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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Quelle imagerie pour l’évaluation de la fibrose hépatique et intestinale ? Volume 25, numéro 5, Mai 2018

Illustrations


  • Figure 1

Pourquoi faire une imagerie de la fibrose ?

La fibrose est une caractéristique commune à de très nombreux processus pathologiques. Elle est caractérisée par l’accumulation de matrice extracellulaire (MEC), généralement secondaire à l’exacerbation des processus physiologiques de réparation tissulaire. Ce dépôt anormal de MEC conduit à une perturbation et une distorsion de l’architecture et de la fonction tissulaire. Si les processus fibrotiques sont fondamentalement les mêmes dans les différents organes, leur signification clinique varie grandement.

Dans le foie, la fibrose est le marqueur d’un grand nombre d’hépatopathies chroniques. Celles-ci sont une cause majeure de morbidité et de mortalité dans le monde, affectant 360 pour 100 000 personnes et se plaçant à la 12e place des causes de mortalité. Les principales maladies conduisant à l’accumulation de fibrose hépatiques en France sont les hépatites virales (hépatites B, C et delta), les maladies hépatiques métaboliques, et la consommation excessive d’alcool. L’accumulation de fibrose joue un rôle pronostic Indépendamment sa cause. Si elle n’est pas traitée, la cause peut conduire vers le stade final de cirrhose, associé à un risque élevé de développer un carcinome hépatocellulaire (CHC), une insuffisance hépatique et une hypertension portale, qui diminuent significativement l’espérance de vie des patients. Par conséquent, l’identification précoce de la fibrose chez les patients à risque est essentielle. Traditionnellement, c’est la biopsie qui est considérée comme la technique de référence pour le diagnostic et la quantification de la fibrose hépatique. Cependant, sa nature invasive et sa morbidité poussent au développement de tests quantitatifs non invasifs, dont les techniques d’imagerie font partie.

L’identification et la quantification de la fibrose chez les patients présentant une hépatopathie chronique est essentielle car elle détermine la stratégie de prise en charge

Dans le tube digestif, la fibrose apparaît principalement au cours des maladies inflammatoires chroniques et en particulier de la maladie de Crohn (MC). Son développement a d’importantes implications cliniques car elle est, de par sa nature transmurale, à l’origine d’un épaississement pariétal progressif s’accompagnant de sténoses réfractaires et de fistules qui constituent les formes compliquées de la maladie et représentent la majorité des indications chirurgicales. En effet, ces formes graves ne répondant peu ou pas aux traitements médicaux actuels, principalement anti-inflammatoires. La fibrose est considérée comme étant responsable des MC invalidantes et il a été montré que le taux d’interventions chirurgicales n’a pas changé depuis près de vingt ans malgré l’introduction de thérapies efficaces contre l’inflammation [1]. L’un des enjeux majeurs de la recherche thérapeutique dans la maladie de Crohn est donc de traiter la fibrose. Or, contrairement au foie, le prélèvement histologique n’est pas possible car il expose à un risque très élevé de perforation d’organe. Une évaluation non invasive est donc nécessaire, et l’imagerie se propose comme candidate sérieuse, avec comme limite principale actuellement la difficulté à individualiser la fibrose de l’inflammation au sein d’une sténose.

La quantification de la fibrose intestinale est un enjeu majeur de la recherche dans les MICI

Ainsi, au cours des dernières années, un nombre croissant d’études s’est ainsi concentré sur le développement de techniques d’imagerie non invasives pour le diagnostic et la quantification de la fibrose.

Comprendre l’aspect de la fibrose en imagerie

L’aspect en imagerie de la fibrose se déduit de ses propriétés histologiques. La fibrose est un tissu caractérisé par l’accumulation de collagène, dont la vascularisation est variable mais généralement moindre que celle de l’organe dans lequel elle se développe. Ainsi, quelle qu’en soit l’origine, elle présente généralement les caractéristiques suivantes en imagerie :

  • iso- à hypo-intensité de signal sur les séquences d’IRM en pondération T2 ;
  • iso-intensité de signal sur les séquences d’IRM en pondération T1 ;
  • rehaussement progressif après injection de produit de contraste, avec accumulation tardive ;
  • restriction de la diffusion moléculaire de l’eau, visible sous la forme d’une hyperintensité de signal en IRM de diffusion, avec des valeurs basses du coefficient apparent de diffusion (ADC) ;
  • augmentation de la dureté tissulaire appréhendée en élastographie.

On voit donc que c’est surtout sur le couple échographie-IRM que repose le diagnostic et la quantification de la fibrose (figure 1). Bien entendu, l’aspect diffère selon le degré d’accumulation et l’âge de la fibrose. Il diffère aussi entre le foie (organe plein) et le tube digestif (organe creux stratifié).

