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Hématologie

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Effets secondaires dermatologiques et neurologiques des traitements hématologiques (à l’exclusion de l’allogreffe et des cytopénies) Volume 25, numéro 2, Mars-Avril 2019

Les différentes molécules utilisées en hématologie ont chacune un profil de toxicité qui leur est propre. Certains de ces effets secondaires sont bien connus et maîtrisés, mais l’apparition de nouvelles classes dans l’arsenal thérapeutique des hémopathies malignes a entraîné l’émergence de nouvelles toxicités et de nouveaux effets indésirables, encore mal connus pour certains, et dont la gestion représente un enjeu important. Nous passons ici en revue les effets secondaires (à l’exclusion des cytopénies) des traitements utilisés en hématologie (hormis l’allogreffe de moelle osseuse), en nous attardant plus particulièrement sur les effets secondaires dermatologiques et neurologiques. Pour finir nous verrons comment optimiser la balance bénéfice-risque des traitements utilisés en hématologie. Cette thématique a été abordée en cours national de diplôme d’études spécialisées le 27 septembre 2018.

Effets secondaires dermatologiques

La peau est le plus grand organe du corps, et il est très fréquent d’observer des manifestations cutanées au cours de l’évolution d’une hémopathie. Il faut bien distinguer, parmi celles-là, les lésions spécifiques de l’hémopathie et celles qui ne le sont pas. Les lésions spécifiques sont caractérisées par la présence, au sein de la peau, de cellules hématopoïétiques malignes. Les lésions non spécifiques comprennent des lésions dites satellites, des complications infectieuses, des lésions induites par les traitements, et, à mettre à part, la maladie du greffon contre l’hôte (GVH) cutanée.

La très grande majorité des traitements utilisés en hématologie peuvent être à l’origine d’une toxicité cutanée, qu’il s’agisse des traitements spécifiques de la pathologie ou des traitements de support.

Effets secondaires cutanés des chimiothérapies

Les effets secondaires dits « classiques » des agents cytotoxiques comprennent la sécheresse cutanée, les rashs, l’alopécie, etc. Les drogues fréquemment utilisées en hématologie peuvent présenter des toxicités cutanées spécifiques. Certaines sont détaillées dans le tableau 1.

L’hydroxyurée peut induire des lésions ulcéreuses, pour lesquelles, en contexte de syndrome myéloprolifératif, il faudra bien faire la distinction entre toxicité du traitement et lésions secondaires – à une thrombocytémie essentielle, par exemple. Dans ce cas, on peut s’aider du statut de contrôle de la maladie, ou encore faire un test d’arrêt de traitement durant trois mois. L’hydroxyurée peut également induire des lésions de type auto-immun et notamment de type dermatomyosite-like.

Une complication grave : l’extravasation

L’extravasation est l’infiltration accidentelle du produit de chimiothérapie dans les tissus sous-cutanés au site d’injection. L’incidence de ces accidents est sous-estimée, car tous ne sont pas rapportés. Les drogues administrées relèvent de deux catégories principales : les agents irritants et les vésicants. Certaines drogues peuvent avoir les deux propriétés, selon la dose administrée (tableau 2).

Les agents irritants peuvent induire au site d’extravasation une réaction inflammatoire, des paresthésies, des douleurs ou une phlébite, au point de ponction ou sur le trajet veineux. Les conséquences pourront être une sclérose ou une hyperchromie. Il n’y a pas de complication nécrotique.

Les agents vésicants ont un potentiel de complication plus sévère, induisant des décollements cutanés avec possibilité de dommages à long terme en cas d’extravasation, avec notamment une nécrose du site d’extravasation. Les manifestations peuvent initialement sembler peu inquiétantes, et s’aggraver après plusieurs jours voire plusieurs semaines. En l’absence de traitement approprié, les lésions peuvent atteindre les structures sous-jacentes : tendons, nerfs, vaisseaux, etc. Le but est alors de détecter l’extravasation aussi rapidement que possible afin d’intervenir au plus vite. Il est nécessaire de prendre toutes les mesures de prévention, lesquelles reposent en large part sur des équipes infirmières formées et entraînées à reconnaître précocement les signes et symptômes de cette complication. Il importe également de bien repérer les facteurs de risque associés à la fois au produit à administrer et au patient, et d’employer une voie d’abord veineuse adaptée : éviter les veines petites et/ou fragiles, et certaines localisations (telles que le dos de la main, le pli du coude, etc.). Les patients ayant un mauvais capital veineux périphérique doivent avoir une voie veineuse centrale. Les facteurs de risque propres au patient sont l’âge, le diabète, le traitement par corticoïdes, des ponctions veineuses répétées, la présence d’ecchymoses ou un antécédent de curage ganglionnaire axillaire, de lymphœdème, d’accident vasculaire/ponction veineuse accidentelle d’un membre, etc.

