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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Un concurrent au sorafenib dans le traitement de l’hépato-carcinome non résécable en première ligne? Volume 25, numéro 5, Mai 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

Tableaux

Introduction

Le carcinome hépato-cellulaire (CHC) est la troisième cause de décès par cancer dans le monde. Il se développe dans presque 80 % des cas chez des patients porteurs de cirrhose, plus rarement dans le cadre d’hépatopathies chroniques et exceptionnellement sur foie sain. Le choix du traitement du CHC est depuis plus d’une décennie basée sur la classification Barcelona Clinical Liver Classification BCLC [1] (figure 1). Cette classification permet de classer les patients en 5 stades en prenant en compte leur maladie hépatique et leur maladie carcinologique définissant ainsi des groupes homogènes de patients en fonction de leur pronostic.

Les résultats de l’essai de phase III « SHARP », publié en 2008, ont validé l’indication du sorafenib en première ligne de traitement dans le CHC avancé ou BCLC-C [2].

Le sorafenib est un inhibiteur multikinase oral bloquant les signaux cellulaires de prolifération tumorale et de vascularisation. Il a permis une augmentation, statistiquement significative, de la survie globale avec un gain de 2,8 mois contre placebo (10,7 mois contre 7,9 mois, HR = 0,69 ; p < 0,001) et un allongement du temps jusqu’à progression tumorale (5,5 mois contre 2,8 mois ; p < 0,001) [2]. Depuis la publication de ces résultats, le sorafenib est devenu la pierre angulaire du traitement des patients BCLC-C. Bien que le bénéfice clinique en survie globale du sorafenib soit « modeste », il est resté indétrônable ces dix dernières années dans les essais de phase III.

Bien que le bénéfice clinique en survie globale du sorafenib soit « modeste », il est resté indétrônable ces dix dernières années dans les essais cliniques de phase III

Le lenvatinib est un inhibiteur multikinase oral ciblant le récepteur 1-3du vascular endothelial growth factor (VEGF), le récepteur 1-4 du fibroblast growth factor (FGF) et du platelet-derived growth factor (PDGF) alpha, RET et KIT. Le lenvatinib, à la dose de 12 mg une fois par jour, a montré une efficacité clinique et un profil de toxicité tolérable en phase II [3].

L’objectif de cet essai de phase III randomisé, ouvert, de non-infériorité était d’évaluer l’efficacité et la tolérance du lenvatinib contre placebo, en première ligne de traitement des carcinomes hépato-cellulaires non résécables.

L’objectif de cet essai de phase III randomisé, ouvert, de non-infériorité était d’évaluer l’efficacité et la tolérance du lenvatinib contre placebo, en première ligne de traitement des carcinomes hépato-cellulaires non résécables

Le schéma de l’étude

Il s’agit d’une étude internationale multicentrique conduite au sein de 20 pays en Europe, en Asie et aux États-Unis.

Neuf cent cinquante-quatre (N = 954) patients atteints d’un CHC non résécable ont été randomisés. Les patients devaient être naïfs de traitements systémiques antérieurs, avoir au moins une lésion cible mesurable selon les critères mRECIST Modified Response Evaluation Criteria in Solid Tumours (mRECIST), stade B ou C de la classification BCLC avec une fonction hépatique conservée (Score Child-Pugh A) et en très bon état général (ECOG PS ≤ 1).

Seuls les patients ayant une tumeur occupant moins de 50 % du foie sans invasion franche des canaux biliaires ou du tronc porte étaient inclus.

Seuls les patients ayant une tumeur occupant moins de 50 % du foie sans invasion franche des canaux biliaires ou du tronc porte étaient inclus

Les patients étaient stratifiés en fonction de leur région d’inclusion (Asie-Pacifique ou Occident), de la présence d’un envahissement macroscopique du tronc porte et/ou de localisations extrahépatiques (oui ou non), de l’état général (ECOG PS : 0 ou 1) et de leur poids (< 60 kg ou ≥ 60 kg). Ils étaient ensuite randomisés entre un traitement par lenvatinib dont la dose était adaptée au poids ou par sorafenib.

