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Évaluation des risques environnementaux et sanitaires liés aux résidus de médicaments dans les eaux : préalable fondamental pour guider les décisions de gestion Volume 17, supplément 1, Avril 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Introduction

Des questions précises à formuler

Les enjeux associés à la découverte d’une nouvelle famille de polluants dans l’environnement sont liés à la mesure et à la perception des risques. Quantifier avec précision les risques environnementaux et sanitaires liés aux résidus de médicaments dans les eaux est un défi majeur, mais un préalable fondamental pour guider les décisions de gestion afin d’éviter de mettre en œuvre un principe de prévention ou de précaution.

Les données sont suffisamment nombreuses pour affirmer que des résidus de médicaments sont détectés et dosés dans des eaux superficielles et souterraines sur tous les continents et dans les eaux littorales. Les métabolites et produits de dégradation des principes actifs (PA) de médicaments, comme pour tous les autres contaminants, sont beaucoup moins recherchés, mais leur présence est parfois aussi significative que les molécules-mères [1].

L’interrogation souvent formulée, « Les résidus de médicaments dans les eaux induisent-ils un(des) risque(s) pour l’environnement et la santé publique ? », est à la fois légitime et simpliste, au même titre que pour tous les autres polluants de l’environnement. Elle est :

  • légitime, car ces molécules sont commercialisées et utilisées en raison de leurs effets biologiques qui, selon la dose et l’organisme concerné, peuvent induire des effets toxiques. Il est donc tout à fait logique et utile de vouloir connaître les risques afin de s’en prémunir ;
  • mais simpliste si elle est posée en ces termes car la question porte sur des centaines de molécules de structures différentes, aux effets biologiques très divers en contact avec des organismes biologiques également très variés. Elle ne peut donc pas être unique et confondre « les » médicaments et « des » médicaments. Ces molécules sont, de plus, présentes dans la nature en mélange avec d’autres contaminants pouvant être plus ou moins toxiques, inhibiteurs ou amplificateurs des effets, et ce sont les effets de ces mélanges qui doivent être étudiés.

La question ne peut donc pas être posée en évoquant les risques liés « aux » résidus de médicaments en général tant les molécules, les mélanges, les situations d’exposition et les organismes cibles sont variés.

Une préoccupation non spécifique

Les méthodes permettant d’évaluer les risques environnementaux et sanitaires liés à des résidus de médicaments dans l’eau ne comportent aucun élément spécifique par rapport à celles appliquées aux autres polluants chimiques. Les préoccupations et la complexité de l’évaluation quantitative des risques sont identiques pour tous les micropolluants, et particulièrement pour les molécules organiques. Même s’il convient de considérer que les principes actifs des médicaments ont été commercialisés en raison de leurs effets biologiques, il est possible de dire la même chose pour les biocides ou les pesticides.

Il est intéressant d’observer que, dans les débats publics existant depuis 15 ans sur le sujet de la pollution par les résidus de médicaments, certains ont cherché à faire croire que les résidus de médicaments n’étaient pas des produits chimiques comme les autres « puisque leur fonction était de soigner » et qu’ils ne devaient donc pas être classés comme des polluants. Cet argumentaire surprenant est totalement absurde lorsqu’il s’agit de se préoccuper des éventuels effets indésirables pour les organismes exposés non intentionnellement à ces molécules. D’autres ont argumenté sur le fait que les concentrations en résidus de médicaments trouvées dans l’environnement étaient tellement faibles que rien ne pouvait se produire de négatif pour la faune ou un buveur d’eau. L’argument est généralement associé au fait qu’un individu devrait boire des volumes considérables d’eau pour absorber le minimum d’une dose thérapeutique et, qu’en conséquence, il n’est même pas nécessaire de procéder à une analyse de risques.

À l’inverse, dans une grande confusion encore malheureusement très fréquente entre les résidus de médicaments et les perturbateurs endocriniens, certains soutiennent que « les » résidus de médicaments (toujours en généralisant abusivement) sont extrêmement toxiques, font changer de sexe les poissons et représentent une des plus grandes causes de dérèglement de la vie aquatique.

Les diverses approches méthodologiques d’évaluation des risques

Mesurer une toxicité intégrant tous les aspects d’une situation réelle d’exposition humaine ou environnementale (absorption, dose active, métabolisation, franchissement des barrières, etc.) peut se faire en utilisant des essais biologiques in vivo et in vitro combinant plusieurs types de réponses biologiques, couplés ou non à des méthodes préalables de traitement de l’échantillon. La réponse est alors la plus proche de la réalité des effets biologiques.

