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Rétrospective de la prise en charge des lymphomes T : 10 ans de recul Volume 26, supplément 6, Décembre 2020

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Les lymphomes T périphériques (LTP) représentent 10 à 15 % de l’ensemble des lymphomes non hodgkiniens (LNH) en Europe. Ils représentent un groupe de maladies hétérogènes dont le diagnostic, parfois difficile, nécessite le recours à un pathologiste expérimenté. Le traitement habituel de première ligne est, par défaut, l’association cyclophosphamide, doxorubicine, vincristine et prednisone (CHOP). Il n’y a aucun traitement standard et consensuel pour les patients qui rechutent, et le pronostic est particulièrement sombre, avec une médiane de survie inférieure à un an en général. Les récents progrès de l’anatomopathologie et de la biologie moléculaire avec l’identification de nouvelles entités et cibles thérapeutiques, ainsi que l’apport de nouvelles thérapies ciblées, laissent entrevoir une possible amélioration du pronostic de ces patients.

(Compte tenu de leur prise en charge spécifique, les lymphomes T cutanés ne seront pas abordés dans cette revue.)

Apports de l’anatomopathologie et de la biologie moléculaire

L’anatomopathologie

Le réseau français Lymphopath, constitué par un groupe d’experts pathologistes, ont relu 42 145 cas de lymphomes entre 2010 et 2013. Le diagnostic histologique a été modifié chez 19,7 % des patients. Les LT représentaient 6,29 % de l’ensemble des lymphomes, les plus fréquents étant les lymphomes angio-immunoblastiques (T-LAI) (36,07 %), les LTP sans autre spécification (LTP-NOS) (26,89 %) et les lymphomes anaplasiques à grandes cellules (LAGC) (16,45 %) [1].

Ces dernières années ont été marquées par la mise à jour de la nouvelle classification des LT, avec notamment la reconnaissance d’une nouvelle entité et une meilleure subdivision de certains types histologiques [2] (tableau 1).

Les lymphomes T anaplasiques à grandes cellules associés aux implants mammaires (i-LAGC) sont reconnus comme une entité à part entière depuis les années 2010. Deux formes histologiques distinctes ont été décrites : l’une de bon pronostic, correspondant à une forme localisée (in situ i-LAGC), l’autre, infiltrative, plus agressive (infiltrative i-LAGC) [3].

Plus récemment, les T-LAI ont été regroupés en une grande famille appelée lymphomes T ganglionnaires dérivés des cellules T folliculaires helper (TFH) incluant les T-LAI, le lymphome T périphérique folliculaire (F-LTP) et les LTP ayant un phénotype TFH (CD10+, Bcl6+, CXCL13+ et CD278/PD1+). Ces lymphomes sont souvent associés à des mutations récurrentes des gènes régulateurs de la méthylation de l’ADN comme TET2, DNMT3A et IDH2[4].

Les lymphomes T épithéliotropes sont maintenant divisés en deux entités :

  • le lymphome T associé aux entéropathies (EATL), survenant sur un terrain d’intolérance au gluten et de maladie cœliaque, de phénotype CD3+, CD4-, CD8- et CD30+ (50 % des cas),
  • le lymphome T intestinal monomorphe épithéliotrope (MEITL) survenant chez des patients plus âgés, sans lien avec la maladie cœliaque, de phénotype CD3+, CD4-, CD8+ et CD30-, plus agressif.

La biologie moléculaire

Outre les mutations épigénétiques décrites plus haut, la caractérisation des réarrangements de DUSP22 et TP63 a permis de subdiviser les LAGC ALK- en deux catégories :

  • les LAGC ALK- avec réarrangement DUSP222 (DUSP22+) de pronostic favorable, comparable aux LAGC ALK+,
  • les LAGC ALK- avec réarrangement TP63 de très mauvais pronostic.

La robustesse de ces marqueurs moléculaires a été validée dans une série prospective et indépendante [5] (figure 1).

Les traitements de première ligne

Par analogie avec les lymphomes B, les traitements à base d’anthracyclines, et en particulier le CHOP, restent le standard de première ligne, aucune combinaison n’ayant démontré sa supériorité par rapport à une autre, y compris des schémas plus intensifs avec une survie globale (SG) à cinq ans à 38,5 % pour l’ensemble des LTP [6].

