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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Comment expliquer et prendre en charge le ballonnement des malades constipés ? Volume 25, numéro 6, Juin 2018

Illustrations


  • Figure 1

Tableaux

Ballonnement, de quoi parle-t-on ?

Le ballonnement est un symptôme fréquent, sa prévalence est évaluée à 47 % de la population française [1]. Les patients ballonnés déclarent limiter leurs activités du quotidien dans près de 50 % des cas à cause de ce symptôme [2]. Il n’existe pas de consensus sur la définition du ballonnement. On peut le définir comme la sensation subjective d’une distension abdominale ou comme la mesure objective d’une augmentation du diamètre abdominal. Le ballonnement n’est associé à une distension abdominale objective que dans 50 % des cas environ. Ce ballonnement est généralement aggravé par la prise alimentaire puis diminue durant le sommeil. Il est important de bien distinguer le ballonnement abdominal d’autres plaintes confondantes que peuvent présenter les patients :

  • la prise de poids récente responsable d’une pesanteur abdominale ;
  • les flatulences et excès de gaz ;
  • la dyspepsie responsable d’une pesanteur épigastrique, souvent postprandiale ;
  • les borborygmes.

La prévalence des ballonnements est élevée parmi les patients présentant un trouble fonctionnel digestif, particulièrement parmi les patients constipés fonctionnels et ceux avec un syndrome de l’intestin irritable avec constipation (SII-C), respectivement 61 % et 73 %, mais également parmi ceux avec une dyspepsie fonctionnelle ou syndrome de l’intestin irritable (SII) avec diarrhée [2]. Le ballonnement est le premier symptôme dont se plaignent les patients avec SII-C, devant la douleur [3]. La conférence de Rome IV distingue la constipation fonctionnelle du SII-C mais considère qu’il existe une continuité entre la constipation, le ballonnement fonctionnel et le SII-C [4] (tableau 1 et figure 1).

Le ballonnement n’est associé à une distension abdominale objective que dans 50 % des cas environ

Le ballonnement est le premier symptôme dont se plaignent les patients avec syndrome de l’intestin irritable avec constipation, devant la douleur

Quels sont les mécanismes induisant un ballonnement chez le patient constipé ?

Plusieurs mécanismes sont, soit connus, soit suspectés, dans la genèse du ballonnement et la plupart s’intègrent aux mécanismes de la constipation.

Le défaut de vidange intestinal

Le phénomène prédominant dans la création d’une sensation de ballonnement est le ralentissement du transit des gaz dans l’intestin grêle et à minima dans le côlon [5]. Ce ralentissement est lié à un défaut de propulsion et à une résistance augmentée à l’écoulement des gaz. L’effet du ralentissement du transit des gaz est supérieur au volume de gaz retenu dans la création du symptôme.

Il est par ailleurs admis depuis longtemps que les patients avec un SII-C présentent une augmentation du temps de transit fécal du grêle et du côlon.

Le phénomène prédominant dans la création d’une sensation de ballonnement est le ralentissement du transit des gaz dans l’intestin grêle

L’excès de gaz

Des désordres d’absorption de certains aliments peuvent entraîner une dysbiose elle-même responsable d’une augmentation de la fermentation des bactéries et donc de la production de gaz. Les aliments incriminés sont le lactose, le fructose et, d’une manière générale, tous les sucres et alcools fermentables regroupés sous l’appellation FODMAPs (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols)[6]. Ces intolérances digestives sont fréquentes dans le SII. Il y a deux cas particuliers de production excessive de gaz : la maladie cœliaque et la pullulation microbienne (terrain évocateur : POIC, diabète, sclérodermie, antécédents de chirurgie du grêle). Les malades cœliaques et ceux avec une pullulation sont parfois constipés.

