en association au bévacizumab ou au panitumumab.

En situation adjuvante

Une récidive intrahépatique survient chez environ 70 % des patients opérés de MHCCR malgré une chimiothérapie adjuvante systémique. Cette récidive survient le plus souvent dans les deux premières années suivant la résection. Une seule étude randomisée, monocentrique, a évalué le bénéfice de l’association d’une CIAH à une chimiothérapie systémique après résection de MHCCR. Cette étude incluant 156 patients comparait l’association FUDR par voie IA hépatique associée à du 5-FU IV versus une chimiothérapie systémique par 5-FU seul. Les résultats montrent une augmentation du taux de survie à deux ans dans le groupe CIAH (86 % versus 72 % ; p = 0,03), ainsi qu’une différence plus marquée pour la survie sans progression hépatique à deux ans en faveur de la CIAH (90 % versus 60 % ; p < 0,001). Une réactualisation des résultats avec un suivi médian de 10,3 ans confirme une survie sans progression plus élevée dans le bras CIAH (31,3 versus 17,2 mois ; p < 0,02) et une tendance à l’amélioration de la survie globale, toutefois non statistiquement significative (68,8 versus 58,8 mois ; p < 0,1) [22].

Une méta-analyse Cochrane a été réalisée à partir de sept études randomisées regroupant un total de 592 patients. Elle n’a pas montré de bénéfice de la CIAH en termes de survie globale (HR = 1,1 IC95 : 0,9-1,3 ; p = 0,41) [23]. La limite d’interprétation de cette méta-analyse est l’ancienneté des essais inclus, leur faible effectif de patients, et l’absence de chimiothérapie systémique associée à l’IA hépatique dans le bras testé et dans les bras contrôle en dehors de l’essai de Kemeny.

Dans un travail plus récent, House et al. ont analysé rétrospectivement 250 patients opérés de MHCCR ayant reçu en adjuvant soit une chimiothérapie systémique seule (FOLFOX ou FOLFIRI) ou en association à une chimiothérapie IAH à base de FUDR. À cinq ans de suivi, la survie sans progression hépatique, la survie sans progression globale et la survie globale étaient significativement augmentées dans le groupe CIAH avec des taux respectivement de 75 %, 48 % et 79 % versus 55 %, 25 % et 55 % pour le groupe chimiothérapie systémique seule. En analyse multivariée, la combinaison de traitement IA hépatique et IV était associée de manière indépendante à la fois à une amélioration de la survie sans récidive et de la survie globale (p < 0,01) [24]. Une autre étude rétrospective, issue de la base prospective de l’Institut Gustave Roussy, rapporte un intérêt de la CIAH chez les patients à haut risque de récidive (au moins quatre MHCCR réséquées). Entre 2000 à 2009, 98 patients ont été inclus et recevaient un traitement adjuvant combinant CIAH à base d’oxaliplatine et chimiothérapie systémique moderne (FOLFOX/FOLFIRI) ou une chimiothérapie systémique seule. La survie sans progression à trois ans était significativement augmentée dans le groupe combinaison (33 % versus 5 % ; p < 0,0001) alors qu’il existait une tendance à l’augmentation pour la survie globale (75 % versus 62 % ; p < 0,17). De plus, en analyse multivariée, une chimiothérapie adjuvante administrée par voie IA hépatique était associée à une survie sans récidive significativement meilleure [25].

Actuellement, l’essai de phase II/III randomisé prospectif PRODIGE 43 PACHA-01, promu par l’Institut Gustave Roussy, compare la combinaison d’une CIAH à base d’oxaliplatine + LV5FU2 IV versus une chimiothérapie par FOLFOX systémique chez les patients à risque élevé de récidive hépatique après résection d’au moins quatre MHCCR.