En cas d’extravasation, il est impératif d’arrêter immédiatement le traitement et de suréléver le membre ; il faut initialement laisser la voie veineuse en place, car elle pourra être utilisée pour tenter d’aspirer le produit ou pour administrer un éventuel antidote (e.g., dexrazoxane pour extravasation d’anthracyclines). On procède également à une application de froid et à d’éventuelles irrigations/lavages au sérum physiologique, etc. Dans tous les cas d’extravasation de produit vésicant, il est nécessaire de prendre rapidement contact avec un service de chirurgie plastique, afin de ne pas retarder le délai de prise en charge, qui doit être le plus court possible.

Effets secondaires cutanés de la radiothérapie

La radiodermite peut être de survenue aiguë (dans les semaines suivant le début de la radiothérapie) ou tardive (dans les mois ou les années qui suivent) ; elle est dans ce dernier cas peu prévisible.

  • À la phase aiguë, la radiodermite peut se présenter:
    • sous forme sèche (peu sévère) avec érythème et desquamation
    • ou exsudative (sévère) avec desquamation humide et possibles ulcérations, voire hémorragie, pouvant aller jusqu’à une radionécrose aiguë, dont le risque sera potentialisé par un traitement cytotoxique concomitant.
  • À la phase tardive, peut survenir une radiodystrophie associant atrophie, anomalies de pigmentation, télangiectasies, fibrose, etc. Peut également survenir une radionécrose tardive. Il faut également penser au risque de cancers cutanés radio-induits nécessitant une surveillance au long cours.

La peau a très longtemps été considérée comme un organe dose-limitant pour le traitement de radiothérapie. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, grâce aux nouvelles techniques de radiothérapie, mais la peau reste la porte d’entrée des radiations ionisantes et nécessite de ce fait une attention et une prise en charge particulières.

Les effets secondaires de la radiothérapie ne sont pas limités à l’épiderme, et touchent toutes les structures et les annexes. Les glandes sudorales et sébacées peuvent notamment être atteintes, induisant une perte de la sudation et une sécheresse cutanée importante. Certaines zones sont plus sensibles que d’autres, notamment les zones de plis, la peau du cou et les surfaces de flexion des articulations.

Le traitement sera avant tout préventif, avec nécessité d’une bonne hygiène (toilette au savon doux). Il est également bénéfique d’utiliser des crèmes et lotions émollientes. De manière curative, en plus des mesures précédemment citées, il faudra éviter les pansements épais et occlusifs et privilégier les pansements hydrocolloïdes.

Effets secondaires cutanés des immunomodulateurs

Les effets secondaires cutanés des immunomodulateurs (IMID) sont relativement fréquents, notamment avec le lénalidomide [2] : éruptions cutanées morbiliformes ou urticariennes, dermatite acnéiforme, etc. Ces manifestations surviennent, dans la plupart des cas, au cours du premier mois de traitement, et sont rarement sévères.

Le profil de toxicité du lénalidomide ne varie pas selon l’indication de traitement. Les rashs de faible grade de sévérité semblent être la première cause d’arrêt précoce et définitif du traitement chez les patients soignés pour un syndrome myélodysplasique avec délétion 5q dans les études post-autorisation de mise sur le marché [1].

Effets secondaires des thérapies ciblées : inhibiteur de tyrosine kinase anti-BCR-ABL

Les effets secondaires des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) anti-BCR-ABL s’expliquent principalement par leur action inhibitrice sur c-KIT, et semblent de ce fait être plus fréquents avec le nilotinib, le bosutinib et le ponatinib [3]. Ils sont variés : éruptions maculopapuleuses, œdèmes périorbitaires, prurit, xérose, photosensibilité, alopécie, dépigmentation, syndrome main-pied, folliculite, eczéma, etc. (tableaux 3, 4).

