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Hématologie

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Cellules T à récepteur antigénique chimérique : pour qui et comment ? Volume 26, supplément 5, Septembre 2020

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

  • Figure 7

Tableaux

Les cellules T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T) anti-CD19 ont récemment montré leur efficacité dans les leucémies aiguës lymphoblastiques B (LAL-B) de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte jeune et dans les lymphomes diffus à grandes cellules B (LBDGC) de l’adulte en rechute ou réfractaire (R/R).

Dans l’essai ELIANA, incluant des patients atteints d’une LAL-B et âgés de moins de 25 ans, le tisagenlecleucel (tisa-cel) a permis un taux de réponse globale (RG) à trois mois de 81 %, une survie sans événement (SSE) à 12 mois de 50 % et une survie globale (SG) à 12 mois de 76 %. Le taux de syndromes de relargage cytokinine (CRS) s’élevait à 77 % (dont 46 % de grade 3-4), celui d’événements neurologiques à 40 % (dont 13 % de grade 3-4) [1].

Dans les LBDGC, les lymphomes B primitifs du médiastin (LBPM) et les lymphomes folliculaires transformés (LFt), nous retiendrons trois principaux essais cliniques :

  • ZUMA-1 : axicabtagène ciloleucel (axi-cel) (Yescarta®) [2],
  • JULIET : tisa-cel (Kymriah®) [3],
  • TRANSCEND-NHL-001 : lisocabtagène maraleucel [4].

Dans ces essais, le taux de RG est de 52-83 %, le taux de réponse complète (RC) de 40-58 %. La survie sans progression (SSP) médiane et la SG médiane sont respectivement de 2,9-6,8 mois et de 12-25,8 mois. Les taux de CRS et de toxicité neurologique centrale (ICANS, pour immune effector cell-associated neurotoxicity syndrome, auparavant appelé CRES pour CAR-related encephalopathy syndrome) de grade ≥ 3 sont respectivement de 2-22 % et 10-32 % [2-4].

D’un point de vue réglementaire :

  • tisagenlecleucel dispose d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) :
    • dans le traitement des enfants et des jeunes adultes de moins de 25 ans atteints d’une LAL-B réfractaire, en rechute après greffe ou après la deuxième rechute ou plus [5],
    • dans le traitement de troisième ligne ou plus du LBDGC R/R [6], ainsi que des LFt R/R,
  • axicabtagène ciloleucel (Yescarta®) a obtenu une AMM :
    • dans le traitement de troisième ligne ou plus du LBDGC R/R [7] et des LFt R/R,
    • dans le traitement de troisième ligne ou plus du LBPM R/R [7].

En 2019, les deux principaux CAR-T commerciaux, axi-cel et tisa-cel, ont reçu le prix Galien dans la catégorie « médicament de thérapie innovante ».

Critères d’éligibilité des patients

Lorsque l’hématologue référent d’un patient retient une indication de CAR-T pour un patient donné, il doit tout d’abord évaluer l’éligibilité de ce patient. Cette évaluation est partagée entre l’hématologue en responsabilité du patient, d’un autre centre ou du même service, et l’hématologue du centre agréé CAR-T. La décision finale sera expliquée au patient. Les contre-indications à l’axi-cel et au tisa-cel sont l’hypersensibilité à la substance active ou à l’un de ses excipients, et les contre-indications à la chimiothérapie de lymphodéplétion [8, 9].

