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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Effets secondaires dermatologiques des anti-TNF au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Volume 25, numéro 6, Juin 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

  • Figure 7

  • Figure 8

Tableaux

Introduction

Les biothérapies ont révolutionné la prise en charge des patients atteints de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Les anti-TNFα, qui sont des anticorps monoclonaux ciblant une cytokine, le tumor necrosis factor alpha, sont utilisés depuis plus de vingt ans lorsque les traitements classiques sont insuffisants. Actuellement, nous disposons de trois agents anti-TNFα qui peuvent être utilisés au cours des MICI : l’infliximab, l’adalimumab et le golimumab.

Cette classe thérapeutique dont l’efficacité est bien démontrée, n’est toutefois pas dénuée d’effets secondaires. Ainsi, 20 à 30 % des patients arrêteront leur traitement anti-TNFα à ce motif [1]. Les effets secondaires cutanés sont parmi les plus fréquents puisqu’ils concernent 20 % des patients traités par anti-TNFα. L’incidence cumulée à 10 ans de ces manifestations est estimée à près de 40 % selon la cohorte de Nancy [2]. Ces effets indésirables dermatologiques sont le plus souvent modérés mais peuvent avoir un retentissement majeur sur la qualité de vie des patients. Parmi ces manifestations, les infections en représentent la moitié, suivies par les atteintes immuno-médiées (environ 40 %), les lésions précancéreuses ou cancéreuses (5 %) et les réactions locales (1 %) [2].

Infections

Selon les registres de rhumatologie de patients traités par anti-TNFα, les atteintes infectieuses dermatologiques représentent les infections les plus fréquentes après les broncho-pneumopathies. Par rapport aux traitements immunosuppresseurs conventionnels, les anti-TNFα multiplient par quatre le taux d’infections cutanées sévères [3]. Dans la cohorte de Nancy, il existait une association entre les doses d’anti-TNFα les plus élevées et le risque de développer une infection cutanée [2].

Les infections bactériennes, classiquement à staphylocoque ou streptocoque de type folliculite, érysipèle, cellulite ou abcès concernent 5 % des patients [2]. Il s’agit d’infections bénignes, résolutives avec une antibiothérapie adaptée, permettant la reprise du traitement anti-TNFα à la résolution de l’épisode [2, 4]. Les infections bactériennes cutanées à germe opportuniste sont exceptionnelles sous anti-TNFα ; quelques observations d’infections à mycobactéries ont été rapportées à ce jour.

Les réactivations d’infections par les virus de la famille des herpes viridae concernent 1-5 % des patients traités par anti-TNFα [5]. Dans une cohorte de patients de rhumatologie, l’incidence du zona était ainsi de 11 pour 1000 patients-années avec un risque relatif associé au traitement par anti-TNFα de 1,82 [6]. La vaccination contre le Varicella-Zoster-Virus (VZV) est bien entendu recommandée pour prévenir cette complication. Selon les recommandations de l’European Crohn's and Colitis Organization (ECCO), en cas d’infection sévère par le virus VZV, que ce soit une primo-infection ou bien une réactivation, un traitement antiviral doit être instauré et le traitement anti-TNFα suspendu jusqu’à la résolution de l’éruption [4].

Les infections cutanées fongiques sont fréquentes, représentant un quart des infections observées sous anti-TNFα, mais restent bénignes et ne justifient pas d’interruption du traitement [2].

La peau est un site privilégié d’infections opportunistes sous anti-TNFα

Effets cutanés inflammatoires

Les dermatoses inflammatoires associées aux anti-TNFα correspondent à des lésions mimant des maladies de la peau pour lesquelles ces molécules sont l’un des traitements, telles que le psoriasis. C’est pourquoi elles sont parfois dénommées dermatoses paradoxales.Il faut également rappeler qu’il existe une association entre psoriasis et MICI. En pratique, lorsqu’un patient développe une réaction psoriasiforme sous anti-TNFα, il peut être difficile pour le clinicien de distinguer une réaction paradoxale d’un véritable psoriasis débutant. Il est donc important de connaitre les caractéristiques cliniques de ces réactions paradoxales qui sont désormais bien décrites et très évocatrices dans leur présentation [7].

Réactions psoriasiformes

L’éruption psoriasiforme est une des manifestations dermatologiques les plus fréquentes sous anti-TNFα. L’incidence cumulée à dix ans des lésions psoriasiformes atteint 30 % chez les patients MICI traités par anti-TNFα [2]. La physiopathologie de ces lésions reste inexpliquée. Il pourrait s’agir d’une rupture d’équilibre parmi la production des cytokines pro-inflammatoires liée à la suppression de l’activité TNFα, notamment une augmentation de l’interféron-α [8]. Il n’existe aucune corrélation entre les taux résiduels d’infliximab ou la présence d’anticorps anti-infliximab et le risque de survenue d’un psoriasis paradoxal [9, 10].