Les réactions cutanées à l’imatinib sont dues à l’inhibition du récepteur du facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGFR) et surviennent principalement dans les premières semaines de traitement. Il existe une relation dose-toxicité cutanée, en particulier au-delà de 400 mg/j. Devant une toxicité cutanée limitante, on essayera donc en premier lieu de réduire la dose à 400 mg/j ou moins ; en cas d’impossibilité, ou pourra avoir recours aux dermocorticoïdes ou à une corticothérapie systémique.

Effets secondaires cutanés des inhibiteurs du check-point

Les effets secondaires des inhibiteurs de check-point correspondent à un profil de toxicité particulière, de nature immunologique (irAEs, pour immune-related adverse events). Les anti-PD1/PDL1 et anti-CLA4 semblent avoir le même profil de toxicité, la sévérité des effets indésirables cutanés étant notamment comparable ; leur incidence semble cependant plus élevée avec les anti-CTLA4. Les effets secondaires dermatologiques font partie des toxicités des inhibiteurs du check-point les plus fréquemment observées. Les principales irAEs dermatologiques rencontrés sont :

  • différents types de rash : psoriasis, eczéma, érythème maculopapuleux, lésions folliculaires, éruptions acnéiformes, etc., dont l’incidence est estimée à environ 11 % dans les essais cliniques du pembrolizumab et du nivolumab et à 19 % dans ceux de l’ipilimumab. Le traitement sera à base de corticoïdes par voie topique ou systémique selon la sévérité de l’atteinte,
  • prurit isolé sans rash,
  • vitiligo,
  • possibilité de véritable maladie auto-immune cutanée (pemphigoïde bulleuse, dermatomyosite, etc.) [4].

Effets secondaires des traitements de support

Il ne faut pas oublier que les traitements de support peuvent également être à l’origine de toxicités cutanées :

  • les antibiotiques peuvent être à l’origine de réactions d’hypersensibilité ou d’effets non immunologiques, tels que des érythèmes maculopapuleux aux bêtalactamines, aux sulfamides, aux glycopeptidiques, aux quinolones, etc. ; on peut également rencontrer des purpura vasculaires aux bêtalactamines et aux sulfamides, des érythèmes pigmentés fixes sous cyclines et sulfamides, des toxidermies pustuleuses à l’amoxicilline et à la pristinamycine, des syndromes d’hypersensibilité médicamenteuse (DRESS syndrome) au cotrimoxazole, des syndromes de Stevens-Johnson et de Lyell aux sulfamides et pénicillines, etc.,
  • la corticothérapie peut également avoir des conséquences sur le revêtement cutané,
  • les facteurs de croissance granulocytaires (GCSF) peuvent être à l’origine de syndromes de Sweet induits [5, 6].

Au total, les manifestations cutanées au cours des hémopathies myéloïdes sont extrêmement fréquentes, de sémiologies diverses et mal connues, car se situant à la frontière de deux disciplines. Il faudra être méfiant en période d’aplasie car ces lésions peuvent ne pas se présenter telles que les formes classiques. Il faudra penser à éliminer une cause infectieuse à toute manifestation dermatologique survenant au cours du traitement d’une hémopathie (bactérienne, virale, fongique, etc.). Également pour aider au diagnostic on pourra facilement recourir à la biopsie cutanée.

Effets secondaires neurologiques

La toxicité neurologique des traitements utilisés en hématologie est à l’origine d’une morbidité importante. Il faut, à ce propos, bien distinguer ces effets secondaires des atteintes neurologiques de l’hémopathie. Ces dernières sont fréquentes, par mécanisme infiltratif ou paranéoplasique. Il n’est pas toujours aisé de faire cette distinction. Il faut en outre prendre en compte les traitements agissant sur l’immunité, susceptibles de déclencher des complications infectieuses ou immuno-induites pouvant elles-mêmes mettre en jeux le système nerveux central ou périphérique. De ce fait il faut systématiquement faire appel au neurologue devant tout symptôme ou signe neurologique.

Effets secondaires neurologiques de la radiothérapie

L’un des traitements le plus pourvoyeur de complications neurologiques, parmi ceux employés en hématologie, est la radiothérapie [10].

Les complications encéphaliques de la radiothérapie peuvent être aiguës, précoces (survenant dans les six mois après la fin du traitement) ou tardives (survenant plus de six mois après la fin du traitement).