Une alternative est de simuler au mieux les effets des mélanges de contaminants avec des mélanges artificiels de molécules réalisés en laboratoire. Cela implique de connaître la nature de tous les polluants dans l’échantillon d’eau, de disposer de toutes les données de toxicologie pour tous les produits et de savoir estimer les influences des autres éléments présents dans les matrices aquatiques et notamment les matières organiques naturelles dissoutes. Les protocoles sont complexes et longs et ce type de travail ne peut malheureusement être réalisé complètement.

À défaut, il est plus simple de mesurer les effets toxicologiques d’un seul principe actif, ou d’une famille de molécules dont les cibles ou les effets biologiques sont identiques, envers les écosystèmes sur lesquels se font les observations, ou plus simplement envers des organismes cibles choisis. Sont pris en compte la molécule, ses métabolites et ses principaux produits de dégradation, mais indépendamment de leur inclusion dans une matrice organique ou minérale et de leur présence dans une eau. Les essais sont menés en laboratoire sur des modèles in vivo ou in vitro. Cette approche est utilisée classiquement dans la démarche de quantification des risques. Elle donne une information qui, bien qu’importante, ne sera que partielle au regard de la question générale posée pour le mélange réel de polluants in situ. C’est cette approche, la plus utilisée, qui sera développée dans cet article.

Risques environnementaux et sanitaires, directs et indirects

Les risques environnementaux sont imposés au biote dans sa globalité et, même si l’humain en est partie intégrante, nous les distinguerons des risques sanitaires. Bien évidemment, tout élément contaminant l’environnement, et plus encore s’accumulant dans le biotope et induisant des effets toxiques sur le biote, pourra générer un effet direct ou indirect, à moyen ou long terme, sur la santé de l’homme.

Les risques sont soit directs en raison de l’action de la molécule sur un système biologique, soit indirects comme, par exemple, lorsque l’action se produit sur le milieu naturel récepteur en affectant la qualité globale des eaux de surface (eutrophisation) ou sur les réseaux de distribution des eaux de consommation humaine en réduisant leur teneur en oxydants utilisés pour maintenir la qualité microbiologique. Nous n’aborderons que les risques directs.

Les médicaments à usage humain et vétérinaire sont autorisés à la vente après examen du dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) comportant les résultats de nombreuses études de toxicologie. Celles-ci sont, par évidence, majoritairement axées sur le modèle humain. Ainsi, les études dites « précliniques » sont réalisées selon des protocoles définis par des standards internationaux pour identifier et mesurer tous les effets toxiques sur l’organisme à soigner, définir les doses thérapeutiques et évaluer les effets secondaires. Le dossier d’AMM intègre également un volet sur l’impact environnemental du principe actif. Cette analyse de risque environnemental du dossier d’AMM, qui était bien peu développée, a fait l’objet de très longues négociations pour aboutir à des lignes directrices en 2006 pour les médicaments à usage humain [2] et elle est actuellement en révision [3].

Rappelons le préalable fondamental qui établit que le risque ne peut exister que si l’organisme considéré est exposé au danger. Ainsi, le risque sanitaire lié à des résidus de médicaments présents dans les eaux ne peut exister que si les molécules concernées sont présentes dans l’eau de consommation, dans celle des aérosols pouvant être inhalés, dans les eaux en contact avec la peau ou ayant pu contaminer des denrées alimentaires. Ce rappel est important car il est fréquent que des articles de presse, ou même scientifiques, évoquent un risque sanitaire à partir de données mesurées dans des eaux brutes non traitées sans que des mesures aient été effectuées dans les eaux de consommation correspondantes après tous les traitements appliqués.

Alors, pour permettre de réaliser une évaluation quantitative des risques sanitaires liés à l’environnement aquatique, la caractérisation des risques doit être menée selon ses grands principes rappelés dans la figure 1 sur la base des principales étapes : identification du danger, évaluation des effets et calcul de la relation dose-effet, mesure des expositions.

L’évaluation des risques environnementaux demandée dans les dossiers d’AMM en Europe

L’Agence européenne des médicaments (EMA) précise, depuis 2006, les éléments qui doivent être intégrés dans un dossier d’AMM pour un médicament afin d’évaluer les risques pour l’environnement. Cette analyse n’est pas exigée pour les renouvellements d’AMM ou pour des modifications mineures et pour les médicaments constitués de vitamines, d’électrolytes, d’acides aminés, de peptides, de protéines, de sucres et de lipides. En cas de modifications majeures de la composition ou pour des extensions (ex : dosages en principes actifs, indications) entraînant une augmentation significative des quantités consommées, une évaluation des risques environnementaux est requise. Pour les vaccins et les produits pharmaceutiques à base de plantes, le dossier doit seulement spécifier pourquoi l’analyse des risques est inutile en justifiant l’absence d’effet toxique du produit. Il en est de même pour les vaccins et les produits pharmaceutiques à base de plantes. Cette évaluation ne s’applique pas aux organismes génétiquement modifiés.

