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Maladie résiduelle dans la leucémie aiguë lymphoblastique de l’adulte : aspects cliniques Volume 26, supplément 1, Avril 2020

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Tableaux

La maladie résiduelle (MRD, pour minimal residual disease) s’est imposée depuis plus de 10 ans comme un outil majeur de la prise en charge des leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) de l’adulte, à l’instar du modèle pédiatrique, plus ancien.

Quelques cas cliniques vont illustrer certaines des situations où le thérapeute s’appuie aujourd’hui sur cette donnée.

Cas n̊ 1 Leucémie aiguë lymphoblastique T traitée par chimiothérapie

Homme de 25 ans, sans antécédents, présentant une LAL T non tumorale, non hyperleucocytaire, sans atteinte du système nerveux central (SNC). Phénotype LAL T-III selon la classification du Groupe d’étude immunologique des leucémies (EGIL-GEIL) ou LAL-T corticale pour l’European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC). Oncogénétique : délétion 7p n’impliquant pas le gène TRG dans 8/21 mitoses, absence de réarrangement des gènes TLX3 et TLX1, absence de réarrangement BCR-ABL, absence d’épisome NUP214-ABL, absence de mutation des gènes RAS et PTEN, absence de mutation des gènes NOTCH et FBXW7 constituant un facteur de haut risque dans le cadre du protocole GRAALL-2014. Cortico- et chimiosensibilité précoces, rémission complète à l’issue de l’induction puis après la première consolidation, avec MRD étude des réarrangements des gènes des immunoglobulines/récepteur des cellules T et cytométrie en flux (CMF) < 10-4. Inclusion dans l’essai ATRIALL sur les critères oncogénétiques, pour consolidation renforcée incluant la nélarabine. Rémission complète cytologique et moléculaire maintenue à 34 mois du diagnostic et trois mois de l’arrêt du traitement d’entretien.

La détection de la MRD chez l’adulte et la mise en évidence de son impact pronostique datent du début des années 1990. En 2006, une étude du GMALL étudie de manière prospective une série homogène de 196 adultes classés de risque standard afin de rechercher les facteurs de risque de rechute non identifiés par les critères clinicobiologiques conventionnels [1]. Cette étude va prouver la faisabilité du suivi MRD dans un essai multicentrique, et mettre en évidence son impact pronostique. Par la suite, différentes études confirmeront ces données, en soulignant que les techniques, dates et seuils pertinents de détection doivent être validés protocole par protocole.

Quelle est la fréquence des cas à maladie résiduelle positive ?

Au sein du groupe GRAALL, la MRD analysée par polymerase chain reaction (PCR) portant sur les réarrangements Ig/TCR a été analysée chez 423 des 860 patients de 18 à 59 ans en rémission cytologique (RC) dans le cadre des protocoles très voisins GRAALL-2003 et GRAALL-2005 [2-4]. La MRD1 mesurée six semaines après le début de l’induction est < 10-4 chez 62,6 % des patients (indétectable chez 16,3 %), plus souvent dans les LAL T (71 %) que dans les LAL B (57 %). La MRD2 mesurée après la première consolidation, soit 12 semaines après le début de l’induction, est négative chez 90,7 % des patients, et fortement corrélée à la MRD1 : 81 % des patients à MRD2 négative (MRD2-) étaient déjà MRD1-.

Des résultats voisins sont observés dans d’autres protocoles modernes.

Le groupe allemand GMALL a analysé la MRD Ig/TCR au fil du traitement, et observé des taux < 10-4 chez 6 % des sujets à J11 de l’induction, chez 36 % à J26, 70 % en fin d’induction à J71, et 77 % à la 16e semaine après une première consolidation. Les patients classés haut risque sur les critères conventionnels avaient un taux de MRD- inférieur aux patients de risque standard ; les LAL T répondaient plus précocement, pour avoir en fin de consolidation un taux de MRD- identique à celui des LAL B.