Les complications aiguës correspondent aux encéphalopathies aiguës, qui touchent jusqu’à 50 % des patients recevant des hautes doses de rayons. Le risque a été réduit par l’utilisation de fractions plus faibles (≤ 3 Gy). Les symptômes sont variés : céphalées, somnolence, fièvre, vomissements et aggravation des déficits neurologiques. Ils s’expliquent par la rupture de la barrière hématoméningée et l’augmentation de l’œdème cérébral. Le traitement repose sur les corticoïdes, afin de minimiser ces modifications. La corticothérapie peut également être utilisée de manière préventive, dans les 48-72 h précédant la radiothérapie.

Les complications précoces sont surtout des syndromes de somnolence (touchant principalement les enfants, mais également les adultes dans les deux premiers mois de traitement), lesquels se manifestent par une asthénie, un sommeil excessif, des nausées et une anorexie, et aboutissent à des perturbations cognitives affectant principalement la mémoire à court terme, avec troubles de l’attention. Généralement, ces syndromes de somnolence et ces perturbations cognitives régressent en un à trois mois, spontanément ou avec un traitement par corticoïdes. La sévérité initiale de cette complication n’est pas prédictive de la survenue de complications ultérieures.

Les deux principales complications tardives sont la radionécrose et la leucoencéphalopathie tardive. La radionécrose affecte principalement la substance blanche. C’est une complication sévère qui, sur le plan neuropathologique, se définit par une nécrose associée à des lésions vasculaires. Sa fréquence a heureusement diminué avec l’amélioration de la sécurité des protocoles de radiothérapie. Certains facteurs de sensibilité individuels rendent cependant la survenue de cette complication imprédictible. Les symptômes sont non spécifiques et peuvent mimer une récidive tumorale : épilepsie, hypertension intracrânienne et déficit neurologique focal. Il est difficile, à l’IRM, de faire la distinction avec une récidive tumorale : on pourra donc s’aider de la tomodensitométrie avec émission de positons (TEP-TDM). Le traitement peut être chirurgical, ce qui permettra également d’avoir la preuve diagnostique histologique. On y associera une corticothérapie. Une alternative peut être l’utilisation d’un anti-facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (anti-VEGF) (bévacizumab) [11, 12].

La plus fréquente et la plus sévère des complications retardées est la leucoencéphalopathie tardive. Elle associe une leucoencéphalopathie périventriculaire, une atrophie cérébrale et une dilatation ventriculaire. Elle est directement liée à la dose de radiation délivrée et au volume irradié. Sa survenue est peu prévisible ; il existe toutefois des facteurs de risque de survenue, qui sont l’âge, la présence de facteurs de risque cardiovasculaires (diabète, hypertension), l’administration de chimiothérapie, concomitamment à la radiothérapie, et la présence d’une masse tumorale (l’irradiation prophylactique n’est pas associée à des complications retardées du fait de doses inférieures, contrairement à la radiothérapie stéréotaxique). Cliniquement, les troubles cognitifs sont au premier plan ; ils sont le plus souvent légers ou modérés ; les formes sévères, de type démence, sont heureusement plus rares. Ils peuvent être associés à des troubles de la marche. L’évolution est imprévisible : généralement les troubles se stabilisent, parfois ils se dégradent lentement pouvant aller jusqu’au développement d’une démence, voire jusqu’au décès. La neuropathologie de ces cas fatals associe des pertes de myéline et axonales et des lésions vasculaires. Il n’existe pas de traitement réellement efficace, hormis certaines indications exceptionnelles de dérivation ventriculaire en cas d’hydrocéphalie associée. Le diagnostic différentiel est celui de la récidive tumorale.

La physiopathologie de ces manifestations encéphaliques postradiques implique les compartiments vasculaires et cellulaires cérébraux [10]. Après rupture de la barrière hémato-encéphalique, il y a pénétration intracérébrale de toxiques qui induisent la destruction progressive des oligodendrocytes et des astrocytes.

En dehors des atteintes parenchymateuses directes, la radiotoxicité peut également affecter le compartiment vasculaire, notamment la carotide interne et les autres vaisseaux intracrâniens. L’athérosclérose sera accélérée, pouvant notamment aboutir à des accidents vasculaires ischémiques.