L’étude comporte plusieurs phases (tableau 1 et figure 2).

La phase I est qualifiée « d’étude de l’exposition ». Les molécules, dont le coefficient de partage octanol/eau (log Kow) est supérieur à 4,5, doivent être étudiées pour leurs critères de persistance, de bioaccumulation et de toxicité selon le protocole défini par le bureau européen des produits chimiques [4].

Le protocole exige ensuite le calcul de la concentration environnementale prédite (ou predicted environmental concentration [PEC]) avec un facteur de pénétration du « marché » fixé par défaut à 0,01 (le facteur de pénétration représente la proportion de la population traitée quotidiennement avec un médicament donné). Elle est associée à l’estimation de la masse du principe actif distribuée pendant une année et répartie de manière égale sur l’ensemble du territoire géographique, en considérant que la source unique est celle des eaux usées sans évoquer les eaux usées industrielles. Le calcul considère le pire cas dans lequel les stations d’assainissement des eaux usées (STEU) seraient inefficaces et la métabolisation par le patient considérée comme nulle.

La formule à appliquer est alors :

PECeauxusées=Dosemaximalejournalièredetraitementmg/hab/j× facteurdepénétration0,01Volumed'eauxuséesenL/hab/jour200×dilution10

Si la valeur de la PEC est inférieure à 0,01 μg/L, en absence d’une information particulière avérée sur un risque environnemental, la molécule est considérée sans exposition significative donc, par extrapolation, sans risque pour l’homme via l’environnement.

Cette estimation globale ne tient pas compte des zones influencées par des rejets fortement contaminés, notamment en aval des STEU, et n’intègre pas les rejets des industries pharmaceutiques. Elle est censée être basée sur un scénario de « pire cas » considérant que toute la masse de la molécule considérée est dispersée sans dégradation dans l’organisme par le métabolisme ou dans le milieu après passage par les STEU.

Burns et al. [5] ont comparé les PEC et MEC (measured environmental concentration) pour 95 molécules dans la région de York (Angleterre) et concluent que les considérations de métabolisation et d’efficacité des STEU sont essentielles, et que le calcul de la PEC surestime largement la situation réelle dans la majorité des cas. Cette différence entre les deux indicateurs d’exposition est très variable selon les rivières.

Si la PEC est supérieure à 0,01 μg/L, la phase II doit être réalisée. Elle est qualifiée d’analyse du « devenir et des effets dans l’environnement ».

Il s’agit d’effectuer le calcul du rapport de la PEC sur la concentration prédite considérée comme sans effets environnementaux (predicted no effect concentration [PNEC]). Cette phase est décomposée en deux sous-phases :

  • la phase II, étape A, consiste à étudier notamment les propriétés de biodégradation de la molécule, ses capacités d’adsorption/désorption sur les sols et les boues et, si sa compétence à la bioaccumulation est suspectée, à mener des essais spécifiques de vérification. La PNEC dans l’eau est calculée sur la base d’essais de toxicité qualifiés de « long terme », menés sur des poissons, des daphnies et des algues selon des protocoles codifiés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’effet antimicrobien est estimé sur des biomasses épuratrices de stations d’assainissement et l’effet antibiotique des cyanobactéries. La PNEC est calculée en appliquant un facteur d’incertitude (par défaut de 10) sur la valeur de la concentration observée comme ne présentant aucun effet biologique (no observed effect concentration [NOEC] ou dose sans effet nocif observé en français [DSENO]). Pour les eaux souterraines, il est imposé que la « PEC eaux souterraines » soit le quart de la valeur calculée pour les eaux de surface et que la « PNEC eaux souterraines » soit égale à celle calculée avec des daphnies. À l’issue de la phase II A :
    • si le ratio PEC/PNEC est inférieur à 1, la molécule est jugée sans effet nocif via l’environnement ;
    • si le ratio PEC/PNEC est supérieur à 1, la molécule et ses métabolites doivent suivre la procédure de la phase II étape B ;
    • si un phénomène de bioaccumulation est suspecté, l’étape B doit être appliquée ;
    • si une accumulation dans les boues des stations d’assainissement est constatée, une évaluation de l’impact sur le compartiment terrestre doit être effectuée ;
    • dans le cas d’un ratio PEC eau superficielle/PNEC micro-organismes supérieur à 0,1, des études complémentaires spécifiques sont également nécessaires ;
    • si l’étude du devenir de la molécule dans les systèmes sédimentaires indique une accumulation/persistance au niveau des sédiments ;
  • la phase II, étape B, consiste à étudier la molécule-mère et ses métabolites présents en quantités supérieures à 10 % de celles de la molécule-mère. La PEC est alors mieux étudiée selon la formule :
PEC=Émissionlocaledansl'eaumg/j×fractiondirectementémisedansleseauxdesurfaceQuantitéEU/hab/j200 l×capacitédelaSTEUlocale10000hab×facteurprenantencomptel'adsorptionsurlesMES×dilution10