Dans le protocole espagnol PETHEMA-ALL-AR-03, 76 % des patients ont une MRD < 10-3 évaluée par CMF en fin d’induction, et 86 % < 10-4 en fin de consolidation précoce [5].

Quel est l’impact pronostique de la maladie résiduelle positive ?

Dans les études du GRAALL, la positivité de la MRD1 est corrélée à une incidence cumulée de rechute à cinq ans de 60 % versus 31 % en cas de MRD < 10-4. Le pronostic des patients MRD1+ mais atteignant une valeur de MRD2 < 10-4 est proche de celui des patients ne l’atteignant pas. En analyse multivariée, la MRD1 et l’oncogénétique (IKZF1 et MLL pour les LAL-B, et un classifier à quatre gènes NOTCH1/FBXW7/PTEN/RAS pour les LAL T) apparaissent comme les seuls facteurs gardant un impact pronostique [2]. La MRD permet donc de s’affranchir de la plupart des critères de risque classiques (hyperleucocytose, atteinte neurologique, cytogénétique, réponse cytologique précoce) pour définir des groupes de risque non strictement superposables aux groupes précédemment identifiés, de manière plus discriminante quant au devenir à long terme.

Dans l’essai du PETHEMA, la MRD est le seul facteur pronostique en analyse multivariée, y compris si l’on considère uniquement les patients classés comme de haut risque selon les autres critères.

Dans l’étude du GMALL, la positivité de la MRD à la 16e semaine est aussi le facteur de risque le plus puissant, avec un taux de rémission continue à cinq ans de 74 % versus 35 % pour les patients MRD-versus MRD+. Cette observation est faite chez les patients classés de risque standard comme chez ceux de haut risque. La MRD est aussi le seul facteur prédictif de survie globale [6].

Une revue de la littérature internationale a montré que la durée de réponse et la survie sans rechute étaient corrélées à la MRD, mais que l’impact sur la survie globale n’étant pas significatif (tableau 1) [7].

Quel est le rôle prédictif de la maladie résiduelle vis-à-vis de la stratégie thérapeutique ?

Au-delà de son impact pronostique, la MRD joue aujourd’hui un rôle déterminant : identifier les seuls patients susceptibles de bénéficier de la greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) allogéniques. Dans les protocoles GRAALL-2003 et 2005, l’indication de greffe était portée sur des critères de risque conventionnels, la MRD n’étant pas décisionnelle. La moitié de ces patients, qui devaient être âgés de ≤ 55 ans et disposer d’un donneur apparenté ou non apparenté avec compatibilité HLA 10/10, a effectivement reçu la greffe. La survie sans rechute et la survie globale sont identiques dans les deux cohortes de patients greffés et non-greffés. Ceci est vrai pour les patients ayant une MRD1 < 10-3. Le devenir de ces patients étant favorable avec ou sans greffe, cette thérapie, grevée d’une importante morbimortalité, peut leur être épargnée. A contrario, les patients ayant une MRD1 élevée bénéficient de la greffe, rejoignant le pronostic des bons répondeurs alors que les mauvais répondeurs non greffés restent nettement en deçà (figure 1) [8]. L’impact de la greffe est statistiquement significatif pour les LAL-B, un peu en deçà de la significativité pour les LAL-T. L’impact de la greffe a également été montré pour une MRD2 > 10-4. C’est la raison pour laquelle, dans le protocole GRAALL-2014, la MRD est le seul critère de greffe, des valeurs de MRD1 > 10-3 et/ou de MRD2 > 10-4 définissant un groupe dit « de très haut risque », seul candidat à la greffe.

