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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Irrigations transanales dans le traitement des troubles colorectaux, quelle place en 2018 ? Volume 25, numéro 9, Novembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

Tableaux

Introduction

Le dispositif d’irrigation transanale (Peristeen®) est indiqué dans le traitement des troubles colorectaux en deuxième intention, après échec des traitements conservateurs. Initialement réservé aux « patients neurologiques », l’irrigation transanale a désormais également sa place chez les patients souffrant de constipation chronique et/ou d’incontinence anale ainsi que chez les patients souffrant de syndrome de résection antérieure du rectum. Sa mise en place nécessite d’en connaître les données techniques, les contre-indications et précautions d’emploi ainsi que les modalités pratiques de mises en route qui sont présentées ici.

Données techniques

Le dispositif d’irrigation transanale (Peristeen®) a été mis sur le marché français en 2009. Son indication initiale, et pour laquelle le remboursement a été obtenu, est la prévention et le traitement des troubles colorectaux d’origine neurologique chez des patients pour lesquels le traitement médical conventionnel est insuffisant et qui passent un temps exagérément long aux procédures d’exonération (> 30 minutes).

Il a pour avantage de traiter à la fois les symptômes de constipation et d’incontinence anale en permettant d’obtenir une vacuité du rectum et du côlon gauche.

Le dispositif inclus une poche (réservoir d’eau), une unité de contrôle (incluant une pompe manuelle et une tubulure), et une sonde rectale à usage unique munie d’un ballonnet gonflable (figure 1). Le principe de l’irrigation transanale (ITA) est de réaliser un lavement « étanche » en position physiologique de défécation grâce au ballonnet. Le système de pompe permet de s’affranchir de la gravité et il n’est donc pas nécessaire de surélever le réservoir d’eau. Le volume instillé doit permettre d’obtenir une vacuité du rectum et du côlon gauche où sont stockées les matières fécales [1]. Par ailleurs, la distension mécanique liée à l’irrigation doit permettre d’induire des contractions coliques facilitant l’évacuation.

Le principe de l’irrigation transanale est de réaliser un lavement « étanche » en position physiologique de défécation

Indications

L’indication initiale des ITA était représentée par les troubles colorectaux des patients souffrant de maladies neurologiques (blessés médullaires, spina bifida, sclérose en plaques, maladie de Parkinson) en échec de traitement conventionnel de première ligne. Néanmoins, le terme neurologique concerne aussi bien les atteintes centrales ou médullaires (sclérose en plaques, maladie de Parkinson, traumatisme médullaire…) que les atteintes nerveuses périphériques. En effet, la dyschésie, associée à des efforts de poussée répétés, peut induire une incontinence anale par neuropathie d’étirement. Il semble donc licite et intéressant de pouvoir également proposer le système d’ITA à ce type de patients chez lesquels les deux symptômes, constipation terminale et incontinence anale, coexistent le plus souvent. Depuis quelques années, plusieurs publications ont démontré l’intérêt et l’efficacité de l’utilisation des ITA en dehors des maladies neurologiques centrales, en deuxième intention, qu’il s’agisse de symptômes digestifs chroniques ou de syndrome de résection antérieure du rectum [2, 3]. Ainsi, les recommandations de pratique clinique de la Société Nationale Française de Colo-Proctologie ont également validé l’utilisation des ITA en deuxième intention, pour le traitement de l’incontinence anale et de la constipation chronique de l’adulte (accords professionnels) [4, 5].

L’irrigation transanale est indiquée en deuxième intention chez les patients « neurologiques » mais également en cas de troubles fonctionnels et de syndrome de résection antérieure du rectum

Contre-indications et précautions d’emploi

Un examen clinique, en particulier proctologique, devra être réalisé avant la mise en place du traitement. En revanche, la réalisation d’une endoscopie digestive basse préalable n’est pas nécessaire en dehors des indications habituelles (Recommandations de la HAS 2013).

Les contre-indications absolues et relatives à l’ITA sont présentées dans le tableau 1.

Un examen proctologique est nécessaire avant la mise en place de l’irrigation transanale

Prescription, mise en place et suivi

La prescription initiale du système doit être réalisée par un gastroentérologue, un chirurgien viscéral adulte ou infantile, ou un médecin rééducateur. Le renouvellement de la prescription peut ensuite être fait par tout médecin prescripteur.