La fibrose est une accumulation de matrice extracellulaire, ce qui explique ses caractéristiques en imagerie

L’imagerie de la fibrose repose principalement sur l’échographie et l’IRM

Imagerie de la fibrose hépatique

Si l’échographie conventionnelle est un examen de première ligne dans l’exploration des maladies hépatiques, son rôle reste limité pour la quantification de la fibrose. Il a été démontré que la morphologie et la texture du foie change lorsque la fibrose s’accumule, le signe le plus spécifique étant l’aspect nodulaire de la capsule hépatique. Ce même aspect de nodularité capsulaire a été récemment étudié de manière quantitative au scanner, montrant de bonnes performances pour le diagnostic de cirrhose [2]. Cependant, ces modifications sont tardives et ne permettent pas de détecter les formes débutantes de fibrose.

Plus que les anomalies morphologiques, ce sont les modifications fonctionnelles qui permettent le mieux de quantifier la fibrose. Ainsi, l’introduction en routine des techniques d’élastographie qui évaluent la dureté du foie a eu un impact majeur sur le diagnostic non invasif de la fibrose hépatique. Ces méthodes incluent des techniques ultrasonores (élastométrie impulsionnelle (FibroScan®), imagerie de la radiation de force acoustique (ARFI), imagerie par onde de cisaillement (SWE)) et par IRM (élastographie par résonnance magnétique ou ERM). Le FibroScan a été le premier appareil approuvé pour la quantification de la fibrose au lit du patient mais ne produit pas d’image. C’est cette technique qui a été la plus largement validée, et qui est conseillée par les recommandations des sociétés savantes. En effet, plusieurs méta-analyses ont confirmé ses bonnes performances diagnostiques pour le diagnostic de cirrhose ou de fibrose septale (AUROC de 0,94 et 0,84, respectivement) [3]. Les autres techniques sont capables de produire des représentations visuelles de la dureté du foie (élastogramme). Leur équivalence (ou supériorité) par rapport au FibroScan semble démontrée, mais leur utilisation en routine n’est pas encore diffusée dans la communauté radiologique. Plusieurs méta-analyses ont montré une excellente performance diagnostique de l’ERM pour le diagnostic de fibrose significative (≥ F2), fibrose avancée (≥ F3) et de cirrhose avec des AUROC > 0,9 [4]. Si les techniques ultrasonores sont d’utilisation plus facile et plus répandues, des études individuelles et des méta-analyses ont également rapporté une meilleure reproductibilité et une meilleure précision que l’élastographie ultrasonore pour la quantification de la fibrose hépatique, en particulier aux stades intermédiaires [5]. L’ERM peut en outre être incorporée dans un protocole standard d’IRM du foie mais les ajouts de matériel et de logiciels sont coûteux et de maniement encore assez lourd.

Les techniques élastographiques sont les plus performantes pour quantifier la fibrose hépatique

L’élastométrie impulsionnelle (FibroScan) est la méthode la mieux validée

L’élastographie par résonnance magnétique est la technique la plus performante, mais elle est beaucoup moins accessible et utilisée que les techniques ultrasonores

Outre l’élastographie, plusieurs méthodes d’imagerie quantitative ont été proposées pour détecter une fibrose hépatique :

  • L’IRM de perfusion avec injection d’agents de contraste extracellulaires pour évaluer les changements de perfusion et de perméabilité accompagnant la fibrose hépatique. Cette méthode n’est toutefois pas très souvent utilisée car la résolution temporelle est insuffisante.
  • L’injection d’agents de contraste hépatospécifiques comme l’acide gadoxétique (Primovist, Bayer, Berlin, Allemagne) avec étude la captation par les hépatocytes, avec des AUROC de 0,80-0,85 pour F ≥ 2, F ≥ 3 et F = 4. Les résultats sont inférieurs à ceux de l’ERM mais l’utilisation plus aisée en routine.
  • L’IRM de diffusion car le dépôt progressif de fibrose modifie la diffusion de l’eau libre. Les performances diagnostiques de cette méthode sont toutefois assez faibles.
  • La relaxométrie T1 basée sur le constat que les temps de relaxation T1 augmentent avec le volume de liquide extracellulaire comme dans la fibrose. Dans une cohorte de 110 patients atteints d’une maladie hépatique chronique, les AUROC rapportées pour la détection de la fibrose avancée et de la cirrhose étaient de 0,78 et 0,87.
  • La fibrose étant diamagnétique, l’IRM de susceptibilité est une méthode prometteuse. Une étude préliminaire a montré une précision diagnostique élevée de la résonance magnétique pondérée en susceptibilité pour la stadification de la fibrose hépatique [6]. Ces résultats encourageants doivent être confirmés.

Imagerie de la fibrose digestive

Quelques études sur la fibrose pariétale dans la maladie de Crohn ont été réalisées chez l’homme, mais la mise au point de techniques et séquences innovantes est encore en cours et publiée surtout chez l’animal. Les principaux modèles animaux de fibrose pariétale digestive sont induits chimiquement, bactériologiquement ou par irradiation. Les plus utilisés sont la colite chimique au DSS (induite par absorption orale de sulfate de dextrane sodique) ou la colite chimique au TNBS (induite par lavement à l’acide 2,4,6-trinitrobenzène sulfonique).