D’autres essais ont utilisé la MRD pour stratifier les indications de greffe, et montré que les patients bons répondeurs MRD et non greffés avaient un pronostic favorable : 72 % de survie sans maladie à cinq ans pour le groupe d’Italie du Nord [9], 55 % pour le groupe espagnol, suggérant que la greffe n’est pas nécessaire chez ces patients. Les conclusions du GMALL concernant les patients mauvais répondeurs MRD sont identiques à celles du GRAALL. Ces patients ont un taux de rémission complète continue à cinq ans de 74 % après greffe versus 15 % en l’absence de greffe.

La revue des études européennes précédemment citée montre que les patients greffés pour MRD persistante ont un gain en durée de réponse et survie sans rechute par rapport aux non-greffés, même si celui-ci n’est pas significatif en survie globale [7].

En résumé, dans les LAL-B Ph-négatives et LAL-T, la MRD précoce (entre dix et 16 semaines après le début de l’induction) est négative chez une grande majorité des patients, restreignant les indications de greffe par rapport à l’attitude ancienne basée sur des facteurs clinicobiologiques plus conventionnels. Le mauvais pronostic lié à une réponse MRD insuffisante est gommé par la greffe, qui, à l’inverse, n’apporte pas de bénéfice chez les bons répondeurs. L’objectif des essais cliniques actuels est d’amener davantage de patients à la disparition de la MRD, sur des critères quantitatifs encore plus exigeants de stricte indétectabilité, en incorporant de nouveaux agents au traitement, notamment immunothérapiques.

Cas n̊ 2 Leucémie aiguë lymphoblastique B Philadelphie-négative en rechute traitée par immunothérapie

Femme de 52 ans, sans antécédents, présentant une LAL non tumorale, non hyperleucocytaire, sans atteinte du système nerveux central. Aspect cytologique polymorphe avec prédominance de blastes d’allure lymphoïde, quelques blastes granuleux. Immunophénotype identifiant trois sous-populations :

  • une population biphénotypique CD19+CD34+MPO+IgM-CD10+= 22 % des CD19+,
  • une population CD19+CD34+MPO-IgM-CD10+= 53 % des CD19+,
  • une population CD19+CD34-MPO-IgM+CD10+= 25 % des CD19+.

Oncogénétique : caryotype présentant un clone minoritaire à 36 chromosomes et un clone majoritaire à 62 chromosomes correspondant à la duplication du clone hypodiploïde. Les profils de gains/pertes chromosomiques des deux clones correspondent à l’entité near-triploïdie/duplication d’hypodiploïdie 30-39 chromosomes, habituellement observée dans des LAL-B. Absence de réarrangement BCR-ABL et MLL. Malgré l’hétérogénéité clonale, diagnostic de LAL-B Ph- retenu sur les données oncogénétiques. Traitement dans le cadre de l’essai GRAALL-05-R par chimiothérapie et rituximab. Corticosensibilité à l’issue de la préphase, chimiorésistance précoce à J8 de l’induction, rémission complète à l’issue de l’induction avec MRD < 10-4 en CMF, positive à 10-3 en Ig/TCR. À mi-consolidation, MRD Ig/TCR détectable mais < 10-4, CMF non contributive. Indication d’allogreffe protocolaire sur le profil cytogénétique. Greffe phéno-identique 10/10 conditionnée par cyclophosphamide-irradiation corporelle totale (CPM-ICT) réalisée à cinq mois du diagnostic, non compliquée. Rechute médullaire à un an de la greffe, sur le clone B identifié en (2), donc CD19+CD20+, de caryotype hypodiploïde avec évolution clonale. Traitement par blinatumomab (Blin) dans le cadre d’un essai de phase III (TOWER) le comparant à une chimiothérapie de rattrapage. Bonne tolérance en dehors d’un épisode de dysarthrie de grade 2 traité par dexaméthasone. Rémission complète à l’issue du premier cycle, avec MRD < 10-4 en Ig/TCR et CMF. Réalisation du deuxième cycle d’induction, suivi de trois cycles de consolidation et d’une phase de maintenance permise par le protocole de cinq cycles supplémentaires. Patiente en vie en rémission, index de performance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 0, à 67 mois de la rechute et 48 mois d’arrêt thérapeutique.

