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Exposition psychotraumatique en psychiatrie adulte (EPPA-I) Volume 94, numéro 3, Mars 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Tableaux

Introduction

Expositions psychotraumatiques et prévalences du TSPT

En population générale, la prévalence de l’exposition à un événement potentiellement traumatique serait en France de 30,2 % sur la vie entière (Vaiva et al., 2008) [1]. Cette même enquête retrouvait une prévalence de l’état de stress post traumatique (ESPT) de 3,9 %. Des chiffres comparables à ceux de l’enquête européenne ESeMED [2, 3].

En population psychiatrique, de nombreuses études rapportent des expositions psycho-traumatiques nettement supérieures à celles de la population générale. Selon Newman et al.[4], aux USA, 87 % des patients psychiatriques évalués, souffrant de schizophrénie ou de troubles schizo-affectifs, ont été exposés à un événement psycho-traumatique dans la vie. Toujours aux USA, une étude retrouvait 51,3 % d’abus physiques et 41,8 % d’abus sexuels sur la vie entière chez des patients souffrant de pathologies mentales sévères [5]. En Allemagne, sur un échantillon de patients souffrant de trouble bipolaire de type 1, 50 % rapportaient au moins une expérience psycho-traumatique [6].

En France, l’étude de Evans et al.,[7] menée en Martinique a exploré le « profil traumatique » de 49 patients hospitalisés en unité psychiatrique de crise : 98,7 % de l’échantillon étudié a été exposé à au moins un événement traumatique sur la vie entière.

Psychotraumatisme et comorbidité

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) se complique fréquemment de comorbidité : 88 % des hommes et 79 % des femmes présenteraient des troubles mentaux comorbides dans les suites d’un syndrome psychotraumatique [8]. En moyenne, 75 % des patients souffrant de TSPT présenteraient au moins un trouble comorbide, avec une prédominance de troubles dépressifs [9]. L’hypothèse d’une prédisposition commune au développement d’un TSPT ou d’un trouble dépressif dans les suites d’un psychotraumatisme a également été étudiée [10-12]. Par ailleurs, le risque suicidaire est fortement accru dans les suites d’un TSPT [1, 13].

Contexte et motivations de l’étude

Suite aux attentats et attaques terroristes qui ont eu lieu ces dernières années1, la communauté scientifique internationale est amenée à intensifier son observation du devenir médical des populations exposées à une situation traumatogène. Des pathologies psychiques et comorbidités peuvent être développées à plus ou moins long terme. Notre étude est sous-tendue par une logique inverse : parmi une population de patients tout-venant, quelle proportion aurait été exposée à une situation traumatique au cours de sa vie ?

Le pôle Avignon Sud Durance (PASD) du centre hospitalier de Montfavet accueille des patients hospitalisés en secteur (TP), en consultations libres via les hospitalisations de jour (HDJ), les centres médico-psychologiques (CMP), ou dans le cadre des interventions urgentes de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP 84). Ce pôle de psychiatrie adulte englobe la partie sud d’Avignon, et le secteur nord Bouches-du-Rhône (13 G 27). Si les prises en charge dans le cadre de la CUMP mettaient naturellement en évidence de nombreux cas d’états de stress aigus ou de TSPT, il n’existait jusqu’alors pas d’évaluation psychotraumatique initiale et systématique des patients hospitalisés ou ambulatoires admis au sein du pôle, alors même qu’une prévalence importante d’antécédents psychotraumatiques, chez des patients pris en charge pour de multiples motifs, était pressentie par les soignants.

La question de la place du psychotraumatisme dans la genèse et le développement de pathologies psychiatriques pour lesquelles les patients étaient admis se posait. Alors même que la prise en charge du TSPT est désormais codifiée, qu’il existe des traitements validés (recommandations de la HAS 2007 [14], Nice 2005 [15], WFSBP 2008 [16]), et que les critères diagnostiques sont connus et régulièrement mis à jours, il semblait essentiel de faire le point sur l’histoire psychotraumatique des patients psychiatriques du pôle, et de sensibiliser les soignants à la question du dépistage du TSPT en psychiatrie.

De nombreuses études internationales ont exploré les antécédents psychotraumatiques au sein de populations psychiatriques spécifiques. Cependant, il n’existe à notre connaissance aucune étude française ayant enquêté sur les antécédents psychotraumatiques en population psychiatrique adulte tout-venant, selon les derniers critères diagnostic du DSM V [17].

