Environnement, Risques & Santé
MENUL’exposition à la lumière la nuit en tant que perturbateur endocrinien Volume 18, numéro 1, Janvier-Février 2019
Virtuellement toutes les formes de vie qui se sont développées sur notre planète, incluant les bactéries, les plantes, les invertébrés et les vertébrés, ont internalisé le cycle jour-nuit produit par sa rotation sous forme de rythmes biologiques endogènes d’une période d’environ 24 h qui régissent de nombreux processus physiologiques et comportementaux.
Chez l’homme, le rythme circadien est gouverné par une horloge centrale constituée de deux noyaux suprachiasmatiques (localisés à la base de l’hypothalamus au-dessus du chiasma optique) contenant environ 20 000 neurones dont l’activité est contrôlée par l’expression d’une quinzaine de gènes « horloge ». Cette commande centrale est resynchronisée en permanence sur un cycle de 24 h par des signaux environnementaux dont la lumière est de loin le plus puissant. Elle est également sensible à la mélatonine que la glande pinéale commence à sécréter à la tombée de la nuit, avec un pic entre minuit et 4 h.
Ce système influence pratiquement toutes les fonctions de l’organisme, en particulier la fonction endocrinienne, de manière directe en induisant la production cyclique d’hormones hypophysaires qui vont stimuler leurs organes cibles (par exemple pour l’axe thyroïdien : pic de sécrétion de la thyréostimuline entre 2 et 4 h et nadir entre 16 et 20 h), ou par l’intermédiaire des gènes à expression cyclique présents dans les tissus endocriniens, qui sont réglés sur cette horloge biologique centrale. Son dérèglement entraîne donc une perturbation endocrinienne.
Telle est la thèse soutenue par les auteurs de cet article, qui estiment que le champ des perturbateurs endocriniens à l’étude, jusqu’ici focalisé sur des composants des plastiques, des pesticides et d’autres produits de synthèse, doit s’ouvrir à des agents non chimiques également générés par l’industrialisation et l’urbanisation, dont la lumière artificielle nocturne (LAN pour « light at night ») est un bon exemple.
Étendue de l’article
L’article s’appuie sur une importante revue de la littérature, intégrant des données épidémiologiques et cliniques, ainsi que des données expérimentales indiquant la vulnérabilité du système circadien à des signaux lumineux aberrants, même brefs, et la palette des répercussions possibles. Ces travaux ont été principalement menés chez des rongeurs à activité nocturne, ce qui questionne leur pertinence pour des espèces diurnes. L’organisation du système circadien est toutefois commune à tous les vertébrés et l’utilisation d’animaux nocturnes permet d’isoler les effets de l’exposition à la LAN sur ce système de ceux potentiellement attribuables à une altération du sommeil.
Si la LAN résulte de l’activité humaine, comme pour les perturbateurs endocriniens chimiques, ses effets ne s’exercent pas uniquement sur l’homme. Les animaux domestiqués y sont également exposés, et la faune sauvage résidant en zone urbaine et péri-urbaine n’échappe pas à la pollution lumineuse nocturne. L’article aborde ce sujet et s’ouvre sur une discussion intéressant les pratiques d’élevage et les orientations relatives à l’éclairage public urbain.
Données concernant la santé humaine
Quelques études rapportent une incidence accrue du surpoids, de l’obésité, du syndrome métabolique ou du diabète dans des populations travaillant la nuit. Elles soutiennent la notion d’effets métaboliques de l’exposition à la LAN sans pouvoir les distinguer des changements comportementaux induits par l’activité durant les heures habituelles de sommeil (et par le sommeil dans la journée), incluant les modifications des prises alimentaires (horaires, rythme et type d’aliment consommé) et du niveau global d’activité physique. La contribution d’une perturbation du système circadien est renforcée par deux publications récentes, l’une montrant un effet modificateur du chronotype sur le risque de diabète en relation avec le travail posté, l’autre une corrélation entre le niveau d’exposition à la LAN et le taux de surpoids/obésité en population générale, les autres facteurs liés au mode de vie dont la consommation alimentaire étant contrôlés. De nombreuses études dans des modèles animaux soutiennent les observations épidémiologiques et fournissent des éléments d’ordre mécanistique éclairant la relation entre l’exposition à la LAN, la prise de poids et les troubles métaboliques, en particulier de l’homéostasie glucidique. Ces travaux incluent des études avec groupe témoin (mêmes niveaux d’apport calorique et d’activité physique que le groupe exposé), rapportant la réversibilité de la prise de poids induite par la LAN après arrêt de l’exposition, ou encore des effets dose-dépendants de l’exposition lumineuse (durée, intensité et longueur d’onde) sur la tolérance au glucose.
Un deuxième faisceau d’arguments pour considérer la LAN comme un perturbateur endocrinien provient des études sur les cancers hormonodépendants, principalement celui du sein pour lequel les données épidémiologiques sont fournies, tandis que les preuves d’un effet du travail de nuit ou posté sur l’incidence du cancer de la prostate sont limitées. Dans le champ expérimental, les effets de la LAN sur l’initiation tumorale ont rarement été examinés, en revanche des études chez le rongeur portant un greffon de cancer du sein humain montrent que l’exposition à la lumière intense favorise la progression tumorale, et d’autres types de données relient la croissance tumorale à l’inhibition de la synthèse de mélatonine dont les effets anti-inflammatoires et anti-œstrogéniques sont établis.
Le rôle central des œstrogènes dans la vie génitale des femmes, l’influence du rythme circadien sur le fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique et la présence de gènes à expression cyclique dans les ovaires devraient inciter à conduire des études pour examiner directement les effets de la LAN sur la fonction reproductrice.
Élargissement du propos
Les analogies du fonctionnement ovarien de tous les vertébrés, des poissons aux mammifères, amènent les auteurs à considérer que ce qui vaut pour l’homme pourrait aussi s’appliquer aux animaux d’élevage. Leur fertilité serait-elle améliorée dans des conditions de nuit noire ? À l’opposé, si la LAN peut induire un phénotype obèse, n’y aurait-il pas intérêt à l’utiliser pour favoriser le gain de masse ? L’exposition des jeunes pourrait-elle nuire à leur développement via une perturbation du cycle de sécrétion de l’hormone de croissance ? Ces questions demandent à être traitées dans des travaux spécifiques aux espèces d’élevage dont les résultats pourraient améliorer les pratiques agricoles et piscicoles.
Concernant la vie sauvage, un certain nombre d’études indiquent que la LAN perturbe l’activité de reproduction des oiseaux, ces effets s’étendant probablement à d’autres vertébrés à reproduction saisonnière, généralement printanière et estivale. Ces animaux doivent être capables de détecter précisément certains signaux environnementaux, comme l’allongement de la durée du jour, qui déclenchent des réponses physiologiques et comportementales adaptées (choix et défense du territoire, installation du nid, etc.), le succès de la période de reproduction dépendant de la capacité à l’initier et la terminer à temps.
L’article cite deux autres exemples – l’interaction proie-prédateur et l’orientation-migration – au rang des comportements pouvant être perturbés par la lumière artificielle nocturne avec d’importantes répercussions sur les écosystèmes. Des travaux sont nécessaires pour les évaluer précisément et trouver des solutions d’éclairage urbain à moindre impact.
* Russart KLG1, Nelson RJ. Light at night as an environmental endocrine disruptor. Physiol Behav 2018 ;190 : 82-89. doi : 10.1016/j.physbeh.2017.08.029
1 Department of Neuroscience, The Ohio State University Wexner Medical Center, Columbus, États-Unis.
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