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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Prise en charge d’une pancréatite aiguë biliaire Volume 25, numéro 7, Septembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Une patiente de 55 ans, sans antécédent médical en dehors d’un surpoids (BMI : 26 kg/m2) et de deux accouchements par voie basse, se présente aux urgences suite à l’apparition brutale de douleurs épigastriques transfixiantes. Elle n’a pas d’intoxication alcoolo-tabagique. La lipase est à plus de trois fois la normale.

Question 1 :

Quel facteurs de risque de maladie lithiasique identifiez-vous dans cette observation ?

Les calculs biliaires peuvent être de trois types : pigmentaires, cholestéroliques et mixtes, ces deux dernières entités partageant la même physiopathologie et représentant environ 80 % des calculs dans les pays occidentaux. Les calculs pigmentaires noirs se forment en cas d’augmentation de la sécrétion de bilirubine libre dans la bile (hémolyse, cirrhose) ou en cas d’infection biliaire pour les calculs bruns. Les facteurs de risque de calculs cholestéroliques dans cette observation sont [1] :

  • le sexe : prévalence deux fois plus élevée chez la femme que chez l’homme à âge égal ;
  • l’âge : prévalence maximale entre 60 et 70 ans. Entre 50 et 60 ans : 10 % chez l’homme, 20 % chez la femme ;
  • l’obésité et les variations pondérales : multiplication par deux de la prévalence de la lithiase biliaire chez les patients dont le poids dépasse de 20 % le poids idéal théorique ;
  • la multiparité.

Question 2 :

Vous suspectez donc une pancréatite aiguë d’origine biliaire. Quels examens cliniques, morphologiques ou endoscopiques de première intention allez-vous réaliser pour le confirmer ?

Le bilan hépatique réalisé précocement (dans les 48 premières heures suivant le début de la douleur) est essentiel pour l’enquête étiologique. Une augmentation de l’ALAT à plus de 3N a une valeur prédictive positive élevée (entre 80 et 95 %) mais une sensibilité de 48 % à 59 % [1, 2]. Cela illustre la nécessité d’explorations morphologiques ou endoscopiques complémentaires à la recherche de calculs vésiculaires ou de la voie biliaire principale (VBP) car il existe d’authentiques pancréatites aiguës biliaires (PAB) à bilan hépatique normal.

L’échographie abdominale est l’examen de choix pour la recherche de calculs vésiculaires. Elle est à réaliser rapidement après l’admission du patient, idéalement dans les 24 à 48 heures en raison du facteur de risque de lithiase que constitue le jeun prolongé (100 % de lithiase après un mois de nutrition parentérale totale [3]). Sa sensibilité pour la détection de calculs vésiculaires à froid est de 95 %. Néanmoins, elle est moindre (67-78 %) en cas de PA du fait de l’interposition fréquente de gaz digestifs (iléus, distension abdominale) [4] et chute à 55 % pour la détection de microcalculs (calcul < 3 mm). Elle permet également de mettre en évidence une dilatation de la VBP ou des calculs de la VBP avec une sensibilité faible de 50 à 80 % mais une spécificité importante (95 %) [5](figure 1A). Une VBP fine en échographie (≤ 5 mm) élimine la présence d’un calcul dans la VBP dans 94 à 100 % des cas [6,7].

L’échographie abdominale doit être réalisée rapidement après l’admission du patient, idéalement dans les 24 à 48 heures en raison du facteur de risque de lithiase que constitue le jeun prolongé

Le scanner a une mauvaise valeur prédictive négative pour la détection des calculs vésiculaires ou de la VBP, avec une sensibilité faible (60-87 %) mais une bonne spécificité (97-100 %) [8]. Il ne fait pas partie des examens pertinents dans la recherche d’une cause biliaire mais sera informatif s’il met en évidence des calculs vésiculaires ou de la VBP.

La cause biliaire sera retenue en présence d’au moins un des trois critères suivants : une augmentation des ALAT à plus de 3N, la présence de calculs ou de sludge intravésiculaire ou intra-cholédocien et/ou une dilatation de la VBP en échographie.

Si ces examens ne permettent pas d’affirmer la cause biliaire, mais que la suspicion clinique est forte (terrain, ascension des ALAT et/ou dilatation de la VBP), la réalisation d’une bili-IRM ou d’une échoendoscopie haute doit être envisagée. L’EE à une sensibilité et une spécificité proches de 100 % pour le diagnostic des calculs vésiculaires et de la VBP [9]. Les performances de l’IRM sont similaires dans cette indication sauf pour la détection de petits calculs ≤ 6 mm de la VBP (la sensibilité de l’IRM n’est que de 55 % dans ce cas) [10], impliqués dans au moins 50 % des PAb (figures 1B et C) et pour la détection des microcalculs vésiculaires. De plus, l’EE peut être couplée avec un CPRE avec sphinctérotomie endoscopique biliaire (SEB) en cas de mise en évidence de calculs de la VBP (figure 2). Dans la mesure des possibilités locales, l’EE est probablement à privilégier à la réalisation d’une IRM en cas de suspicion de PAB avec échographie abdominale normale, chez des patients sans contre-indication à l’anesthésie générale. La CPRE n’a pas d’indication à visée diagnostique. Sa réalisation doit être discutée en fonction des résultats des examens sus mentionnés.