Pourtant, d’autres études ne trouvent pas de différence significative dans les volumes des gaz intestinaux chez les patients ballonnés par rapport aux volontaires sains et remettent ainsi en cause la théorie de l’excès de production de gaz dans le ballonnement [7]. On peut retenir que l’augmentation du volume des gaz seule n’explique pas les ballonnements et qu’elle est associée à un défaut de vidange intestinal et à une modification de la nature des gaz.

Des désordres d’absorption de certains aliments peuvent entraîner une dysbiose, elle-même responsable d’une augmentation de la fermentation des bactéries

L’hypersensibilité viscérale

En revanche, les patients avec un SII-C présentent le plus souvent une hyper-sensibilité viscérale pouvant entraîner un ressenti de ballonnements chez des patients ayant en réalité une variation du diamètre abdominal faible ou nulle. Cela a été démontré par une série d’études utilisant un barostat rectal pour évaluer la sensibilité viscérale et un système de pléthysmographie abdominale pour évaluer la distension abdominale [8].

Le dysfonctionnement de la sangle abdominale et/ou du diaphragme

Chez les patients ballonnés, la présence intra-intestinale de gaz entraîne une relaxation réflexe paradoxale des muscles de la sangle abdominale et une contraction du diaphragme responsable d’une modification de la répartition des gaz intra-abdominaux dans une direction antérieure. Les mécanismes sous-jacents à ce réflexe dysfonctionnel ne sont pas connus.

Quand et comment explorer un ballonnement chez un patient constipé ?

Des examens complémentaires explorent spécifiquement certains mécanismes du ballonnement décrits plus haut. Aucun n’est recommandé en première intention. On peut citer des examens pouvant être pertinents au cas par cas :

  • anticorps anti-transglutaminase et/ou biopsies duodénales pour éliminer une maladie cœliaque en cas de perte de poids ou de terrain personnel ou familial dysimmunitaire ;
  • manométrie anorectale avec évaluation de la sensibilité rectale au ballonnet permettant le diagnostic d’hypersensibilité rectale. Les indications de la manométrie anorectale restent celles de la constipation et non du ballonnement.
  • tests respiratoires :
    • au lactose : il permet de confirmer une intolérance au lactose qui est plus souvent responsable de diarrhée que de constipation mais qui s’accompagne volontiers d’un ballonnement et de flatulences excessives, touchant surtout la personne de plus de 50 ans. Il n’est pas indispensable d’avoir cet examen pour proposer un test d’éviction,
    • au glucose : il permet de confirmer une pullulation microbienne. Il est intéressant sur un terrain évocateur d’atteinte du système nerveux entéral ou de la motricité de l’intestin grêle (diabète, sclérodermie, POIC, antécédent de chirurgie du grêle),
    • au fructose : il permet d’évoquer une intolérance aux FODMAPs. C’est l’interrogatoire « diététique » qui peut guider ce test. Il n’est pas indispensable de disposer de cet examen pour proposer un test d’éviction.

Comment traiter le ballonnement d’un patient constipé ?

Peu de traitements ont fait la preuve de leur efficacité et peu de travaux s’intéressent au ballonnement en tant qu’objectif principal. La plupart des travaux concernent des patients avec un SII dont des patients SII-C. Aucune recommandation n’existe. Voici les pistes thérapeutiques principales dans la prise en charge du ballonnement chez un patient constipé.

Peu de traitements ont fait la preuve de leur efficacité et peu de travaux s’intéressent au ballonnement

Diététique

De façon pragmatique malgré le faible niveau de preuve, on propose volontiers une réduction des boissons gazeuses, des fibres et des lipides. De nombreux essais randomisés ont prouvé l’efficacité d’un régime pauvre en FODMAPs sur les ballonnements chez des patients avec un SII [9]. Un essai contrôlé randomisé contre placebo a retrouvé un effet bénéfique de l’extrait de kiwi (Kivia powder®) sur le SII, notamment sur le ballonnement [10].

