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Les tumeurs rétrorectales : ce qui se cache derrière… Volume 26, numéro 5, Mai 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

  • Figure 7

  • Figure 8

  • Figure 9

Tableaux

Définition et classification

Les tumeurs rétrorectales (TRR) ou présacrées constituent un ensemble de tumeurs rares et hétérogènes développées aux dépens des différents tissus de l’espace rétrorectal [1].

Anatomiquement l’espace rétrorectal (ou présacré) est limité en avant par la paroi postérieure du rectum, en arrière par le sacrum (fascia présacré de Waldeyer) et le coccyx, en haut par le péritoine, en bas par les muscles du plancher pelvien et latéralement par les vaisseaux iliaques et les uretères [1, 2](figure 1). Il est la continuité, au niveau du pelvis, de l’espace rétropéritonéal. C’est en fait un espace virtuel qui ne devient visible que lorsqu’il existe un syndrome de masse. Embryologiquement, il correspond à la zone de la confluence de l’intestin postérieur embryonnaire (issu de l’endoderme), du bassin osseux (issu du mésoderme) et du tube neural (issu du neurectoderme) à l’origine de la moelle épinière. Chez l’adulte, cet espace est constitué de tissus conjonctifs, adipeux et aréolaires. Il est traversé par des vaisseaux (présacrés) et des nerfs (plexus sacré) [2, 3]. Les lésions peuvent survenir de novo à partir de l’une de ces structures, pour les tumeurs acquises, ou à partir de vestiges embryonnaires, pour les tumeurs congénitales [3].

Les tumeurs rétrorectales ou présacrées constituent un ensemble de tumeurs rares et hétérogènes développées aux dépens des différents tissus constituant l’espace rétrorectal

La classification la plus utilisée est celle de Uhlig et al. qui classe les tumeurs rétrorectales en cinq catégories : congénitales, neurogènes, osseuses, inflammatoires et diverses [4]. Plus récemment, d’autres classifications ont été proposées qui tiennent compte de la nature maligne ou bénigne de la tumeur et de son origine congénitale ou acquise [1]. Le tableau 1 résume les principaux types histologiques des TRR. Nous détaillerons plus loin les cas les plus « fréquents ».

Épidémiologie

Les tumeurs rétrorectales (TRR) sont rares. Leur prévalence et leur incidence exactes ne sont pas connues, la plupart des données proviennent de séries de cas. Cependant, quelques études historiques rétrospectives réalisées sur de longues périodes permettent de se faire une idée de leur fréquence. Ainsi on estime qu’entre un et six patients sont diagnostiqués chaque année dans les centres de référence tertiaires [2, 6, 7]. Environ une hospitalisation sur 40 000 serait liée à une TRR [8].

Entre un et six patients sont diagnostiqués chaque année dans les centres tertiaires de référence

Dans une méta-analyse récente portant sur 341 études et 1 708 patients, 2/3 des patients étaient des femmes avec un âge moyen au diagnostic de 45 ans [5]. La tumeur était bénigne dans 7 cas sur 10 et les tumeurs congénitales étaient le type histologique le plus fréquent (60,5 %). Venaient ensuite les tumeurs neurogènes (14,8 %), les tumeurs osseuses (3,1 %), et les « tumeurs » inflammatoires (2,6 %). Enfin, les tumeurs « diverses » représentaient près d’un cas sur cinq.

Les deux tiers des patients sont des femmes avec un âge moyen au diagnostic de 45 ans. La tumeur est bénigne dans sept cas sur dix

Les tumeurs congénitales sont le type histologique le plus fréquent

Les tumeurs congénitales : cas le plus « fréquent »…

Il s’agit des TRR les plus fréquentes, environ 60 % de l’ensemble des tumeurs de cette région [5]. Elles comprennent les kystes congénitaux ou vestigiaux, la méningocèle sacrée antérieure, le chordome, le tératome et son pendant malin le tératocarcinome et, enfin, l’exceptionnel phéochromocytome ectopique que nous n’aborderons pas. Leurs caractéristiques sont résumées dans le tableau 2.