L’échoendoendoscopie est à privilégier à la réalisation d’une IRM en cas de suspicion de pancréatite aiguë biliaire avec échographie abdominale normale

Question 3 :

Le bilan hépatique initial montre une cytolyse prédominant sur les ALAT à 6N et une cholestase anictérique avec amélioration franche à 48 heures mais sans normalisation. L’échographie abdominale a confirmé la présence de calculs vésiculaires sans signe d’obstacle biliaire (VBP : 6 mm). Le scanner réalisé à 48h montre une pancréatite aiguë non grave avec un index de sévérité CTSI 4. Quelle prise en charge envisagez-vous ?

Un des enjeux de la PAB est le diagnostic des calculs de la VBP sachant qu’il n’existe pas de critères prédictifs clinico-biologiques ou morphologiques fiables à 100 %. La CPRE est un geste grevé d’un taux de complications non négligeable (7-10 %) et d’une mortalité non nulle (0,5 %). Elle ne sera donc réalisée qu’en cas de preuve formelle de la présence d’un calcul de la VBP. Si cette preuve n’est pas apportée par l’échographie mais qu’une suspicion diagnostique existe, une IRM ou une EE doivent être effectuées. Comme souligné dans le paragraphe précédent, l’EE semble le meilleur examen dans cette indication. Néanmoins, son timing ainsi que les critères de sélection des patients qui doivent en bénéficier ne sont pas clairement établis. Les éléments suivants sont à prendre en compte pour la décision :

  • gravité de la PAB ;
  • 50 % des calculs passent spontanément dans le duodénum en cas de PAB [11] avec un pourcentage de calcul de la VBP qui passe de 26,8 % dans les 4 premières heures à 8 % au bout d’une semaine [12] ;
  • la probabilité d’avoir un calcul persistant de la VBP en cas de normalisation ou de diminution de plus de 50 % des paramètres du bilan hépatique dans les 24 heures qui suivent l’admission est quasiment nulle [13]. La normalité de la gamma-GT a la meilleure valeur prédictive négative [14].

On pourrait donc proposer comme indications à la réalisation d’une EE précoce (48-72 heures ?) :

  • a)PAB avec calculs vésiculaires mais absence de normalisation/ou d’amélioration franche des tests hépatiques à 48 heures ;
  • b)PA de cause suspectée biliaire (terrain, perturbations des tests hépatiques) mais sans calcul visualisé à l’échographie. Dans cette situation l’EE met en évidence une micro-lithiase dans 20 % des cas [15]. L’EE devrait donc, en théorie, être réalisée au cours de l’hospitalisation initiale pour être suivie d’un traitement étiologique (cholécystectomie, CPRE+SEB) rapide.
  • c)PA sans cause à bilan hépatique normal. Dans ce cas, l’EE sera à réaliser en dehors du contexte de l’urgence probablement avant l’IRM.

En cas de PAB grave, les indications de l’EE restent les mêmes (attention, en cas de jeun prolongé qui peut fausser l’interprétation de l’EE). Si l’état clinique du patient ne le permet pas, il faudra réaliser une bili-IRM.

Question 4 :

Si le scanner avait mis en évidence une pancréatite aiguë grave CTSI 8/10, auriez-vous préconisé la réalisation d’une CPRE pour SEB en urgence ?

Selon les dernières recommandations américaines, la CPRE avec SEB en contexte de PAB doit être réalisée dans les 24 heures en cas d’angiocholite [16]. Elle doit être précoce en cas d’ictère obstructif sans que le délai soit clairement précisé par ces recommandations. En raison de la fréquence d’élimination spontanée du calcul, il est proposé de se donner un délai de 24-72 h avant de poser l’indication de la CPRE. Ce délai ne semble pas péjorer les difficultés techniques ni la morbidité du geste selon une étude américaine récente menée sur 73 patients présentant une PAB avec obstruction biliaire sans angiocholite [17].