Les critères d’éligibilité que nous utilisons sont en grande partie issus de ceux des essais cliniques. Il existe des différences plus ou moins importantes entre les critères d’éligibilité des différents essais cliniques, ceux utilisés par notre centre (service hémato-oncologie, hôpital Saint-Louis), et ceux recommandés par l’EBMT (tableau 1). Concernant l’âge, nous avons choisi le seuil arbitraire de 80 ans, mais l’âge physiologique prime sur l’âge civil. Bien qu’il existe quelques différences sur le délai depuis l’obtention d’une rémission complète, un antécédent récent de néoplasie est un critère d’inéligibilité aux CAR-T. Les antécédents, mêmes récents, de carcinome in situ ou de cancer de la peau non mélanome sont tolérés. Il n’y a pas, ou très peu, d’expérience dans l’utilisation des CAR-T chez les patients avec une infection virale au VIH ou aux virus des hépatites B ou C (VHB/C) réplicative, ou avec un envahissement du système nerveux central (SNC) – par conséquent, les CAR-T sont à éviter chez ces patients. L’existence d’une comorbidité neurologique active ou sévère (par exemple une maladie de Parkinson avancée, une sclérose en plaques ou une sclérose latérale amyotrophique active et compliquée d’un handicap, une maladie neurodégénérative avancée) est considérée comme un critère de non-éligibilité par notre centre. Bien que l’existence d’une maladie auto-immune ne soit pas un critère d’exclusion dans les principaux essais cliniques de CAR-T, notre centre, tout comme l’European Society for Blood and Marrow Transplantation (EBMT), considère qu’une maladie auto-immune active et non contrôlée est un critère d’inéligibilité aux CAR-T. En effet, les atteintes d’organes au cours de ces maladies peuvent rendre délicate l’utilisation des CAR-T, tout comme le recours à des traitements immunosuppresseurs qui peuvent altérer la fonction et la persistance des CAR-T in vivo. De plus, il existe un risque théorique de CRS ou d’ICANS sévère dans le contexte inflammatoire d’une maladie auto-immune non contrôlée. En outre, si les essais cliniques et notre centre considèrent qu’il est nécessaire d’avoir une clairance de la créatinine supérieure à 60 mL/min, l’EBMT préfère fixer un seuil moins restrictif à 30 mL/min, en émettant néanmoins une précaution d’emploi en cas de clairance comprise entre 30 et 60 mL/min.

Concernant notre expérience dans le service d’hémato-oncologie de l’hôpital Saint-Louis, seuls un tiers des patients sont considérés comme éligibles à un traitement par CAR-T, un tiers sont rapidement exclus car ne rentrant pas dans l’indication, et un tiers sont jugés inéligibles, les deux principales causes étant :

  • le caractère trop progressif du lymphome (masse compressive, performance status [PS] ≥ 2, élévation rapide des lactate déshydrogénases [LDH]),
  • l’existence de comorbidités significatives [10].

Ces comorbidités sont le plus souvent des insuffisances d’organe (en majorité des insuffisances cardiaques et rénales), des maladies neurologiques à un stade avancé, des maladies auto-immunes actives, des infections virales à VIH, VHB et/ou VHC, un âge > 80 ans. Un patient recevant des CAR-T doit être capable de supporter l’équivalent d’un choc septique et son traitement (remplissage vasculaire, utilisation de catécholamines), dans la mesure où un CRS peut en partager la présentation clinique et la sévérité. L’obtention d’une RC après la chimiothérapie d’attente constitue actuellement un critère d’inéligibilité pour notre centre ; en effet, l’absence de cible ne permettrait pas l’expansion des CAR-T. Ainsi, dans ZUMA-1 [11], les patients en RC à l’issue de la chimiothérapie d’attente étaient exclus, et il n’y a à ce jour pas de démonstration du bénéfice des CAR-T en situation de RC dans les lymphomes. Par ailleurs, concernant un éventuel traitement de la maladie résiduelle (MRD) par les CAR-T, celle-ci n’est actuellement pas évaluée en routine. Précisons qu’un traitement antérieur par blinatumomab (scFv CD3×CD20) n’est pas une contre-indication à l’utilisation de CAR-T anti-CD19 [12].

Parcours de soins : de l’inclusion à la réinjection des cellules T à récepteur antigénique chimérique

Chaque patient pour lequel un traitement par CAR-T est proposé suit une procédure propre à chaque centre. En effet il existe des différences d’organisation entre les centres français certifiés CAR-T concernant par exemple le lieu d’aphérèse (Établissement français du sang [EFS] ou structure hospitalière d’aphérèse) ou le lieu de réinjection (service d’allogreffe ou service d’hématologie). Quoi qu’il en soit, la procédure de sélection du patient est à peu près similaire (figure 1).