L’émission localisée dans l’eau est calculée selon la formule finale suivante :

Dosethérapeutiquemaximumjournalièremg/hab/j×fractionexcrétée×facteurdepénétration×capacitédelaSTEU10000équivalenthabitants

L’intégration de cette nouvelle procédure dans l’élaboration et l’examen des dossiers d’AMM a constitué un progrès certain par rapport à la situation précédente très insatisfaisante.

Les limites de l’estimation sont inhérentes aux chiffres très généraux intégrés. Sauf dans les cas pré-cités de modifications majeures ou d’extensions d’AMM, les molécules déjà mises sur le marché ne sont pas évaluées. L’analyse des risques est limitée au risque environnemental. Il convient de noter que les conclusions de cette évaluation ne sont pas opposables à la mise sur le marché des médicaments à usage humain, contrairement aux médicaments vétérinaires.

Concernant les médicaments vétérinaires, il existe des informations spécifiques qui aident à l’évaluation quantitative des risques via l’alimentation : pour chaque molécule concernée, la détermination d’une limite maximale de résidus (LMR) fait l’objet d’une évaluation par l’EMA dont les résultats sont publics. La fixation d’une LMR fait l’objet d’une décision de la Commission européenne. Pour les principes actifs concernés, le dossier sur les LMR présente l’élaboration d’une dose journalière admissible (DJA). Cette DJA correspond à une estimation de la quantité de PA et/ou de ses métabolites, exprimée en μg/kg de masse corporelle, qui peut être ingérée quotidiennement tout au long de la vie de l’animal sans risque notable pour l’homme qui le consomme. Elle est identique pour l’adulte et pour l’enfant.

L’EMA a demandé en 2016 que le protocole actuel soit révisé selon le cahier des charges suivant [3].

L’Agence a demandé que les révisions cherchent à améliorer la précision des évaluations et définissent une batterie d’essais plus représentatifs et couvrant la totalité des effets. Elles portent sur les huit sujets suivants :

  • examiner la stratégie d’approche hiérarchisée actuelle et les valeurs seuils en incluant une étude sur les données des usages de consommation ;
  • étudier les groupes des médicaments pour lesquels le recueil des données ne serait pas nécessaire en raison de la nature de leurs constituants et clarifier les conditions scientifiques nécessaires pour une telle approche ;
  • synthétiser les moyens permettant une meilleure utilisation des données existant dans le domaine publique pouvant permettre une évaluation scientifique en accordant un intérêt particulier aux moyens d’éviter les répétitions d’essais sur animaux (poissons) ;
  • vérifier si le protocole actuel est toujours adapté pour les molécules aux propriétés spécifiques (persistantes, bioaccumulatrices, toxiques pour la reproduction [PBT], perturbateurs endocriniens, mélanges, forte toxicité spécifique pour un groupe taxonomique) ;
  • vérifier l’applicabilité de la stratégie d’essais actuelle en prenant en considération les propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des molécules étudiées ;
  • mettre à jour la batterie d’essais en se basant sur les informations scientifiques les plus récentes et, si possible, vérifier leur validité pour des cas particuliers de médicaments ;
  • étudier la préconisation d’essais additionnels dans les domaines peu, ou pas, pris en compte actuellement ;
  • évaluer de possibles options de gestion pour réduire les risques, y compris en abordant les moyens permettant de mesurer les impacts potentiels sur l’environnement.

La démarche proposée par l’Anses

Considérant les quelques démarches d’évaluation des risques publiées qui peuvent être spécifiques à des familles de contaminants, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a jugé nécessaire de constituer un groupe de travail pour élaborer une démarche adaptée aux risques liés à une molécule utilisée comme PA d’un médicament, ou l’un de ses métabolites et de ses produits de dégradation jugés pertinents. Cette démarche concerne les médicaments humains et vétérinaires.

La méthode générale proposée pour l’évaluation des risques sanitaires liés à la présence de résidus de médicaments dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH), basée sur les travaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [6] et de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) [7] a été publiée en 2013 et appliquée à des médicaments humains et vétérinaires [8].

