JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Tumeurs neuroendocrines duodénales non métastatiques Volume 26, numéro 3, Mars 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Épidémiologie

Les tumeurs neuroendocrines (TNE) sont rares, représentant environ 1 % des cancers digestifs [1]. Les tumeurs neuroendocrines duodénales (TNEd) représentent seulement 1,9 à 5,6 % des TNE digestives [2, 3] et jusqu’à 3 % des tumeurs duodénales [4]. Les études épidémiologiques récentes [1, 5, 6] montrent une augmentation nette de l’incidence des TNEd (de 0,27 à 1,1/100 000 habitants, multipliée par quatre en 30 ans dans l’étude de Fitzgeral et al. [7]), secondaire à l’augmentation du nombre d’endoscopies digestives hautes réalisées.

Au diagnostic, les TNEd sont localisées dans 81 % des cas, et sont associées à des métastases ganglionnaires et/ou à distance dans respectivement 10 % et 9 % des cas [6].

Au diagnostic, les tumeurs neuroendocrines sont localisées dans 81 % des cas

Caractéristiques cliniques et endoscopiques au diagnostic

Le diagnostic est fait la plupart du temps de façon fortuite lors d’une endoscopie et plus rarement secondairement au syndrome tumoral (douleur, ictère, nausées, vomissements, saignement digestif, anémie, diarrhée, occlusion digestive) [8]. La majorité (90 %) des TNEd n’est pas associée à un syndrome fonctionnel clinique. Dix pour cent environ des TNEd sont associées à un syndrome de Zollinger-Ellison, dont 20 % à 30 % s’inscrivent dans un contexte de néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM1) [4].

Les TNEd sont généralement uniques, mais peuvent être multiples, surtout chez les patients atteints de NEM1 [4]. Leur localisation est duodénale dans 80 % des cas (60 % dans le bulbe duodénal) et péri-ampullaire dans 20 % [8]. Ces dernières diffèrent des localisations duodénales sur les plans génétique (association à la neurofibromatose de type 1 plus fréquente), immuno-histochimique (expriment souvent la somatostatine et non la gastrine) et pronostique.

90 % des tumeurs neuroendocrines duodénales ne sont pas associées à un syndrome fonctionnel clinique

Diagnostic anatomopathologique et classification histo-pronostique

La relecture des TNEd dans le cadre du réseau français expert TENpath est recommandée. Le diagnostic de tumeur « neuroendocrine » repose sur des caractéristiques morphologiques et immunohistochimiques, incluant la positivité des marqueurs cytosoliques (neuron-specific enolase, PGP9.5), des vésicules sécrétrices (chromogranine A, synaptophysine) ou la présence d’hormones gastrointestinales spécifiques.

La classification 2017 de l’Organisation Mondiale de la Santé retient cinq groupes de néoplasmes neuroendocrines selon la différenciation (bien ou peu différenciée) et le grade tumoral(tableau 1).Ce dernier est évalué selon l’index de prolifération Ki-67 (pourcentage de cellules marquées par l’anticorps MIB1 sur 2 000 cellules) et l’index mitotique (nombre de mitoses sur dix champs à fort grossissement). Les néoplasmes neuroendocrines duodéno-ampullaires sont majoritairement des TNE bien différenciées. Les carcinomes neuroendocrines peu différenciés (CNE) représentent environ 13 % des cas, et sont plus fréquents au niveau ampullaire (30-40 %, contre 3-12 % au niveau duodénal) [9, 10]. Pour les TNEd, les classifications TNM de l’ENETS et de l’AJCC/UICC sont équivalentes (tableau 2), sauf pour les CNE qui doivent être classées comme les autres carcinomes duodénaux selon l’AJCC/UICC.

La majorité des tumeurs neuroendocrines duodénales sont bien différenciées, sauf au niveau ampullaire où 30 %-40 % des cas sont des carcinomes neuroendocrines peu différenciés

Enfin, il est classiquement décrit 5 classes histologiques de néoplasmes neuroendocrines duodénaux [4, 9] :

