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Lymphome T hépatosplénique de morphologie blastique chez un patient traité par immunosuppresseur Lymphome T hépatosplénique de morphologie blastique chez un patient traité par immunosuppresseur pour une rectocolite ulcérohémorragique Volume 26, numéro 1, Janvier-Février 2020

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Le système immunitaire peut être divisé en deux grandes entités : le système immunitaire inné et le système immunitaire acquis. Le système immunitaire inné correspond à la première ligne de défense. Il est impliqué dans la défense des barrières cutanées et muqueuses, et fait intervenir les lymphocytes NK (pour natural killer) et les lymphocytes T/NK-like. La seconde ligne de défense, le système immunitaire acquis, comprend les interactions antigène/anticorps et implique les lymphocytes B, les lymphocytes T ainsi que les cellules présentatrices d’antigènes [1]. Les lymphocytes Tγδ, dont l’activité exacte reste incertaine, sembleraient agir à l’intersection de ces deux systèmes inné et acquis [2].

Les hémopathies malignes dérivant de l’immunité innée touchent préférentiellement les enfants et les jeunes adultes. Les lymphomes T représentent environ 12 % de tous les lymphomes non hodgkiniens (LNH) [1, 3]. Ce type de lymphome présente une prévalence plus importante en Asie, pour deux raisons :

  • les lymphomes B sont moins fréquents en Asie,
  • les lymphomes T sont souvent associés aux virus T-lymphotrope humain 1 (HTLV1) et d’Epstein-Barr (EBV), tous deux à haute prévalence sur le continent asiatique [1-4].

Les lymphomes T hépatospléniques (HSTCL) sont des lymphomes T extranodaux très rares (1-2 % des lymphomes T périphériques et < 1 % des LNH). Ils sont également très agressifs et touchent préférentiellement les hommes jeunes, avec un âge médian de 35 ans [1-3, 5]. La présentation clinique est peu spécifique et comporte des symptômes B (fièvre, amaigrissement, sueurs nocturnes et fatigue), une splénomégalie, une hépatomégalie, une absence d’adénopathie et une ou plusieurs cytopénies [1, 2, 6]. Certains auteurs suggèrent que les cytopénies procèdent d’un mécanisme de séquestration splénique, quand pour d’autres elles résultent de la présence fréquente d’une dysplasie modérée au sein des trois lignées hématopoïétiques [7, 8]. L’envahissement médullaire est présent chez les deux tiers des patients au moment du diagnostic, ce qui classe d’emblée les patients au stade IV de la classification d’Ann Arbor [1-3, 9].

Plus de 20 % des HSTCL se développent chez des patients présentant un contexte d’immunodépression au long cours (postgreffe par exemple) ou souffrant d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin et traités par thiopurines et/ou anti-facteur de nécrose tumoral alpha (TNFα) [2, 5, 6, 10]. Les HSTCL sont des lymphomes très agressifs, envahissant souvent la moelle osseuse au moment du diagnostic et de mauvais pronostic. Même après une réponse thérapeutique initiale, les rechutes sont fréquentes et la survie moyenne est inférieure à deux ans [1]. Le taux de survie à cinq ans est de 7 % avec une médiane de 16 mois [5, 6].

Cas clinique

Nous rapportons ici le cas d’un homme de 51 ans chez qui une rectocolite ulcérohémorragique (RCUH) a été diagnostiquée 17 ans plus tôt. Ce patient, traité par azathioprine, a présenté plusieurs poussées de la maladie intestinale jusqu’en 2014, moment où la maladie s’est stabilisée.

Une bicytopénie (thrombopénie de grade 2 et neutropénie de grade 4) est mise en évidence lors d’un contrôle de routine, en mai 2018. Ces cytopénies sont, dans un premier temps, mises sur le compte d’une toxicité de l’azathioprine, conduisant à l’arrêt du médicament. Un mois plus tard, le patient se présente dans le service des urgences pour douleurs abdominales et fièvre. Le patient est abattu, dyspnéique et en sueur. Il rapporte une perte de poids de 5-6 kg en six mois. Devant ce tableau peu spécifique mais inquiétant, le patient est hospitalisé pour mise au point. Un bilan par tomodensitométrie (CT-scan) ne permet pas de mettre en évidence la présence de lésions focales au niveau abdominal ; l’échographie montre un aspect normoéchogène et homogène du foie ainsi qu’une splénomégalie à 17 cm.