Objectifs de l’étude

Notre étude a tenté de vérifier le ressenti des soignants vis-à-vis des antécédents psychotraumatiques de la population psychiatrique du pôle, et d’ouvrir la réflexion sur la place éventuelle des expositions traumatogènes dans la genèse, le développement ou la complication de pathologies psychiatriques.

L’objectif principal de notre étude était donc d’évaluer la prévalence de l’exposition psychotraumatique en population psychiatrique adulte, au sein du PASD de l’hôpital de Montfavet, toutes hospitalisations et pathologies mentales confondues.

Les objectifs secondaires étaient de préciser les caractéristiques des expositions psychotraumatiques au sein de cette même population (type et nombre d’expositions, âge de survenue, prévalence selon le sexe), et de sensibiliser les soignants au dépistage des situations d’expositions psychotraumatiques en milieu psychiatrique.

Méthode

Population et recueil des données

L’étudeEPPA-Iest une enquête pilote, épidémiologique descriptive transversale, rétrospective mono-centrique et multi-site au sein du PASD. La période d’inclusion était de 7 semaines, entre avril 2016 et juin 2016. Les inclusions et recueils des données ont été effectués par 48 soignants du pôle (infirmiers, psychologues, psychiatres) sensibilisés au diagnostic de psychotraumatisme et de TSPT, sur toutes les unités du pôle, sous forme d’hétéro-évaluation par entretiens individuels, sans randomisation préalable des sujets. Les données recueillies ont intégralement été consignées dans le dossier informatisé patient (DIP).

La population étudiée était celle des patients psychiatriques tout-venant pris en charge au sein du PASD. Les critères d’inclusion étaient des patients adultes du pôle, ayant été informés de l’objet de l’enquête et ayant donné un consentement écrit.

Les données recueillies pouvaient être complétées à partir du DIP lorsque le sujet ne pouvait préciser ses antécédents. L’unique critère d’exclusion était l’absence de consentement écrit des sujets. Les données recueillies ont par la suite été anonymisées avant le traitement informatisé des données.

Instruments de l’étude

Grille de dépistage EPPA-I/DSM V (annexe 1)

La grille de dépistage utilisée pour l’enquête a été élaborée en 2016 par l’équipe de la CUMP 84 à partir de critères strictement issus du DSM-V [17]. L’exposition psychotraumatique a été évaluée selon les critères du « Cluster A » du trouble de stress post-raumatique du DSM-V.

Mesures statistiques

Apres extraction des données recueillies dans les DIP, et leurs mises en forme par un logiciel de base de données de type Access, celles-ci ont été transmises sur tableur Excel pour les analyses comparatives de populations et le calcul des pourcentages directs, des moyenne, médianes et écarts types.

Résultat

Population de l’enquête

L’enquête a été proposée à 321 patients tout-venant. Un échantillon de 294 patients ont donné leur accord (91,5 %), soit 20,8 % de la file active du PASD sur la période de l’étude (1411 patients). Les inclusions ont eu lieu au sein du pôle selon les proportions suivantes (figure 1).

Âges moyens et représentativité de l’échantillon

Le tableau 1 résume la répartition selon le sexe et les âges moyens de l’échantillon, comparés aux moyennes du pôle et du département.

Expositions psychotraumatiques

Parmi l’échantillon inclus (n = 294), l’enquête retrouvait un ou plusieurs antécédents d’exposition psychotraumatique chez 72,2 %des sujets enquêtés (n = 212), parmi lesquels 64 % de femmes et 36 % d’hommes (figure 2).

Types d’expositions

Le tableau 2 résume l’ensemble des types d’expositions psychotraumatiques évaluées, et les statuts des sujets exposés aux événements psychotraumatiques.

Âge et nombre d’expositions psychotraumatiques

Dans la figure 3, il est montré que 74 % des sujets exposés à des événements traumatogènes ont été poly-exposés sur la vie entière.

Le tableau 3 détaille le nombre d’expositions et l’âge de survenue du premier événement psychotraumatique.

Par ailleurs, la poly-exposition psychotraumatique concernait majoritairement les femmes : parmi les sujets ayant expérimenté des expositions multiples (3 à 6 expositions) 75 % étaient des femmes, contre 25 % d’hommes. En cas d’exposition unique, les femmes étaient également plus concernées : 55 % des sujets mono-exposés étaient des femmes, contre 45 % d’hommes. Concernant l’âge des premières expériences traumatogènes, l’enquête retrouvait un taux de 66 % d’antécédents de primo exposition à un âge mineur chez les sujets exposés.