L’échographie, technique d’imagerie non invasive, est très utilisée pour le suivi des traitements et la recherche des complications chez les patients suivis pour une MC, mais sans intérêt pour l’évaluation de la fibrose. L’injection d’un produit de contraste ultrasonore a été étudiée par plusieurs équipes et les résultats sont prometteurs mais l’absence d’analyse histologique dans la plupart de ces études en est un important facteur limitant [7].

Plus intéressante semble être l’élastographie. Comme pour le foie, elle étudie les propriétés mécaniques du tissu intestinal, qui sont modifiées par le dépôt de matrice extracellulaire au sein de la paroi. Il a été montré que la mesure directe de l’élasticité de la paroi était associée au degré de fibrose, et qu’il était possible de distinguer la fibrose de l’inflammatoire dans un modèle animal. En outre, l’élasticité mesurée serait modérément corrélée avec le grade histologique de fibrose [8]. Cependant, plus d’études sont nécessaires avant de pouvoir incorporer l’élastographie à la routine clinique.

Des études préliminaires ont montré la capacité de l’élastographie ultrasonore à mettre en évidence la fibrose intestinale

L’entéro-IRM est actuellement l’imagerie de référence pour la MC, principalement du fait de son caractère non irradiant. Elle permet d’établir une cartographie complète de la maladie, de chercher des complications (fistules, abcès, sténoses) et d’évaluer l’activité de la maladie. De nombreux travaux ont été réalisés sur ce dernier point et la sémiologie IRM de l’inflammation dans la MC est relativement consensuelle entre les différents auteurs. La reconnaissance des signes témoignant de la fibrose se traduit en revanche par des résultats discordants suivant les études, d’où la nécessité de développer de nouvelles approches.

La perfusion de la paroi intestinale a été étudiée par différentes méthodes. Une étude a montré que le gain moyen de rehaussement pariétal entre 70 secondes et 7 minutes permettait de séparer les patients ayant une fibrose transmurale des patients ayant une fibrose minime (avec un gain de 35 % versus 14 %) [9]. Il a été également trouvé par une mesure de perfusion dynamique une corrélation entre la fibrose d’une part et le rehaussement maximal et la pente maximale de rehaussement d’autre part.

La diffusion, séquence classiquement utilisée par certaines équipes pour évaluer l’inflammation, a été étudiée en corrélation avec la fibrose dans deux publications qui ont montré des résultats contradictoires, l’une ayant trouvé une corrélation inverse entre la valeur d’ADC et la quantité de fibrose et l’autre, réalisée avec une TEP-IRM, n’ayant pas trouvé de différence entre les groupes. La signification des mesures de diffusion dans la fibrose est donc encore à déterminer.

Plusieurs études récentes avec des résultats prometteurs reposent sur l’imagerie de transfert d’aimantation, technique qui met en évidence les macromolécules par la détection de l’échange de protons entre ces macromolécules fixes et l’eau libre environnante et permet donc théoriquement d’imager la présence du collagène présent en abondance dans la fibrose. La réalisation de cette séquence nécessite deux acquisitions sans et avec application d’une impulsion de saturation permettant l’obtention d’une carte des ratios de transfert d’aimantation. Ces différentes études, réalisées pour la plupart chez l’animal, rapportent une bonne sensibilité pour détecter la fibrose, avec une différence significative du taux de transfert d’aimantation entre les groupes fibrose et contrôle (25 % vs. 11 %) et une augmentation de ce taux dans le temps avec la progression de la fibrose. De plus, ce taux de transfert d’aimantation diminue significativement chez des rats traités par un anti-TNFα par rapport aux non traités (18 % vs. 28 %) [8]. Une étude récente a confirmé la capacité du transfert d’aimantation pour évaluer la fibrose, mais la faisabilité en pratique clinique de cette séquence très sensible aux mouvements péristaltiques reste à confirmer [10].

L’élastographie par IRM, largement utilisée maintenant dans le foie, n’est pas encore réalisable sur la paroi intestinale en raison des difficultés techniques liées à sa nature d’organe creux.

Le taux de transfert d’aimantation est très corrélé à la quantité de fibrose dans des modèles animaux, cette technique semble prometteuse. Son application à l’homme est cependant encore en cours d’évaluation

Conclusion

Le développement de techniques d’imagerie permettant une quantification non invasive de la fibrose. Celle-ci est réalisée en routine dans l’exploration des hépatopathies chroniques. La recherche se focalise sur le développement de méthodes plus performantes et intégrées aux autres modalités d’imagerie. Dans l’intestin, certaines techniques sont prometteuses mais nécessitent encore des travaux d’évaluation avant de pouvoir être appliquées au quotidien chez les patients.

Points clés

  • La fibrose est une accumulation de matrice extra-cellulaire, ce qui explique ses caractéristiques en imagerie.
  • L’imagerie permet une évaluation non invasive de la fibrose et repose principalement sur l’échographie et l’IRM.
  • Les techniques élastographiques sont les plus performantes pour quantifier la fibrose hépatique.
  • L’élastographie par résonnance magnétique est la technique la plus performante, mais elle est beaucoup moins accessible et utilisée que les techniques ultrasonores.
  • La reconnaissance de la fibrose intestinale en imagerie est encore du domaine de la recherche.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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