Dans notre expérience, un formulaire permettant de vérifier les critères d’éligibilité du patient est rempli, soit par nous-mêmes, lorsqu’il s’agit d’un patient de notre centre (service d’hémato-oncologie, hôpital Saint-Louis, Paris), soit par l’hématologue référent du patient et adressé à l’un des hématologues de notre centre agréé CAR-T, pour les patients venant d’un autre centre (figure 2). À ce formulaire sont joints l’histoire détaillée de la maladie hématologique du patient, ses antécédents et comorbidités, le compte rendu anatomopathologique et les comptes rendus des derniers scanners et/ou tomographie avec émission de positons (TEP-scanner). Après validation de ces critères par l’un des hématologues de notre centre, le patient sera vu en consultation par un hématologue en charge de la réinjection des CAR-T. Le délai entre la validation des critères par l’expert CAR-T et la consultation spécifique doit être rapide, si possible de moins de trois à cinq jours, étant donné le caractère particulièrement agressif et l’évolution rapide de ces lymphomes souvent réfractaires à toute chimiothérapie qui rendra difficile la chimiothérapie d’attente. En cas de comorbidités importantes et/ou d’âge ≥ 70 ans, le patient peut être également examiné de façon concomitante par un médecin réanimateur qui jugera de la capacité du patient à accéder à un séjour en réanimation. Lors de la consultation avec l’hématologue expert CAR-T, les critères cliniques et biologiques d’éligibilité et d’exclusion seront à nouveau analysés. Enfin, la décision finale sera validée en réunion de concertation pluridisciplinaire après relecture de l’imagerie (scanner et TEP-scanner) avec les radiologues et les médecins nucléaires, pour statuer sur le volume tumoral et les sites d’atteintes, notamment extraganglionnaires (cardiaque, cérébral, etc.). Dès que le traitement par CAR-T est validé, une cytaphérèse, afin de recueillir les lymphocytes T, est organisée en fonction des dates d’envoi et de fabrication disponibles fournies par les laboratoires pharmaceutiques. La rapidité et la réactivité des équipes (hématologues du centre d’origine du patient, hématologues du centre CAR-T, unité de cytaphérèse, unité de thérapie cellulaire, pharmacie hospitalière, infirmiers de coordination CAR-T, industriels) sont fondamentales face à des hémopathies rapidement progressives. Le délai moyen entre la cytaphérèse et la réinjection est actuellement, en France, de 30 à 45 jours [10, 13]. Le produit de cytaphérèse doit être, pour certains produits cellulaires, cryopréservé sur site (tisa-cel).

Dès que la cytaphérèse est réalisée, et si le patient le requiert, une chimiothérapie d’attente est réalisée, non pas pour mettre la maladie en rémission avant la réinjection, ce qui est le plus souvent illusoire au vu du caractère réfractaire de ces lymphomes, mais pour la stabiliser et maintenir le patient dans un état général suffisant pour réaliser l’ensemble de la procédure. Cette chimiothérapie, qui est nécessaire dans 93 % des cas [13], peut être plus ou moins intensive : les premières données tendent à montrer qu’il vaut mieux privilégier des protocoles à faible dose (par exemple rituximab + dexaméthasone, lénalidomide) afin de limiter les complications infectieuses, ou une toxicité ultérieure des CAR-T plus importante. Nous avons montré que l’intensité de cette chimiothérapie d’attente n’influençait pas l’efficacité des CAR-T [14]. Il n’y a pas de consensus concernant cette chimiothérapie d’attente : les pratiques sont souvent hétérogènes au sein d’un même centre. Le choix s’établit au cas par cas et dépend de facteurs liés à la maladie (masse tumorale, localisations, cinétique de prolifération, réponses aux différentes lignes antérieures, marqueurs immunohistochimiques) et de facteurs liés au patient (état général, comorbidités, tolérance des précédents traitements) [12]. Elle peut être réalisée par le centre expert CAR-T ou dans le centre d’origine pour plus de commodité pour le patient. Elle ne doit être commencée qu’après la cytaphérèse, afin de ne pas diminuer la qualité du produit de cette dernière. Dans le cas d’un lymphome, un TEP-scanner est réalisé avant et après cette chimiothérapie.

Dès réception des CAR-T, le patient est hospitalisé pour débuter une lymphodéplétion qui précède la réinjection des CAR-T. Il faut s’assurer de la réception des cellules avant de débuter cette lymphodéplétion. La lymphodéplétion est une courte chimiothérapie (trois à cinq jours avant l’injection des CAR-T) visant à créer un environnement favorable à l’expansion des CAR-T in vivo. Différents schémas thérapeutiques et différentes molécules ont été utilisés dans les essais initiaux. L’association la plus couramment prescrite, car offrant la meilleure expansion et persistance des CAR-T [15], est la combinaison fludarabine et cyclophosphamide (fludarabine 25 mg/m2 + cyclophosphamide 250 mg/m2 pour tisa-cel et 30 mg/m2 + 500 mg/m2 pour axi-cel). Il faut éliminer toute infection active avant de débuter la lymphodéplétion (cf. infra).

