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Hiérarchisation de contaminants anthropiques semi-volatils pour l’étude des risques. Le cas des retardateurs de flamme organophosphorés Volume 18, numéro 3, Mai-Juin 2019

Illustrations


  • Figure 1


  • Figure 2

  • Figure 3

Tableaux

Les populations humaines sont exposées à de nombreux contaminants environnementaux du fait de l’utilisation ubiquitaire de substances chimiques dans les procédés de fabrication, les matériaux de construction et les biens de consommation. La mesure de l’exposition des populations à ces composés chimiques reste actuellement un véritable challenge. L’estimation de ces expositions peut se faire soit à partir de données comportementales et de mesures des contaminations des milieux de vie, soit à partir de mesures des composés chimiques eux-mêmes ou de leurs produits de biotransformation dans des matrices biologiques humaines (urines, sang, cheveux, etc.) [1]. Dans les deux cas néanmoins, le développement de méthodes d’analyse chimique robustes et reproductibles, suffisamment sensibles et spécifiques, est nécessaire. Même si les performances analytiques se sont considérablement améliorées ces dernières années, ces méthodes requièrent une sélection des composés les plus pertinents à considérer. Cette sélection est fondamentale et peut influencer l’aide à la décision en santé publique visant à cibler les actions de prévention les plus pertinentes à mettre en œuvre. Dans ce cadre, le développement de méthodes objectives de hiérarchisation des composés d’intérêt peut se révéler utile.

Les approches de hiérarchisation actuelles ont jusqu’à maintenant été largement développées dans le domaine de l’expertise et de la sécurité sanitaire pour aider les institutions à fixer des priorités, à différentes échelles (internationales, nationale ou locale) et pour différents contextes (réglementaire ou pas) [2]. Ces méthodes sont généralement fondées sur l’attribution d’un score qualitatif ou quantitatif prenant en compte les paramètres du risque (danger, relations dose-réponse, niveaux d’exposition), ou, le plus souvent, des proxys de ces paramètres, tels que l’occurrence dans les listes de substances dangereuses (liste de substances cancérigènes, perturbateurs endocriniens, etc.), la classification réglementaire (par exemple, les mentions de danger du règlement européen CLP1), l’utilisation (tonnage, fréquence), la persistance dans l’environnement ou encore les niveaux de contamination dans différents milieux environnementaux. Ainsi, le plus souvent, ce sont seulement les substances les mieux documentées qui peuvent faire l’objet d’une hiérarchisation.

Les polybromodiphényléthers (PBDE), qui étaient largement utilisés dès les années 1980, ont été progressivement interdits ou éliminés dans de nombreux pays au cours des années 2000 en raison de préoccupations concernant leur persistance, leur bioaccumulation, leur transport atmosphérique à longue distance et leur toxicité [3-6]. Ainsi, afin de maintenir la conformité aux normes d’inflammabilité, les retardateurs de flamme organophosphorés (OPFR) ont été considérés comme des substituts appropriés [7]. Ces OPFR sont utilisés comme additifs dans les matériaux et ne sont pas liés chimiquement à la matrice. Ils peuvent donc facilement être rejetés dans l’environnement par abrasion et volatilisation [8]. En général, les OPFR sont souvent retrouvés dans les environnements intérieurs [3], ce qui peut conduire à une exposition humaine continue, compte tenu du temps passé par la population dans ces environnements [9]. Cependant, les données sur l’exposition humaine, la toxicité et les risques sanitaires associés aux OPFR sont très limitées malgré leur similarité structurelle avec les pesticides organophosphorés, connus pour leurs propriétés neurotoxiques [10, 11]. La connaissance des effets possibles des OPFR sur la santé humaine est encore plus limitée, et provient surtout de l’analyse de cas d’intoxication, mettant en évidence une neurotoxicité cholinergique caractéristique des organophosphorés [12]. Pour autant, les résultats des quelques études toxicologiques disponibles in vitro suggèrent que certaines de ces molécules pourraient présenter une neurotoxicité développementale du même niveau que les PBDE qu’ils ont remplacés [10]. Ces différentes observations interrogent sur les effets potentiels des OPFR liés à leurs expositions chroniques environnementales. Dans l’optique de mettre en œuvre des études de risques liés aux expositions aux OPFR, l’approche de hiérarchisation doit tenir compte de ces informations partielles.