Devant l’absence d’amélioration des cytopénies malgré l’arrêt de l’azathioprine, une ponction-biopsie médullaire est réalisée. Celle-ci montre un contexte dysplasique des trois lignées hématopoïétiques au sein desquelles on trouve une importante population de cellules d’allure blastique, parfois finement granulaires, hétérogènes en taille, à la chromatine fine laissant apparaître un ou plusieurs nucléoles (figure 1). À l’immunophénotypage, ces cellules sont CD34-, CD3+, CD4-, CD8-, CD5-, CD2+, CD7+, CD56+ (partiel), CD16+ et expriment le récepteur des cellules T γδ (TCRγδ). L’analyse histobiochimique montre la présence d’un abondant infiltrat cellulaire, souvent sinusoïdal, de lymphocytes T EBV négatifs, exprimant la protéine TIA1 et très suspect d’un processus lymphoprolifératif de phénotype T ou de phénotype T/NK (figure 2). La biologie moléculaire met en évidence la présence d’un réarrangement monoclonal de type T.

L’ensemble de ces données oriente le diagnostic vers un lymphome non hodgkinien Tγδ/NK, stade IV.Une tomographie par émission de positrons (PET-scan) confirmera l’atteinte médullaire diffuse ainsi que la présence d’un nodule hypercaptant au niveau splénique et le diagnostic de lymphome T hépatosplénique sera retenu.

Le patient a été traité selon le schéma d’induction de type cytarabine, ifosfamide, étoposide (IVAC) sur cinq jours, avec prévention neuroméningée par injection intrathécale de dépôt de méthylprednisolone et méthotrexate. Le nombre de cycles d’IVAC programmé était de deux et un bilan intermédiaire après les deux cures avait démontré une réponse complète au PET-scan. Après un total de quatre cycles d’IVAC avec une réponse complète, une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques familiale a été réalisée.

Discussion

Les HSTCL sont des hémopathies malignes rares et agressives, de diagnostic difficile et pour lesquels il n’existe actuellement pas de traitement standardisé [5, 11].

Morphologie des lymphomes T hépatospléniques

Le diagnostic d’un HSTCL est particulièrement délicat. D’une part, à l’inverse d’autres lymphomes, le HSTCL a la particularité de ne pas présenter d’adénopathies périphériques à l’examen clinique [1, 3, 6]. D’autre part, morphologiquement, le HSTCL est très pléomorphe [16]. À côté des formes à petits lymphocytes, il a été rapporté des HSTCL se présentant avec des lymphocytes d’allure blastique, au cytoplasme agranulaire et à la chromatine fine laissant apercevoir un seul gros ou plusieurs petits nucléoles comme cela était le cas chez notre patient [2, 9, 10, 12, 13]. Benayoun et Wagner-Ballon rapportent une présentation d’allure métastatique avec des cellules en amas [14]. D’autres auteurs soulignent une association entre un syndrome d’hémophagocytose et les lymphomes T/NK extraganglionnaires. Cependant, dans le cas des HSTCL, seuls 5 % des patients présenteraient cette association [2, 15]. En périphérie, l’essaimage sanguin peut parfois être très discret [10, 11].

Rappelons que dans le cas que nous présentons ici, le médullogramme mettait en évidence une population de cellules lymphomateuses d’allure blastique avec un cytoplasme parfois finement granulaire, dispersées parmi des cellules hématopoïétiques dysplasiques (figure 1). Nous n’avons pas observé d’image d’hémophagocytose pouvant correspondre à ce syndrome, qui n’était d’ailleurs pas soupçonné au vu des résultats biologiques. Dans le sang périphérique, seuls quelques rares lymphocytes réactionnels avaient retenu notre attention.

Histobiochimie des lymphomes T hépatospléniques

Alors que le médullogramme peut parfois prêter à confusion, l’examen anatomopathologique permet de poser le diagnostic en mettant en évidence une infiltration cellulaire de distribution sinusoïdale typique [7]. Ces cellules expriment la protéine cytotoxique TIA1 ainsi que le granzyme M et sont généralement négatives pour l’EBV [1]. L’analyse histobiochimique de la moelle de notre patient montrait une infiltration lymphocytaire significative de cellules de petite taille ou de taille intermédiaire exprimant fortement le CD3 et le CD2. Cette distribution était le plus souvent sinusoïdale. La protéine TIA1, le CD7, le CD56 ainsi que le TCRγδ présentaient également une expression significative. L’hybridation in situ à la recherche de séquences virales de type EBV était négative (figure 2).

Immunophénotypage des lymphomes T hépatospléniques

À l’immunophénotypage, les cellules des HSTCL sont généralement CD3+, CD4-, CD8-, CD2+, CD7+, CD16/56+, TCRγδ+ et CD5-[1, 10-12, 16]. Cependant, certains auteurs rapportent une absence d’expression du CD56, alors que d’autres mentionnent l’expression du CD8 ou une expression du TCRαβ, voir une absence totale d’expression des TCR [1, 2, 7, 10, 11].

Dans le cas que nous présentons, l’immunophénotypage ne montrait pas de population blastique à CD45+ faible ou à CD34+ augmentée mais mettait en évidence une importante population CD3+, CD4-, CD8-, CD2+, CD7+, CD16/56+, TCRγδ+, CD5- (figure 3).