Les CAR-T sont adressés dans le service après contact téléphonique entre la pharmacie hospitalière et l’hématologue assurant la réinjection des CAR-T, afin de s’assurer que l’équipe médicale et paramédicale est prête à l’injection des cellules dès réception. L’injection est réalisée sur une voie veineuse centrale, précédée d’une prémédication par paracétamol et antihistaminique. Il convient de ne pas recourir aux corticoïdes afin d’éviter l’altération des CAR-T. La durée de l’injection doit être inférieure à 30 min, la tolérance immédiate est en général excellente. Il faut éliminer toute infection active avant de débuter l’injection (cf. infra).

Modalités pratiques d’arrêt des antinéoplasiques et immunosuppresseurs

L’une des questions revenant le plus souvent dans les discussions que nous avons avec les hématologues référents des patients est celle du délai minimum requis entre l’arrêt des différents traitements ciblés/de chimiothérapie/immunosuppresseurs et la cytaphérèse ou la réinjection des CAR-T. Les figures 3 et 4 donnent, de façon très pratique, les délais requis pour chaque type de traitement, avant la cytaphérèse et avant la réinjection des CAR-T. Ces délais permettent d’éviter d’inhiber l’efficacité ou de majorer la toxicité des CAR-T et/ou de la lymphodéplétion [12, 16].

Parcours de soins : hospitalisation postinjection et surveillance à moyen et long terme

Après réinjection des CAR-T, les patients sont hospitalisés pour une durée de 10 à 14 jours (recommandations pharmaceutiques et EBMT) [12]. La survenue de complications de type CRS ou ICANS peut bien sûr prolonger cette durée. Les patients sont alors le plus souvent en aplasie et les trois risques principaux sont : le CRS, l’ICANS et les complications infectieuses. Les patients peuvent requérir des transfusions de concentrés plaquettaires et érythrocytaires. La visite d’un médecin doit être quotidienne voire pluriquotidienne. Dans le service d’hémato-oncologie de l’hôpital Saint Louis, une fiche quotidienne sur laquelle figurent les constantes et les événements cliniques importants de la journée est remplie. Le patient rédige chaque jour une ligne d’écriture, la survenue d’une dysgraphie étant un signe précoce d’ICANS.

De la sortie d’hospitalisation et jusqu’à J28, il est recommandé que les patients restent à proximité (< 60 min) du centre ou d’un hôpital compétent dans la prise charge des complications postinjection [12]. En effet, des complications peuvent survenir après la sortie d’hospitalisation (complications à moyen terme, c’est-à-dire de J28 à J100) : en premier lieu ICANS, mais aussi CRS retardé, complications infectieuses, cytopénies tardives. Les CRS retardés (entre J14 et J21) se voient essentiellement dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC). Dans le service d’hémato-oncologie de l’hôpital Saint-Louis, les patients ont une consultation quotidienne, soit physique, soit téléphonique, avec un médecin ou un infirmier de coordination de J14 à J21. L’éducation des patients est ici fondamentale ; les patients doivent connaître les signes d’alerte pouvant faire évoquer un CRS, un ICANS ou une infection, et doivent rapidement contacter le centre CAR-T lors de l’apparition de l’un de ces signes. Par ailleurs, la conduite automobile est contre-indiquée dans les huit semaines suivant l’injection étant donné le risque d’ICANS (trouble de la vigilance, confusion, épilepsie) [12]. Dans le cas d’un lymphome B de haut grade, un TEP-scanner est réalisé à J30 et à J90 à titre systématique, afin d’évaluer la réponse au traitement. Il peut être réalisé plus tôt en cas de suspicion de progression précoce.

Le suivi à long terme (après J100 postinjection des CAR-T) est fondamental, même si nous avons encore peu de recul étant donné l’introduction récente de ce traitement dans l’armamentarium thérapeutique. Le suivi doit s’attacher à la détection des rechutes, à la recherche de toxicités tardives, notamment les infections, les seconds cancers, les séquelles métaboliques et cardiovasculaires et les séquelles psychosociales. Il s’attache aussi à évaluer la qualité de vie des patients [12].