La mise en place du traitement peut se faire de différentes manières. En effet, en fonction du niveau de dépendance et de compréhension du patient, la mise en route du traitement peut être réalisée :

  • en consultation spécialisée. Dans ce cas, des explications concernant l’utilisation du système d’ITA doivent être fournies au patient ainsi que des supports pédagogiques (livrets, DVD…). Une démonstration de l’utilisation du système peut également être réalisée en consultation par le médecin, une infirmière ou une stomathérapeute.
  • en hôpital de jour. Il est alors possible, non seulement de donner au patient toutes les informations concernant la technique mais également de réaliser l’ITA (apprentissage du geste).
  • en hospitalisation. Cela concerne surtout les patients « neurologiques » nécessitant un réel apprentissage avec une adaptation à leur niveau de handicap moteur ainsi qu’aux conditions de vie à domicile.

S’il n’y a pas de facteurs prédictifs « solides » d’efficacité, il apparaît important, surtout chez le patient « neurologique » d’évaluer la dextérité du patient, sa motivation, et les conditions « logistiques » à domicile.

Le matériel peut être prescrit pour six mois. Une ordonnance pour une infirmière à domicile peut également être remise au patient. Le patient pourra se procurer le matériel, soit par l’intermédiaire d’un prestataire de service, soit directement en pharmacie.

L’utilisation habituelle est initialement quotidienne pendant une dizaine de jours. Par la suite, le rythme usuel d’utilisation est généralement d’un jour sur deux voire sur trois. Dans tous les cas, c’est l’utilisation régulière du dispositif qui permet d’obtenir une efficacité durable, une utilisation uniquement ponctuelle ne permettant pas une régularisation du transit. Chez certains patients, l’évacuation préalable d’un fécalome est parfois nécessaire. Il est ainsi parfois utile de réaliser systématiquement un toucher rectal voire d’utiliser un suppositoire avant chaque irrigation.

Le suivi du patient est fondamental car il conditionne l’efficacité et la compliance au traitement. Il est donc nécessaire d’être disponible après la mise en route du traitement (téléphone ou mail) et de revoir le patient précocement, en général un mois après la consultation de mise en place. En effet, les principales causes d’échec du traitement, qui surviennent généralement le premier mois, sont représentées par les problèmes de manipulation, qui peuvent, en pratique, être rapidement corrigées. Il est également important, dans les semaines ou les mois qui suivent la mise en place, de pouvoir ajuster les volumes instillés et le rythme des irrigations (le plus souvent un jour sur deux). Certains traitements par voie orale (laxatifs ou ralentisseurs du transit) pourront également être poursuivis ou prescrits selon la consistance des selles et la fréquence d’évacuation. Lorsque le rythme d’irrigation est obtenu ainsi que la satisfaction du patient, le traitement par ITA peut, sans danger, être prescrit au long cours avec de bons résultats [6].

Concernant les effets secondaires, la perforation intestinale est une complication rare mais grave (0,002 % par ITA). D’autres effets secondaires, moins graves, ont également été décrits tels que des douleurs abdominales, des saignements d’origine rectale et des nausées. Le plus souvent, ces effets secondaires n’entraînent pas l’arrêt du traitement mais peuvent nécessiter une adaptation du traitement (rythme, volume des ITA, association à d’autres traitements). Aucune mortalité n’a, à ce jour, été décrite.

Le suivi initial du patient et fondamental et conditionne la réussite du traitement

Données de la littérature

Chez les patients « neurologiques »

Si plusieurs études ouvertes ont montré l’efficacité de l’ITA dans le traitement des symptômes digestifs des patients neurologiques, l’étude « pivot » randomisée est celle de l’équipe de Christensen et al.[7]. Dans cette étude, 87 patients blessés médullaires avaient été inclus et les résultats du traitement conservateur étaient comparés à ceux de l’ITA. Dans ce travail il avait été observé une réduction significative de la constipation, du temps passé à l’exonération, de l’incontinence anale, des autres troubles digestifs, et du nombre d’infections urinaires. La qualité de vie avait significativement été améliorée et il n’y avait pas eu d’effets indésirables décrits. De plus, à partir de cette étude, une évaluation médico-économique réalisée par la même équipe a démontré un avantage économique à l’utilisation de l’ITA chez ces patients par rapport à un traitement conservateur [8], ce qui a été confirmé par une étude plus récente [9].