De manière plus récente et malgré son caractère rétrospectif, une étude poolée de 263 patients avec un LAGC ALK+ a permis de montrer que l’adjonction d’étoposide à la chimiothérapie permet d’améliorer de manière statistiquement significative à la fois la survie sans progression (SSP) (83 versus 62 %, p < 0,001) et la SG (93 versus 74 %, p < 0,001) à cinq ans, avec une réduction de l’incidence cumulée du taux de rechute à cinq ans (17 versus 37 %, p = 0,001) pour les patients recevant de l’étoposide [7].

Enfin, à l’instar des lymphomes B, l’apport de l’immunothérapie a permis d’améliorer de manière significative le pronostic des LT. Dans une étude de phase III portant sur 452 patients, randomisée et en double aveugle, le brentuximab vedotin (BV) (anticorps monoclonal anti-CD30 conjugué à la monométhyl auristatine E, poison du fuseau), en association au CHP (CHOP sans vincristine), a permis de montrer, versus CHOP, un allongement de la médiane de SSP (48,2 versus 20,8 mois, p = 0,01) et de la SG (p = 0,02, figure 2) [8]. Même si la majorité des patients inclus dans cet essai avaient un LAGC (70 %), il s’agit du premier essai prospectif et randomisé montrant la supériorité d’une immunochimiothérapie sur le CHOP.

Les traitements de la rechute

Plus encore que pour la première ligne, le traitement des patients en rechute ou réfractaire ne fait l’objet d’aucun consensus. Le pronostic est mauvais, avec une survie ne dépassant pas six mois dans la plupart des cas. La multitude des drogues testées et des essais de phase II prouve l’absence de traitement réellement efficace. Dans une analyse de données collectées prospectivement (International T-Cell Project) sur 1 020 patients avec un LTP au diagnostic, 633 étaient en situation de rechute (197) ou réfractaires (436). La médiane de survie de ces patients était de 5,8 mois [9].

Les inhibiteurs des histones désacétylases

  • La romidepsine, inhibiteur d’histones désacétylases (HDACi), a été testée en monothérapie dans un essai de phase II dont l’objectif principal était le taux de réponse complète (RC) ou RC non confirmée (RCu). Sur les 131 patients inclus, le taux de RC/RCu était de 15 % avec une durée médiane de réponse de 17 mois et une médiane de SSP de quatre mois (18 mois pour les patients en RC/RCu) [10]. Le faible taux de réponse associé à une toxicité non négligeable limitent son utilisation.
  • Le bélinostat, autre HDACi, a été évalué dans une étude pivotale de phase II (étude BELIEF) en monothérapie. Sur les 120 patients évaluables, le taux de réponse globale rapporté est de 25,8 % dont 10,8 % de RC avec une SSP et une SG estimées respectivement à 1,6 et 7,9 mois [11].

Ces deux molécules sont disponibles en ATU en France.

Les inhibiteurs d’Aurora kinase (Alisertib)

L’alisertib en monothérapie par voie orale a été évalué dans une étude de phase III prospective et randomisée versus un comparateur au choix de l’investigateur (pralatrexate, gemcitabine ou romidepsine). Là encore, les résultats sont décevants avec l’absence de supériorité de l’alisertib, conduisant à l’arrêt prématuré de l’essai [12].

Les antifoliniques (pralatrexate)

Le pralatrextate a été évalué en monothérapie dans un essai de phase II (étude PROPEL). Là encore, les résultats sont superposables à ceux rapportés plus haut avec un taux de réponse globale de 29 % (dont 11 % de RC) et une SSP et une SG de 3,5 et 14,5 mois respectivement [13].

  • La bendamustine, assez largement utilisée dans les lymphomes B, a également été testée sur 60 patients en rechute, dans un essai de phase II (essai BENTLY). Le taux de réponse globale rapporté (objectif principal) était de 50 % (dont 28 % de RC) avec une durée de réponse de 3,5 mois et une SSP médiane de 3,6 mois [14].
  • Enfin, les meilleurs résultats ont été rapportés avec le BV en monothérapie, dans une étude pivotale de phase II dans laquelle 58 patients (LAGC) ont été traités avec un taux de réponse globale de 86 % dont 57 % de RC. Après un suivi médian de près de six ans, la SSP et la SG à cinq ans étaient de 57 % de 79 % respectivement, avec une durée médiane de réponse non atteinte [15].