L’objectif de cet article est de proposer, tester, et discuter une méthode de hiérarchisation appliquée au cas des OPFR, qui font actuellement l’objet de questionnements quant aux risques sanitaires associés [13, 14], sans pour autant disposer de données suffisantes en termes de toxicité et d’exposition. Une telle hiérarchisation permettrait ainsi de mettre en œuvre des études de risques (études épidémiologiques, évaluation des risques sanitaires, par exemple).

Matériels et méthodes

Les OPFR

Les OPFR peuvent être classés en cinq grands groupes en fonction de leur structure chimique de base : les organophosphates, les organophosphonates, les organophosphinates, les oxydes d’organophosphine et les organophosphites (figure 1) [12].

Les radicaux organiques peuvent être aliphatiques ou aromatiques et contenir des halogènes (brome ou chlore), conduisant à des structures plus ou moins complexes. À titre d’exemple, le diméthylphosphate de formule brute C2H7O4P est l’une des plus petites structures de poids moléculaire 126 g/mol, alors que le tetrakis(2,6-dimethylphenyl) 1,3-phenylene bis(phosphate) de formule brute C38H40O8P2 a un poids moléculaire de 680 g/mol. Les OPFR représentaient, en 2006, 20 % de la consommation totale de retardateurs de flamme en Europe, soit environ 100 000 tonnes [15], et sont largement utilisés dans les polymères et fibres cellulosiques textiles. Le marché de production et de vente des OPFR serait depuis cette date en augmentation, représentant aujourd’hui l’une des principales familles de retardateurs de flamme utilisées dans les meubles rembourrés en France, avec les halogénés et les substances azotées [14]. Une recherche dans la littérature via les bases Pubmed, Web of KnowledgeTM, EBSCOhost et Google Scholar a été réalisée (mots clés utilisés : « organosphosphorus flame retardants », « organophosphate ester flame retardants », « new flame retardants », « novel flame retardants » [12, 15-17]. Parallèlement, les sites institutionnels de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), de l’US Environmental Protection Agency (US EPA) et de l’Agency for Toxic Substances and Disease Registry (ATSDR), ainsi que la base de données HSDB2 sur les substances chimiques ont été consultés. Ces consultations, les articles scientifiques dans lesquels étaient mentionnés des retardateurs de flamme organophosphorés et les rapports d’expertise [14, 18, 19], ont permis d’identifier 98 OPFR (tableau 1, en fin d’article).

Méthode de hiérarchisation

Pour éviter l’inconvénient des méthodes de hiérarchisation habituellement mises en œuvre, qui hiérarchisent généralement les substances les mieux documentées au travers de l’expertise collective ou de la réglementation, la méthode proposée ici est basée sur l’approximation de l’exposition à partir de paramètres reflétant la « capacité exposante » et « l’ampleur ou la prévalence de l’exposition » des OPFR. La toxicité des OPFR ne sera pas incluse comme critère dans la construction du score, mais sera discutée dans un second temps pour les raisons suivantes :

  • un grand nombre d’OPFR ne dispose pas à ce jour de données de toxicité suffisantes ;
  • la structure chimique organophosphorée commune des OPFR ne permet pas une discrimination basée sur des approches in silico de type lecture croisée (read-across) ou modèles de relations structure-activité (type QSAR), qui par ailleurs ont plutôt été développés pour des effets de types irritants, hépatotoxiques, cancérogènes, génotoxiques, ou encore cytotoxiques [20].

Approximation de la capacité exposante : utilisation des propriétés physico-chimiques

Little et al. ont récemment développé une méthode d’estimation de l’exposition potentielle des composés organiques semi-volatils (COSV) [21] à partir de paramètres physico-chimiques ou biologiques, largement disponibles ou estimables : la pression de vapeur, le coefficient de partage octanol/air (Koa), et le coefficient de perméabilité transdermique de l’air intérieur Kp-g (m/h), lui-même estimé à partir du logarithme du coefficient de partage octanol/eau (Kow), de la pression de vapeur (VP) et de la constante de Henry (H).

Les paramètres physico-chimiques peuvent être agrégés selon la proposition de Little et al. [21], conduisant à l’estimation de trois scores distincts selon les équations 1, 2 et 3, et reflétant la capacité qu’ont les COSV à pénétrer dans l’organisme humain. C’est ce qu’on nommera par la suite la « capacité exposante » des OPFR.