En situation palliative

Lors de lignes ultérieures, l’association oxaliplatine IA et LV5FU2 IV a également été testée chez des patients ayant déjà reçu des polychimiothérapies, incluant l’oxaliplatine. Dans une série rétrospective de 44 patients, tous pré-traités en première et/ou deuxième ligne par une chimiothérapie systémique à base de LV5FU2 (FOLFOX ou FOLFIRI voire les deux pour 64 % d’entre eux), la CIAH à base d’oxaliplatine permettait d’obtenir un contrôle de la maladie dans 87 % des cas et une réponse objective dans 55 % des cas [26]. La médiane de survie globale et la médiane de survie sans progression étaient de 16 mois et 7 mois, respectivement (11 mois pour la survie sans progression hépatique). Dix-huit pour cent des patients ont même pu avoir un traitement des lésions hépatiques soit par chirurgie, soit par radiofréquence percutanée. L’essai européen de phase II multicentrique OPTILIV 07 a évalué l’administration d’une trichimiothérapie (5-FU, irinotécan, oxaliplatine) IA hépatique associée au cétuximab IV dans le traitement des métastases hépatiques non résécables KRAS sauvages : 30 % des patients recevant cette trichimiothérapie IA hépatique combinée au cétuximab IV ont pu avoir une résection R0/R1 de leurs métastases hépatiques [27].

« L’oxaliplatine peut être utilisée et être efficace par voie intra-artérielle hépatique, même en cas d’échappement préalable à l’oxaliplatine administrée par voie systémique »

Ammori et al. ont, quant à eux, rapporté les résultats d’une étude portant sur 145 patients avec métastases extrahépatiques et traités par CIAH [28]. Chez une part significative de ces patients, la présence de métastases extrahépatiques était incertaine au moment de l’implantation du cathéter intra-artériel. La médiane de survie globale était de 32 mois en cas de métastases hépatiques exclusives versus 16 mois en cas de métastases extrahépatiques associées. Elle était de 18 mois en cas de métastases extrahépatiques limitées à un seul site versus 9 mois en cas de métastases extrahépatiques touchant plusieurs sites. L’intérêt d’une CIAH chez les patients ayant une maladie métastatique extrahépatique semble donc limité et doit être réservé aux patients avec maladie métastatique hépatique exclusive ou largement prédominante.

Conclusion

La CIAH est relativement bien tolérée, sans morbidité importante. La combinaison oxaliplatine IAH-LV5FU2 IV, plus ou moins associée à un anti-EGFR en IV, peut conduire à une résection à visée curative chez des patients avec métastases hépatiques initialement non résécables, y compris après progression sous oxaliplatine IV. Les principales indications à retenir de la CIAH actuellement sont la situation adjuvante et les métastases hépatiques non ou difficilement résécables dans un contexte de maladie hépatique exclusive ou prédominante. Deux essais cliniques ouverts aux inclusions dans ces situations respectives (PACHA-01 et PRODIGE 49-OSCAR) sont disponibles actuellement.

Take home messages

  • L’administration d’une chimiothérapie par voie IA hépatique permet d’utiliser des doses plus élevées que par voie systémique intraveineuse.
  • La mise en place du cathéter intrahépatique peut se faire par voie radiologique ou par voie chirurgicale.
  • La chimiothérapie par voie intra-artérielle hépatique est relativement bien tolérée. La perfusion extra-hépatique est la complication la plus fréquente et la plus grave. Elle peut être prévenue par une embolisation préalable.
  • La chimiothérapie par voie intra-artérielle hépatique associée à une chimiothérapie +/- une thérapie ciblée systémique permet d’améliorer le taux de réponse tumorale hépatique et de rendre résécables des métastases hépatiques qui initialement ne l’étaient pas.
  • La chimiothérapie par voie intra-artérielle hépatique ne doit être réservée qu’aux patients ayant une maladie métastatique hépatique exclusive ou prédominante.
  • La chimiothérapie par voie intra-artérielle hépatique adjuvante après résection de métastases hépatiques apporte un bénéfice en termes de survie sans récidive et de manière plus modeste en termes de la survie globale.
  • L’oxaliplatine peut être utilisée et être efficace par voie intra-artérielle hépatique, même en cas d’échappement préalable à l’oxaliplatine administrée par voie systémique.

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


* Cet article, actualisé en 2018, est déjà paru dans Hépato-Gastro : Chauvenet M, Muller A, Dominici P, et al. Chimiothérapie intra-artérielle hépatique et cancer colorectal : où en sommes-nous en 2017 ? Hépato Gastro 2017 ; 24 : 587-94. doi : 10.1684/hpg.2017.1474

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International