Les kystes congénitaux ou vestigiaux

Ils représentent 60 % des tumeurs congénitales et donc près du tiers de l’ensemble des TRR. On observe une nette prédominance féminine avec un sexe ratio homme/femme de 1/2 à 1/15. Les kystes congénitaux sont classés en fonction de leur origine embryonnaire (ectoderme, mésoderme, endoderme). On distingue les hamartomes kystiques (ou tailgut cyst ou encore kystes muco-sécrétants), les kystes épidermoïdes, les kystes dermoïdes, les duplications rectales [9, 10].

Les kystes congénitaux ou vestigiaux représentent près du tiers de l’ensemble des tumeurs rétrorectales et sont le plus souvent bénins. Il existe une nette prédominance féminine

Les hamartomes kystiques ou tailgut cyst sont des vestiges embryonnaires dérivés de la partie terminale de l’intestin primitif postérieur situé après la membrane cloacale. Cette portion distale régresse normalement en totalité à la 6e semaine de gestation. Sa persistance est à l’origine du kyste [11]. Ce sont les TRR les plus fréquentes, un TRR sur cinq est un tailgut cyst[5]. Il s’agit de lésions kystiques multiloculaires, non encapsulées et généralement bien circonscrites (figure 2) et revêtues d’un épithélium proche de l’épithélium digestif (malpighien, cylindrique ou transitionnel), ce qui se traduit par la sécrétion de mucus. Les tailgut cyst diffèrent histologiquement des duplications rectales par l’absence d’une paroi musculaire propre même si des fibres musculaires lisses peuvent être présentes. Ces lésions sont le plus souvent bénignes mais une transformation maligne est possible en adénocarcinome ou en tumeur carcinoïde [12]. De plus, les kystes peuvent fistuliser au rectum.

Parmi les kystes congénitaux ou vestigiaux, les « tailgut cyst » sont les lésions les plus fréquentes

Les kystes épidermoïdes (figure 3) et dermoïdes résultent tous deux d’un défaut de fermeture du tube ectodermique mais ils diffèrent histologiquement [9, 10]. Les kystes épidermoïdes sont constitués d’un épithélium malpighien tandis que les kystes dermoïdes possèdent également des annexes cutanées tels que des follicules pileux et des glandes sudoripares ou sébacées. Ils sont typiquement uniloculaires et bénins mais peuvent parfois devenir malin. Les deux types de kystes peuvent communiquer avec la peau et être associés à une fossette postnatale ou un sinus. En revanche, ils ne communiquent pas avec le rectum. Ils s’infectent dans 30 % des cas et posent alors le problème du diagnostic différentiel avec un abcès périnéal.

Les duplications rectalesou kystes entérogéniques sont une anomalie constitutionnelle rare du tube digestif et représentent 5 % des duplications digestives. Ils sont secondaires à la séquestration lors l’embryogenèse de l’intestin postérieur et sont donc issus de l’endoderme. Ils peuvent être revêtus d’un épithélium malpighien, cylindrique ou transitionnel. Le diagnostic se fait habituellement au cours de la période néonatale ou pendant les premières années de vie. Plus rarement, son diagnostic reste méconnu jusqu’à l’âge adulte. Il repose sur l’association de trois critères : i) la continuité ou la contiguïté du kyste avec le rectum ii) la présence au sein de la paroi d’une double couche de fibres musculaires lisses séparées par un plexus myentérique (comme la paroi rectale) et iii) un revêtement muqueux proche de la muqueuse rectale mais qui peut également contenir des foyers de muqueuse ectopique gastrique, pancréatique ou urothéliale (issues également de l’endoderme) [10]. Ces tumeurs ont généralement un aspect multilobulaire avec de multiples lésions satellites et une lésion dominante. À l’instar des kystes épidermoïdes et dermoïdes, elles sont plus fréquentes chez les femmes et peuvent s’infecter. Bien que généralement bénignes, des cas de dégénérescence maligne ont été rapportés [3, 9].