Les complications neurologiques de la radiothérapie touchent également le compartiment médullaire. La myélopathie postradique peut survenir de manière semi-retardée (entre six semaines et six mois après la fin du traitement) ou retardée (plus de six mois après la fin du traitement).

Dans la forme semi-retardée, on note un signe de Lhermitte (sensations de décharges électriques, dans la moelle et les extrémités, provoquées par la flexion de la nuque) transitoire avec amélioration spontanée. L’IRM est normale et l’évolution est en général favorable en quelques mois.

Dans la forme retardée, la clinique est dominée par un tableau de myélopathie transverse. L’IRM montre un hypersignal médullaire. Cette forme peut être potentialisée par l’association de chimiothérapie. Le traitement repose sur une corticothérapie à hautes doses, qui est d’efficacité variable, avec un pronostic qui reste mauvais. Un cas d’amélioration sous bévacizumab a été rapporté, mais cette amélioration a fait place à une atrophie médullaire avec paraplégie persistante.

De même qu’à l’étage encéphalique, la radionécrose peut également survenir de manière retardée au niveau médullaire, se manifestant le plus fréquemment par un syndrome de Brown-Sequard résultant d’une hémisection de la moelle, caractérisée par un syndrome pyramidal et cordonnal postérieur homolatéral à la lésion, et un syndrome spinothalamique responsable d’un déficit de sensibilité thermoalgique controlatéral à la lésion.

La radioculoplexopathie lombosacrée progressive tardive survient principalement après irradiation pour lymphome, et de manière tardive : jusqu’à plus de trente ans après le traitement de radiothérapie [13]. Elle se présente comme un déficit moteur pur, souvent asymétrique, limité aux membres inférieurs avec aréflexie, et d’évolution insidieuse sur plusieurs années. L’électro-neuro-myogramme montre une dénervation polyradiculaire et des myokymies fréquentes. Il s’y associe fréquemment, à l’imagerie, une ostéoporose en région lombaire.

Il reste cependant difficile de faire la part entre un mécanisme infiltratif et postradique.

La plexopathie postradique est d’évolution lente, sur plusieurs années, accompagnée de paresthésies précoces, de signes sensitifs modérés et de signes moteurs retardés ou progressifs. Un signe de Claude-Bernard-Horner n’est présent que dans moins de 10 % des cas. Les myokymies sont fréquentes. L’imagerie (IRM ou TEP-TDM) montrera des signes de fibrose. Dans les formes néoplasiques, en revanche, l’évolution est rapide (en quelques semaines ou mois) ; il existe des douleurs, de survenue précoce, associées à des signes sensitifs intenses et à des signes moteurs d’emblée importants. Le signe de Claude-Bernard-Horner est fréquemment présent (30 à 50 % des cas) tandis que les myokymies sont absentes. Le bilan neuroradiologique mettra en évidence une masse tumorale.

Effets secondaires neurologiques des chimiothérapies

La chimiothérapie est également pourvoyeuse de complications neurologiques centrales et périphériques.

Au niveau du système nerveux central, les complications sont principalement aiguës et sont variées : céphalées, crises comitiales, syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES) (qui associe encéphalopathie, céphalées, cécité corticale, œdème vasogénique et, souvent, hypertension artérielle [HTA]), méningites aseptiques, myélopathies transverses, ainsi que d’autres complications encéphaliques rares, mais aussi hypotension intracrânienne induite par les chimiothérapies intrathécales répétées pouvant aller jusqu’à des épisodes de coma dont le traitement repose sur le blood-patch.

Les drogues ayant été rapportées comme pouvant être responsables de PRES sont : cisplatine, cytarabine, ciclosporine, cyclophosphamide, gemcitabine, méthotrexate, rituximab, paclitaxel, sorafénib, sunitinib, bévacizumab et bortézomib.

Ces complications sont principalement rencontrées après chimiothérapie à hautes doses avec franchissement de la barrière hémato-encéphalique pour la prise en charge de tumeurs encéphaliques, le principal agent responsable étant le méthotrexate. Ce dernier peut, à hautes doses, induire des troubles cognitifs et des leucoencéphalopathies, surtout lorsqu’il est employé en combinaison.

Les neuropathies affectant le système nerveux périphérique, peuvent, quant à elles, être dues à l’hémopathie, iatrogènes ou associées à l’hémopathie, notamment d’origine virale (zona).