Gestion du syndrome de relargage cytokinique

Le CRS est la complication la plus fréquente d’un traitement par CAR-T. Il est dû, comme son nom l’indique, à un orage de cytokines (notamment les inteleukines 6 et 1 [IL-6, IL-1], et l’interféron γ [IFNγ]). Les cellules à l’origine de cette libération sont encore mal identifiées mais pourraient être les CAR-T, les monocytes-macrophages voire les cellules tumorales elles-mêmes. En effet, des études précliniques ont récemment montré le rôle des monocytes-macrophages dans le relargage de cytokines pro-inflammatoires et la survenue du CRS et de l’ICANS [17]. L’inhibition du facteur stimulant les colonies de granulocytes et de macrophages (GM-CSF), pardélétion du gène ou utilisation d’anticorps monoclonaux, permet de favoriser les fonctions effectrices des CAR-T, tout en diminuant les CRS et ICANS [18]. Ainsi, un essai de phase I/II sera prochainement ouvert, évaluant l’utilisation du lenzilumab, un anticorps monoclonal anti-GM-CSF, chez des patients traités par axi-cel (ZUMA-19, NCT04314843).

Les facteurs de risque de survenue d’un CRS seraient : un volume tumoral important, une lymphodéplétion par fludarabine et cyclophosphamide, une thrombopénie avant la lymphodéplétion, une dose importante de CAR-T administrés et le type de construction du CAR [19]. Les dosages de la CRP et de la ferritine seraient utiles pour prédire et surveiller l’apparition et l’évolution du CRS et de l’ICANS. Ces dosages offrent l’avantage de pouvoir être réalisables en routine, contrairement aux dosages des taux sériques des différentes cytokines comme l’IL-6 [12].

Le CRS est de sévérité variable : il peut aller de la simple fièvre à un tableau mimant un choc septique et conduisant le patient en réanimation. Les différents signes cliniques pouvant faire évoquer un CRS sont : fièvre (qui est constante et constitue souvent le premier signe), frissons, dyspnée, hypotension artérielle et tachycardie. Le diagnostic de CRS repose sur un faisceau d’arguments, en premier lieu cliniques. Il n’est souvent pas facile de déterminer l’origine de la fièvre chez ces patients souvent en aplasie et pour lesquels une antibiothérapie probabiliste à large spectre par voie IV sera dans tous les cas commencée. Le pronostic vital peut être engagé en cas de défaillance multiviscérale. Un CRS peut être aussi la cause d’un syndrome d’activation macrophagique (SAM). Le délai médian de début des symptômes est de deux jours après la réinjection des CAR-T (extrêmes : 1-14 jours), et la durée médiane du CRS est de sept jours (extrêmes : 1-10 jours). Les CRS les plus graves (grade 3-4) surviennent le plus souvent dans les trois premiers jours suivant l’injection.

Le CRS est une urgence thérapeutique : un retard de prise en charge peut conduire au décès rapide du patient. La procédure de prise en charge doit être connue par les équipes médicales et paramédicales d’hématologie et de réanimation. Elle dépend de la sévérité du CRS et différentes échelles ont été proposées afin de quantifier cette sévérité. Un effort d’harmonisation a été réalisé afin de standardiser la prise en charge du CRS et de faciliter la comparaison des résultats entre les études. La publication de Lee et al. tend finalement aujourd’hui à s’imposer (tableau 2). Cette échelle repose sur l’existence d’une fièvre, d’une hypotension artérielle (avec ou sans recours à des amines vasopressives) et/ou d’une hypoxie (avec les modalités et le niveau d’oxygénothérapie nécessaires) [20]. Toujours dans un souci d’harmonisation des pratiques, une publication récente de Yakoub-Agha et al. propose un algorithme thérapeutique pour la prise en charge du CRS selon son grade de sévérité (figure 5). En cas de CRS, la surveillance des patients doit être rapprochée, la situation pouvant très vite se dégrader. À partir du grade 2, les réanimateurs doivent être contactés pour un transfert en urgence et le tocilizumab, un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur de l’IL6 (IL6-R), doit être débuté immédiatement. La corticothérapie à forte dose (dexaméthasone) doit être réservée aux CRS ne répondant pas au tocilizumab, en raison de la possible altération des CAR-T par les corticoïdes [12].