Le chordome

Le chordome est la première tumeur maligne et la deuxième tumeur la plus fréquente de l’espace rétrorectal [5]. Elle reste cependant rare. L’incidence est estimée à 0,08/100 000 avec une nette prédominance masculine (sex-ratio : 2/1) contrairement aux autres tumeurs congénitales [13]. Il est généralement diagnostiqué vers l’âge de 60 ans. La tumeur se développe à partir des vestiges de la notochorde fœtale qui est à l’origine de la colonne vertébrale et d’une partie de la base du crâne et dont le nucléus pulposus est un reliquat chez l’adulte. La localisation basicrânienne est plus fréquente chez l’enfant [14] tandis que chez l’adulte environ un tiers des chordomes se situent au niveau sacro-coccygien [13]. Ce sont des tumeurs lobulées et gélatineuses qui ont tendance à croître lentement mais avec un fort potentiel d’envahissement et de destruction locorégionale [2, 3](figure 4). Un signe pathognomonique est la présence à l’examen histologique de cellules « physalifères », qui sont vacuolisées et remplies de gouttelettes muqueuses. Bien que la tumeur métastase rarement, le traitement curatif est complexe. En effet, les symptômes sont généralement tardifs jusqu’à ce que la tumeur atteigne une taille importante, ce qui rend difficile la résection avec des marges saines [3, 13]. L’exérèse chirurgicale est en général suivie d’une radiothérapie adjuvante [14].

Le chordome est la première tumeur maligne et la deuxième tumeur la plus fréquente de l’espace rétrorectal

Le tératome et le tératocarcinome

Ils proviennent de cellules totipotentes pouvant donner naissance à n’importe quel type de tissu (tube digestif, arbre respiratoire, système nerveux, cellules germinales, etc.), et se présentent sous une forme kystique ou solide. Les tératomes sont beaucoup plus fréquents chez l’enfant (1/30 000 naissances) que chez l’adulte avec une nette prédominance féminine [3, 9]. Ces tumeurs sont classées selon leur extension et ont tendance à adhérer fermement au coccyx. Cependant, en l’absence de dégénérescence maligne, ils adhèrent rarement au rectum et aux organes adjacents. On estime chez l’adulte qu’environ 30 % des tératomes sont malins au moment de leur résection [3].

La méningocèle sacrée antérieure

La méningocèle est une hernie du sac dural dans le petit bassin à travers une agénésie de la paroi antérieure sacrum (signe du « cimeterre » à la radiographie standard). Elle est en continuité avec l’espace sous-dural et, par conséquent, contient du liquide céphalo-rachidien. Il s’agit d’une tumeur rare. La méningocèle peut être associée à des anomalies congénitales, notamment des malformations des voies urinaires (agénésie rénale) ou anales (sténose ou atrésie anale, syndrome de Currarino dont la triade associe : malformation ano-rectale, méningocèle et agénésie du sacrum), une duplication utérine ou vaginale, une spina-bifida et au syndrome de la moelle attachée basse [10, 15]. Des cas d’agrégation familiale et des associations à un syndrome de Marfan et à une neurofibromatose de type 1 ont également été décrits faisant évoquer une origine héréditaire. La méningocèle est plus fréquente chez la femme. Un symptôme classiquement décrit est la céphalée positionnelle, déclenchée par la défécation et les efforts de poussée qui créent une augmentation de la pression intracrânienne par compression de la méningocèle. Les autres symptômes sont en rapport avec l’effet de masse. Les complications infectieuses (méningite) sont les plus graves et surviennent lors d’une rupture de la méningocèle : rupture spontanée dans le rectum, rupture lors d’un accouchement dystocique ou de manière iatrogène, lors d’une ponction transrectale du kyste.

Les autres tumeurs

Les tumeurs neurogènes sont issues des nerfs périphériques (racines sacrées, plexus hypogastriques, etc.) et bénignes dans neuf cas sur dix. Elles représentent 15 % des tumeurs de la région [5]. La tumeur bénigne la plus fréquemment trouvée est le schwannome et pour les tumeurs malignes le neurofibrosarcome (bien plus rare). Les tumeurs neurogènes ont tendance à croître lentement et restent longtemps asymptomatiques. Le diagnostic est porté vers l’âge de 40 ans [10].