Place de la greffe

La place de la greffe a été et reste toujours très débattue dans la stratégie de prise en charge des lymphomes T.

L’autogreffe

L’étude nordique prospective de phase II est probablement celle qui présente le plus long suivi de patients ayant bénéficié d’une autogreffe en première ligne [16]. Sur 160 patients avec un LTP confirmé histologiquement, 115 (72 %) ont pu recevoir l’autogreffe et 90 d’entre eux (78 %) sont en RC/Rcu à trois mois. Avec un suivi médian de 60,5 mois (26,4-96,3), la SSP et la SG à cinq ans (en intention de traitement [ITT]) sont de 44 et 51 %, respectivement. On peut donc considérer ces résultats comme encourageants dans la mesure où seulement 7 % des patients rechutent au-delà de deux ans.

Le rôle de l’autogreffe a également été évalué sur une cohorte prospective de patients avec un LTP. Sur 213 patients en première RC, 83 n’ont pas reçu d’autogreffe et 36 ont été greffés. Avec un suivi médian de 2,8 ans, la SG est significativement supérieure sans le groupe autogreffe où la médiane de survie n’est pas atteinte alors qu’elle est de 57,6 mois dans le groupe sans autogreffe [17].

Ces résultats sont à mettre en balance avec une étude multicentrique et rétrospective du Lysa dans laquelle 269 patients en RC/RP après traitement d’induction ont été analysés (ITT) selon qu’ils avaient reçu (n = 134) ou non (n = 135) une autogreffe. Afin de minimiser les biais de sélection, un score de propension a été appliqué. Avec un suivi médian de 4,8 ans, les auteurs ne montrent aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes (HR = 1,02 [IC95% : 0,69-1,5] pour la SSP et 1,8 [IC95% : 0,68-1,69] pour la SG) [18].

Aucune de ces études n’est cependant randomisée et les deux dernières études sont difficilement comparables puisque l’une est prospective alors que l’autre est rétrospective d’une part et les critères de réponse utilisés sont différents (Cheson 2007 pour Park et al, Cheson 1999 pour Fossard et al) d’autre part. Il n’en demeure pas moins que sans étude randomisée et prospective, il est difficile de conclure de manière définitive, l’autogreffe pouvant avoir sa place chez les patients avec un PTCL-NOS ou TLAI et un score pronostique nternational (IPI) élevé ?

Après rechute, le pronostic est mauvais avec une survie médiane de 5,8 mois et une SG à trois ans de 23 %. Quand elle est possible, l’autogreffe des patients répondeurs (RC/RP) au traitement de rattrapage donne les meilleurs résultats avec une SG à trois ans de 48 % [9]. Ces résultats sont comparables à ceux d’une étude canadienne de phase III, prospective, dans laquelle la SG à deux ans des patients autogreffés est de 42 % [19].

L’allogreffe

La place de l’allogreffe reste encore difficile à préciser dans la stratégie thérapeutique des lymphomes T. Dans la majorité de cas, elle est réservée aux patients chimioréfractaires ou en cas de rechute après autogreffe. La difficulté d’interprétation des résultats tient au caractère rétrospectif de ces études et aux nombreux biais qu’elles peuvent comporter (différents sous-types histologiques, conditionnements hétérogènes, statut de la maladie au moment de la greffe, etc.). Une étude à partir du registre de la Société française de greffe de moelle et thérapie cellulaire (SFGM-TC) a évalué le devenir des patients allogreffés pour un lymphome T périphérique. Sur les 284 patients analysés, 28, 36 et 35 % étaient greffés respectivement en première ligne, en deuxième ou à partir de la troisième. Soixante-deux pour cent des patients étaient en RC au moment de la greffe. Avec un suivi médian de 33 mois, la SG à deux ans était de 64 %. La toxicité liée à la greffe et l’incidence cumulée de rechute à deux ans étaient de 24 et 22 %, respectivement. La plupart des rechutes surviennent dans les trois premiers mois de la greffe [20].

