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Hématologie

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Conduite à tenir devant une monocytose de l’adulte Volume 25, numéro 6, Novembre-Décembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

La constatation d’une monocytose chez un patient hospitalisé ou ambulatoire, fréquente et souvent négligée quand elle est isolée et/ou modérée, est parfois à l’origine de consultations spécialisées en médecine interne. Les monocytoses de l’adulte sont le plus souvent aiguës et réactionnelles. Parfois, elles sont chroniques, réactionnelles ou en rapport avec une anomalie clonale de la cellule-souche hématopoïétique. Le but de cet article est de statuer sur les critères d’investigation d’une monocytose, d’en rappeler les étiologies en se limitant aux monocytoses de l’adulte et d’en déduire un algorithme d’examens à proposer (figure 1).

Données nécessaires à maîtriser avant de s’engager dans un bilan étiologique de monocytose

Une monocytose est habituellement définie par une concentration en monocytes circulants ≥ 1 G/L, ce chiffre n’étant modifié ni par l’âge, ni par le sexe ou l’ethnie. Les automates d’hématologie pouvant étiqueter à tort en monocytes certaines populations lymphoïdes anormales (tricholeucocytes par exemple) la présence d’une monocytose doit être confirmée par la lecture au microscope du frottis sanguin coloré par le May-Grünwald-Giemsa (MGG). En raison de la grande fréquence des patients avec monocytose > 1 G/L, le Groupe francophone d’hématologie cellulaire (GFHC) ne recommande toutefois une observation systématique du frottis sanguin devant une monocytose isolée, que si la concentration monocytaire est > 1,5 G/L. Sur un frottis sanguin coloré au MGG les monocytes normaux, aisément reconnaissables par les biologistes, sont des cellules de taille assez grande, à noyau replié ou convoluté, à chromatine mature, « peignée », sans nucléole et dont le cytoplasme est abondant, gris-bleu avec fréquemment des petites granulations azurophiles et des vacuoles. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les cellules monocytaires immatures, incluant blastes monocytaires et promonocytes, retrouvées habituellement dans certaines leucémies aiguës myéloïdes (LAM), ne doivent pas être classées en monocytes mais en blastes. Si les éléments morphologiquement franchement blastiques sont aisément individualisables en raison de l’immaturité de la chromatine et de l’aspect peu différencié, les promonocytes, définis par une chromatine finement dispersée, un noyau délicatement convoluté, plié, avec un nucléole souvent peu visible et un cytoplasme finement granulaire, sont parfois difficilement distinguables des monocytes « atypiques » qui présentent une chromatine plus dense, un noyau plus replié, indenté, convoluté, sans nucléole et dont le cytoplasme gris contient de plus nombreuses granulations couleur lilas.

De plus, le diagnostic différentiel cytologique entre cellules monocytaires et cellules blastiques observées dans certaines LAM « non monocytaires », notamment les rares variants hypogranulaires de leucémie aiguë promyélocytaire (LAP) avec t(15;17) et réarrangement PML-RARA, n’est pas toujours simple. La différenciation de toutes ces populations cellulaires d’aspect « monocytoïde » par le biologiste est donc parfois difficile, nécessitant un œil aguerri. En cas de difficulté d’assignation d’une population cellulaire à une origine monocytaire, le biologiste peut s’aider de techniques cytochimiques (estérases et myéloperoxydase) et immunophénotypiques permettant de confirmer l’origine monocytaire. Ces difficultés ne sont cependant pas la règle, les investigations complémentaires n’ayant, en pratique, d’intérêt que dans le cadre des LAM, très peu en cas de monocytose mature où la cytologie est, dans la majorité des cas, simple [1-3].

Par ailleurs, en dehors des rares difficultés cytologiques rappelées ci-dessus, il n’est pas possible, sur la seule morphologie, de différencier de façon formelle monocytes réactionnels et monocytes associés à une hémopathie myéloïde chronique [3, 4].

Devant la découverte d’une monocytose il est important d’évaluer les antécédents (pathologies chroniques connues, signes cutanés, prises médicamenteuses, radiothérapie, etc.), de préciser le caractère aigu ou chronique, de rechercher des organomégalies et des anomalies cytologiques associées (myélémie, blastémie, érythrémie, hyperéosinophilie, signes de dysplasie des leucocytes, des hématies ou des plaquettes). Si, à la suite de ces investigations initiales simples, une hémopathie myéloïde aiguë ou chronique reste possible, myélogramme, biopsie ostéo-médullaire, caryotype, phénotype et études moléculaires pourront être proposés au patient.