Le lenvatinib était prescrit à la dose de 8 mg chez les patients de moins de 60 kg et de 12 mg chez les patients de 60 kg ou plus. Bien que les posologies ne soient pas celles évaluées en phase II, elles ont été choisies sur la base d’une étude de pharmacocinétique récemment publiée [4]. Au cours de ce travail, des dosages pharmacocinétiques ont été réalisés afin de vérifier le choix de ces doses. Le sorafenib, quant à lui, était classiquement prescrit à la dose de 400 mg deux fois par jour.

Le critère de jugement principal était la survie globale et les critères de jugement secondaires : la survie sans progression, le temps jusqu’à progression, le taux de réponse objective, la qualité de vie et les paramètres pharmacocinétiques d’exposition au lenvatinib.

Les patients étaient évalués toutes les huit semaines par scanner ou imagerie par résonnance magnétique (IRM) jusqu’à progression radiologique, qu’ils aient ou non interrompu leur traitement, puis suivis toutes les douze semaines jusqu’au décès ou la fin de l’étude. Un questionnaire sur la qualité vie (EORTC QLQ-C30) était remis au patient le premier jour du traitement, puis à chaque début de cycle, la dernière évaluation de la qualité de vie était réalisée 30 jours après la dernière administration de lenvatinib ou de sorafenib.

En termes de statistique, les auteurs ont tout d’abord testé la non-infériorité sur le critère de jugement principal qu’était la survie globale puis la supériorité sur tous les critères de jugement. Le seuil de non-infériorité a été fixé à 1,08 d’après les résultats des deux précédents essais cliniques de phase 3 ayant évalué le sorafenib [2, 5]. Si la limite supérieure de l’intervalle de confiance à 95 % du Hazard Ratio (HR) était inférieure à 1,08, on pouvait conclure à la non-infériorité du lenvatinib par rapport au sorafenib. Les critères secondaires d’évaluation de l’efficacité ont été testés, une fois la non-infériorité établie.

Les résultats de l’essai

Neufs-cent-cinquante-quatre patients ont été randomisés entre sorafénib (N = 476) et lenvatinib (N = 478) (figure 2). Les caractéristiques des patients étaient semblables dans les deux bras à l’exception de deux critères : il y avait plus de patients atteints d’hépatite C dans le bras sorafénib et plus de patients avec une α-fœtoprotéine supérieure ou égale à 200 dans le bras lenvatinib (tableau 1).

Le temps de suivi médian était de 27,7 mois dans le bras lenvatinib et de 27,2 mois dans le bras sorafenib.

En termes de survie globale le lenvatinb était non-inférieur au sorafenib avec une médiane de survie globale de 13,6 mois (IC95 [12,1-14,9]) pour les patients sous lenvatinib contre 12,3 mois (IC95 [10,4-13,9]) pour ceux sous sorafenib (HR à 0,92 (IC95 [0,79-1,06])), mais l’essai n’a pas pu prouver sa supériorité (figure 3).

Bien que ce ne soit pas l’objectif principal, le lenvatinib a montré une supériorité statistique sur tous les critères de jugements secondaires.

En termes de survie globale, le lenvatinb était non-inférieur au sorafenib avec une médiane de survie globale de 13,6 mois pour les patients sous lenvatinib contre 12,3 mois pour ceux sous sorafenib, mais l’essai n’a pas pu prouver sa supériorité

Le lenvatinib a montré une supériorité statistique sur tous les critères de jugements secondaires

La médiane de survie sans progression était plus longue chez les patients traités par lenvatinib avec une médiane de survie sans progression de 8,9 mois contre 3,7 mois pour ceux sous sorafenib (figure 4). Le taux de réponse objective était meilleur et le temps jusqu’à progression plus long chez les patients sous lenvatinib (tableau 2).

Une analyse post-hoc a été faite, évaluant les patients de manière indépendante selon les critères radiologiques mRECIST spécifiques au CHC et les critères RECIST classiquement utilisés en cancérologie. L’évaluation de la réponse ne semblait pas modifiée par le choix du critère d’évaluation (RECIST ou mRECIST) : le lenvatinib restait supérieur sur les critères de jugements secondaires (tableau 2).