  • a)Les carcinomes neuroendocrines peu différenciés et les tumeurs mixtes (10-15 %)
  • b)Les tumeurs duodénales non fonctionnelles (TNEd-nf), les plus fréquentes (52 %), souvent bulbaires (76 % d’entre elles) et de découverte fortuite. En immunohistochimie, elles peuvent exprimer la gastrine ou la somatostatine (surtout en cas de localisation périampullaire) et plus rarement la sérotonine ou la calcitonine, mais ne sont pas associées à un syndrome sécrétoire clinique. La présence de métastases ganglionnaires est corrélée à la taille tumorale (moins de 5 % en cas de taille < 1 cm) [8, 9].
  • c)Les gastrinomes duodénaux (10 % des cas) : tumeurs produisant de la gastrine, responsables d’un syndrome de Zollinger-Ellison. Ils sont principalement localisés dans le bulbe duodénal (79 %) ou le 2e duodénum (16 %) [9]. Il faut toujours éliminer une NEM1 (présente dans 12-15 % des cas) [11]. Le risque de métastase ganglionnaire est bien plus élevé (40-50 %) que pour les TNEd-nf justifiant une prise en charge chirurgicale avec curage ganglionnaire [9].
  • d)Les somatostatinomes duodénaux (20 %) : tumeurs produisant de la somatostatine mais non fonctionnelles le plus souvent (sans symptôme clinique), préférentiellement localisées au niveau de l’ampoule de Vater (94 %), parfois associées à une neurofibromatose de type 1 (15 %), souvent infiltrantes, pouvant être révélées par une obstruction biliaire. Le risque de métastase ganglionnaire est de 29 % pour une taille < 2 cm et 70 % en cas de taille ≥ 2 cm [9].
  • e)Les paragangliomes gangliocytiques (rarissime, 5 % des cas) : non fonctionnels, localisés au niveau de l’ampoule de Vater, caractérisés par la coexistence de trois contingents cellulaires : cellules épithéliales endocrines exprimant la synaptophysine et à un moindre degré la chromogranine, cellules neuronales ganglionnaires exprimant les neurofilaments et la synaptophysine, un contingent schwannien.

En cas de tumeurs neuroendocrines non fonctionnelles, le risque de métastase ganglionnaire, corrélé à la taille tumorale, est rare pour les tumeurs infracentimétriques ; ce risque est plus élevé en cas de syndrome de Zollinger-Ellison qui nécessite une prise en charge chirurgicale avec curage ganglionnaire

Quelles explorations paracliniques réaliser ?

Afin de prendre la décision la plus adéquate en RCP spécialisée, il faut au préalable une caractérisation tumorale parfaite (tableau 3). L’endoscopie œsogastroduodénale doit être couplée à une duodénoscopie. L’endoscopiste nécessite d’être entraîné à l’estimation de taille des lésions, ce critère ayant un fort impact sur le pronostic et la prise en charge des petites TNEd-nf. L’échoendoscopie permet de préciser la taille et le stade de la tumeur, lié notamment à la profondeur d’invasion dans la paroi duodénale. Le statut uT2 (envahissement de la musculeuse) ou la présence de métastases ganglionnaires contre-indiqueront une résection endoscopique [4]. L’analyse des biopsies, par un pathologiste expert, affirme le diagnostic et a un rôle primordial pour classer la tumeur et indiquer les facteurs de mauvais pronostic (taille, grade tumoral, invasion lympho-vasculaire, sous-types tumoraux).

Le dosage de la chromogranine A (CgA) est le marqueur biologique le plus étudié dans les TNE. Il existe de nombreux faux positifs (prise d’inhibiteurs de la pompe à protons, insuffisance rénale, gastrite chronique). Sa concentration plasmatique est souvent normale pour les TNEd non métastatiques (hors gastrinomes).

La recherche d’un syndrome de prédisposition génétique doit être systématiquement discutée dans la prise en charge d’une TNEd, notamment la NEM1 en cas de gastrinome, et la neurofibromatose de type 1 (maladie de von Recklinghausen) en cas de somatostatinome.

Sur le plan morphologique, le Thésaurus National de Cancérologie Digestive (TNCD) [12] recommande de réaliser une imagerie en coupe conventionnelle (TDM thoraco-abdomino-pelvien, éventuellement complétée par une IRM hépatique, plus sensible pour la détection des métastases hépatiques) et une imagerie nucléaire des récepteurs de la somatostatine.