Quid de la CPRE systématique en cas de PAB bénigne ou grave dont la légitimité serait d’améliorer l’évolution naturelle de la pancréatite aiguë par diminution de la pression et du reflux biliaire dans le canal de Wirsung ? Une revue de 2013 [18] analysant les résultats de huit méta-analyses publiées sur ce point montrait que sept d’entre elles ne mettaient pas en évidence de bénéfice de la CPRE avec SEB systématique pour les PAB non graves. Les dernières recommandations américaines confirment que la PAB non grave n’est pas une indication à une CPRE systématique. Les résultats étaient plus discordants concernant les PAB graves, cinq méta-analyses sur huit montrant un bénéfice de la CPRE avec SEB. Depuis, trois autres méta-analyses ont été publiées avec des résultats encore discordants [19-21]. Dans l’attente de données plus précises, il faut s’en tenir aux dernières recommandations de l’IAP qui préconisent de ne pas faire de CPRE avec SEB systématique en cas de PAB grave.

Il faut s’en tenir aux dernières recommandations qui préconisent de ne pas faire de CPRE avec sphinctérotomie biliaire systématique en cas de pancréatite biliaire grave

Question 5 :

Devant l’amélioration nette du bilan hépatique, l’échoendoscopie n’a finalement pas été réalisée chez cette patiente. Dans quel délai allez-vous pratiquer la cholécystectomie si vous décidez de la réaliser ?

La récurrence de complications biliaires après une PAB est de l’ordre de 18 % dans les 6 semaines vs. 0 % en cas de cholécystectomie précoce [22]. Une étude britannique de 2012 sur 5454 patients, évaluant les pratiques, a montré que le risque de récidive de PAB (sans différencier les PA graves ou bénignes) était de 5,3 % en cas de SEB et 13,3 % en cas de traitement conservateur [23]. Parmi les patients du groupe traitement conservateur, réadmis pour PAB, 30 % d’entre eux l’ont été dans les deux semaines qui ont suivi leur sortie et 3,9 % d’entre eux sont décédés au cours d’une ré-hospitalisation pour PAB.

En cas de PAB bénigne, la cholécystectomie doit donc être réalisée au cours de la même hospitalisation, par voie laparoscopique. En cas de PAB grave la cholécystectomie peut être réalisée au moment de la prise en charge chirurgicale d’une complication (nécrosectomie, drainage de pseudokyste…). Elle sera sinon réalisée dès que les phénomènes inflammatoires péri-vésiculaires auront régressé, soit en général au moins 4 à 6 semaines après le début de la pancréatite. Chez les patients trop âgés ou avec des comorbidités lourdes empêchant la cholécystectomie, il faudra discuter la réalisation d’une CPRE avec SEB qui ne protégera pas du risque de colique hépatique ou de cholécystite. À l’inverse, la cholécystectomie est indiquée chaque fois qu’elle est possible même si une SEB a déjà été effectuée. Une méta-analyse de 5 études randomisées et 93 publications a montré un sur-risque de mortalité (RR 1,78, IC 95 % 1,15-2,75, p = 0,010) et de complications biliaires (coliques hépatiques : RR 14,56, IC 95 % 4,95-42,78, P < 0,0001 ; ictère/angiocholite : RR 2,53, IC 95 % 1,09-5,87, p = 0,03) chez les patients non cholécystectomisés après SEB [24].

En cas de pancréatite biliaire bénigne, la cholécystectomie doit donc être réalisée au cours de la même hospitalisation, par voie laparoscopique

Question 6 :

Comment allez-vous alimenter cette patiente dans l’attente de la cholécystectomie ?

La réalimentation orale des patients ayant une PAB expose au risque théorique de récidive de complications biliaires par contraction vésiculaire [22] grevées d’une mortalité non nulle [23]. Il n’est pour autant pas recommandé de laisser à jeun les patients atteints d’une PAB jusqu’à la réalisation d’une intervention protectrice du risque de récidive de PA (cholécystectomie/SEB), faute de données. Notre pratique à l’Hôpital Beaujon, est de ne pas réalimenter par voie orale les patients pendant ce court intervalle. La mise en route d’une nutrition entérale est probablement excessive si la cholécystectomie peut être effectuée rapidement.

Une étude hollandaise récente a montré, en cas de PA à haut risque de complications, l’absence de différence en termes de mortalité et de taux de complications infectieuses, entre une nutrition entérale précoce et une réalimentation orale à la demande [25]. Dans cette étude 55 % des PA étaient d’origine biliaire mais il n’y a pas eu d’analyse spécifique du taux de complications dans ce sous-groupe. Notre pratique à l’Hôpital Beaujon, en cas de PAB grave, est de mettre en route une nutrition entérale pour quatre à six semaines et de ne réalimenter le patient qu’après cholécystectomie ou SEB. Une étude devrait prochainement débuter visant à évaluer le risque d’événement biliopancréatique après PAB selon le mode de nutrition, lorsque la cholécystectomie n’est pas réalisable rapidement.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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