Pathologies associées à une monocytose

Monocytoses réactionnelles

Les monocytoses non spécifiques sont fréquentes, en rapport avec de très nombreuses situations cliniques incluant les états inflammatoires (collagénoses, polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux aigu disséminé, sarcoïdose, cancers non hématopoïétiques…) ou infectieux (tuberculose, brucellose, syphilis, endocardite, typhoïde, viroses chroniques, leishmaniose, paludisme, trypanosomiase…), les régénérations médullaires (post-agranulocytose, neutropénie sévère, aplasie médullaire ou post-chimiothérapie), les nécroses tissulaires étendues (e.g., infarctus du myocarde), les hépatopathies chroniques, les hémolyses sévères, le stress aigu, les polytraumatismes, l’hémodialyse, la splénectomie, la fin de grossesse et la prescription de certains traitements (corticoïdes, radiothérapie, traitements cytokiniques, etc.) [5-8]. Chez le patient neutropénique, la présence persistante de monocytes est un élément de pronostic favorable quant au risque infectieux, notamment après chimiothérapie.

Les caractéristiques communes aux monocytoses réactionnelles sont leur caractère transitoire (< 3 mois), la présence d’un contexte particulier et d’un syndrome inflammatoire biologique.

Monocytoses associées à une leucémie aiguë myéloïde

Le diagnostic d’une LAM n’est habituellement pas celui d’une monocytose isolée, cette dernière s’inscrivant dans un contexte plus large d’anomalies de l’hémogramme avec ou sans organomégalie. Comme rappelé ci-dessus, la morphologie de certains blastes d’allure promonocytaire n’est pas toujours très différente de celle de monocytes « atypiques ». Toutefois, le caractère évolutif des anomalies, les cytopénies associées souvent nettes, l’hyperleucocytose fréquente rendent le diagnostic habituellement aisé. L’étude médullaire est indispensable, retrouvant plus de 20 % de blastes. Dans les cas où la cytologie plus ou moins nettement blastique est délicate dans le sang périphérique, les blastes peu différenciés aisément reconnaissables, sont généralement prédominants dans la moelle. Dans la classification OMS 2017, en l’absence de mutation sur NPM1 ou CEBPA, ou d’anomalie cytogénétique récurrente affectant KMT2A-MLLT3, CBFB-MYH11 ou DEK-NUP214, retrouvées assez fréquemment dans ce type de LAM, ces dernières sont classées en forme not other specified (NOS) de type monocytaire (LAM5b), monoblastique (LAM5a) ou myélo-monocytaire (LAM4) [1, 6].

Monocytoses associées à une hémopathie myéloïde chronique

Quand la monocytose est chronique, dure depuis plus de 3 mois, que le bilan à la recherche d’une étiologie réactionnelle reste négatif, qu’il n’y a pas de syndrome inflammatoire biologique et qu’une leucémie aiguë n’est pas vraisemblable, une hémopathie myéloïde chronique doit être recherchée. La présence d’une splénomégalie, d’anomalies de la numération globulaire (cytopénies, hyperleucocytose, thrombocytose, polyglobulie) et/ou du frottis sanguin (myélémie, érythrémie, blastémie, hyperéosinophilie, anomalies morphologiques des polynucléaires neutrophiles, des hématies ou des plaquettes) sont des éléments d’orientation importants. Parfois, malgré la présence d’un syndrome inflammatoire biologique, en raison d’associations privilégiées de pathologies, l’association de la monocytose chronique à des contextes particuliers comme les dermatoses neutrophiliques (syndrome de Sweet, pyoderma gangrenosum, etc.), la polychondrite atrophiante... doit faire tout de même rechercher une hémopathie myéloïde chronique.

En présence d’une hyperéosinophilie

Si la concentration plasmatique en polynucléaires éosinophiles est > 1,5 G/L depuis plus de 6 mois, le diagnostic est celui d’une hyperéosinophilie, la monocytose n’étant qu’un épiphénomène pouvant s’intégrer dans le tableau de nombreuses pathologies à l’origine de l’hyperéosinophilie. Par exemple les maladies auto-immunes, certaines vascularites comme le syndrome de Schulmann, la péri-artérite noueuse, le syndrome de Churg et Strauss ou la maladie de Wegener, certains cancers, parfois associés à une hyperéosinophilie, s’accompagnent d’un syndrome inflammatoire biologique avec monocytose réactionnelle [9].