Les tumeurs osseuses sont plus rares, moins de 4 % des TRR [5], touchent plus souvent les hommes et sont malignes dans 70 % des cas. La tumeur à cellules géantes est la plus fréquente des tumeurs bénignes tandis que pour les tumeurs malignes, il s’agit du sarcome d’Ewing. Dans ce cas, la biopsie préopératoire est alors utile car elle peut modifier la prise en charge. Les tumeurs osseuses ont une croissance rapide et peuvent métastaser notamment aux poumons. La chirurgie d’exérèse doit être large et complète en raison du haut risque de récidive.

Les tumeurs « diverses » représentent près d’un cas sur cinq [5, 9]. Il s’agit principalement du léiomyome et du fibrome pour les tumeurs bénignes. Les tumeurs malignes sont dominées par les métastases, les GIST et les tumeurs carcinoïdes.

Circonstances diagnostiques

Les TRR sont longtemps asymptomatiques et fréquemment diagnostiquées de manière fortuite lors d’un examen clinique de routine (proctologique ou gynécologique), endoscopique (aspect de compression extérieure) ou à l’imagerie. Cette évolution volontiers « indolente » est à l’origine d’un retard diagnostique qui complique la prise en charge en raison d’une taille importante de la tumeur au moment du diagnostic [16]. Lorsque la tumeur devient symptomatique, la douleur (lombaire, abdominale ou pelvienne) est le symptôme le plus courant [5]. Elle peut irradier aux membres inférieurs et être à l’origine de véritables sciatalgies en cas de compression radiculaire. Elle peut être augmentée à la position assise et soulagée par la position debout. Enfin la douleur peut également témoigner d’une surinfection, d’une hémorragie intra-kystique voire d’une dégénérescence [2]. Les autres symptômes sont très variables allant de la constipation (terminale par refoulement du rectum) à la dyspareunie en passant par les signes fonctionnels urinaires. Ils sont résumés dans le tableau 3. Rarement, la tumeur peut se fistuliser à la peau ou au rectum [5]. À l’examen, la présence d’une fossette cutanée est évocatrice d’un kyste vestigial mais ce signe est inconstant et peut orienter à tort vers un diagnostic de sinus pilonidal. Dans près de 90 % des cas, la tumeur est palpable au toucher rectal (TR) [2, 3, 5]. Le TR permet également de préciser les rapports et les limites de la tumeur.

Les tumeurs rétrorectales sont souvent diagnostiquées de manière fortuite chez des patients asymptomatiques. Lorsque la tumeur devient symptomatique, la douleur est le principal symptôme

Bilan de diagnostic et d’extension

Le scanner et plus particulièrement l’IRM avec injection de gadolinium sont les examens de référence pour le diagnostic des TRR [2, 3, 5, 9, 16, 17](figure 5). Par sa résolution en contraste supérieure au scanner, l’IRM permet de mieux déterminer l’origine anatomique de la lésion (neurogène, osseuse, digestive ou autre). Le bilan d’extension locorégionale préthérapeutique de la masse se fait en IRM. En effet, le premier rôle de l’IRM est de permettre d’analyser les rapports avec les racines nerveuses et le sac dural afin de ne pas méconnaitre une origine nerveuse (proscription de la ponction et geste chirurgical spécifique).

Une fois la localisation déterminée, l’IRM peut approcher le diagnostic et proposer un arbre diagnostique en fonction de la présence d’un contenu liquidien (hémorragique, mucineux, graisseux) et/ou solide (nodule vasculaire ou graisseux) [17].

D’autre part, l’IRM a une sensibilité et une spécificité supérieures à 80 % pour le diagnostic de malignité devant la présence d’une composante solide ou le caractère hétérogène de la lésion [18, 19](tableau 4).

Enfin, le scanner peut être complémentaire de l’IRM si on suspecte une tumeur d’origine osseuse ou si on recherche la présence de calcification intralésionnelle.

