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Neurosciences et psychiatrie : intégration ou grand écart ? Volume 85, numéro 5, mai 2009

Auteur
Professeur de psychiatrie, Université Lyon-I, CH Le-Vinatier ; Centre de neurosciences cognitives, Lyon

Si les recherches neuroscientifiques en psychiatrie, portant principalement sur les pathologies, ont progressé de manière très remarquable, un écart encore considérable sépare les données de ces recherches et la pratique quotidienne. Si toutes les pratiques en psychiatrie s’inscrivent au niveau biologique et cérébral exploré par les neurosciences, certaines pratiques agissent directement sur le fonctionnement cérébral pour le modifier (stimulation, médicament) et s’appuient donc sur la biologie et les neurosciences, alors que les autres n’atteignent cette modification qu’indirectement, à travers des interactions intentionnelles entre le praticien et le patient. L’« écart biologico/pratique » peut être compris comme la conséquence d’un écart de complexité entre le plan des processus pathologiques et des pratiques interpersonnelles (sur lesquelles repose largement la pratique psychiatrique), et le plan des mécanismes cérébraux et biologiques étudiés aujourd’hui. Mais il peut aussi être vu comme l’expression d’une différence de nature entre les connaissances issues de la pratique intersubjective et de la recherche objective, différence assimilable à la distinction classique entre compréhension et explication, appliquée ici au comportement ou à la « conduite » au sens classique. Il en découlerait alors la nécessité constante pour la psychiatrie de continuer à se référer aux sciences cliniques ou « humaines » en même temps qu’aux neurosciences. Méconnaître cette distinction conduit à différents réductionnismes, biologique ou psychologique. Réduire l’écart entre neurosciences et pratique clinique suppose de reconnaître cette nécessaire pluridisciplinarité de la psychiatrie, et de faire porter les recherches neuroscientifiques non seulement sur les pathologies mais aussi sur les pratiques cliniques. Une « neuroscience de la pratique clinique » aiderait à adapter celle-ci aux situations où le fonctionnement cérébral est altéré, comme souvent en psychiatrie. Elle permettra aussi de considérer la part intersubjective forte propre à la pratique psychiatrique non plus comme un biais à éliminer dans les protocoles de recherche, mais comme une réalité propre, à la fois psychologique et neurobiologique, un objet de recherche neuroscientifique en psychiatrie de premier intérêt. L’évolution des neurosciences cognitives dans le champ de l’intersubjectivité (les « neurosciences cognitives sociales ») offre une remarquable opportunité pour étudier non seulement la pathologie, mais aussi la pratique psychiatrique, de ce point de vue centré sur les mécanismes biologiques des relations interpersonnelles.