Beaucoup plus rarement hyperéosinophilie et monocytose peuvent s’intégrer dans le cadre d’une néoplasie myéloproliférative chronique, des anomalies moléculaires les gènes FGFR1, PDGFRα, PDGFRβ et PCM1-JAK2 devant être recherchées par la réalisation d’un caryotype et/ou d’une recherche de réarrangement moléculaire par hybridation in situ en fluorescence (FISH) ou par polymerase chain reaction (PCR). Rappelons que les réarrangements de PDGFRα sont des anomalies cryptiques non retrouvées au caryotype, leur identification nécessitant l’utilisation de techniques FISH ou PCR. L’association d’une monocytose à l’hyperéosinophilie est assez caractéristique chez les patients présentant une t(5;12)(q31-q32;p13) avec réarrangement ETV6 (TEL)-PDGFRβ [10]. Cette anomalie étant sensible aux inhibiteurs de tyrosines-kinases (ITK) de type imatinib, il est important de ne pas omettre de la rechercher. Les 3 autres anomalies moléculaires citées ci-dessus sont beaucoup plus rarement associées à une monocytose. Dans les recommandations de l’OMS, elles devraient néanmoins être recherchées de façon systématique, en raison de la grande sensibilité aux ITK de certaines d’entre elles, notamment les réarrangements de PDGFRα [6, 11-13].

En l’absence d’hyperéosinophilie

Leucémie myélomonocytaire chronique

La leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC) est une affection clonale rare (4/105/an) de la cellule-souche myéloïde, plus fréquente chez l’homme aux alentours de 70 ans, caractérisée par l’association d’une monocytose à des signes de dysplasie des précurseurs myéloïdes [14-16]. Dans environ 10 % des cas la maladie peut être en rapport avec une prise médicamenteuse ancienne, notamment les alkylants avec, dans ce cas, un pronostic plus péjoratif et une survie plus courte [17, 18]. Selon la classification 2017 de l’OMS cette pathologie est classée parmi les syndromes mixtes syndromes myélodysplasiques/néoplasies myéloprolifératives (SMD/NMP), au même titre que les leucémies myéloïdes chroniques atypiques BCR-ABL négatives (a-CML), les leucémies myélo-monocytaires chroniques juvéniles (JMML) et les SMD/NMP avec sidéroblastes en couronne et thrombocytose (SMD/NMP-RS-T) [1]. La présentation est hétérogène et il n’existe pas à l’heure actuelle d’argument de certitude, le diagnostic reposant sur un faisceau d’arguments permettant une probabilité raisonnable.

Les signes de myélo-prolifération et/ou de dysplasie sont inconstants, le caryotype est normal dans 70 % des cas ou ne retrouve que des anomalies non spécifiques dont les plus fréquentes sont la trisomie 8, la perte de l’Y, la monosomie 7 et del(7q), la del(20q), la trisomie 21 et les caryotypes complexes. Les formes avec trisomie 8, anomalies du 7 et caryotype complexes auraient un pronostic plus péjoratif [19, 20].

Les anomalies moléculaires potentielles détectées par technique NGS (next generation sequencing) sont nombreuses, retrouvées dans 90 % des cas, mais sont, là encore, non spécifiques. Les mutations les plus fréquemment en cause touchent les gènes TET2 (50-60 %), SRSF2 (40-50 %), ASXL1 (35-40 %), SETBP1 (10-15 %) et la voie de RAS (NRAS, KRAS, CBL, PTPN11) (30 %).

Environ 20 % des patients ont des mutations simultanées de TET2 et SRSF2, association considérée comme assez typique d’une LMMC. Les mutations des gènes de la voie de RAS sont surtout le fait des formes prolifératives, la présence de mutations sur ASXL1 aggrave le pronostic et il existe constamment une hyper-méthylation globale de l’ADN avec efficacité des agents hypo-méthylants dans 30 % à 50 % des cas. La mutation JAK2V617F est présente dans 5 à 10 % des cas, ce qui peut rendre difficile le diagnostic différentiel d’avec une NMP associée à une monocytose [6, 16, 21-25].