La place de l’échoendoscopie rectale apparaît plus limitée dans cette indication même si sa sensibilité diagnostique couplée au toucher rectal est proche de 100 %. Elle peut être utile pour chercher des signes d’invasion de la paroi rectale. L’échoendoscopie est également performante pour le diagnostic de duplication rectale. Elle permet de visualiser avec précision toute l’épaisseur de la paroi (notamment la couche musculeuse) ainsi que la communication avec le rectum (plus difficile à voir à l’IRM dans cet espace très restreint). Elle est également intéressante pour évaluer les rapports de la tumeur avec le sphincter anal. Les ponction-biopsies transrectales sont contre-indiquées en cas de lésion kystique. Toutefois, elles peuvent être envisagées en cas de tumeur solide maligne pour lesquelles une exérèse élargie au rectum est indiquée emportant alors le trajet de la ponction qui peut être tatoué (figure 6).

Le scanner et plus particulièrement l’IRM avec injection de gadolinium sont les examens de référence pour le diagnostic et le bilan d’extension des tumeurs rétrorectales

Enfin, la rectosigmoïdoscopie montre un aspect de compression extrinsèque avec une muqueuse rectale normale (en l’absence d’envahissement). Elle peut parfois trouver un orifice communiquant avec une duplication rectale. Surtout, elle éliminera une tumeur de rectum, bien plus fréquente que les TRR [21].

La place (controversée) de la biopsie

La place de la biopsie dans la prise en charge des TRR fait historiquement l’objet de controverses. Pour certains auteurs, il faut tout simplement proscrire la biopsie de ces lésions du fait du risque de complications : infection du kyste (voire de méningite en cas de méningocèle), fistulisation (notamment pour les ponctions transrectales), hémorragie et dissémination pour les tumeurs malignes [2, 3]. Pour d’autres, elle serait tout simplement inutile puisqu’ils jugent que la chirurgie est de toute façon indiquée [20]. Néanmoins, les indications de la biopsie tendent à évoluer parallèlement aux progrès techniques de l’imagerie et à la démocratisation des ponctions-aspirations à l’aiguille fine sous contrôle scannographique [9].

En pratique, il faut proscrire les biopsies des tumeurs kystiques typiques car elles sont le plus souvent bénignes et le risque de complications est important. Une méningocèle antérieure doit toujours être éliminée avant la biopsie car il existe alors un risque de méningite. Cependant, en cas de tumeur solide, la biopsie peut être utile [9, 21-24]. Elle permet de préciser le type histologique de la tumeur et son caractère bénin ou malin avec une sensibilité et une spécificité supérieures à l’imagerie (> 90 %) [5, 23]. Pour les TRR malignes, le type histologique est une donnée importante en préopératoire, susceptible de modifier la prise en charge chirurgicale et l’indication à un traitement néoadjuvant [9] (lymphome, GIST, tumeur d’Ewing, ostéosarcome, neurofibrosarcome, tumeur desmoïde). Les conditions de réalisation de la biopsie obéissent à des règles strictes (tableau 5). Les complications sont alors rares [9, 21, 24].

Il faut proscrire la biopsie des tumeurs kystiques. En revanche, la biopsie peut être utile pour certaines tumeurs solides

La (difficile) prise en charge

Dans certains cas, une surveillance simple radiologique est possible. Elle peut s’envisager pour les tumeurs kystiques non compliquées sans signes de malignité à l’IRM [24]. Cette attitude est rendue possible grâce aux progrès de l’imagerie notamment pour la caractérisation de ces tumeurs. Cependant, le malade doit être informé des risques évolutifs : i) infectieux, ii) croissance et compression des organes adjacents, passage d’une forme bénigne à maligne, iii) accouchement dystocique chez la femme jeune, iv) la part d’incertitude sur le caractère bénin ou malin de la lésion qui ne peut être formellement établi que par l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire [2]. L’adhésion à un programme de surveillance clinique et radiologique est donc fondamentale.