Gestion de la toxicité neurologique centrale

L’ICANS est la seconde complication la plus fréquente des CAR-T. Sa physiopathologie est bien moins connue que celle du CRS. L’IL-1 semble jouer un rôle important dans sa genèse. En effet, dans des modèles murins, l’inhibition de l’IL6-R n’a pas d’effet sur la toxicité neurologique, contrairement à l’inhibition de l’IL1-R. Cette toxicité est à rapprocher de celle observé au cours d’un traitement par blinatumomab. À noter cependant qu’il n’y a habituellement pas de toxicité neurologique sans un CRS préalable, démontrant bien malgré tout un point commun dans l’origine de ces deux toxicités.

Les facteurs de risque d’ICANS seraient : une LAL, la survenue d’un CRS, une atteinte cérébrale par l’hémopathie, un volume tumoral important, une dose importante de CAR-T administrés, la préexistence de comorbidités neurologiques [21].

La sévérité de l’ICANS est, comme celle du CRS, très variable, pouvant aller du simple trouble de l’attention à un coma sévère, en passant par un état de mal épileptique ou encore un œdème cérébral. Le diagnostic positif repose sur un faisceau d’arguments, surtout cliniques et contextuels. Les signes cliniques peuvent associer : tremblements, troubles phasiques, dysgraphie, troubles visuels par œdème papillaire, comitialité, troubles de l’attention, troubles de la vigilance, coma, syndrome confusionnel, état stuporeux, état d’agitation, hallucinations, déficit sensitivomoteur. La dysgraphie est un signe prodromique, raison pour laquelle nous faisons rédiger une ligne d’écriture quotidienne à partir de J1 postinjection. La présence de céphalées isolées n’est pas suffisante pour poser le diagnostic d’ICANS. Une augmentation de la pression intracrânienne peut être observée. Le fond d’œil en urgence doit être demandé afin de rechercher un œdème papillaire. L’ICANS survient le plus souvent à la fin ou après la résolution d’un CRS, mais peut également être d’apparition retardée à la troisième ou à la quatrième semaine après l’injection des CAR-T (délai médian d’apparition des symptômes : six jours ; extrêmes : 1-34 jours). La durée médiane des symptômes est de cinq jours (extrêmes : 1-21 jours).

Une consultation avec un neurologue et avec un neuropsychologue est fondamentale avant réinjection des CAR-T. Le neurologue recherche une éventuelle anomalie à l’examen neurologique pouvant indiquer l’existence d’une atteinte du SNC par la maladie ou une comorbidité neurologique, contre-indiquant potentiellement l’utilisation de CAR-T. Le neuropsychologue, psychologue clinicien s’intéressant aux relations entre le cerveau et le fonctionnement psychologique, recherche, à l’aide d’échelles standardisées, des troubles cognitifs ou comportementaux pouvant indiquer une atteinte du SNC. Une IRM cérébrale est obligatoire dans le bilan préthérapeutique : le lymphome cérébral primitif (même s’il s’agit d’un LBDGC) n’est pas à ce jour une indication aux CAR-T, et l’existence d’une atteinte cérébrale par l’hémopathie est pour la plupart des centres considérée comme une contre-indication, le risque d’ICANS étant probablement augmenté dans cette dernière situation. L’examen neurologique doit être quotidien durant l’hospitalisation, voire pluriquotidien en cas de suspicion d’ICANS, la symptomatologie pouvant rapidement évoluer en quelques heures. Une prophylaxie primaire par anticonvulsivants (par exemple lévétiracétam 500 mg/j de J1 à J30) peut être indiquée par le neurologue en cas de facteurs de risque d’ICANS (antécédent d’épilepsie, antécédent de maladie du SNC).

Tout comme pour le CRS, plusieurs échelles permettent de mesurer la sévérité de l’ICANS. Un effort récent dans l’harmonisation des pratiques a été fait et les recommandations de Lee et al tendent à s’imposer. Le grade de l’ICANS est établi dans cette échelle à l’aide de cinq items : score immune effector cell-associated encephalopathy (ICE), épilepsie, motricité, niveau de conscience et œdème cérébral. Le grade de l’ICANS dépend de l’item le plus sévère (tableau 3). Le score ICE, qui constitue l’un des cinq items permettant d’établir le grade de l’ICANS, est calculé à l’aide d’un examen neurologique pratique et simple de réalisation et est basé sur cinq points (tableau 4) [20]. La réalisation d’une IRM cérébrale, d’une ponction lombaire, d’un fond d’œil et d’un EEG en urgence doit être discutée devant toute suspicion d’ICANS, et il ne faut pas hésiter à répéter ces examens jusqu’à résolution des symptômes.