Les principales étapes de cette méthode sont :

  • pour l’évaluation de l’exposition : l’identification des métabolites pertinents formés chez l’homme ou l’animal, l’identification des produits de transformation pertinents formés dans l’environnement et dans les filières de potabilisation, puis l’évaluation de l’exposition de l’homme via l’EDCH ;
  • pour l’évaluation des effets : l’identification des effets critiques pertinents (dont il est estimé qu’ils représentent les risques le plus significatifs), la détermination des valeurs toxicologiques de référence (VTR) caractérisant le lien entre l’exposition de l’homme à un toxique et l’occurrence ou la sévérité d’un effet nocif observé ;
  • pour l’évaluation du risque : la détermination d’une valeur guide pour l’évaluation des effets et, in fine, l’évaluation des risques.

La sélection des métabolites ou des produits de transformation pertinents nécessite de connaître le pourcentage formé de ces contaminants par rapport à la molécule-mère et l’analyse primaire de leurs effets biologiques. À titre indicatif, en ce qui concerne les pesticides, les règles adoptées au niveau européen définissent comme métabolites « pertinents » ceux qui représentent plus de 5 % en masse de la molécule-mère et qui sont susceptibles d’induire la même activité biologique que la molécule-mère, ou ceux dont des propriétés toxicologiques sont considérées comme « graves et inacceptables ». Malheureusement, alors que les dossiers d’AMM sont censés pouvoir fournir des indications importantes, le recueil de données sur les métabolites et les produits de transformation des médicaments est difficile, très limité à cause d’une faible accessibilité ou d’une divulgation refusée sous couvert de secret industriel.

Concernant les effets biologiques, de nombreuses sources de données sur les effets des médicaments sur les organismes existent, mais elles sont également rarement accessibles. À titre d’exemple, les principales sources de données sont produites par :

  • les dossiers d’AMM et les bases de données des agences de surveillance des médicaments (Agence nationale de sécurité des médicaments [ANSM], Agence nationale du médicament vétérinaire [ANMV], EMA, etc.) lorsque leur communication est autorisée et rendue accessible ;
  • les documents d’organismes de sécurité sanitaire (OMS, US Environmental Protection Agency (US EPA), National Institute for Public Health and Environment (RIVM), Santé Canada, etc.) ;
  • la littérature scientifique.

Les données toxicologiques sont souvent celles réalisées avec des doses proches de la dose thérapeutique mais pas avec les faibles doses rencontrées dans l’environnement avec exposition chronique.

À partir de ces données, l’objectif est de proposer des VTR pour pouvoir calculer le risque.

Compte tenu de l’accessibilité limitée de ces données, le groupe de travail de l’Anses a cherché à proposer des démarches par étape permettant de tenter une analyse de risque. Ces étapes sont fonctions de la qualité des données qui permettent de définir des VTR. Les étapes sont proposées avec une hiérarchisation qui offre un résultat dont la précision est forcément décroissante puisqu’il s’agit de pallier l’absence d’élément permettant de réaliser la démarche précédente. Plusieurs alternatives sont donc proposées en fonction du niveau de fiabilité des données disponibles :

  • dans le cas le plus favorable, lorsqu’une VTR est validée dans le dossier d’AMM ou par des organismes de sécurité sanitaire, sur la base d’éléments scientifiques de qualité, elle est utilisée si elle correspond à la voie et à la durée d’exposition (VTRvalidée) ;
  • lorsqu’il n’existe aucune VTR validée, l’Anses demande de travailler à partir des études toxicologiques publiées dans des revues à comité de lecture ou des études pharmacotoxicologiques du dossier d’AMM accessibles afin de calculer une VTR dite VTRtox ;
  • en absence de ces données, la situation devient beaucoup plus difficile et a priori la réalisation d’un calcul de risque quasiment impossible. L’Anses propose toutefois d’approcher des VTR en se basant sur la posologie minimale journalière (ou dose thérapeutique journalière) (VTRposo) qui devra alors être associée à des facteurs d’incertitude (FI) spécifiques. En effet, la posologie est calculée pour soigner un malade, ce qui ne signifie pas qu’il ne puisse exister des effets toxiques à cette dose. Ce sont même ces effets toxiques pour certaines cellules qui sont recherchés dans le cas des anticancéreux ou des antibiotiques pour les bactéries. Il faut donc impérativement prendre un grand nombre de précautions pour réaliser une analyse de risque à partir de ces valeurs et c’est pourquoi des facteurs de sécurité sont indispensables. Cette approche n’est pas à utiliser pour des molécules cancérogènes ou mutagènes à toxicité sans seuil ;
  • en dernière intention, c’est-à-dire dans un cas d’urgence alors que les données toxicologiques sont quasi inexistantes ou inaccessibles, l’approche probabiliste dite du seuil de préoccupation toxicologique (TTC) est tout de même proposée. Elle a été établie à partir de bases de données toxicologiques par la Food and Drug Administration (FDA) afin de définir des seuils pour les substances migrant dans les emballages [9]. Elle est utilisée en considérant un calcul sur la base des molécules potentiellement cancérogènes ou mutagènes (VTRTTC), ce qui conduit à appliquer une valeur limite de gestion pour chaque molécule dans les EDCH fixée à 75 ng/L, quelle que soit la molécule en prévention.