Génétique des lymphomes T hépatospléniques

Dans près de la moitié des HSTCL, la génétique permet de mettre en évidence une anomalie chromosomique récurrente. L’anomalie génétique identifiée dans les HSTCL est un isochromosome 7q et/ou une trisomie 8. Ces anomalies chromosomiques, toutefois non spécifiques des HSTCL, peuvent être observées au diagnostic ou, parfois, lors d’une rechute [2, 5, 10].

Aucune anomalie chromosomique n’a pu être notée chez notre patient au moment du diagnostic.

Pathogenèse des lymphomes T hépatospléniques

Des études sur les mécanismes physiopathologiques des HSTCL ont permis de montrer que ces cellules malignes présentent des mutations au niveau de gènes impliqués dans différentes voies de signalisation cellulaire (oncogène, tyrosine kinase, gène suppresseur de tumeur, trafic vésiculaire, etc.). C’est cette diversité des voies de signalisation pouvant être atteintes qui, en partie, expliquerait la résistance au traitement, les rechutes fréquentes et le pronostic sombre de cette hémopathie [2, 5]. Cependant, la pathogenèse des HSTCL n’est pas encore complètement comprise. Une hypothèse pour expliquer leur physiopathologie serait une surexpression de la voie JAK/STAT ou une mutation au sein de gènes impliqués dans les modifications de la chromatine (par exemple SETD2). Ces mutations mèneraient, dans un premier temps, à la prolifération clonale de lymphocytes Tγδ. Dans un second temps, les transformations de type isochromosome 7q et/ou trisomie 8 conduiraient au tableau clinique complet des HTSCL [2, 8].

Facteurs de risques des lymphomes T hépatospléniques

Les traitements immunosuppresseurs (l’azathioprine, son métabolite la 6-mercaptopurine ou les anti-TNFα) sont connus pour augmenter le risque de développer un LNH [2, 16, 17]. Dans le cas des anti-TNFα, il semble que ce soit une cascade d’événements qui aboutit à la sélection de clones Tγδ présentant un avantage en termes de survie. Cependant, les inhibiteurs du TNFα ne sont pas indispensables au développement d’un HSTCL [2]. Alors que la littérature relate des cas d’HSTCL chez des patients sous immunosuppresseurs pour maladie de Crohn, le cas que nous présentons ici concerne un patient traité par azathioprine depuis plusieurs années pour une rectocolite ulcérohémorragique.

Pronostic et thérapeutique

Les multiples mutations pouvant être impliquées dans les HSTCL contribuent à leur sombre pronostic et à leur résistance reconnue aux anthracyclines. Ainsi, dans le cas qui nous occupe ici, le choix a été fait d’un traitement de première ligne par cytarabine, ifosfamide et étoposide. En cas d’échec, un schéma à base de gemcitabine aurait été envisagé. Cependant, notre patient ayant répondu favorablement au traitement de première ligne, une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques a pu être réalisée. Le choix de l’allogreffe a été dicté par la chimiorésistance connue des HSTCL et par l’effet bénéfique de la réaction du greffon contre le lymphome (GVL) que provoque l’allogreffe sur cette lymphopathie [18]. Cet effet GVL se base sur la capacité du système immunitaire du donneur à reconnaître et à détruire les cellules lymphomateuses du receveur. À l’opposé, l’autogreffe présente non seulement un risque de rechute mais pourrait également fragiliser le patient avant une allogreffe ultérieure. Ainsi, il a été montré que l’allogreffe présente un avantage important en termes de survie par rapport à l’autogreffe [18, 19].

Conclusion

Les patients sous immunosuppresseurs au long court sont des personnes à risque de développer un HSTCL. L’apparition de symptômes B et/ou de cytopénies chez ces patients doit alerter le clinicien et conduire à la réalisation d’une ponction-biopsie de moelle osseuse lors de la mise au point.

Les HSTCL sont des lymphomes rares, de diagnostic délicat et de pronostic sombre. La morphologie des cellules lymphomateuses peut être très variable, allant des petits lymphocytes sans particularité à des cellules de taille intermédiaire et d’allure blastique. À cet égard, les HSTCL se développant parfois dans un contexte dysplasique, le diagnostic différentiel avec un syndrome myélodysplasique avec excès de blastes est parfois difficile. Il est donc important de connaître l’histoire clinique du patient et de tenir compte de l’ensemble des données morphologiques, immunophénotypiques, histobiochimiques, génétiques et cliniques afin de ne pas passer à côté du diagnostic.

Remerciements

Les auteurs adressent un tout grand merci au Pr B. Chatelain (CHU UCL, Namur, Belgique & La Défense, MHKA-HMRA, Bruxelles, Belgique) pour la réalisation des illustrations cytologiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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