Depuis l’étude de Christensen et al., aucune autre étude randomisée n’a été publiée. Néanmoins, les différents travaux, dont plusieurs prospectifs, ont confirmé l’efficacité de l’ITA à la fois pour le traitement de la constipation et pour celui de l’incontinence anale, son avantage étant de pouvoir traiter les deux symptômes à la fois. Le taux global de succès, pour les deux symptômes est d’environ 40 à 70 % [6, 10-13]. De plus l’efficacité apparait maintenue à long terme, Passananti et al. décrivant un taux de succès de 55 % à 40 mois [11]. Il ne semble pas exister de différence significative en termes d’efficacité en fonction de la maladie neurologique à l’origine des troubles colorectaux.

Si l’on considère l’ensemble des résultats publiés, les bénéfices décrits de l’ITA sont : une amélioration des symptômes et de la sévérité de la constipation ; une réduction de la sévérité et de la fréquence de l’incontinence anale, une amélioration de la qualité de vie, une réduction de la fréquence et des coûts associés aux infections urinaires ; une réduction de l’utilisation de médicaments, une réduction du taux de recours à la stomie ; une réduction des coûts liés aux maladies neurologiques ; une réduction du taux d’hospitalisation chez les patients présentant des troubles digestifs d’origine neurologique.

Chez les patients « non neurologiques »

Une récente revue et méta-analyse a évalué l’efficacité de l’ITA dans le traitement de la constipation chronique de l’adulte en excluant les patients neurologiques [3]. Sept travaux, dont deux prospectifs, incluant au total 254 patients souffrant de constipation de transit et/ou de dyschésie, ont été analysés. L’efficacité globale était de 50,4 % avec des suivis allant de 3 à 154 mois.

Plusieurs travaux ont également démontré le bénéfice de l’utilisation de l’ITA en post-opératoire et notamment chez les patients souffrant de syndrome de résection antérieure du rectum. La première étude publiée par Rosen et al. en 2011 incluait 14 patients d’âge moyen 68 ans traités par ITA en moyenne 19 mois après une chirurgie rectale. Cette étude décrivait une amélioration significative du score de Cleveland et des scores de qualité de vie avec un suivi médian de 19 mois [2]. Ces données ont été validées par d’autres résultats et un travail récent a confirmé l’acceptabilité et le bénéfice de l’utilisation des ITA dans cette indication [14-17]. En France, l’indication de l’ITA, en deuxième intention, après échec des traitements conservateur (règles hygiéno-diététiques et médicaments) a été validé par les Recommandations de pratique clinique de la Société Nationale Française de Colo-Proctologie (Accords professionnels) [4, 5].

Chez l’enfant

Plusieurs études ont démontré l’intérêt et le bénéfice de l’utilisation de l’ITA chez l’enfant. Une revue récente de la littérature a retenu 27 études, incluant 1 040 patients, dont une seule était prospective [18]. L’âge moyen des patients était de 8,5 ans, la plupart d’entre eux souffrant de spina bifida. Les autres indications étaient les séquelles de chirurgie et les constipations et/ou incontinences anales fonctionnelles. Le taux moyen de succès chez l’enfant est de 78 à 84 %. Un taux supérieur d’efficacité chez l’enfant serait lié à un encadrement plus important de l’équipe soignante avec une participation et un encouragement important des parents. De plus l’utilisation de l’ITA permet également une amélioration de la vie sociale et scolarisation. Chez l’enfant comme chez l’adulte, la place de l’ITA apparait en deuxième intention après échec du traitement conservateur.

Le taux global de succès de l’irrigation transanale est de 40-70 %

Take home messages

  • L’irrigation transanale est indiquée en deuxième intention en cas de troubles colorectaux.
  • Elle concerne les patients « neurologiques » et « non neurologiques ».
  • Sa mise en place peut se faire selon plusieurs modalités dont la consultation.
  • Son efficacité est conditionnée par un encadrement initial du patient.
  • L’efficacité globale de l’irrigation transanale est de 40-70 %.

Liens d’intérêts

VV a été consultante pour les laboratoires Coloplast. CA déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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