L’endoscopie avec biopsies et l’échoendoscopie permettent de confirmer le diagnostic de tumeurs neuroendocrines, obtenir le grade, mesurer la taille tumorale, et de faire une partie du bilan d’extension (usTN)

Pronostic des tumeurs neuroendocrines duodénales non métastatiques

Les données épidémiologiques précises récentes sont rares. Dans la série du registre américain publiée en 2015, les survies globales à cinq ans étaient respectivement de 96 % chez les patients ayant une TNEd localisée, 85 à 87 % pour les maladies localement avancées, 49 % pour les formes d’emblée métastatiques [7]. Dans une récente série de TNEd bien caractérisées sur le plan histologique, le taux de survie à 10 ans de ces tumeurs était de plus de 90 % (après avoir écarté les CNE) [9].

Les facteurs histopathologiques prédictifs d’une évolution métastatique ganglionnaire ou à distance sont classiques aux TNE : le stade, la différentiation et le grade tumoral, la taille de la tumeur et la présence d’emboles lymphovasculaires [6, 8, 9, 13, 14]. L’étude de Vanoli et al. a également montré que les gastrinomes et les somatostatinomes étaient significativement plus souvent associés que les autres TNEd à des métastases ganglionnaires [9]. Dans cette étude, la taille des gastrinomes et des somatostatinomes n’était pas significativement associée à un sur-risque de métastases, contrairement aux TNEd-nf.

Les facteurs prédictifs d’une évolution métastatique sont le stade, la différentiation et le grade tumoral, la taille de la tumeur et la présence d’emboles lymphovasculaires

Prise en charge thérapeutique

Il faut bien garder en tête l’excellent pronostic des petites TNEd non métastatiques et ne pas sur-traiter (chirurgie pour curage ganglionnaire) un patient âgé ou avec une comorbidité importante ; en effet la mortalité de cette chirurgie peut dépasser le risque de décès lié à une TNEd. Il faut mettre en balance la sûreté d’une prise en charge carcinologique optimale au prix d’une morbidité/mortalité non négligeable, en regard des paramètres vus précédemment (incidence en hausse, maladie le plus souvent asymptomatique, histoire naturelle habituellement favorable). Une surveillance seule peut même parfois se discuter comme il est fait pour les TNE pancréatiques de grade 1, de taille < 2 cm et de découverte fortuite.

Traitements des symptômes liés aux sécrétions hormonales

Le traitement des symptômes en lien avec une hypersécrétion hormonale est prioritaire. Le syndrome de Zollinger-Ellison nécessite la prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons à fortes doses, jusqu’à obtenir le contrôle symptomatique et une cicatrisation des lésions endoscopiques.

Le traitement du syndrome de Zollinger-Ellison est prioritaire

Traitement endoscopique

L’abord endoscopique est moins invasif que la chirurgie radicale mais ne permet pas de connaître le statut ganglionnaire. Il ne peut donc être justifié qu’avec un objectif de résection R0 et en cas de risque très faible de métastases ganglionnaires.

Il existe plusieurs traitements qui peuvent être classés schématiquement du geste le plus simple au plus expert, du moins morbide au plus morbide, et permettant une qualité croissante des critères de résection carcinologiques (staging, taux de résection R0) (figure 1 et tableau 4) : surveillance seule, ligature sans résection, mucosectomie, mucosectomie avec technique d’aspiration (capuchon ou avec ligature élastique) et dissection sous-muqueuse. La dissection sous-muqueuse n’est pas une technique recommandée en France pour le duodénum (risque de complications trop important). Le choix de ces techniques repose sur l’expérience de l’endoscopiste et leur efficacité d’obtention d’une résection R0. Une mucosectomie avec capuchon, réalisée par un endoscopiste expert, paraît donner le meilleur compromis, même si le taux de résection R1 reste élevé, y compris dans les centres experts, du fait d’un développement en profondeur de ces TNEd (tableau 4)[15, 16]. Aucune étude randomisée n’a comparé les différentes techniques de résection dans cette situation ; les deux principales études, respectivement coréenne et française, n’ont pas trouvé de différence significative entre les différentes techniques de mucosectomie sur le résultat de résection R0 [15, 16]. Les principales complications sont le saignement au décours d’un geste et dans les suites immédiates (24 h), la plupart étant traitées par hémostase endoscopique simple, et la perforation, le plus souvent traitée médicalement [15, 16]. En résumé, le traitement endoscopique est généralement suffisant pour la majorité des TNEd qui sont infracentimétriques, non fonctionnelles, non péri-ampullaires, uT1N0, bien différenciées, de grade 1, si une résection R0 a été obtenue (figure 2)[4, 17]. Dans le cas contraire, il faut discuter en RCP spécialisée l’alternative chirurgicale.