Les neuropathies périphériques dues à l’hémopathie sont les atteintes locorégionales ou métastatiques, les neuropathies paranéoplasiques, les neuropathies métaboliques ou carentielles et les neuropathies terminales. Les neuropathies périphériques iatrogènes regroupent les neuropathies chimio-induites, post-thérapies ciblées, radio-induites et postchirurgicales.

Les neuropathies postchimiothérapies sont fréquentes, survenant chez 30 % des patients. Parmi les facteurs prédisposants figurent l’âge, la dose et la durée de traitement, la consommation d’alcool et le diabète. Les séquelles sont parfois lourdes, avec notamment la possibilité de douleurs invalidantes persistantes. Elles sont axonales et longueur-dépendantes, et débutent par des paresthésies des pieds d’évolution ascendante. Il existe parfois aussi des ganglionopathies avec atteinte concomitante des quatre membres.

Les agents causaux principaux sont les sels de platine (cisplatine, carboplatine et oxaliplatine), les vinca-alcaloïdes (vincristine, vinblastine et vinorelbine), les taxanes (paclitaxel et docétaxel), les épothilones (ixabépalone), les inhibiteurs du protéasome (bortézomib) et les IMID (thalidomide, lénalidomide) [14-16]. Un traitement préventif de ces neuropathies périphériques chimio-induites peut être mis en place, notamment en contexte de traitement par oxaliplatine, par administration de gluconate de calcium et de sulfate de magnésium. En cas de survenue, le traitement est avant tout symptomatique et repose sur le traitement des douleurs neuropathiques.

Il a également été rapporté des cas de neuropathie dysimmunes induites par le bortézomib [17]. Le cas de cinq patients a ainsi été décrit, qui présentaient une neuropathie démyélinisante avec atteinte motrice sévère après traitement par bortézomib. Leur LCR était hyperprotéinorachique et l’IRM montrait une prise de contraste des racines. La symptomatologie s’est corrigée, chez quatre d’entre eux, à l’arrêt du bortézomib et après traitement par immunoglobulines intraveineuses ou corticoïdes.

Effets secondaires neurologiques des inhibiteurs du check-point

L’avènement des inhibiteurs du check-point a entraîné l’apparition d’effets secondaires immuno-induits [18], notamment d’ordre neurologique, avec une grande variété de présentations : méningites inflammatoires, encéphalites, myélites, neuropathies (polyradiculonévrites aiguës ou chroniques), myasthénies, myosites, etc. Leur prise en charge reste encore à codifier, et il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandation claire. Elle repose principalement sur un traitement semblable à celui de la maladie auto-immune (corticothérapie, immunoglobulines intraveineuses, etc.). Un traitement par natalizumab pourrait contrôler l’encéphalite limbique induite par les inhibiteurs du check-point[19].

En conclusion, il existe une grande diversité d’atteintes neurologiques iatrogènes en hématologie, étendue par l’émergence de nouvelles « toxicités », nécessitant une collaboration étroite entre hématologues et neurologues.

Optimisation de la balance bénéfice-risque des agents anticancéreux

Afin de limiter au maximum les différentes toxicités que nous venons d’évoquer, il est indispensable d’optimiser la balance bénéfice-risque des différents agents anticancéreux que nous utilisons. Pour ce faire, l’emploi de méthodes de pharmacologie, notamment pharmacocinétiques, pharmacodynamiques et pharmacogénétiques, est nécessaire.

Il existe une variabilité interindividuelle de la réponse aux médicaments. Certains patients bénéficieront de plus ou moins d’effets thérapeutiques que d’autres, et manifesteront plus ou moins d’effets indésirables, pour un même médicament administré à la même dose. Le but est donc de réduire cette variabilité interindividuelle. Celle-là procède d’un grand nombre de facteurs : environnementaux (alimentation, âge, sexe, interactions médicamenteuses, rythme nycthéméral, zone géographique, etc.), génétiques (différences génétiques concernant les protéines de transport, les enzymes du métabolisme, les cibles des médicaments), épigénétiques et pharmacocinétiques (compétition pour l’absorption, la fixation aux protéines plasmatiques, le métabolisme ou l’élimination). Cette variabilité pharmacocinétique correspond à la variabilité interindividuelle des concentrations sanguines pour une même dose administrée (relation dose-concentration). Les causes de cette variabilité sont :

  • l’âge,
  • la morphologie,
  • le sexe,
  • la pharmacogénétique : polymorphismes des enzymes du métabolisme (cytochrome P450) et des protéines de transport (glycoprotéine P [P-gp], MRP2 [pour multidrug resistance-associated protein 2], OATP [pour organic-anion-transporting polypeptide]), surtout pour les traitements par ITK,
  • l’existence de pathologies sous-jacentes (e.g., insuffisance rénale ou hépatique),
  • les interactions médicamenteuses.