Pour l’évaluation des effets critiques également, l’accès à des données fiables de VTR est limité.

L’application a été faite par l’Anses à quelques molécules figurant dans la liste de celles dosées dans des EDCH en France lors de la campagne nationale menée par son laboratoire de Nancy.

Le tableau 2 donne les conclusions en termes de valeurs guides pour la population la plus vulnérable. Ces valeurs guides sont calculées à partir des VTR en appliquant des facteurs d’incertitude puis en considérant des scénarios de consommation. Ce sont des valeurs fixées par l’OMS, par exemple à 2 L d’eau bus par jour pendant 70 ans pour un adulte de 60 kg. Il est aussi possible de considérer les valeurs réelles estimées dans le pays à condition de disposer d’enquêtes fiables sur les volumes ingérés et les masses moyennes des individus en fonction de l’âge. Pour finaliser le calcul, une part de l’exposition est attribuée. Elle est de 20 % par défaut selon l’OMS.

En résumé, bien que la démarche proposée par l’Anses cherche à être la plus complète possible, son application reste limitée par des facteurs d’incertitude importants.

De plus, cette démarche n’a aucune valeur réglementaire, contrairement à celle proposée par l’EMA.

Sorell [10] a appliqué trois approches en parallèle à plusieurs PA (tableau 3). L’auteur discute des difficultés pour conduire une telle démarche dans le but d’arriver à des résultats cohérents et réclame lui aussi que des données plus robustes soient disponibles.

Exemples de conclusions récentes publiées dans la littérature concernant les risques environnementaux et sanitaires

Pour illustrer les démarches adoptées par différentes équipes de recherche, nous présentons quelques exemples non exhaustifs de résultats publiés concernant les risques environnementaux et sanitaires.

Risques environnementaux

Bouissou-Schurtz et al. [11] ont mené l’évaluation du risque environnemental sur les 33 principes actifs issus de la campagne nationale française de priorisation et d’échantillonnage. La PEC correspond à la plus forte valeur retrouvée dans les eaux brutes en France. La PNEC a été calculée à partir des VTR disponibles (VTRecotox, ou TTC) pour établir le quotient de risque (QR). Selon les lignes directrices de l’Union européenne, le risque environnemental a été estimé comme probable pour les cinq molécules suivantes : acétaminophène (QR = 1,6), ibuprofène (QR = 600), diclofénac (QR = 15), oxazépam (QR = 2,1) et carbamazépine (QR = 3,2).

Chen et al. [12] ont évalué les rendements d’élimination de résidus de médicaments dans des zones humides artificielles destinées à traiter des eaux usées. Leur analyse des risques environnementaux se base sur le ratio MEC/PNEC. Le calcul a été possible pour huit des 32 molécules analysées et, parmi celles-ci, seul l’ibuprofène est considéré comme induisant un risque moyen et le paracétamol un risque faible à négligeable. Les PNEC sont extraites de la littérature et la nature du risque n’est pas détaillée.

Ashfaq et al. [13], sur la base de l’analyse de 11 molécules dans des eaux usées d’industries pharmaceutiques, de boues et de sols au Pakistan, ont mené une analyse de risque environnemental selon le protocole de l’agence EMA. Les conclusions reposent sur la base de PNEC différentes calculées pour quatre ou cinq organismes (poissons, crustacées, algues). Les quotients de risques sont extrêmement élevés traduisant un risque environnemental jugé majeur par les auteurs.

Steger-Hartmann et al. [14] ont réalisé une analyse du risque environnemental spécifique de l’iopromide, molécule très polaire pratiquement pas éliminée par les STEU. Sur la base d’essais sur Vibrio fisherii, Pseudomonas putida, Scenedesmus subspicatus, Daphia magna, ils constatent des rapports PEC/PNEC extrêmement faibles.