De nombreux essais randomisés ont prouvé l’efficacité d’un régime pauvre en FODMAPs sur les ballonnements

Laxatifs

Le traitement de la constipation sous-jacente au ballonnement améliore ce dernier [5]. Les laxatifs de lests sont parfois efficaces mais ont régulièrement un effet paradoxal sur le ballonnement. Dans ce cas, il faut soit les utiliser à dose plus faible et progressivement croissante, soit envisager l’utilisation de laxatifs huileux ou irritants.

Antibiotiques/Probiotiques

La rifaximine diminue les ballonnements chez des patients avec un SII non constipé [11]. L’efficacité de la rifaxamine sur le ballonnement spécifiquement chez les patientes avec un SII-C n’est cependant pas prouvée.

De nombreuses études prouvent l’efficacité des probiotiques sur le ballonnement chez des patients avec ou sans SII [11].

L’efficacité des antibiotiques, même en cas de pullulation microbienne, est discutable d’après les données de la littérature.

De nombreuses études prouvent l’efficacité des probiotiques sur le ballonnement chez des patients avec ou sans syndrome de l’intestin irritable

Prokinétiques et autres médicaments à action intestinale

Des essais contrôlés randomisés contre placebo sont disponibles pour la néostigmine (prokinétique), le linacotide (agoniste de la guanylate cyclase), la lubiprostone (activateur sélectif des canaux chlorure) et le tenapanor (inhibiteur de transporteur sodique NHE3) avec des résultats positifs sur les ballonnements chez des patients SII-C.

L’effet des antispasmodiques sur le ballonnement est peu ou mal évalué dans la littérature. L’huile essentielle de menthe poivrée est le seul antispasmodique qui a prouvé son efficacité sur l’amélioration globale des symptômes digestifs dans le SII, dans une méta-analyse [12].

L’huile essentielle de menthe poivrée est le seul antispasmodique qui a prouvé son efficacité sur l’amélioration globale des symptômes digestifs dans le syndrome de l’intestin irritable

Techniques physiques et rééducatives

Les massages abdominaux n’ont pas prouvé leur efficacité dans la prise en charge du ballonnement. Des techniques de biofeedback abdominales ont montré un bénéfice dans le ballonnement, contre placebo, dans une étude récente [13].

Antidépresseurs

Il est connu que les antidépresseurs ont une action sur l’hyper-sensibilité viscérale. Pourtant, même si des études ont montrés leurs bénéfices dans la prise en charge du SII, ce bénéfice ne semble pas concerner le ballonnement. Il reste cependant peut-être une place pour ces traitements pour les patients avec un ballonnement sans augmentation du diamètre abdominal chez qui l’on suspecte une participation importante de l’hyper-sensibilité viscérale dans la genèse des symptômes.

Thérapies « alternatives »

Une étude de la Cochrane émet des conclusions prudentes, du fait du niveau scientifique faible des études, en faveur de l’hypnothérapie dans le SII [14]. Il existe également des pistes thérapeutiques dans la micro-physiothérapie.

Une étude de la Cochrane Library émet des conclusions prudentes, du fait du niveau scientifique faible des études, en faveur de l’hypnothérapie dans le syndrome de l’intestin irritable

Conclusion

Le ballonnement des patients constipés présente un retentissement important sur la qualité de vie de ces patients, d’autant plus que les modalités de prise en charge sont peu nombreuses, peu connues et peu efficaces. Cependant, des avancés importantes en physiopathologie ont eu lieu ces dernières années et nous pouvons espérer que la thérapeutique va suivre cette dynamique.

Take home messages

  • Le ballonnement des patients constipés présente un retentissement important sur la qualité de vie.
  • Les connaissances physiopathologiques progressent mais les traitements disponibles sont peu nombreux et peu efficaces.
  • Le régime pauvre en FODMAPs améliore les ballonnements.
  • Les probiotiques et certains prokinétiques sont les armes thérapeutiques actuellement envisageables.
  • Les laxatifs peuvent aider en traitant la constipation mais doivent être utilisés prudemment du fait du risque d’aggravation des ballonnements.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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