Ce cas illustre l’émergence de nouvelles thérapeutiques de mécanisme immunologique, en particulier dans le domaine des LAL en rechute ou (plus rarement) primoréfractaires à la chimiothérapie (R/R). Les médicaments les plus employés dans les LAL-B sont le blinatumomab (Blin), anticorps bispécifique anti-CD19 et anti-CD3, qui engage les lymphocytes T cytotoxiques vers la lyse des cellules leucémiques, et les cellules T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T), lymphocytes T autologues dotés par ingénierie génétique d’un récepteur chimérique pour l’antigène CD19 des cellules B, et doués de capacités d’expansion et de persistance assurant un effet antileucémique puissant. L’inotuzumab ozogamicine (InO) est une immunotoxine combinant un anticorps anti-CD22 à la calichéamicine, et peut être considéré davantage comme une chimiothérapie vectorisée que comme une immunothérapie.

Quelle est la fréquence des cas à maladie résiduelle positive après immunothérapie par blinatumomab ?

Le Blin a été testé dans les LAL B Ph- R/R dans des études de phase II [10, 11] puis dans une étude de phase III appelée TOWER [12] randomisant ce médicament contre divers schémas de chimiothérapie de rattrapage. Dans ces séries, les taux de rémission complète (RC) ou de rémission complète avec récupération hématologique partielle (RCh) ont respectivement été de 69, 43 et 44 %. Parmi les patients obtenant cette réponse cytologique, 88, 82 et 76 % obtiennent également une négativation de la MRD. Notre observation illustre en outre les difficultés d’interprétation de la MRD dans une maladie où l’hétérogénéité clonale est fréquente, et où l’immunothérapie peut contribuer à la sélection de clones minoritaires non porteurs de l’antigène cible. Dans ce cas clinique, tous les clones identifiés au diagnostic et le clone présent à la rechute étaient bien CD19+.

Quel est l’impact pronostique de la maladie résiduelle après immunothérapie ?

L’intérêt de la MRD au-delà de la première rémission reste débattu, de manière générale, chez l’adulte. Dans le cas particulier du traitement par Blin, du fait d’une durée de réponse relativement brève dans ces séries de patients en phase avancée (31 % de survie sans événement à dix mois dans l’étude TOWER), des interrogations sont apparues sur l’intérêt d’obtenir une négativation de la MRD, la majorité des patients rechutant malgré ce résultat. Cependant, sur l’effectif – certes réduit – d’un essai de phase II [10], il a été mis en évidence une meilleure survie chez les patients obtenant une négativation de la MRD (figure 2) [13]. Sur 36 patients inclus dans cette étude, 25 (69 %) sont répondeurs MRD, dont trois sans avoir les critères médullaires complets de RC. Parmi 10 patients qui seront de longs survivants (≥ 30 mois), tous étaient bons répondeurs MRD, alors qu’aucun des 11 patients non-répondeurs MRD ne sera long survivant. L’expansion de cellules T CD3+ est corrélée à l’obtention d’une bonne réponse MRD et à de meilleures chances de survie prolongée. Dans l’autre essai de phase II [11], la médiane de survie sans rechute est de 6,9 mois pour les MRD-versus 2,3 mois pour les patients gardant une MRD détectable, et la médiane de survie globale de 11,5 versus 6,7 mois. Dans le cas d’administration du Blin chez des patients en RC mais restant MRD+, la négativation de la MRD est également corrélée à un devenir plus favorable (survie sans rechute 23,6 vs 5,7 mois, survie globale 38,9 vs 12,5 mois) [13].

Quel est le rôle prédictif de la maladie résiduelle vis-à-vis de la stratégie thérapeutique après immunothérapie par blinatumomab ?