En dehors de cette situation, l’exérèse chirurgicale des TRR est recommandée : exérèse complète de la lésion pour les tumeurs bénignes ; en bloc, élargie si besoin aux organes adjacents en cas de tumeur maligne [2, 3, 16].

Enfin, les TRR découvertes fortuitement, en peropératoire, ne doivent pas être réséquées d’emblée mais seulement après un bilan paraclinique complet pour déterminer la nature de la tumeur (éliminer une méningocèle ou un kyste radiculaire de Tarlov par exemple). Un algorithme de prise en charge est proposé figure 7.

Une surveillance simple radiologique peut s’envisager pour les tumeurs kystiques non compliquées sans signes de malignité à l’IRM. En dehors de cette situation, l’exérèse chirurgicale des tumeurs rétrorectales est recommandée

La chirurgie des TRR est un défi pour le chirurgien. D’une part, il faut accéder à un espace étroit dans lequel cheminent des nerfs, les uretères et les vaisseaux iliaques en périphérie. D’autre part, l’exérèse en bloc R0 pour les tumeurs malignes peut être difficile et délabrante, étendue parfois aux organes de voisinage dont le rectum [25]. Dans les cas les plus complexes, une prise en charge pluridisciplinaire (chirurgien digestif, orthopédique, plastique, neurochirurgien, etc.) est nécessaire [3]. Toutefois, elle constitue le seul traitement curatif et diminue le risque de récurrence [2, 3, 9]. Pour les tumeurs bénignes, l’exérèse doit être faite sans effraction du kyste [16]. Ces difficultés techniques expliquent le taux élevé de complications postopératoires, environ 13 % (toutes techniques confondues), et le taux élevé de récidives, autour de 20 % (notamment en cas d’exérèse incomplète) [5, 21]. Les principales complications sont les saignements, les infections mais aussi les complications neurologiques (vessie neurologique, troubles de la continence, douleurs, déficits sensitivo-moteurs), les plaies rectales et urétérales [5]. La survie à cinq ans en cas de TRR maligne est comprise entre 60 et 75 % [24, 26].

Trois voies d’abord sont possibles pour l’exérèse des TRR : la voie haute (abdominale : extrapéritonéale ou péritonéale), la voie basse (périnéale, trans-sacrée et para-sacrococcygienne) et l’approche combinée. Le choix de l’une ou l’autre dépend de la localisation, de la taille et des rapports avec les structures adjacentes de la lésion [2, 3, 5](figure 8).

Trois voies d’abord sont possibles pour l’exérèse des tumeurs rétrorectales : la voie haute, la voie basse et l’approche combinée

La voie haute ou abdominale est privilégiéepour les tumeurs bénignes ou malignes, dont le pôle inférieur se situe au-dessus de S3 et sans envahissement du sacrum [2, 3, 5, 21]. Une laparotomie est le plus souvent réalisée notamment pour les tumeurs malignes. Toutefois, les techniques laparoscopiques se développent et ont montré de bons résultats pour la résection des tumeurs bénignes chez des patients sélectionnés avec une durée d’hospitalisation réduite [27]. Le rectum est d’abord disséqué et l’artère sacrale moyenne est ligaturée. Puis la tumeur est isolée du fascia présacré. En cas d’envahissement rectal, une exérèse partielle du rectum suivie d’une anastomose colorectale peut être pratiquée [27]. L’avantage de l’abord antérieur est qu’il permet au chirurgien d’avoir une excellente exposition des vaisseaux iliaques et des uretères. Elle est donc particulièrement intéressante en cas d’intervention à haut risque hémorragique. La morbidité reste cependant élevée, près de 20 %, supérieure à l’approche par voie basse [24].