Le profil immunophénotypique des monocytes de LMMC est particulier, avec fréquemment une expression aberrante de CD2 et CD56 et/ou une sous-expression de CD13, CD11c, CD15, CD16, CD64, CD36 ou HLA-DR [26]. La variabilité de l’intensité d’expression d’un antigène dépendant en partie du fluorochrome utilisé, ce mode d’identification des monocytes anormaux est difficile à standardiser et peu utilisé dans les laboratoires de diagnostic. Depuis plus de 20 ans il a été montré que le CD14 est présent sur la grande majorité des monocytes et qu’environ 10 % des monocytes normaux expriment le CD16, cette fraction étant nettement majorée en présence d’un syndrome inflammatoire, d’un sepsis ou d’un cancer (figure 2) [27, 28].

Plus récemment, ces monocytes CD16+ ont été mentionnés élevés chez les asthmatiques, en cas de coronaropathie et à l’occasion d’un accident vasculaire cérébral [29, 30]. Depuis 2010, un comité d’immunologistes a approuvé la classification phénotypique des monocytes selon les marqueurs CD14 et CD16 [31]. Cette classification, effectuée par cytométrie en flux (CMF), permet de différencier les monocytes classiques (MO1) CD14++/CD16- des formes intermédiaires (MO2) CD14++/CD16+ et non classiques (MO3) CD14- ou + faible/CD16++. Chez le sujet normal les MO1 sont largement prédominants représentant 85 %-90 %, les formes MO2 et MO3 étant évaluées respectivement à 5 % et 10 % [32-34]. Si, comme dit plus haut, les monocytes CD16+, notamment les MO2, sont majorés de façon plus ou moins nette dans de nombreuses situations réactionnelles, la fraction « non classique » MO3 est minorée en cas de prise de corticoïdes [35].

En 2015 il a été montré puis confirmé que les patients atteints de LMMC ont une élévation significative des monocytes circulants classiques MO1 et une diminution des monocytes non classiques MO3 (figure 2). En utilisant un seuil de significativité pour la fraction MO1 à 94 %, la sensibilité pour le diagnostic de LMMC est de 91,9 % et la spécificité de 95,1 %. Dans la population MO1 doivent être incluses les éventuelles cellules promonocytaires CD14+ faible [1].

De plus, dans cette maladie, le pourcentage de monocytes classiques est indépendant du statut cytogénétique ou moléculaire, du caractère proliférant ou dysplasique et les MO1 semblent se normaliser en cas de traitement par agents hypométhylants, pouvant constituer un bon marqueur d’efficacité du traitement [36, 37].

Par la suite, les données ont été affinées avec mise en évidence d’une majoration des MO1 chez 100 % des patients atteints de LMMC 2, alors que des faux négatifs sont possibles en cas de LMMC 0 et de LMMC 1. Ce manque de sensibilité peut être observé notamment en cas de syndrome inflammatoire concomitant, avec majoration simultanée de la fraction MO2, responsable d’un aspect particulier, « bulbeux », des graphes. Dans ce cas, et en l’absence de signes de dysplasie à l’examen microscopique, les techniques moléculaires devraient être proposées selon les recommandations de l’OMS 2017 [38].

Les LMMC étant associées dans 20 à 30 % des cas à une maladie auto-immune et/ou à un syndrome inflammatoire mal défini ce problème de sensibilité est une notion importante à bien maîtriser. De la même façon il existe une diminution de sensibilité si l’analyse est réalisée plus de 24 heures après le prélèvement et/ou si la fenêtre d’analyse inclut moins de 10 000 monocytes (optimum 50 000 cellules), en raison d’une augmentation de la fraction MO2 [32, 39, 40]. Les autres limites à ce test sont représentées par les patients qui présentent un déficit en CD16 de façon constitutive ou dans le cadre d’une d’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) [41, 42].

Sur le plan anatomopathologique il n’y a pas de critère spécifique définissant la LMMC. La moelle est habituellement hypercellulaire avec présence d’un infiltrat monocytaire variable parfois difficile à apprécier, nécessitant une confirmation immunohistochimique. Les micromégacaryocytes et les mégacaryocytes hypolobés sont présents très souvent, associés à une hyperplasie granuleuse avec dysplasie des 3 lignées myéloïdes. Des cellules dendritiques plasmacytoïdes sont retrouvées dans 20 % des cas et la trame réticulinique est majorée dans 30 % des cas. Les immunomarquages, moins sensibles qu’avec la technique CMF, retrouvent une positivité CD13, CD33, CD14 CD68, CD64, CD163 avec expression inconstante des marqueurs illégitimes CD2 et CD56 [1].