Osorio et al. [15] ont basé leur étude sur le ratio entre les concentrations en résidus de médicaments observées sur quatre bassins versants espagnols et les concentrations efficaces médianes (EC50) pour trois essais in vivo (daphnies, poissons, algues). Les données de toxicité aiguë sont disponibles pour 55 des molécules sur les 76 analysées. Les ratios, appelés unités toxiques, ont été additionnés pour les différentes molécules de chaque bassin. Un pourcentage de contribution à la toxicité globale a été calculé pour chaque molécule. Les auteurs constatent des toxicités supérieures pour les algues et les plus faibles apparaissent pour les poissons. Pour les daphnies, les contributions majoritaires aux effets toxiques observés sont la sertaline (22 %), l’érythromycine (20 %), le losartan (11 %) et le dimétridazole (6 %). Pour les poissons, les principaux contributeurs sont le gemfibrosil (43 %), la sertaline (11 %), l’ioratidine (10 %) et l’azithromycine (6 %). Il n’est pas constaté de risque aigu mais une relation est estimée entre les effets toxiques globaux et la densité de population humaine sur le bassin.

Ginebreda et al. [16] ont comparé les coefficients de danger pour les poissons, les daphnies et les algues à partir d’une PNEC calculée en divisant les EC 50 par 1 000, avec les indices de diversité biotiques de Shannon dans la rivière Llobregat en Espagne pour une liste de 24 résidus de médicaments. Les résultats montrent une corrélation linéaire inverse entre l’index de diversité des macro-invertébrés et les coefficients de danger. Les auteurs indiquent toutefois que des essais complémentaires sont nécessaires.

Risques sanitaires

Mendoza et al. [17] ont calculé un coefficient de référence (benchmark quotient) basé sur le ratio entre les concentrations de 12 molécules détectées dans des eaux du robinet en Espagne et des valeurs guides sanitaires provisoires qu’ils ont élaboré. Si le ratio est supérieur à 1, le risque est estimé significatif pour une consommation au cours de la vie entière et si le ratio est inférieur à 0,1 et supérieur à 1, le risque est considéré comme « à surveiller ». En absence de données précises sur la toxicité à faible dose, les auteurs ont utilisé les plus faibles doses thérapeutiques journalières, les doses minimales avec effet nocif observés (DMENO) ou les doses sans effet nocif observés (DSENO). Des facteurs d’incertitude ont été appliqués pour les DMENO ou DSENO, la durée d’exposition, la variabilité inter-espèces, la susceptibilité intra-individuelle et la qualité des données. Les résultats montrent, selon les hypothèses posées, que les coefficients sont tous faibles, ce qui amène les auteurs à conclure à l’absence de risque pour l’homme pour les molécules analysées (drogues illicites, caféine, produits de contraste iodé).

Schwab et al. [18] ont tenté de calculer une « PNEC eau potable » et une « PNEC poisson » pour 26 molécules et métabolites de 14 classes thérapeutiques avec des facteurs d’incertitude bien construits. L’approche intègre même une estimation de la consommation de poissons par les populations. L’exposition par l’eau est estimée pour une période de 30 ans pour un adulte et de six ans pour un enfant et les concentrations sont celles isolées d’une étude de Kolpin et al. en 2002 pour les eaux de surface aux États-Unis. Les auteurs ont fait le choix d’extrapoler ces données à des eaux potables en considérant l’hypothèse dite du « pire cas ». Pour les molécules pour lesquelles il n’existait pas de valeur, le modèle Pharmaceutical Assessment and Transport Evaluation (PhATE), présenté dans cet article, a été élaboré comme outil d’estimation des concentrations de principes actifs pharmaceutiques dans les eaux de surface des États-Unis qui résultent de l’utilisation (ou de la consommation) de médicaments par les patients. PhATE utilise une approche de bilan massique pour modéliser les concentrations environnementales prévues. Des facteurs de bioconcentration ont été calculés. Les conclusions précisent que pour les 26 molécules étudiées les ratios MEC/PNEC laissent présager un risque sanitaire pouvant être considéré comme négligeable.

De Jongh et al. [1] ont tenté une évaluation de risques pour 19 molécules incluant des PA et des métabolites sur la base de dosages réalisés dans les eaux potables produites à partir de rivières ou d’eau filtrée sur berges. Compte tenu du faible nombre de données toxicologiques disponibles, des doses ingérées journalières tolérables ont été calculées conduisant à des valeurs recommandées provisoires pour l’eau de boisson et des valeurs cumulées par familles de produits. Les auteurs montrent l’importance de mener les évaluations de risque en incluant des dosages des métabolites qui apparaissent à des concentrations parfois aussi élevées que les PA. N’ayant pratiquement rien détecté dans les eaux potables, les auteurs concluent (sur la base de cette étude limitée) à une absence d’effets sanitaires.