Certains de ces facteurs contribuent aussi à la variabilité intra-individuelle (chez un même patient) au cours du temps, via des modifications pharmacocinétiques (modifications morphologiques, introduction d’un nouveau médicament, inductions enzymatiques, etc.) ou pharmacodynamiques (mutations génétiques acquises au cours de l’hémopathie). Cette variabilité pharmacodynamique correspond à la variabilité de la relation entre la concentration sanguine et la réponse cellulaire (ou clinique). Elle est due à la cible de l’agent anticancéreux, c’est-à-dire à la nature cellulaire ou moléculaire de la tumeur. Peuvent ainsi être impliquées la nature des cellules cancéreuses (origine, marqueurs), les mutations, la vascularisation de la tumeur, etc. Certaines mutations de la tyrosine kinase BCR-ABL (cause oncogénétique) déterminent la réponse aux ITK ; c’est le cas de la mutation T315I. La variabilité pharmacodynamique participe en outre à la variabilité inter- et intra-individuelle.

L’individualisation thérapeutique, ou médecine personnalisée, permet de diminuer la variabilité de la réponse afin d’optimiser la balance bénéfice-risque. Il s’agit de donner au bon patient le bon traitement, chaque médicament étant donné à la bonne dose, au bon moment et pour la bonne durée.

On pourrait donc penser que cibler spécifiquement un sous-type de pathologie par une thérapie ciblée permet de diminuer la variabilité interindividuelle et ainsi d’augmenter l’efficacité du traitement. Ces molécules n’en sont pas rendues inoffensives pour autant, et peuvent induire des effets indésirables. Ainsi, comme vu précédemment, les ITK peuvent produire des éruptions cutanées, des troubles gastro-intestinaux (diarrhées, nausées et vomissements), des effets indésirables hématologiques, des œdèmes, etc. Les anticorps monoclonaux peuvent induire fréquemment des éruptions cutanées, mais également une cardiotoxicité, des neutropénies, des pneumopathies interstitielles, des réactions en cours de perfusion, des troubles gastro-intestinaux, etc.

Afin d’optimiser la balance bénéfice-risque, il est nécessaire de prendre en compte les facteurs de risque du patient (terrain), les pathologies associées et les autres traitements en cours afin de limiter les interactions médicamenteuses.

Il faut également employer une approche pharmacogénétique (e.g., mercaptopurine et thiopurine-S-méthyltransférase [TPMT], 5-fluoro-uracile [5FU] et dihydropyrimidine déhydrogénase [DPD], irinotécan et UDP-glycosyl transférase 1 polypeptide A1 [UGT1A1]) et développer une meilleure connaissance des pathologies avec une approche mécanistique plutôt que syndromique.

Enfin, l’approche basée sur des biomarqueurs permet l’arrêt ou le changement de traitement en fonction de « marqueurs précoces » d’inefficacité.

Il est également nécessaire de choisir la bonne posologie. En effet, le choix de la première dose (par méthode pharmacogénétique ou pharmacocinétique de la population) est nécessaire, notamment en recherchant les patients chez qui la dose usuelle n’est pas suffisante (métaboliseurs rapides) et ceux chez qui, au contraire, elle peut être toxique (métaboliseurs lents).

Détaillons l’exemple de la 6-mercaptopurine (6MP) dans le traitement de la leucémie aiguë lymphoblastique : la 6MP est transformée en 6-thioguanine (6TGN), responsable de l’effet thérapeutique mais aussi de la toxicité. La 6TGN est désactivée par la TPMT. En cas de déficit complet en TPMT, le patient est exposé à une toxicité hématologique fatale, d’où l’importance de rechercher des polymorphismes génétiques et des phénotypes d’activité de la TPMP [20]. La dose du traitement sera donc à ajuster en fonction du génotype. Un autre exemple est le déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), enzyme du métabolisme du 5FU, ou encore les polymorphismes de l’UGT1A1 (impliqués dans le syndrome de Gilbert), enzyme du métabolisme de l’irinotécan, employés principalement en oncologie digestive.