Une étude monocentrique et rétrospective a rapporté les résultats de 29 patients allogreffés en première ligne [21]. Dix-sept patients étaient en RC au moment de la greffe. Avec un suivi médian de 2,5 ans, la SSP et SG à deux ans étaient de 65 et 72 % respectivement avec une faible mortalité liée au traitement (8 % à un an).

Deux études prospectives évaluant la place de l’allogreffe en première ligne ont été rapportées jusque-là : la première évaluant 23 patients allogreffés (dont 20 en RC avant greffe), montre de bons résultats après un suivi médian de 44 mois, la persistance d’une RC chez 16 patients (69,5 %) avec une SSP et une SG à quatre ans de 44 et 49 % respectivement. Quatre patients sont décédés de progression et trois de toxicité. Il n’a pas été montré de différence de survie entre les patients autogreffés ou allogreffés [22].

Une étude franco-germanique (étude AATT) beaucoup plus récente a randomisé 103 patients entre autogreffe ou allogreffe en première consolidation, l’objectif étant de montrer la supériorité de l’allogreffe en termes de survie sans évènement (SSE) à trois ans. Un total de 103 patients a été inclus parmi lesquels 26 ont reçu une allogreffe et 41 une autogreffe. Avec un suivi médian de 42 mois, la SSE à trois ans est de 61 % dans le bras autogreffe et 65 % dans le bras allogreffe, avec une toxicité non négligeable de l’allogreffe (huit décès dans le bras allogreffe versus un dans le bras autogreffe) [23]. Ces résultats ont conduit à l’arrêt prématuré de l’essai.

Globalement, l’ensemble de ces études montrent que :

  • l’allogreffe permet un bon contrôle de la maladie avec peu de rechutes et une survie sans maladie à quatre ans de l’ordre de 50 % mais au prix d’une toxicité non négligeable,
  • environ 30 % des malades ne peuvent pas recevoir la greffe pour rechute précoce ou maladie réfractaire,
  • les meilleurs résultats sont observés chez les patients répondeurs au traitement de rattrapage.

Pour toutes ces raisons, l’allogreffe doit être réservée aux patients en rechute et répondeurs à un traitement de rattrapage.

Le tableau 2 reprend quelques-unes de ces études.

Perspectives

L’un des enjeux du traitement des LTP est le taux d’échec primaire (rechutes précoces ou maladies réfractaires) qui concerne environ 30 % des patients. Des progrès ont été faits pour l’identification de cibles thérapeutiques qui pourraient permettre d’utiliser des drogues (seules ou en combinaison à la chimiothérapie comme cela a été le cas avec le BV en association au CHOP [8]).

  • La romidepsine en monothérapie a été discutée plus haut. Un essai prospectif de phase Ib/II a permis de montrer que l’association au CHOP était possible et les résultats d’un essai prospectif de phase III du Lysa sont attendus.
  • Le lénalidomide en association au CHOP a été testé en première ligne dans un essai de phase II chez 80 patients > 59 ans ayant un lymphome T de type LAI (étude REVAIL). Sur les 79 patients évaluables, avec un suivi médian de 31,5 mois, les taux de SSP et de SG à deux ans sont de 42 et 60 % respectivement, comparables aux résultats observés avec la chimiothérapie seule [24].
  • Enfin, l’azacitidine semble donner des résultats prometteurs dans les LT de type LAI avec des taux de réponse globale de 75 % et de RC de 50 % dans une série rétrospective [25]. Un essai prospectif de phase III est en cours pour les patients en rechute (protocole ORACLE).

L’enjeu majeur de la prise en charge des LTP est représenté par l’obtention d’une réponse de bonne qualité et d’un contrôle durable de la maladie. Le débat entre autogreffe et allogreffe en première ligne n’est plus d’actualité même si l’autogreffe peut être proposée à des patients graves et répondeurs à la chimiothérapie de première ligne ou lors de la rechute, chez des patients chimiosensibles à la chimiothérapie de rattrapage pour lesquels l’allogreffe n’est pas possible. Reste la nécessité d’améliorer les résultats par une meilleure approche théranostique des lymphomes T et par l’introduction de nouvelles molécules comme le BV.

À ce titre, l’inclusion des patients dans des essais thérapeutiques prospectifs est primordiale.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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