Conclusions

Nul ne peut aujourd’hui donner une estimation globale des risques environnementaux et sanitaires liés aux différentes classes de résidus de médicaments, de leurs métabolites et produits de dégradation dans les eaux. Ce constat ne manque pas d’inquiéter tous les grands organismes d’évaluation des risques et de gestion des milieux aquatiques, qui savent toutefois que ces molécules ne constituent qu’une des composantes de l’ensemble des polluants organiques rencontrés dans les milieux aquatiques.

Les citoyens, largement alertés envers les risques liés aux pesticides par les informations sur les perturbateurs endocriniens ou par la pollution de l’air, constatent que les médicaments considérés comme des molécules « nobles » sont devenus des polluants pouvant être présents jusque dans leur verre d’eau.

Une analyse de risque est intégrée depuis 2006 dans les dossiers d’AMM, qui permet une évaluation globale pour une nouvelle molécule et la procédure est en cours de révision. Le résultat de ces évaluations ne peut être opposable à l’intérêt thérapeutique pour les médicaments humains mais elle peut l’être pour les médicaments vétérinaires.

La France est le seul pays à avoir développé, de 2010 à 2015, un Plan national traitant des résidus de médicaments dans l’eau dont un bilan a été publié [19]. Les membres du groupe d’appui scientifique de ce plan ont proposé la tenue du premier Congrès mondial sur les risques environnementaux et sanitaires liés à ces molécules. Celui-ci, dénommé ICRAPHE (International Conference on Risk Assessment of Pharmaceuticals in the Environment), a été organisé à la demande des ministères en charge de l’Environnement et de la Santé par l’Académie nationale de pharmacie, à Paris en septembre 2016 en présence de la ministre de l’Environnement, initiant un cycle régulier qui permettra de faire le point environ tous les trois ans sur les avancées récentes. Le prochain se tiendra à Barcelone en juin 2019.

La plupart des travaux récemment publiés font reposer les quantifications de risques sanitaires sur les données toxicologiques assez partielles dont ils peuvent disposer et en effectuant le plus souvent un rapport PEC/PNEC pour l’évaluation de l’exposition environnementale. Les facteurs d’incertitude ou les variabilités de mesure sont très différents d’une étude à l’autre, rendant les comparaisons parfois difficiles. Les molécules prises en compte sont celles ayant été détectées localement dans les eaux, celles ayant déjà donné lieu à des articles dans la littérature internationale, ou encore à partir des nombres de boîtes de médicaments vendues dans la zone d’étude lorsque ces données sont accessibles.

Il est en effet très surprenant de constater que, malgré les demandes répétées de la communauté scientifique, beaucoup de données ne sont toujours pas rendues accessibles lorsqu’elles existent et notamment celles concernant les analyses toxicologiques des molécules incriminées, les schémas métaboliques et les masses de PA vendues par bassin versant.

Ainsi, il est possible de constater que des progrès significatifs ont été accomplis pour l’estimation internationale de la présence des dangers et les niveaux d’exposition. Ceux-ci sont significativement plus élevés dans les milieux aquatiques que dans l’eau destinée à la consommation humaine, même si la prudence reste de mise car les analyses d’exposition des populations humaines sont le plus souvent réalisées dans les pays économiquement développés disposant de filières de potabilisation efficaces.

Les conclusions des études d’analyse de risques sur des groupes de molécules aux doses environnementales révèlent généralement, pour quelques molécules et quelques organismes cibles (ex-antibiotiques sur cyanobactéries), un risque environnemental jugé significatif. Les quelques études ayant mené une évaluation des risques sanitaires concluent à un risque non significatif ou négligeable dans les limites des molécules étudiées et des conditions locales.

La grande majorité des articles termine ses conclusions par quasiment les mêmes phrases de précaution, en indiquant que les résultats ne sont que préliminaires et que les données de toxicologie et d’écotoxicologie utilisables sont trop peu nombreuses ou peu robustes et qu’elles ne permettent pas un travail suffisamment rigoureux.

Remerciements et autres mentions

Liens d’intérêts : CC : Contrat de recherche Sanofi 2013-2016. Chaire Véolia-Hydrosciences sur les contaminants émergents 2011-2016. Présidente du groupe de travail ANSES : évaluation des risques des résidus de médicaments dans les eaux 2011-2013. YL : A été président du groupe d’appui scientifique du Plan national sur les résidus de médicaments dans l’eau et co-organisateur du congrès ICRAPHE.

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