Il faut être également méfiant lors de la prescription de doses adaptées au poids ou à la surface corporelle, lesquelles sont en réalité très faiblement corrélés à l’aire sous la courbe (AUC) [21]. En oncologie solide, principalement, les doses de carboplatine à administrer dépendent de l’estimation de la clairance, estimée grâce à des formules prenant en compte des caractéristiques morphologiques et biologiques des patients.

Outre des techniques d’adaptation posologiques cliniques, il est également possible d’employer des méthodes pharmacocinétiques. Andersson et al. ont montré qu’un conditionnement par fludarabine avec des doses de busulfan guidées pharmacocinétiquement, selon l’exposition systémique par dosages pharmacologiques quotidiens avec une AUC cible de 6 000 μM, obtenait de meilleurs résultats, en termes de survie sans progression, qu’un conditionnement par fludarabine avec doses fixes de busulfan adaptées à la surface corporelle (130 mg/m2) en préallogreffe pour leucémie aiguë myéloblastique ou syndrome myélodysplasique [22].

Un autre concept intéressant est celui de chronopharmacologie. Le principe en est d’adapter l’administration du traitement aux rythmes circadiens par utilisation de pompes programmables ou de formulations galéniques, en vue d’augmenter l’efficacité et la tolérance [23]. Ainsi, il a été proposé d’administrer le 5FU la nuit, car c’est à ce moment que le renouvellement des entérocytes est plus faible et que l’activité de la DPD est augmentée. Un autre exemple est celui de l’administration d’oxaliplatine, de 5FU et de leucovorine en chronothérapie, qui a permis une augmentation de la survie globale de 3,3 mois chez les hommes avec cancer colorectal métastatique [24].

En pratique courante, la majorité des médicaments anticancéreux sont administrés à dose fixe ou normalisée par la surface corporelle ou par le poids, avec le plus souvent une dose identique à chaque cure. Quelle est donc la stratégie optimale : intensité de dose ou exposition systémique ? L’intensité de dose implique une quantité de produit administrée identique à chaque cure, avec un ajustement sur la surface corporelle – parfois injustifié, car il existe de nombreuses autres sources de variabilité que la surface corporelle ou le poids. Un exemple d’exposition systémique est celui, mentionné précédemment, de l’administration de carboplatine. La concentration à l’état stable (Css) ou l’AUC des concentrations du principe actif (ou des métabolites si actifs) permet de compenser toutes les sources de variabilité pharmacocinétique. De nombreuses études montrent une meilleure corrélation entre Css ou AUC et toxicité qu’entre intensité de dose et toxicité [25]. Les relations entre exposition et efficacité ont en revanche été moins documentées, ces relations étant plus difficiles à démontrer.

Les « nouveaux » agents anticancéreux présentent des particularités pour lesquelles l’intérêt du suivi thérapeutique pharmacologique n’est pas évident. Ainsi, son utilité n’est pas démontrée pour les anticorps monoclonaux. Pour les ITK et les inhibiteurs de mTOR, le suivi thérapeutique est potentiellement utile, notamment via la mesure de la Cmin, qui semble corrélée à l’efficacité. Son application sera à réserver à des situations particulières (défaut d’efficacité, toxicité sévère ou inhabituelle, interaction médicamenteuse prévisible avec une autre molécule, doute d’observance du traitement, etc.). [26, 27]

En conclusion, optimiser la balance bénéfice-risque des médicaments anticancéreux peut passer par l’utilisation des thérapies ciblées, le choix du meilleur traitement parmi ceux possibles pour chaque patient, l’utilisation des méthodes d’ajustement de posologies pour maximiser le rapport bénéfice-risque des médicaments choisis, le recours à des biomarqueurs d’efficacité, de toxicité, d’arrêt de traitement, de rechute, etc. Il existe plusieurs procédures validées, qui sont trop rarement utilisées en pratique clinique.

Remerciements

L’autrice et la rédaction remercient Éolia Brissot d’avoir encadré la rédaction de cet article.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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