Les lésions peuvent apparaître dès l’induction ou après plusieurs mois de traitement d’entretien avec une médiane de survenue de 12 mois, le plus souvent chez des patients dont la MICI est en rémission [2, 11, 12].

Les lésions psoriasiformes peuvent concerner jusqu’à 1 patient sur 3 à 10 ans de traitement anti-TNFα

Il s’agit d’un effet classe car il ne semble pas y avoir de différence entre les différents anti-TNFα quant au risque de survenue de réaction psoriasiforme [13]. Un âge jeune, le tabagisme actif, un indice de masse corporelle élevé et le sexe féminin en sont des facteurs de risque [2, 14]. Un antécédent personnel de psoriasis est trouvé chez moins de 10 à 20 % des patients [14]. Les facteurs associés et non associés aux éruptions psoriasiformes sont présentés dans le tableau 1.

La présentation clinique de ces éruptions est très évocatrice. L’atteinte pustuleuse palmo-plantaire a été initialement décrite chez les patients traités par anti-TNFα pour une indication rhumatologique. Des réactions cutanées sévères ont depuis été aussi observées chez les patients atteints de MICI traités par anti-TNFα : atteinte inflammatoire majeure du cuir chevelu parfois alopéciante, atteinte fissuraire et suintante des plis et atteintes génitales érosives parfois pustuleuses [7]. Ces présentations, illustrées par les figures 1 à 4, semblent assez caractéristiques des éruptions survenant chez les patients suivis pour MICI [12]. Bien sûr, dans certains cas, les lésions peuvent également suivre les localisations plus classiques du psoriasis (faces d’extensions des coudes et des genoux, région sacrée) [14]. La réalisation d’une biopsie cutanée n’est habituellement pas nécessaire, d’autant plus que les aspects histologiques peuvent être aspécifiques (lésions eczématiformes, lichénoïdes ou folliculite pustuleuse) [8]. Cependant ces descriptions histologiques ne sont pas classiquement trouvées au cours du psoriasis « vrai » et peuvent aider au diagnostic en cas de difficulté.

Le traitement de première intention, après avis dermatologique, est celui du psoriasis classique, à savoir les dermocorticoïdes ou les dérivés topiques de la vitamine D. Son efficacité varie de 65 à 80 % selon les séries [11, 14]. Les options thérapeutiques après échec des traitements topiques dépendent de l’extension des lésions et surtout de leur retentissement sur la qualité de vie. Un traitement par méthotrexate ou par photothérapie est parfois proposé, avec un bénéfice assez limité [15]. L’arrêt des anti-TNFα est nécessaire dans 10 à 35 % des cas selon les séries [2, 10, 12], les lésions régressant le plus souvent après l’interruption du traitement [2, 12]. Il a toutefois été observé des dermatoses persistantes malgré l’arrêt de l’anti-TNFα.

Comme cela est mentionné plus avant, les éruptions psoriasiformes sont un effet classe qui peut être observé avec tous les anti-TNFα et elles sont indépendantes du taux plasmatique de médicament ou de la présence d’anticorps anti-médicament. Le bénéfice à espérer d’une réduction de dose ou bien d’un changement d’anti-TNFα est donc très limité. En effet, en cas de switch, les lésions récidivent dans 60-100 % des cas [2, 12, 14]. L’ustékinumab, qui est un anticorps monoclonal anti-IL-12/23 utilisé en traitement du psoriasis sévère, pourrait être une option intéressante chez les malades le plus sévères. Il a en effet été observé une amélioration de ces éruptions dans plusieurs séries observationnelles, sans que l’on sache exactement si c’est l’arrêt de l’anti-TNFα ou l’instauration de l’ustékinumab qui en est à l’origine [16, 17]. Les observations avec le védolizumab sont encore plus limitées [18].

Réactions eczématiformes

Des lésions eczématiformes ont également été décrites sous anti-TNFα, pouvant toucher jusqu’à 15 % des patients [19]. Elles sont parfois associées aux lésions psoriasiformes et peuvent être prurigineuses. Ces lésions eczématiformes surviennent plus souvent chez des patients aux antécédents de dermatite atopique, après plusieurs mois de traitement [5, 12]. Elles peuvent être localisées au niveau des extrémités, des plis ou du scalp. Les atteintes narinaire, rétro-auriculaire et ombilicale sont classiques (figure 5). L’impétiginisation de ces lésions à Staphylococcus aureus est fréquente sous anti-TNFα [20].