Cexpinh=VPÉquation 1 : capacité exposante par inhalation Cexpinh
Cexpcut=VP×Kp-gÉquation 2 : capacité exposante par voie cutanée Cexpcut
Cexpo=VP×KoaÉquation 3 : capacité exposante par voie orale Cexpo
  • Où VP est la pression de vapeur en Pascal (Pa) ;
  • Kp-g, le coefficient de perméabilité transdermique ;
  • Koa, le coefficient de partage octanol-air.

Le coefficient de perméabilité transdermique peut être estimé en utilisant le modèle de Weschler et Nazaroff [22] adapté par Pelletier et al.[23] selon l’équation 4.

Équation 4 : coefficient de perméabilité transdermique de l’air intérieur (Kp-g)

  • Où ɣd est le coefficient de transfert de masse qui décrit le transport d’un COSV en phase gazeuse de l’atmosphère d’une pièce jusqu’à la couche limite adjacente à la peau (6 m/h) ;
  • H, la constante de loi de Henry en Pa.m3/mol ;
  • R, la constante de gaz (8,314 Pa.m3/mol.K) ;
  • T, la température en Kelvin (298,15 K soit 25 ̊C) ;
  • MW, la masse molaire en g/mol ;
  • log Kow, le logarithme du coefficient de partage octanol-eau.

La capacité exposante est exprimée en fonction de la voie d’exposition. Pour la voie respiratoire, la pénétration est supposée totale pour les COSV en phase gazeuse ; pour la voie cutanée, ce sont les COSV de la phase gazeuse qui sont pris en compte ; et pour la voie orale, ce sont les COSV adsorbés sur les poussières.

Approximation de l’ampleur ou de la prévalence de l’exposition : utilisation des données de tonnage mis sur le marché européen

En Europe, les données de tonnage de production ou d’importation sont accessibles sur le site Internet de l’European Chemical Agency (ECHA)3 dans le cadre du règlement REACH n̊1907/2006/CE qui prévoit, entre autres, une meilleure diffusion de l’information sur les produits chimiques. Pour les substances qui ont été initialement pré-enregistrées (et donc produites ou importées à plus de une tonne annuelle), la nature des données disponibles varie selon les tranches de tonnage concernées par les délais légaux des procédures d’enregistrement :

  • au-delà de 1 000 tonnes par an : 1er décembre 2010 ;
  • de 100 à 1 000 tonnes par an : 31 mai 2013 ;
  • de 1 à 100 tonnes par an : 31 mai 2018.

Pour les substances dont les dossiers d’enregistrement sont clos, les tranches de tonnage sont disponibles. Pour les substances produites au-delà de 100 tonnes annuelles, dont un dossier de pré-enregistrement avait été ouvert mais qui ne disposent à ce jour d’aucun dossier d’enregistrement clos, la tranche de tonnage annuel 0,1–1 peut être retenue par prudence (théoriquement, ces substances ne devraient plus être sur le marché européen). Pour les substances dont le dossier d’enregistrement n’est pas encore disponible, la tranche de tonnage annuel 1–100 peut être utilisée jusqu’en juin 2018 (donnée théorique). Pour les OPFR étudiés, les tranches de tonnages disponibles sur le site de l’ECHA sont les suivantes : de 0,1 à 1, de 1 à 100, de 10 à 100, de 100 à 1 000, de 1 000 à 10 000, de 10 000 à 100 000, et de 1 à 10 millions de tonnes annuelles.

Le tonnage mis sur le marché européen est approximé par la moyenne géométrique des tranches de tonnage fournies par l’ECHA selon l’équation 5.

T=min×maxÉquation 5 : Tonnage mis sur le marché européen T
  • min représente la borne inférieure de la tranche de tonnage ;
  • max représente la borne supérieure de la tranche de tonnage.

Combinaison des scores

L’approche proposée est semi-quantitative. Elle repose sur l’attribution d’un score total reflétant la capacité exposante et le tonnage selon l’équation 6, où le score Cexp de chacune des voies d’exposition a été standardisé (divisé par son écart-type σ).