Contrairement à la voie haute, la voie basse seule est généralement réservée aux TRR bénignes situées en dessous de S3-S4 sans envahissement viscéral [2, 3, 5]. Le pôle supérieur de la tumeur est typiquement palpable au toucher rectal. Le patient est installé agenouillé en décubitus ventral, « prone jack-knife ». L’intervention de Kraske (figure 9) consiste en une incision médiane verticale entre l’anus et le coccyx au travers du ligament anococcygien afin d’accéder à l’espace rétrorectal. En cas de tumeur volumineuse et/ou de présentation difficile, une coccygectomie voire une excision de S4-S5 est effectuée. C’est la voie d’abord privilégiée en cas d’atteinte nerveuse car elle permet une meilleure exposition des racines sacrées. Cependant par rapport à la voie haute elle expose à un risque plus élevé de saignement [5, 26, 27]. Le taux de complications postopératoires est globalement inférieur à 10 % [24, 26].

L’approche combinée est intéressante en cas de volumineuse tumeur envahissant le sacrum ou d’infection qui rend difficile la mise en évidence des plans de dissection. Elle combine les avantages (meilleure exposition) et les inconvénients des voies hautes et basses (taux de complication particulièrement élevée de près de 25 % et durée d’hospitalisation plus longue) [24].

En cas de volumineuse tumeur, pour limiter le risque hémorragique, certains proposent une embolisation de la tumeur avant la chirurgie. Cette approche est discutable en raison des complications possibles (nécrose, infection, etc.) et n’est pas validée à ce jour [21, 28].

Par ailleurs, les techniques chirurgicales « mini-invasives » se développent. Il s’agit de la chirurgie assistée par robot utilisée pour de volumineuses tumeurs [29] et du TEMS (Transanal endoscopic microsurgery) pour les petites TRR bénignes [21]. Elles permettraient de diminuer le taux de complications postopératoires. Toutefois, pour le TEMS, les indications apparaissent limitées (exérèse non carcinologique) et il est parfois difficile de faire la part en préopératoire entre une lésion bénigne et lésion maligne [30]. Les données manquent encore pour valider ces traitements [21].

Enfin, quelle que soit la voie d’abord, en cas de chirurgie mutilante, une reconstruction par des chirurgiens plasticiens peut être nécessaire.

En dehors du traitement chirurgical, certaines tumeurs malignes peuvent bénéficier d’un traitement néoadjuvant. Il s’agit principalement de la radiochimiothérapie pour le lymphome et de l’imatinib pour la GIST (afin d’augmenter les chances de conservation sphinctérienne et de diminuer le risque de récidive). Certains préconisent également une chimiothérapie néoadjuvante pour le sarcome d’Ewing et l’ostéosarcome [9, 10]. Pour le chordome, une radiothérapie adjuvante a également été proposée en cas de récidive ou de marges chirurgicales atteintes ainsi qu’une chimiothérapie par imatinib ou cétuximab [9, 10]. Cependant, du fait de leur rareté, il n’y pas d’essai randomisé contrôlé permettant de valider définitivement les modalités et l’indication d’un traitement adjuvant ou néoadjuvant de ces tumeurs [21].

Conclusion

Les TRR sont rares et diverses mais chaque praticien peut un jour y être confronté. Il faut donc les connaître. L’IRM a un rôle majeur dans la caractérisation des TRR, bénignes ou malignes, et dans le bilan d’extension. La prise en charge est pluridisciplinaire, en centre expert, et individualisée. Les principales questions à se poser devant la découverte d’une TRR sont résumées dans le tableau 6.

Take home messages

  • Les tumeurs rétrorectales sont un groupe de tumeurs rares et diverses se développant au sein de l’espace rétrorectal. Elles sont le plus souvent bénignes et congénitales avec une nette prédominance féminine.
  • L’hamartome kystique ou tailgut cyst est la plus fréquente des tumeurs bénignes. Le chordome est la plus fréquente des tumeurs malignes.
  • L’IRM est l’examen de référence pour le diagnostic et le bilan des tumeurs rétrorectales, et permet de guider la prise en charge.
  • La biopsie peut se discuter en cas de tumeur solide afin de préciser le type histologique de la tumeur.
  • Le traitement est chirurgical en cas de lésion maligne mais également en cas de lésion bénigne symptomatique. Dans le cas de petites tumeurs kystiques non compliquées, une surveillance clinique et radiologique peut être proposée.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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