L’ICANS est également une urgence thérapeutique. L’évolution peut être très rapide et potentiellement fatale en l’absence de prise en charge thérapeutique optimale. Le traitement est guidé par la sévérité du syndrome, d’où l’importance de classer l’ICANS selon son grade. Plusieurs algorithmes thérapeutiques ont été proposés, le plus récent (figure 6) est issu des recommandations de l’EBMT et de JACIE. Le réanimateur de garde et le neurologue doivent être systématiquement sollicités, le transfert en réanimation devant s’effectuer en urgence à partir du grade 2. En l’absence d’association avec un CRS, le traitement repose sur le dexaméthasone en première intention, à partir du grade 2. L’efficacité est en général très rapide, et il faut veiller à ne pas décroître trop rapidement la corticothérapie, devant le risque possible de récidive. En revanche, en cas d’association avec un CRS, c’est le tocilizumab qui doit être proposé en première intention. Les traitements symptomatiques ont ici toute leur importance : inclinaison de la tête à 30̊ en cas de suspicion d’œdème cérébral, relais des médicaments par voie IV, clonazépam en cas de crise d’épilepsie, acétazolamide en cas d’œdème papillaire, hydratation hyperosmolaire en cas d’œdème cérébral [12].

L’impact de l’utilisation des anti-IL-6R et des corticoïdes sur l’efficacité des CAR-T a été évalué dans plusieurs études et aucune différence significative n’a été observée en termes de réponse entre les différents groupes de patients [22].

Il existe une application mobile, créée par l’American Society for Transplantation and Cellular Therapy (ASTCT), téléchargeable gratuitement, permettant d’établir rapidement le grade du CRS et de l’ICANS. Toutefois, il est important de retenir le fait que déterminer le grade d’une toxicité ne remplace pas une prise en charge adaptée à l’état clinique d’un patient.

Cytopénies

La survenue d’une pancytopénie est la règle après une lymphodéplétion suivie de la réinjection de CAR-T. Il existe le plus souvent une aplasie transitoire et le patient peut avoir besoin de transfusions en concentrés plaquettaires et/ou érythrocytaires. Toutefois, les cytopénies peuvent perdurer de façon plus tardive (au-delà de J30 après l’injection). Environ un tiers des patients ont une neutropénie prolongée au-delà de J30 postinjection, 20 % une neutropénie durant plus de 90 jours. Il a été notamment décrit une évolution biphasique de la neutropénie et de la thrombopénie : une première phase de cytopénies précoces, suivie d’une amélioration transitoire, puis une seconde phase de cytopénies tardives parfois sévères. Pour ce qui est de la neutropénie, une équipe israélienne a mis en évidence une corrélation entre les taux sériques de SDF-1 (pour stromal-derived factor 1 ; CXCL-12) et la valeur absolue des neutrophiles au-delà de J28 [23]. Dans la littérature, des neutropénies tardives ont été corrélées à la reconstitution lymphocytaire B après un traitement par rituximab, avec un rôle causal de SDF-1 [24]. Ainsi, cette équipe propose un modèle dans lequel la neutropénie précoce serait liée à la lymphodéplétion et au CRS, alors que certaines neutropénies tardives seraient en partie dues à la consommation de SDF-1 par la reconstitution lymphocytaire B post-CAR-T [23]. En effet, SDF-1 est une chimiokine ayant un rôle à la fois dans la lymphopoïèse B précoce, la migration des neutrophiles et la survie/migration des cellules souches hématopoïétiques. Toutefois, nos observations montrent bien que la lymphodéplétion B persiste alors que la neutropénie persiste également. D’autres pistes restent donc à explorer.

L’utilisation du G-CSF est débattue. En effet, elle pourrait favoriser la survenue ou majorer la sévérité d’un CRS ou d’un ICANS. Les recommandations de l’EMBT sont de discuter l’utilisation du G-CSF en cas de neutropénie prolongée à partir de J14 post-injection de CAR-T [12].

Hypogammaglobulinémie

Conséquence du ciblage du CD19 par les CAR-T actuellement commercialisés, l’hypogammaglobulinémie est liée à l’aplasie lymphocytaire B. L’immunodépression des patients et le risque infectieux sont en partie favorisés par l’hypogammaglobulinémie. Cette dernière peut perdurer plus d’un an.