La question qui va donc se poser est celle de l’opportunité de consolider par allogreffe de CSH une deuxième ou troisième rémission obtenue par Blin. Dans la série décrite ci-dessus, quatre des 10 patients longs survivants n’ont pas été allogreffés. Deux sont en rémission post-Blin prolongée, deux ont rechuté mais ont à nouveau répondu, l’un à la reprise de Blin, l’autre à une chimiothérapie. Ceci suggère que certains patients peuvent bénéficier d’une survie prolongée après une phase avancée de LAL R/R traitée par Blin s’ils sont bons répondeurs MRD, sans être ensuite allogreffés. Cette opportunité est évidemment particulièrement intéressante pour les patients âgés ou inéligibles à la greffe, ainsi que pour les patients ayant reçu Blin pour rechute postallogreffe. Les autres études de Blin en situation de R/R n’apportent pas d’arguments supplémentaires. Dans notre observation, il est à noter une exposition particulièrement prolongée au Blin, comme cela était possible dans l’essai TOWER, mais actuellement non recommandé, au profit de deux à cinq cycles.

La situation est encore plus délicate quand il s’agit de la décision de greffe pour des patients traités par Blin, non plus en phase R/R, mais en situation de première rémission restant MRD+. Une étude de phase II a porté sur les patients en rémission mais avec MRD ≥ 10-4 à l’issue de la première consolidation des protocoles du GMALL [14]. Sur 15 patients avec LAL-Ph-, six n’ont pas été allogreffés après exposition au Blin, dont quatre restent en survie sans rechute ≥ 5 ans. Les courbes de survie sans rechute obtenues par analyse de Kaplan-Meier sur les 15 patients avec ou sans censure à la greffe sont superposables, suggérant que, dès lors qu’un patient restant MRD+ après chimiothérapie devient MRD- après Blin, l’indication de greffe qui aurait été portée au stade de MRD+ n’a plus lieu d’être. L’étude BLAST, qui a également étudié l’impact du Blin sur le devenir des patients MRD+, confirme l’impact pronostique favorable de la négativation de la MRD (survie sans rechute 23,6 versus 5,7 mois pour les patients restant MRD+), et souligne l’existence de quelques longs survivants non allogreffés, sans que l’étude permette de conclusion formelle [15].

Qu’en est-il avec les autres formes d’immunothérapie ?

Sans être exhaustif, on peut citer des exemples illustrant une problématique assez semblable à celle du Blin avec les CAR-T. Ainsi, avec les CAR-T 19-28z du Memorial Sloan Kettering Cancer Center, 67 % des patients en rémission ont une MRD négative [16]. L’impact pronostique de la MRD est clair : neuf patients restant MRD+ ont tous rechuté, versus 16 sur 32 devenus MRD-. Il n’est pas objectivé de différence de survie sans événement ni de survie globale entre les patients secondairement allogreffés ou non parmi ces 32 patients. Dans une autre étude avec un produit différent, 93 % des patients recevant les CAR-T obtiennent une MRD négative en CMF, bien qu’un clone leucémique reste détectable par NGS chez les deux tiers d’entre eux [17]. Ces patients sont au nombre de 40 : 11 reçoivent une allogreffe de consolidation, dont deux (18 %) rechuteront ; 29 n’en reçoivent pas, dont 16 (55 %) rechuteront, avec une médiane de suivi de 12 mois.

En résumé, l’immunothérapie par Blin et CAR-T est associée à des taux très élevés de négativation de la MRD lorsqu’elle est administrée à des patients en R/R ou en rémission MRD+. La réponse MRD a un impact pronostique favorable. La nécessité d’une consolidation par allogreffe de CSH chez les patients bons répondeurs est un sujet de débat, certains ne rechutant pas en l’absence de traitement post-immunothérapie.