Les dermocorticoïdes sont à privilégier en première intention, associés à une antibiothérapie orale en cas de surinfection. Ce traitement de première intention est efficace dans 70 % des cas. Comme pour les éruptions psoriasiformes, les lésions régressent à l’arrêt du traitement mais récidivent le plus souvent en cas de réintroduction ou de changement d’anti-TNFα [12].

Lupus induit

Le lupus induit par les anti-TNFα est une entité rare, concernant moins d’1 % des malades traités et touchant surtout les femmes après 40 ans [21]. Les mécanismes étiologiques sous-tendant cette maladie restent inconnus. L’apparition d’auto-anticorps pourrait être liée à la libération de matériel intracellulaire lors de l’apoptose des leucocytes, à une hyperactivation des lymphocytes B suite aux infections répétées induites par l’immunosuppression ou à un déséquilibre de la balance T helper Th1/-Th2 [22]. Les symptômes surviennent le plus souvent après plusieurs semaines de traitement.

Le lupus induit par les anti-TNFα est rare

Le développement d’anticorps anti-noyaux est fréquent chez les patients traités par anti-TNFα. Il peut concerner jusqu’à la moitié des malades traités [23, 24]. Dans la plupart des cas, cette auto-immunité biologique demeure totalement asymptomatique au cours du temps et ne nécessite pas de prise en charge particulière.

Le diagnostic de lupus induit repose sur l’association de symptômes qui sont alors à prédominance articulaire et cutanée (érythème photosensible, alopécie, lupus discoïde, etc.) et d’auto-anticorps anti-noyaux et anti-ADN double brin (figure 6). Les atteintes viscérales les plus graves du lupus, que ce soit l’atteinte rénale, cardiaque ou neurologique sont exceptionnelles [21].

Le traitement par anti-TNFα doit être interrompu en cas de forme grave ou invalidante. Les lésions sont réversibles à l’arrêt de l’anti-TNFα [21]. Un traitement par dermocorticoïdes ou corticoïdes systémiques peut être nécessaire à visée symptomatique. Peu de données existent quant à la possibilité de traiter à nouveau ces patients par anti-TNFα. Dans une petite série rétrospective de huit patients, un traitement par un autre anti-TNFα occasionnait une récidive du lupus induit chez deux malades [25].

Autres réactions cutanées immuno-médiées

Quelques cas de sarcoïdose sous anti-TNFα ont été signalés, se manifestant par une asthénie fébrile et des lésions cutanées nodulaires, associées à des adénopathies (figure 7). Le diagnostic différentiel à ne pas méconnaître devant ce type de tableau clinique reste la tuberculose ou l’infection à mycobactérie atypique [26].

Des observations de vascularite ont également été rapportées sous anti-TNFα. Elles se manifestent sous la forme d’un purpura vasculaire, parfois associé à une neuropathie (figure 8). Les lésions sont résolutives à l’arrêt du traitement, qui peut dans certains cas être repris secondairement sans récidive de l’éruption [23]. De rares cas de dermatose neutrophilique de type pustulose amicrobienne des plis ont également été publiés [27].

Cancers cutanés

Le risque global de cancer lié aux anti-TNFα a fait l’objet de nombreux travaux. En ce qui concerne la peau, il faut rappeler en préambule que les MICI ne sont pas associées à un risque carcinologique accru et qu’une exposition antérieure ou actuelle aux thiopurines augmente le risque de cancer cutané non mélanocytaire sans augmenter celui du mélanome [28].

Selon une méta-analyse réalisée à partir des données de 74 essais contrôlés randomisés utilisant des anti-TNFα toutes indications confondues, ces molécules étaient associées à un sur-risque de cancers cutanés non mélanocytaires, avec un risque relatif de 2,02 (intervalle de confiance à 95 % : 1,11-3,95) [29]. Ce sur-risque n’était pas retrouvé dans des études plus larges menées en population. Ainsi, dans une étude américaine de registre portant sur 108 579 patients atteints de MICI, le risque de cancer cutané non mélanocytaire n’était pas augmenté chez les malades exposés aux anti-TNFα (odds ratio : 1,14 ; IC95 % : 0,95-1,36) [30]. À l’inverse, cette étude identifiait un risque plus élevé de mélanome lié aux anti-TNFα, avec un odds ratio à 1,88 (IC95 % : 1,08-3,29) [30].