Actuellement phénotypage monocytaire et étude anatomo-pathologique de la moelle osseuse ne font pas partie des éléments permettant de poser un diagnostic de LMMC. Selon les critères 2017 de l’OMS ce diagnostic peut être évoqué devant une monocytose relative ≥ 10 % avec monocytose absolue ≥ 1 G/L, associée à des signes de dysplasie sur au moins 1 lignée myéloïde, en l’absence de blastose médullo-sanguine ≥ 20 %, et après avoir éliminé les autres NMP. En l’absence de dysplasie le diagnostic pourra être retenu s’il existe au moins une mutation des gènes TET2, SRSF2, ASXL1 ou SETBP1 et si la monocytose est chronique (> 3 mois), sans qu’aucune étiologie réactionnelle potentielle n’ait pu être retrouvée. Les recommandations préconisent également une catégorisation supplémentaire en forme proliférative (NMP-LMMC) ou dysplasique (SMD-LMMC) selon la concentration leucocytaire ≥ ou < 13 G/L. Ces 2 sous-types ont une présentation différente, les formes prolifératives étant associées plus volontiers à une hépato-splénomégalie, un amaigrissement, une asthénie, des sueurs nocturnes, alors que les SMD-LMMC se présentent sous un aspect cytopénique avec les conséquences cliniques qui y sont inhérentes. Les NMP-LMMC ont un profil génétique particulier impliquant fréquemment des mutations de la voie de RAS (NRAS, KRAS, CBL et PTPN11). De plus, en fonction des pourcentages de blastes sanguins et médullaires une sous-classification en LMMC 0 (blastes sanguins < 2 % et blastes médullaires < 5 %), LMMC 1 (blastes sanguins entre 2 % et 4 % et/ou blastes médullaires entre 5 et 9 %), ou LMMC 2 (blastes sanguins entre 5 et 19 % et/ou blastes médullaires entre 10 % et 19 % et/ou si présence de corps d’Auer) est requise (figure 3) [1, 43].

Néoplasies myéloprolifératives avec monocytose

Il est bien connu que certaines néoplasies myéloprolifératives (NMP) peuvent être associées à une monocytose, rendant parfois difficile le diagnostic différentiel d’avec une LMMC, notamment si les éléments morphologiques de dysplasie ne sont pas nets.

Chez les patients atteints de leucémie myéloïde chronique (LMC) le réarrangement BCR-ABL implique dans 95 % des cas la région M-BCR, générant les transcrits de fusion e13a2 (b2a2) et e14a2 (b3a2) puis, in fine, la protéine chimérique p210. Dans 1 % des cas la cassure implique la région m-BCR, générant isolément le transcrit e1a2 et la protéine p190. Ces formes rares impliquant m-BCR présentent un phénotype proche de la LMMC avec une monocytose et une absence d’élévation des polynucléaires basophiles. Caryotype et/ou étude moléculaire permettant d’éliminer une LMC devant être systématiques devant toute hypothèse de LMMC, ces analyses permettront de différencier facilement les 2 pathologies [44, 45].

Une étude a retrouvé chez 267 patients présentant une polyglobulie primitive (PGP) une monocytose > 1 G/L dans 21 % des cas (55/267) et > 1,5 G/L dans 7 % (18/267). Dans cette étude les patients avec monocytose > 1,5 G/L sont plus âgés (p = 0,02), ont une leucocytose plus élevée (p = 0,005), ont plus fréquemment une mutation sur TET2 (p = 0,02) et sur SRSF2 (p = 0,0002). La mutation JAK2V617F, présente chez 95 % des patients atteints de PGP et 5 à 10 % de ceux présentant une LMMC, ne permet pas, à elle seule, de discriminer formellement les deux pathologies. Dans les cas difficiles le diagnostic pourra être effectué en recherchant des arguments en faveur d’une dysplasie et en s’aidant de la BOM, de l’évaluation moléculaire et de l’étude phénotypique des monocytes, les taux de monocytes MO1 étant toujours < 94 % chez les patients atteints de NMP [46, 47].