Cas n̊ 3 Leucémie aiguë lymphoblastique Philadelphie-positive à maladie résiduelle négative traitée par chimiothérapie et inhibiteur de tyrosine-kinase

Femme de 45 ans, antécédent de dépression sévère, présentant une LAL-B-Ph+ non tumorale, non hyperleucocytaire, sans atteinte du SNC. Caryotype retrouvant la t(9;22) isolée dans 90 % des mitoses, générant un transcrit BCR-ABL1 de type m-BCR e1-a2 à un taux de 30 % et une protéine chimérique p190. Traitement dans le cadre du protocole GRAAPH-2005, bras de chimiothérapie dite « allégée » vincristine-dexaméthasone-imatinib. Rémission complète à l’issue de l’induction, avec transcrit BCR-ABL1 à 0,02% dans la moelle. Consolidation par deux cycles de méthotrexate-aracytine à haute dose et poursuite de l’inhibiteur de tyrosine-kinase (ITK). Transcrit BCR-ABL1 positif non quantifiable à l’issue. Collecte de cellules souches hématopoïétiques (CSP) pour intensification thérapeutique avec autogreffe de CSP conditionnée par CPM-ICT réalisée à cinq mois du diagnostic, selon les termes protocolaires prévoyant par décision de l’investigateur soit une allogreffe quelle que soit la MRD, soit une autogreffe si transcrit BCR-ABL1 < 0,1%. Thérapie allogénique récusée au profit de la chimioradiothérapie intensifiée, attitude correspondant aux options du centre et au statut psychiatrique de la patiente. MRD à six semaines postautogreffe à 0,01 %. À partir du quatrième mois post-autogreffe, transcrit BCR-ABL1 indétectable. Traitement d’entretien par 6-mercapto-purine-méthotrexate-imatinib pendant deux ans puis imatinib seul, arrêté à sept ans du diagnostic en situation prolongée de transcrit indétectable dans le sang et du fait d’évènements indésirables (prise pondérale majeure, asthénie) avec dégradation de la qualité de vie physique et psycho-sociale. Patiente en vie, index de performance OMS 1, en rémission cytologique et moléculaire à neuf ans du diagnostic et deux ans de l’arrêt thérapeutique.

Le contexte d’étude et d’utilisation clinique de la MRD dans la LAL-Ph+ diffère de celui de la LAL-Ph- de l’adulte. Du fait de la rareté de la maladie chez l’enfant, il n’a pas été possible de s’appuyer sur l’expérience pédiatrique. La phase d’induction a concentré les évolutions thérapeutiques : chimiothérapie intensive ou allégée, inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) de première, deuxième ou troisième génération. Avec des schémas de consolidation également hétérogènes, l’évaluation de la MRD a largement varié selon les protocoles, et son impact pronostique a été diversement apprécié, d’autant que sa technique optimale d’évaluation reste débattue. L’allogreffe est par contre restée le paradigme thérapeutique pour tout patient éligible, comme à l’ère pré-ITK, tant celle-ci était alors considérée comme seule à même de guérir certains patients. La MRD comme outil de stratification du risque et des indications de greffe doit donc confirmer son intérêt.

Quelle est la fréquence des cas à maladie résiduelle positive ?

De nombreuses revues générales ont recensé les résultats cliniques obtenus dans la LAL-Ph+. Récemment, l’une d’elles rapporte des taux de réponse moléculaire complète variant de 4 % chez des sujets âgés traités par stéroïdes et imatinib à 78 % chez des patients plus jeunes traités par chimiothérapie intensive et ponatinib [18]. Ces variations de fréquence dépendent du traitement reçu, de la date d’évaluation de la réponse MRD et de la technique utilisée : CMF, détection du transcrit BCR-ABL1 ou étude des réarrangements des gènes Ig/TCR. Dans le protocole GRAAPH-2005, nous avons randomisé deux types d’induction : l’une basée sur une chimiothérapie intensive associée à une courte exposition à l’imatinib, l’autre sur une chimiothérapie allégée avec exposition continue à l’imatinib. Les taux de réponse moléculaire avec transcrit BCR-ABL1 < 0,1% après l’induction et un premier cycle de consolidation, identiques dans les deux bras, sont comparables et élevés (64 versus 66 %) [19].