Discussion

Méthodologie

Population de l’étude et recueil des données

L’échantillon de l’enquête représente 20 % de l’ensemble de la file active du PASD sur la même période. Les sujets inclus l’ont été dans différents secteurs du pôle (CMP, TP, HDJ), avec une légère supériorité de sujets féminins (58 % de l’échantillon contre 52 % pour l’ensemble des patients du PASD). Cependant, la taille de notre échantillon et l’absence d’échantillonnage aléatoire ne permettent pas d’assurer avec certitude une représentativité de l’ensemble de la population du pôle, et sont une faiblesse de notre étude (biais potentiel de sélection).

Concernant le recueil des données, la grille de dépistage été informatisée et intégrée au logiciel médical du centre hospitalier, après une évaluation pratique de la fiche et validation de sa faisabilité par les soignants enquêteurs. Une fiche explicative des modalités de l’enquête était jointe. Les informations recueillies ont été intégrées dans les dossiers informatisés des patients, permettant le codage des données dans les dossiers médicaux.

Tous les enquêteurs étaient sensibilisés au diagnostic du psychotraumatisme et à la clinique du TSPT dans le cadre de journées de formation et de séminaires effectués dans le cadre de la CUMP 84, afin de minimiser le risque de biais de classement.

Choix de la grille de dépistage

Au moment où nous élaborions cette enquête, aucune échelle évaluant l’exposition psycho-traumatique et basée sur les nouveaux critères diagnostic du DSM V n’avait encore été publiée à notre connaissance. Seules des échelles basées sur les critères des éditions précédentes du DSM IV et IV-TR étaient utilisées dans la littérature. Bien que le recours à une échelle non validée puisse représenter une faiblesse, et devant l’absence de grille standard validée selon les nouvelles données issues du DSM-V, nous avons fait le choix d’élaborer cette grille de dépistage EPPA-I DSM-V, strictement basée sur les derniers critères diagnostic du TSTP du DSM V. Cette dernière édition avait pour particularité de prendre en compte les expositions multiples et les liens indirects entre l’individu et l’événement traumatique, et apportait des éléments nouveaux dans la définition de l’exposition traumatogène et dans le diagnostic de TSTP.

Résultats

Notre enquête retrouve un antécédent d’exposition à un événement potentiellement traumatisant sur la vie entière chez 72 % des sujets interrogés, dont une majorité de femmes (64 % de femmes, 36 % d’hommes) ; 42 % des sujets ont expérimenté un deuil violent, 46 % ont été victimes d’une agression physique, 27 % d’une agression sexuelle. Ces chiffres sont nettement supérieurs aux données retrouvées en population générale.

Cette enquête visait à étudier une population psychiatrique diversifiée, puisqu’elle concernait l’ensemble des secteurs du pôle, et interrogeait des patients « tout-venant » pris en charge dans différents services psychiatriques. En cela, notre population étudiée se voulait représentative des patients pris en charge en psychiatrie en France métropolitaine, tous secteurs et toutes pathologies confondues. Bien qu’il existe certaines faiblesses dans notre étude, ces premiers résultats interrogent sur la prévalence et la place du psychotraumatisme dans l’apparition et l’évolution des pathologies en santé mentale, et viennent conforter les résultats d’une étude menée dans le cadre d’une récente thèse française qui retrouvait sur un échantillon de patients consultant aux urgences psychiatriques, toutes pathologies confondues, un taux d’exposition aux événements psychotraumatiques de 65,7 % et une prévalence de TSPT de 13,8 % [18]. L’auteure concluait à l’existence manifeste d’un « sous-diagnostic de l’ESPT dans la population des patients atteints de troubles mentaux. Les caractéristiques du trouble et son retentissement justifient une recherche des antécédents traumatiques ».

En ce qui concerne l’exposition psychotraumatique en population générale, des études ont montré que les femmes seraient moins exposées que les hommes, tous incidents confondus [8, 19, 20]. Cependant, celles-ci seraient nettement plus concernées par les traumatismes liés aux violences sexuelles. Elles développeraient plus souvent un TSPT, et présenteraient des symptômes de gravité plus importants, dans les suites d’un événement traumatisant [1, 2, 8]. Pourtant, notre enquête retrouvait des antécédents d’exposition traumatogènes supérieurs chez les femmes dans notre population psychiatrique : 55 % des sujets mono exposés étaient des femmes contre 45 % d’hommes, et 75 % de sujets multi exposés étaient des femmes contre 25 % d’hommes. Ces résultats tendent à confirmer une prévalence et un impact plus important des expositions psychotraumatiques chez les femmes, notamment en population psychiatrique, et soulignent le risque de poly-exposition et de comorbidité chez celles-ci.