Score=∑□Cexpinhσ;Cexpcutσ;CexpoσÉquation 6 : Score de hiérarchisation

Sources de données pour les paramètres requis

Les paramètres requis (propriétés physico-chimiques, tonnage) ont été extraits de différentes sources de données :

  • des bases de données en ligne :
    • HSDB : http://toxnet.nlm.nih.gov/newtoxnet/hsdb.htm/
    • ChemIDplus : http://toxnet.nlm.nih.gov/chemidplus/
    • ChemSpider : http://www.chemspider.com/
    • Chemicalize : http://chemicalize.com/
  • à défaut, des documents d’agences réglementaires :
    • ECHA : https://echa.europa.eu/
    • US EPA : https://www.epa.gov/
  • à défaut, du logiciel EPI Suite (US EPA, v4.1).

Résultats

Sur 98 OPFR identifiés, 95 ont été hiérarchisés. Leurs rangs et scores sont présentés dans le tableau 1 (en fin d’article). Les trois restants (score = 0) ne disposaient pas de suffisamment de données relatives aux paramètres recherchés pour le calcul de Cexp (absence de données pour la pression de vapeur, le Kp-g et le Koa) : il s’agit du diéthylphosphinate d’aluminium (ALPI, n̊CAS 225789-38-8), du phosphate de mélamine (MP, n̊CAS 218768-84-4) et de l’acide P-hydroxyméthyl-P-phényl phosphinique (HMPP, n̊CAS 61451-78-3). Parmi les 95 OPFR hiérarchisés, 11 l’ont été uniquement sur les paramètres en lien avec l’exposition respiratoire et le tonnage en raison également d’un manque de données pour les paramètres Kp-g et Koa.

Le triethylphosphate (TEP) arrive en tête de hiérarchisation, avec un score de 214 000 (en vert sur la figure 2). Ce score élevé est lié, d’une part, à son tonnage de production ou importation annuelle très élevé (10 000 à 100 000 tonnes/an) et, d’autre part, à une forte capacité exposante pour toutes les voies (pression de vapeur, Kp-g et Koa élevés). Il est suivi par trois groupes de quatre, huit et dix OPFR (respectivement en orange, jaune et bleu sur la figure 2 et dans le tableau 1), dont les scores s’échelonnent respectivement de 1 000 à 6 000, de 10 à 300 et de 1 à 7. Ce sont des molécules dont le tonnage de production ou importation annuelle est encore important, mais qui ont une moindre capacité exposante (n = 12), ou qui ont une forte capacité exposante avec un moindre tonnage de production annuelle (n = 10) (figure 2). Suivent ensuite l’ensemble des 75 autres OPFR dont le score total est compris entre 0 et 1 (tableau 1).

Discussion

Caractère discriminant des paramètres retenus

L’analyse des scores d’exposition (Cexp) et du tonnage (T) des OPFR étudiés montre que les valeurs sont suffisamment variables pour être utilisées dans ce type de démarche (figure 3). Un tiers des OPFR a un Cexp particulièrement élevé : une dizaine pour l’inhalation (Cexp > 10) ainsi que pour la voie cutanée (Cexp > 1), une quinzaine pour la voie orale (Cexp > 1 000). Pour le tonnage, la moitié des OPFR (n = 49) a un faible tonnage (moins de 1 tonne par an) : il s’agit des substances qui ont été pré-enregistrées en 2008-2009 avec un tonnage annuel estimé au-delà de 100 tonnes, mais pour lesquelles aucun dossier d’enregistrement n’a abouti à ce jour, et donc qui théoriquement ne sont plus soumises à la réglementation REACH. Compte tenu des limites que peut apporter l’utilisation de telles données réglementaires parfois incomplètes, une analyse de sensibilité a été réalisée : la hiérarchisation obtenue a été comparée à une hiérarchisation ne prenant pas en compte ces données de tonnage (score correspondant seulement à la somme des Cexp standardisée pour les trois voies d’exposition). Les résultats indiquent qu’il n’y a pas de modifications pour 13 des OPFR classés en tête dans le top 20 (65 % des OPFR classés en tête le sont toujours). Pour les sept autres, trois d’entre eux se retrouvent décalés de quelques places seulement (rangs 21 à 25), mais quatre d’entre eux perdent beaucoup de places (15 à 38) dans le classement : ethylhexyl diphenyl phosphate (EDP), di-ammonium phosphate (DAP), 9,10-dihydro-9-oxa-10-phosphaphenanthrene 10-oxyde (DOPO) et acides polyphosphoriques (APP). Cette analyse permet ainsi de relativiser l’ampleur des conséquences d’une imprécision des données de production utilisées dans la hiérarchisation.