Chez les sujets atteints de myélofibrose primitive (MFP) une monocytose > 1 G/L est présente dans 15 % des observations. Dans ce cas la présence d’une des mutations drivers sur JAK2, CAL-R ou MPL oriente très fortement vers le diagnostic de NMP. Toutefois, si les mutations sur CAL-R et MPL n’ont pas, à notre connaissance, été rapportées chez les patients atteints de LMMC, la mutation sur JAK2 V617F, comme rappelé ci-dessus, peut être présente, rendant ce paramètre non formellement discriminant. Dans ce cas, ainsi que dans celui des 10 % de MFP triples négatives (JAK2-, CALR-, MPL-), le diagnostic différentiel entre les 2 pathologies peut être difficile. Les études anatomo-pathologiques et par NGS ne sont pas non plus péremptoires puisque, respectivement, il existe des signes de fibrose réticulinique chez 30 % des patients atteints de LMMC et que certaines mutations peuvent être communes aux deux pathologies. L’étude phénotypique des monocytes peut être ici également intéressante permettant, si le pourcentage de monocytes MO1 est > 94 %, d’orienter vers un classement en LMMC [1, 18, 48-51].

Syndromes myélodysplasiques avec monocytose : concept de leucémie myélomonocytaire chronique oligomonocytaire

En dehors des critères OMS de monocytose absolue ≥ 1 G/L et relative ≥ 10 %, il est difficile de différencier de façon simple syndrome myélodysplasique (SMD) et LMMC (forme dysplasique) en raison d’une grande proximité cytologique, cytogénétique et moléculaire. Une monocytose relative (monocytes ≥ 10 %) peut être retrouvée dans certaines SMD (20 % selon certains auteurs) à risque plus élevé de transformation en LMMC, faisant suggérer que ces formes pourraient être des entités propres [52-54]. Deux études ayant effectué un phénotype monocytaire chez, respectivement, 84 et 86 patients atteints de SMD, ont retrouvé 35 % (29/84) et 28 % (24/86) de monocytes de type LMMC (MO1 ≥ 94 %).

Ces patients LMMC-like SMD ont des concentrations monocytaires (en pourcentage et en valeur absolue) significativement supérieures avec une évolution en LMMC « vraie » plus fréquente et présence plus fréquente d’une mutation sur SF3B1 [37, 38]. Le concept de SMD LMMC-like ou de LMMC oligomonocytaire a également été évoqué en 2017 par une équipe qui a analysé 44 SMD avec monocytose relative ≥ 10 % et monocytose absolue entre 0,5 et 1 G/L et 28 LMMC avec critères OMS. Les formes oligomonocytaires touchent des patients plus jeunes, avec des PNN plus bas et des taux de plaquettes et d’hémoglobine identiques. Dans cette étude 38 % des patients avec forme oligomonocytaire se transforment en quelques mois (médiane 12 mois) en LMMC. Les pourcentages de formes mutées sont plus faibles dans le groupe oligomonocytaire mais, dans les 2 groupes les mutations retrouvées le plus fréquemment touchent, comme dans la LMMC, TET2, ASXL1 et SRSF2. Dans leur conclusion les auteurs suggèrent que les SMD avec monocytose < 1 G/L mais avec valeur relative ≥ 10 % pourraient être des LMMC early stage[55].

Conclusion

Après s’être affranchi des principaux pièges cytologiques, le diagnostic étiologique d’une monocytose est souvent simple car elle est très fréquemment retrouvée dans un contexte manifestement réactionnel avec présence d’un syndrome inflammatoire biologique. Plus rarement le diagnostic est rapidement orienté vers une pathologie à polynucléaires éosinophiles ou une leucémie aiguë. Dans les autres cas, une LMMC devra être évoquée. En l’absence d’argument de certitude ce diagnostic repose actuellement sur un faisceau d’arguments énumérés par l’OMS permettant une probabilité raisonnable. En l’absence de l’ensemble des critères requis il faut garder à l’esprit que NMP ou SMD peuvent parfois s’accompagner d’une monocytose, avec présence de formes « frontière ». Le diagnostic différentiel entre ces entités n’est pas toujours simple, nécessitant une bonne coopération entre cliniciens et biologistes ainsi que, parfois, des investigations moléculaires coûteuses. Bien que les études phénotypiques par cytométrie en flux ne soient actuellement pas recommandées par l’OMS pour le diagnostic de LMMC, nous suggérons que ces investigations peu onéreuses pourraient être utilisées chez de nombreux patients ne pouvant bénéficier d’un traitement agressif, permettant de s’affranchir des techniques NGS. Des études comparatives sont cependant nécessaires pour pouvoir valider cette attitude.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.

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