Si la supplémentation en immunoglobulines intraveineuses polyvalentes est utilisée en routine chez l’enfant, elle n’est en revanche pas recommandée de manière consensuelle chez l’adulte recevant des CAR-T et ayant une hypogammaglobulinémie. Elle peut être considérée en cas d’infections à germes encapsulés en présence d’une hypogammaglobulinémie < 4 g/L [12].

Risque infectieux

Les patients recevant des CAR-T sont particulièrement immunodéprimés et à risque de développer des infections. Dans les études en vie réelle, les complications infectieuses touchent 23-42 % des patients [25,26]. Le déficit immunitaire secondaire est d’origine multifactorielle : hémopathie en elle-même, toxicité des différentes lignes de chimiothérapie précédentes, auto- voire allogreffe antérieure, hypogammaglobulinémie, neutropénie parfois prolongée, toxicité des traitements d’attente, toxicité de la lymphodéplétion, état inflammatoire lié au CRS, corticothérapie (utilisée notamment en traitement de l’ICANS, mais aussi du CRS en cas de non-réponse au tocilizumab). La majorité des infections survient dans les 30 jours suivant l’injection des CAR-T et est en grande partie peu ou modérément sévère. En premier lieu viennent les infections bactériennes, qui sont souvent précoces, puis les infections virales, plus tardives. Ces infections virales sont pour la plupart des viroses respiratoires hautes ; des réactions à cytomégalovirus (CMV) peuvent également se rencontrer. Les infections fongiques invasives sont rares et se voient essentiellement chez les patients atteints de LAL, en particulier ceux ayant reçu une allogreffe [25, 26]. La survenue d’un CRS sévère est corrélée au risque de développer une infection [25, 26]. En cas de fièvre survenant précocement après l’injection des CAR-T, il est difficile de distinguer un CRS d’une complication infectieuse. Le plus souvent, la situation est celle d’une aplasie fébrile nécessitant la réalisation de prélèvements infectieux (hémocultures sur voie veineuse centrale et périphérique, examen cytobactériologique des urines [ECBU] ± prélèvements respiratoires) et l’instauration immédiate d’une antibiothérapie empirique à large spectre.

En termes de prophylaxie, les recommandations les plus récentes préconisent une prévention antivirale par valaciclovir ou aciclovir, antipneumocystose par cotrimoxale (ou pentamidine, ou encore atovaquone en cas d’intolérance au cotrimoxazole). Ces prophylaxies doivent être commencées au moment de la lymphodéplétion et arrêtées à un an de la réinjection des CAR-T et/ou jusqu’à un taux de lymphocytes CD4+ > 200/mm3. Une antibioprophylaxie par fluoroquinolones (lévofloxacine ou ciprofloxacine) n’est à discuter qu’en cas de neutropénie prolongée [12].

En outre, il faut savoir que toute infection contre-indique l’initiation de la lymphodéplétion, devant le risque de sepsis sévère, ainsi que la réinjection des CAR-T, devant le risque de CRS et d’ICANS sévères. Il est ainsi recommandé de s’assurer de l’absence d’infection active avant de débuter la procédure [12].

Concernant la reconstitution immunitaire, à côté de la neutropénie qui peut être tardive et de l’hypoplasie B pouvant perdurer au-delà d’un an, la reconstitution des lymphocytes T CD8+ a lieu assez tôt, à l’inverse des lymphocytes T CD4+ dont le taux peut rester < 200/mm3 jusqu’à deux ans.

La figure 7 résume le parcours de soins des patients CAR-T et schématise la cinétique d’apparition des principales complications.

Conclusion

Le parcours de soins des patients inclus dans un programme d’administration de CAR-T est formalisé par une procédure rigoureuse faisant intervenir un grand nombre d’acteurs. Les patients doivent répondre à un certain nombre de critères d’éligibilité. Les deux principales causes de non-éligibilité sont une maladie trop rapidement progressive et l’existence de comorbidités. Les prises en charge des deux principales complications, le CRS et l’ICANS, suivent des algorithmes thérapeutiques recommandés par des groupes d’experts. L’harmonisation de ces pratiques facilite la gestion de ces effets indésirables au quotidien.

Liens d’intérêt

CT a été consultante et a participé à des boards pour Amgen, Celgene, Jazz Pharmaceutical, Kyte, Novartis, Servier et Roche. CT a reçu des financements institutionnels de Roche, de Hospira et de Celgene.

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