Pour ce qui était de la tolérance, le nombre de toxicités sévères (Grade ≥ 3 selon les critères NCI.CTC) était identique dans les deux bras. Les effets secondaires les plus fréquents chez les patients recevant du lenvatinib étaient l’hypertension, la diarrhée, l’anorexie et la perte de poids. Les patients recevant du sorafenib présentaient plutôt des syndromes main-pied, de la diarrhée, de l’hypertension ou une anorexie.

Il semblait que les patients sous sorafenib présentaient une altération de leur qualité de vie (perte d’autonomie (p = 0,0193) ; douleur (p = 0,0105) ; diarrhée (p < 0,001), alimentation (p = 0,0113) ; image corporelle (p = 0,0051)) plus précoce que ceux traités par lenvatinib (HR : 0,87 ; IC95 [0,754-1,013]).

Discussion

Le lenvatinib est le premier traitement, qui au cours de ces dix dernières années, a montré, contre le sorafenib, un effet sur la survie globale. Jusque-là, il semble qu’aucun essai clinique de phase III n’avait mis en évidence d’équivalence ou de supériorité au sorafenib, dans le CHC avancé, avec des résultats négatifs par exemple pour le sunitib [6], le brivanib [7] ou le linifanib [8].

Cet essai a rempli son objectif principal : la non-infériorité du lenvatinib contre le sorafenib mais n’a pas réussi à mettre en évidence de supériorité. Cependant, le lenvatinib semble avoir un réel intérêt clinique avec augmentation statistiquement significative et cliniquement pertinente de la survie sans progression, du temps jusqu’à progression et du taux de réponse objective.

En phase III, seul le regorafenib dans l’étude RESORCE avait montré son efficacité chez les patients en progression tumorale sous sorafenib (médiane de survie globale de 10,6 mois contre 7,8 mois sous placebo).

Cet essai a rempli son objectif principal : la non-infériorité du lenvatinib contre le sorafenib mais n’a pas réussi à mettre en évidence de supériorité. Cependant le lenvatinib semble avoir un réel intérêt clinique avec augmentation statistiquement significative et cliniquement pertinente de la survie sans progression, du temps jusqu’à progression et du taux de réponse objective

Dans ce travail, la médiane de survie globale des patients ayant reçu du sorafenib en première ligne de traitement était de 12,3 mois, ce qui est plus important que chez les patients issus de l’essai SHARP [2] (médiane de survie globale de 10,7 mois). Cela peut s’expliquer par la plus grande proportion de patients recevant un traitement de seconde ligne (39 % de traitement systémique et 27 % de traitement non systémique). Bien que cela signe l’intérêt d’une prise en charge multidisciplinaire du CHC, il peut y avoir « dilution » de l’effet du traitement de première ligne sur la survie globale et ce d’autant plus qu’il s’agissait de patients ayant un envahissement tumoral modéré (≤ 50 % du foie).

Le lenvatinib a l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans le cancer de la thyroïde et le cancer rénal. Le profil de toxicité rapporté dans cet essai est comparable à ceux rapporté dans ces indications [9]. Un dossier a été soumis à la Food and Drug Administration (FDA) et l’Agence européenne du médicament (EMA) en juillet 2017 pour son utilisation dans la prise en charge du CHC.

Sur la base des résultats de cette étude le lenvatinib pourrait devenir une option de traitement en première ligne dans le CHC avancé.

Sur la base des résultats de cette étude, le lenvatinib pourrait devenir une option de traitement en première ligne dans le carcinome hépato-cellulaire avancé

Comme le montre cette étude, il semble que la prise en charge du CHC avancé soit en train de prendre un tout nouveau tournant avec l’évaluation de l’immunothérapie, par exemple. Les résultats des essais de phase III évaluant le nivolumab contre le sorafenib en première ligne ou le pembrolizumab en 2e ligne seront très probablement communiqués cette année.

Cependant une question reste en suspens : ne faut-il pas biopsier systématiquement les CHC pour avancer dans la connaissance de cette maladie et identifier de nouvelles cibles thérapeutiques ?

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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