Avec un recul de plus de 20 ans, il semble donc exister un léger sur-risque de mélanome sous anti-TNFα. Dans l’ensemble, un suivi dermatologique est désormais recommandé pour tous les patients atteints de MICI, a fortiori lorsqu’ils ont reçu un traitement par thiopurines et/ou anti-TNFα [31].

Avec un recul de plus de 20 ans, il semble donc exister un léger sur-risque de mélanome sous anti-TNFα.

Réactions locales et réactions à la perfusion

Les anti-TNFα sous-cutanés que sont l’adalimumab et le golimumab occasionnent une réaction locale au site d’injection chez un patient sur cinq [22]. Ces lésions traumatiques ou d’hypersensibilité se manifestent par un érythème local, parfois prurigineux ou un hématome, pouvant persister quelques jours. Elles nécessitent rarement un arrêt du traitement. C’est pourquoi il est proposé de varier les sites d’injection et de sortir le produit du réfrigérateur au moins 30 minutes avant l’injection. En cas de réaction au point d’injection, l’application de glace ou de corticoïdes topiques sont habituellement très efficaces. Le changement récent de galénique de l’adalimumab a grandement amélioré la tolérance des injections.

L’infliximab peut être à l’origine de réactions d’hypersensibilité immédiate, survenant pendant la perfusion ou dans l’heure qui suit [32]. La présence d’anticorps anti-infliximab est associée à ces manifestations allergiques de type I [33]. Les réactions immédiates minimes, de type urticaire ou prurit sont les plus fréquentes, elles concernent 5 à 20 % des patients selon les séries [22]. Elles disparaissent le plus souvent spontanément lorsque le débit de perfusion est ralenti, ou à l’aide d’une préparation anti-allergique par anti-histaminiques [32]. Les réactions sévères à l’infliximab de type anaphylactique sont heureusement beaucoup plus rares, survenant chez moins de 5 % des patients [33]. Elles sont définies par la présence de signes généraux avec tachycardie, hypotension, angiœdème ou dyspnée voire choc anaphylactique. La perfusion doit alors être immédiatement interrompue et un traitement par anti-histaminiques et corticothérapie intraveineuse administré, associé à des mesures de réanimation en fonction de l’état clinique du patient. Les réactions d’hypersensibilité immédiates sévères constituent une contre-indication définitive à l’infliximab. Il faut souligner qu’un tel risque est particulièrement élevé après une interruption thérapeutique de plus de douze mois [34]. La réaction survient alors classiquement lors de la deuxième perfusion d’infliximab.

Les réactions d’hypersensibilité retardée surviennent dans les 14 jours après la perfusion. Leur présentation est celle d’une maladie sérique, associant une éruption cutanée à un tableau de myalgies, arthralgies et œdème facial. Elles sont plus rares et ne concernent pas plus de 3 % des patients [22]. Elles conduisent habituellement à l’arrêt définitif de l’infliximab en raison de leur intensité et de leur caractère récidivant.

Conclusion

Les effets secondaires dermatologiques des anti-TNFα sont fréquents chez les patients MICI. Il est donc important de connaitre les caractéristiques des infections et des réactions inflammatoires qui peuvent survenir, afin d’établir un diagnostic précoce et une prise en charge optimale auprès d’un dermatologue averti. L’objectif est alors de soulager le patient sans interrompre indûment le traitement anti-TNFα à l’heure où les options thérapeutiques restent encore limitées pour les patients atteints de MICI. Ainsi, la plupart des infections cutanées et des éruptions induites seront contrôlées, voire résolutives avec un traitement adéquat. Les cas les plus sévères doivent être discutés de façon concertée avec les dermatologues et l’arrêt du traitement par anti-TNFα est parfois nécessaire. Dans l’ensemble, un suivi dermatologique annuel est recommandé chez les patients atteints de MICI.

Take home messages

  • Les effets secondaires des anti-TNFα concernent un patient sur cinq.
  • Les infections (bactériennes, zona, réactivation herpétique) sont les manifestations dermatologiques les plus fréquentes.
  • Les anti-TNFα sont associés à un léger sur-risque de mélanome.
  • Les éruptions psoriasiformes répondent au traitement topique dans plus de 65 % des cas sans nécessité d’interruption du traitement.
  • Les éruptions psoriasiformes sont un effet « classe » des anti-TNFα. En cas de lésions sévères ou invalidantes, une autre classe thérapeutique doit être envisagée.

Liens d’intérêts

PR déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. JS est consultant pour Abbvie, Pfizer. DL déclare des liens d’intérêts avec Abbvie, Celgene, Ferring, Janssen, MSD, Novartis, Pfizer, Roche et Takeda.

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