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L'Information Psychiatrique

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Analyse de livre Volume 94, numéro 2, Février 2018

Jean-Paul Arveiller, Bernard Durand et Brice Martin (dir.)

Santé mentale et processus de rétablissement

Nîmes : Champ Social éditions, 2017

Ce recueil de textes (dont plusieurs auteurs se sont déjà exprimés dans l’Information Psychiatrique en 2012 (voir l’éditorial de Jean Charles Pascal

Pascal JC. Se rétablir ? L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 251-2. jle.com/fr/revues/ipe/e-docs/se_retablir__292553/article.phtml

) dresse un panorama actuel du concept de rétablissement, depuis ses origines historiques jusqu’à ses implications pratiques et théoriques. Des témoignages vécus enrichissent le propos.

Le concept de rétablissement pose que l’individu, parallèlement à sa situation de malade, peut aussi s’organiser selon sa problématique, et participer, à sa mesure, à la vie sociale. Se rétablir, c’est s’appuyer sur ses capacités à vivre à travers sa pathologie et malgré ses déficiences, invalidités et limitations fonctionnelles. Se rétablir, c’est l’idée que l’individu garde, à travers ses épreuves, une part irréductible qui ouvre sur l’espérance, la prévision de son devenir, la mise en récit de sa trajectoire.

Ce processus d’affirmation de sa position d’acteur de sa propre vie invite à repenser les relations des professionnels avec les usagers des services de psychiatrie. Il ne s’agit plus de viser exclusivement la guérison de la maladie (même si le soin demeure nécessaire), ni de compenser des déficiences (même si cela reste indispensable) mais bien d’utiliser toutes les ressources possibles de créativité personnelle pour revendiquer ses droits, et se regrouper avec ses semblables pour développer des formes d’entraide mutuelle et de pairs aidants centrée sur les capacités personnelles et le devenir de chaque individu.

Cet ouvrage collectif pose de stimulantes questions : Comment le processus de rétablissement qui est né dans le contexte du mouvement des droits civiques aux USA et qui ne cache pas ses origines antipsychiatriques a pu devenir en 35 ans le pivot affiché des politiques de santé mentale ? Comment ceux qui se sont considérés au début comme des résistants « survivants » à la pratique officielle de la psychiatrie se sont-ils transformés en pairs aidants dont on discute dans cet ouvrage le statut professionnel dans les équipes et dans les groupements d’entraide mutuels (GEM) ?

Pour certains auteurs (Tim Greacen, Emmanuelle Jouet, Brice Martin, Marie Koenig), le sens de l’histoire est irréversible : tout est bon dans le concept de recovery ! Il faut favoriser les approches narratives, évaluer le processus de rétablissement, modifier les pratiques soignantes dans ce sens : « le rôle des professionnels est désormais de faire avec ces personnes et non plus faire pour ». Bernard Pachoud ajoute une dimension éthique et philosophique. Pour lui le rétablissement est une approche centrée sur la personne et non sur la maladie (contrairement à ce qu’il suppose être la psychiatrie classique). Les études scientifiques prouvent le non-fondé du pessimisme pronostique kraepelinien. Il faut tendre « au prima de la dimension expérientielle et du processus de réappropriation subjective de vie ». La lecture des phénomènes sous l’éclairage de Heidegger et de Ricœur permet de concevoir un rétablissement passant par la subjectivation du processus narratif. Ce point de vue optimiste est abondamment illustré par les témoignages des itinéraires à la carte (y compris en GEM) qui forment une grande partie de l’ouvrage.

Face à cet enthousiasme résolu on sent que certains praticiens de la psychiatrie adhèrent… plus prudemment. Dans un intéressant exercice d’équilibriste Bernard Durand nous propose une lecture historique de l’évolution des pratiques de la psychiatrie publique selon le modèle d’Andresen, un auteur australien cité dans presque tous les articles de cet ouvrage. En 2003, son équipe a publié une description des « stades du rétablissement » qui fait aujourd’hui autorité dans le monde du rétablissement.) Andresen décrit 5 étapes à franchir par la personne sur le chemin de son rétablissement : l’étape moratoire avec déni de la maladie, retrait social et désespoir ; l’étape de la prise de conscience ; celle de la préparation avec identification aux pairs ; celle ensuite de la reconstruction et enfin l’étape de croissance avec capacité de gérer sa maladie malgré les rechutes.

Sur ce canevas, B. Durand décrit la période asilaire comme le moratoire sans espoir ; la transformation de l’asile, avec le développement de la psychothérapie institutionnelle comme l’étape de la prise de conscience. L’étape de préparation correspondrait à celle des soins dans la cité et donc au développement de la politique de secteur ou le patient commence à distinguer entre être schizophrène et avoir une schizophrénie. L’étape de la reconstruction correspondrait à la loi de 2005 ainsi qu’à la création des groupes d’entraide mutuelle. Celle des pairs aidants ouvrirait sur la préparation à l’étape de croissance pour les handicapés psychiques.

J.-P. Arveiller termine l’ouvrage en mettant en garde contre certaines simplifications abusives. Certes le rétablissement s’inscrit dans une évolution logique des pratiques et des représentations du monde contemporain. Mais la clinique nous rappelle souvent que le désir d’évolution peut être pris dans une ambivalence et l’auteur souligne « le risque de placer les personnes dans une situation d’injonction impossible potentiellement pathogène et totalement à l’inverse de la philosophie du rétablissement dont l’amorce commence justement par ce deuil du tout possible ».

Jacques Constant, janvier 2018

jacques.constant28@wanadoo.fr

Liens d’intérêts

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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