Par ailleurs, les cas de poly-expositions apparaissent comme étant très fréquents dans notre échantillon : 74 % des sujets exposés l’ont été plusieurs fois. Des études menées en population générale retrouvaient une poly-exposition chez 20 % des sujets exposés [21]. Si la répétition des événements psychotraumatiques semble être un facteur aggravant, notamment dans le cadre des traumatismes complexes, d’autres enquêtes menées en milieu psychiatrique ont étudié la question de la répétition des événements traumatiques. Assion et al.[6] retrouvaient des antécédents d’expositions traumatiques multiples plus importants chez des patients bipolaires. Ces données soulignent la nécessité d’un dépistage précoce de l’exposition traumatogène, pour une prise en charge adaptée de la maladie psychotraumatique en population psychiatrique.

Concernant l’âge de la première exposition psychotraumatique, notre enquête retrouve chez les sujets exposés 66 % de primo-exposition avant 18 ans. Ces résultats sont préoccupants, compte tenu de la gravité potentielle et de l’impact psychologique et développemental de ces expositions traumatiques précoces chez l’enfant, étudiée par ailleurs [22, 23].

Ces premiers résultats amènent aussi de nouvelles interrogations, notamment concernant le retentissement des antécédents psychotraumatiques sur la prise en charge actuelle de ces patients. Au-delà de ces données épidémiologiques, il nous a semblé pertinent d’évaluer l’impact de ces expériences traumatiques, en fonction de leur type de leur répétition et de leur précocité, en développant un outil mesurant le volume de soins psychiatriques. Ceci sera l’objet du deuxième volet de notre étude.

Enfin, la question de l’impact de l’expérience psychiatrique, pouvant être assimilée à une expérience traumatogène chez ces patients – qu’il s’agisse de l’hospitalisation psychiatrique elle-même avec ce qu’elle peut amener comme mesures d’enfermement d’isolement et de contraintes parfois vécues de façon traumatique par le patient [24], ou qu’il s’agisse de l’expérimentation d’un état psychotique aigu également décrite dans la littérature comme pouvant constituer une expérience psychotraumatique [25] – mériterait une analyse à part entière.

Conclusion

L’enquête EPPA-I tend à confirmer l’impression clinique qu’une majorité de patients pris en charge en services de psychiatrie adulte, toutes pathologies confondues, aurait été en situation d’exposition traumatogène. Elle retrouve une prévalence nettement supérieure de l’exposition psychotraumatique en population psychiatrique, comparé à la population générale. Bien que notre enquête comprenne quelques biais, elle interroge sur la place du psychotraumatisme dans l’apparition et l’évolution des pathologies en santé mentale. Elle ouvre notamment la réflexion sur les répercussions des expositions multiples et de l’âge précoce de survenue des événements traumatogènes sur la santé mentale, ainsi que sur l’impact des expériences psychotraumatiques chez les femmes. Ces résultats appellent à des études de plus grande ampleur autour de la question du traumatisme psychique, et plaident en faveur d’un dépistage systématique des antécédents traumatiques en psychiatrie.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Annexe 1 Grille de dépistage EPPA-I / DSM V (CUMP 84 – 2016)


* Lieu de l’enquête : ce travail a été effectué au sein du pôle Avignon Sud Durance (PASD) et de la Cellule d’urgence medicopsychologique (CUMP 84) du centre hospitalier de Montfavet, avenue de la Pinède, 84140 Avignon, France.

Communications effectuées :

– 36es Journées de la Société de l’Information Psychiatrique (SIP) : du 5 au 7 octobre 2017, Toulouse, France.

– 19es Journées scientifiques internationales des CUMP et de psychotraumatologie de l’Aforcump-SFP(Association de formation et de recherche des cellules d’urgence médicopsychologique, Société française de psychotraumatologie) : 12 et 13 octobre 2017, Toulon, France.

1 Parmi certains des attentats les plus meurtriers en France métropolitaine : Paris, le 7 janvier 2015 et 13 novembre 2015 ; Nice, le 14 juillet 2016.

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