Le traitement endoscopique est généralement suffisant pour les tumeurs infracentimétriques, non fonctionnelles, non péri-ampullaires, uT1N0, bien différenciées, de grade 1, si une résection R0 a été obtenue

Traitement chirurgical

Le TNCD recommande une prise en charge chirurgicale en centre expert [12]. La chirurgie peut se positionner en première intention en cas de facteurs pronostiques péjoratifs ou en deuxième intention après une résection endoscopique R1 (figure 2). Le double objectif de la chirurgie est la résection R0 de la lésion et la réalisation d’un curage ganglionnaire carcinologique. En revanche, le choix du type de chirurgie (tumorectomie, duodénectomie, duodénopancréatectomie céphalique) n’est pas imposé dans les recommandations européennes [4, 13, 17] ou françaises [12].

Algorithme thérapeutique

Un algorithme thérapeutique est proposé en figure 2, adapté d’après celui recommandé par la Société Européenne des Tumeurs Neuroendocrines (ENETS). Les « petites » TNEd < 1 cm, bien différenciées, non fonctionnelles, limitées à la muqueuse ou sous-muqueuse, ne présentant ni adénopathie locorégionale à l’échoendoscopie pré-thérapeutique ni métastase à distance, peuvent être traitées par résection endoscopique [4, 17]. La décision de traitement endoscopique exclusif doit être validée en RCP RENATEN. Pour les TNEd > 2 cm et les gastrinomes (syndrome de Zollinger-Ellison clinique), en l’absence de métastase à distance, une chirurgie carcinologique est préconisée. Pour les TNEd péri-ampullaires et ampullaires, les recommandations actuelles préconisent un traitement chirurgical radical [4], même si certaines tumeurs présentant tous les critères pronostiques favorables pourraient sûrement bénéficier d’une ampullectomie endoscopique seule. Pour les TNEd entre 1 et 2 cm, les recommandations ne sont pas standardisées et la discussion en RCP spécialisée est encore plus primordiale (comorbidités versus prise en compte des différents facteurs de mauvais pronostic).

Surveillance des tumeurs neuroendocrines duodénales non métastatiques

Le profil des récidives (locales ou à distance) des TNEd non métastatiques est peu étudié et mal connu, notamment au-delà des cinq ans de surveillance habituelle. Les modalités de surveillance (rythme et type d’examen) reposent sur de très faibles niveaux de preuve. On peut proposer pour les patients ayant eu une résection endoscopique complète, une surveillance endoscopique, biologique (CgA) et morphologique (scanner) à six, douze mois puis annuelle pendant au moins cinq ans. Pour les patients opérés, un bilan biologique (CgA) et morphologique (scanner, imagerie des récepteurs à la somatostatine) est recommandé à 6 et 12 mois puis tous les ans pendant au moins cinq ans [4]. En pratique, une surveillance annuelle au-delà des 5 ans est souvent réalisée car les rechutes peuvent être très tardives.

En conclusion, les TNEd non métastatiques, comme toutes les TNE digestives, requièrent une prise en charge spécialisée multidisciplinaire dans le cadre des réseaux TENpath et RENATEN, après réalisation d’un bilan pré-thérapeutique exhaustif. L’endoscopie digestive haute représente un outil thérapeutique majeur pour les TNEd ≤ 1 cm, et doit être réalisée par des opérateurs entraînés.

Take home messages

  • L’incidence des tumeurs neuroendocrines duodénales augmente, notamment en raison de leur meilleure détection endoscopique.
  • Les formes fonctionnelles et/ou génétiques sont rares, mais nécessitent une prise en charge dédiée et doivent donc être cherchées par un interrogatoire, un examen clinique et des examens orientés.
  • Au diagnostic, 91 % sont non métastatiques et une prise en charge thérapeutique adaptée permet un excellent pronostic.
  • Les éléments pronostiques déterminant la prise en charge sont la topographie (duodénale vs ampullaire/péri-ampullaire), le statut fonctionnel, le stade, la différenciation, le grade tumoral, la taille de la tumeur et la présence d’emboles lymphovasculaires.
  • La résection endoscopique exclusive est réservée, en centre expert, aux tumeurs infra-centimétriques, non fonctionnelles, non péri-ampullaires, uT1N0, bien différenciées, de grade 1, si une résection R0 a été obtenue.
  • La chirurgie des tumeurs neuroendocrines duodénales doit être carcinologique, avec une résection du primitif et un curage ganglionnaire.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International