Une question cruciale pour l’appréciation de la MRD est la cible utilisée. En effet, il existe des discordances entre les suivis BCR-ABL1 et Ig/TCR, le premier marqueur pouvant rester positif alors que le deuxième est négatif. Ceci tient au fait qu’il existe vraisemblablement deux types de LAL-Ph+ représentant chacune la moitié environ des cas : l’une dite « de type LMC » développée aux dépens d’un progéniteur multipotent, l’autre dite « de la lignée B » au sein de laquelle BCR-ABL1 est restreint aux cellules B malignes et ayant un phénotype plus « LAL » que « LMC », avec une leucocytose moins élevée, plus d’anomalies d’IKZF1[20]. C’est dans la première forme que BCR-ABL1 peut rester positif, dans d’autres cellules que le clone leucémique, suggérant d’ailleurs que cette positivité n’appelle pas forcément de nouvelle intervention thérapeutique. Théoriquement, le suivi Ig/TCR pourrait donc être plus approprié à la détection de cellules persistantes appartenant bien au clone leucémique. Il faut noter toutefois que la majorité des études rapportées chez l’adulte ont fait appel à BCR-ABL1.

Quel est l’impact pronostique de la maladie résiduelle positive ?

Là encore, des résultats très hétérogènes sont observés, l’impact favorable d’une bonne réponse MRD apparaissant cependant dans la plupart des analyses (tableau 2) [19, 21-25]. Une revue récente souligne le manque de robustesse de certaines données issues d’études rétrospectives, avec des techniques, des dates et des sites (moelle ou sang) d’évaluation variables [26]. Dans l’essai GRAAPH-2005, la MRD basée sur BCR-ABL1 et évaluée précocement n’apparaît pas comme un facteur pronostique en analyse multivariée. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que la fréquence d’obtention d’une MRD- est corrélée à la leucocytose (facteur pronostique indépendant) et au type de transcrit (moins bonne réponse pour M-BCR-ABL1). Une autre interprétation tient à la date d’analyse, après huit semaines seulement de traitement, suggérant que la persistance de BCR-ABL1 tient à sa cinétique plus lente d’élimination, alors que ces patients sont peut-être déjà négatifs en Ig/TCR.

Quel est le rôle prédictif de la maladie résiduelle vis-à-vis de la stratégie thérapeutique ?

Comme dans la LAL-Ph-, la question essentielle est celle-ci : peut-on épargner la greffe aux patients en rémission et MRD- ? Cette attitude a été validée dans la LAL-Ph+ de l’enfant, et, à l’autre bout du spectre d’âge, a été de facto appliquée aux sujets âgés inéligibles à la greffe. Il existe donc bien de longs survivants qui n’ont pas été allogreffés. L’équipe du MD Anderson Cancer Center a montré, sur un essai d’association hyper-CVAD-imatinib conduit entre 2001 et 2006, que le devenir de ses patients n’était plus amélioré par la greffe depuis l’avènement des ITK [27]. Dans les protocoles du GRAALL, nous avons utilisé l’autogreffe de CSH comme intensification thérapeutique chez des patients avec MRD BCR-ABL1 < 0,1%, avec des résultats qui paraissent voisins de ceux de l’allogreffe, sous réserve d’un nombre restreint de patients.