Intérêt de l’approche

Le calcul d’un indice de risque à partir de paramètres d’exposition et d’indicateurs toxicologiques n’a pas été adopté dans cette approche, car jugé trop restrictif et peu adapté à l’étude de composés contemporains pour lesquels les risques sanitaires possibles sont encore peu explorés. En effet, le choix de paramètres quantitatifs, tels que les niveaux d’exposition ou de contamination ou encore les relations dose-réponse, limite considérablement le nombre de substances qui peuvent être hiérarchisées du fait de l’absence de données. C’est l’exemple de la hiérarchisation qui avait été effectuée pour les COSV dans les poussières des environnements intérieurs : sur 156 composés identifiés initialement, seuls 66 avaient pu être priorisés [24]. Si les données toxicologiques n’ont pas été incluses dans cette approche, les niveaux de contamination et les données d’exposition de la population aux OPFR suffisent en elles-mêmes pour justifier le choix de construction d’un score basé uniquement sur des paramètres d’approximation de l’exposition. En effet, les études montrent que la présence des OPFR est généralisée dans les environnements intérieurs : en Europe, les OPFR sont fréquemment retrouvés dans les environnements intérieurs avec des fréquences de détection atteignant souvent 100 % [25, 26]. Les concentrations médianes mesurées dans les poussières déposées peuvent atteindre 2 à 3 μg/g pour le tri-iso-butylphosphate (TiBP) et le tris(butoxyethyl)phosphate (TBEP) [26], et jusqu’à 15 μg/g pour le tris(2-chloro-isopropyl)-phosphate (TCIPP) et le tris(2-chloroethyl)phosphate (TCEP) [25]. Les maximums atteignent 60 à 100 μg/g pour le TBEP, le tris chloropropylphosphate (TCPP), le triphenylphosphate (TPHP), et le TCIPP [25, 26]. Dans l’air les médianes sont plus faibles (souvent inférieures aux limites de détection) et les maximums sont proches de 100 ng/m3 pour le TnBP et TCIPP [25]. Certains métabolites spécifiques d’OPFR ont également été retrouvés de façon fréquente dans les urines d’individus aux États-Unis [27], au Canada [28] ou encore en Allemagne [29]. Ces données ne concernent néanmoins que quelques OPFR [7], également les plus documentés, à l’instar de la disponibilité des données toxicologiques. Ainsi, bien qu’un focus puisse être fait sur ces sept OPFR dans une analyse de risque, il semble important de ne pas se contenter de ces seuls OPFR et de pouvoir prendre en compte un plus grand nombre de molécules, incluant des molécules dont on connaît moins à ce jour l’exposition.

La méthode proposée a ainsi permis de hiérarchiser plus de 95 % des substances initialement incluses, car elle repose sur des paramètres largement disponibles. C’est donc une méthode pertinente au regard du caractère anticipatif que doivent avoir les études de risques.

Limites de l’approche

La principale limite de cette approche à ce jour est due à l’incertitude relative aux données de tonnages utilisées. Ces données, provenant du site de l’ECHA, n’étaient pas toutes à jour du fait de la procédure d’enregistrement de REACH toujours en cours jusqu’en juin 2018. Cette incertitude peut conduire à avoir surestimé les tonnages des substances dont le dossier d’enregistrement n’était pas complet. L’aboutissement des procédures d’enregistrement du règlement REACH et la mise à disposition progressive des données par l’ECHA pourra permettre, à terme, de disposer de données plus complètes pour ce paramètre. Néanmoins, il faut également noter que les données de tonnages inscrites sur le site de l’ECHA concernent avant tout les substances produites ou importées sur le territoire européen, et ne permettent pas de prendre en compte l’ensemble des substances présentes dans l’environnement et donc auxquelles nous pouvons être exposés, notamment celles qui sont émises par les articles importés des régions extra-européennes, ou celles qui seraient interdites mais persistantes et donc qui continueraient à contaminer l’environnement. La hiérarchisation se base donc sur l’hypothèse que les OPFR utilisés sur le marché européen sont globalement similaires à ceux utilisés sur les marchés extra-européens.