Toutefois, chez l’adulte jeune, les recommandations internationales préconisent toujours l’allogreffe en première rémission [28]. Dans l’essai GRAAPH-2005, nous aboutissons aux mêmes conclusions que pour les LAL-Ph- : la greffe améliore le pronostic des patients MRD-positifs, mais ne modifie pas celui des patients MRD- (figure 3). Dans le prochain essai GRAAPH-2020, nous proposerons donc une randomisation entre allogreffe et poursuite d’un traitement de consolidation chez les patients MRD-, cette attitude prospective et comparative nous paraissant la seule à même de trancher ce difficile débat. L’intergroupe nord-américain pose le même type de question dans son protocole actuel. D’un autre côté, des études visent à proposer des greffes alternatives moins toxiques, notamment aux sujets âgés. En cas de greffe à conditionnement atténué, l’incidence cumulée de rechute est élevée en cas de MRD prégreffe persistante [29]. Dans tous les cas, un objectif majeur est donc d’amener à la disparition de la MRD un maximum de patients. Nous disposons pour cela d’ITK plus puissants que l’imatinib et administrés de manière prolongée, ainsi que d’agents immunothérapiques tels le Blin.

Quel est l’intérêt de la maladie résiduelle dans la prévention ou la détection des rechutes ?

De manière plus nette que dans la LAL-Ph-, il est possible, dans la LAL-Ph+, d’intervenir sur une MRD persistant, réapparaissant ou augmentant à l’issue du programme thérapeutique prévu. Nous disposons pour cela du switch d’ITK et de procédés d’immunothérapie tels que la réinjection de lymphocytes allogéniques (DLI). Ces opportunités invitent à surveiller la MRD, avec les réserves d’interprétation de BCR-ABL1 détaillées plus haut. Après greffe allogénique, il est recommandé de reprendre un ITK en prophylaxie des rechutes, mais la meilleure modalité préventive (quelle que soit la MRD post-greffe) ou préemptive (à la réapparition du transcrit) n’est pas tranchée [30].

En résumé, dans les LAL-Ph+, les ITK ont permis, en augmentant le nombre et la profondeur des réponses moléculaires, d’améliorer les taux de survie de 20 à 30 % par rapport à l’ère pré-ITK. Les stratégies actuelles visent à apprécier la MRD de manière plus pertinente, à augmenter encore les taux de réponse, et à vérifier si l’allogreffe en première rémission peut être épargnée aux patients MRD-.

Conclusion

En conclusion, il convient de souligner l’apport déjà majeur de la MRD dans les LAL de l’adulte, comme outil de stratégies basées sur le risque et lui adaptant les thérapies disponibles : greffe hier comme aujourd’hui, mais aussi désormais nouveaux agents. Elle est véritablement « entrée dans les mœurs » comme le montre une enquête reflétant les pratiques en Europe [31]. Il apparaît que 73 % des patients en première RC et aussi 63 % des patients en deuxième RC sont soumis à une évaluation de la MRD, le plus souvent par PCR. Le point décisionnel pour l’évaluation du risque et de la décision thérapeutique est principalement celui de fin d’induction, mais une moyenne de cinq tests est réalisée dans les 12 mois suivant cette date.

Peut-être cependant veut-on faire dire à l’évaluation de la MRD plus qu’elle ne le peut… L’impact pronostique, confirmé dans une méta-analyse récente [32], n’est pas « noir ou blanc ». En effet, si une MRD positive précoce dans les LAL-Ph-, plus décalée dans le temps pour les LAL-Ph+, augure d’un risque de rechute élevé, celle-ci n’est pas inéluctable, alors qu’a contrario des patients MRD- pourront rechuter. De ce fait, et également du fait de la diversité des traitements post-rémission et de rattrapage, elle ne peut constituer véritablement à ce jour un marqueur de substitution de la survie. Son suivi à long terme, s’il est demandé dans certains protocoles dans un but cognitif, n’a sans doute pas un intérêt pratique et décisionnel majeur, à l’exception notable des LAL-Ph+.

La MRD dans la LAL a un beau passé, et a inspiré l’application aujourd’hui très large de ce concept à la plupart des autres hémopathies. Elle a aussi certainement un bel avenir. Les analyses et conclusions patiemment et laborieusement accumulées devront-elles être revues à l’ère de nouvelles techniques biologiques et de nouveaux agents thérapeutiques ?

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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