Apport des données toxicologiques des OPFR

À ce jour, les troubles neurologiques précoces causés par les OPFR ne sont encore que peu étudiés chez l’homme ou chez l’animal, malgré leur similarité structurelle avec les pesticides organophosphorés neurotoxiques et suspectés de neurotoxicité développementale [10, 11]. Les résultats des quelques études toxicologiques réalisées in vitro sur une batterie de tests (cellules souches embryonnaires de souris, cellules souches neuronales humaines, cellules neuronales de rats, développement chez le némfutilisation dans une approche de hiérarchiatode [Caenorhabditis elegans] et le zebrafish [Danio rerio]) suggèrent que le triphenylphosphate (TPHP), le phenylphosphate d’isopropyle (IPP), le 2-ethylhexyldiphenylphosphate (EHDP), le phenyldiphenylphosphate de tert-butyle (BPDP), le trimethylphenylphosphate (TMPP), l’isodecyl-diphenylphosphate (IDDP), et le (tris(1,3-dichloro-isopropyl)phosphate (TDCIPP), mais pas le TCEP, pourraient présenter une neurotoxicité développementale du même niveau que le BDE-47 qu’ils ont remplacé [10]. Pour les isomères du tricrésylphosphate (TCP), une diminution de l’activité neuronale a été observée sur des cellules neuronales de rat [30]. De plus, les résultats d’études toxicologiques aiguës in vivo ont montré une neurotoxicité pour le tri-n-butylphosphate (TBP), le TBEP et le tris(1,3-dichloro-2-propyl)phosphate (TDCP) [12, 31, 32]. Ces quelques études, peu nombreuses toutefois, confortent l’hypothèse que les OPFR seraient neurotoxiques. De plus, certains OPFR tels que le tri-phényl phosphate (TPP ou TPHP) et le TCP sont des agonistes des récepteurs aux œstrogènes et donc de potentiels perturbateurs endocriniens [33]. Cette caractéristique peut être un mécanisme pour leur neurotoxicité développementale, compte tenu du rôle des œstrogènes dans la plasticité synaptique, la capacité de mémoire et la différenciation comportementale [34]. Ces données concernent néanmoins peu d’OPFR sur la centaine identifiée à ce jour et ne permettent pas d’identifier des indicateurs toxicologiques suffisamment pertinents ou comparables pour une utilisation dans une approche de hiérarchisation (exceptées les doses létales 50, DL50). Néanmoins, elles peuvent être utiles aux décideurs qui pourraient considérer certains OPFR moins bien classés comme prioritaires également. Il s’agirait ici des phenol isopropylated phosphate (IPP – rang 22), TDCP (rang 24), TPP (rang 36), IDDP (rang 47), TCP (rang 73), tri-o-cresylphosphate (o-TCP – rang 74), tri-m-cresylphosphate (m-TCP – rang 85), TCPP (rang 48), TCEP (rang 49), TMPP (rang 68), BPDP (rang 86), tris(2,3-Dibromopropyl) phosphate (TDBPP – rang 87) et tetrakis(hydroxymethyl)-phosphonium chlorite (THPC - rang 90) [10-13, 30-33].

Perspectives pour une généralisation de la démarche

L’approche testée sur les OPFR a montré sa capacité à discriminer les composés en vue d’une hiérarchisation. Le développement de méthodes de mesures adaptées pour les OPFR considérés comme les plus exposants permettraient de conduire des études pour évaluer les contaminations de l’environnement et les expositions humaines (mesures environnementales ou mesures biologiques) pour un plus grand nombre d’OPFR que ceux actuellement étudiés, et ainsi valider l’approche proposée.

C’est une approche qui peut être généralisée à l’ensemble des COSV contenus dans les produits de consommation, et qui pourrait être enrichie, en fonction des catégories de substances, par un score complémentaire prenant en compte une approximation de la toxicité grâce à la toxicologie in silico qui est, pour certains effets tels que cancers et génotoxicité, déjà bien développée [20].

 

Remerciements et autres mentions

Financement : Agence nationale de la recherche, subvention ANR-16-CE34-0004-01 ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


1 Classification et étiquetage des produits chimiques.

2 Hazardous Substance DataBank : http://toxnet.nlm.nih.gov/newtoxnet/hsdb.htm

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