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Description et distribution de la masse corporelle de la population française à partir de l’étude Esteban pour une utilisation en évaluation des risques sanitaires Volume 18, numéro 2, Mars-Avril 2019

Illustrations


  • Figure 1

Tableaux

En évaluation des risques sanitaires, l’utilisation de facteurs d’exposition (FE) ou variables humaines d’exposition (VHE) représentatifs de la population étudiée est nécessaire pour garantir la spécificité des résultats obtenus [1, 2].

Ces facteurs qui décrivent les caractéristiques d’une population (variables anthropométriques comme la masse corporelle, la surface corporelle, le débit respiratoire ; variables comportementales comme la consommation de fruits et légumes, l’ingestion de sols, etc.) associés à la fréquence et durée d’exposition permettent, combinés à la concentration d’un polluant dans un milieu, de définir la dose d’exposition (ou la concentration d’exposition) d’une population soumise à un environnement dégradé. À partir de cette dose d’exposition (ou cette concentration d’exposition), un calcul de risque peut alors être réalisé et permettra, dans un processus d’aide à la décision, de déduire si la situation décrite est préoccupante pour la population exposée.

Au niveau des sources exploitables à l’international, différents référentiels de FE sont disponibles, mais le plus cité est l’Exposure Factor Handbook de l’United States of Environmental Protection Agency (US-EPA) [3]. Cet ouvrage est une référence pour les évaluateurs de risques. Il propose une description des VHE sous forme de distribution de probabilités. Il fait cependant le choix de présenter la moyenne et le percentile 95 de cette distribution et les données sont spécifiques de la population nord-américaine. Ainsi, si leur utilisation peut être envisagée en l’absence d’autres données en France, il est nécessaire et prescrit d’utiliser les données les plus représentatives de la population exposée.

À ce titre, la masse corporelle des Français de métropole est différente de celle de la population nord-américaine (médiane = 80 kg).

En France, dans le domaine des sites et sols pollués, la mise en place des évaluations des risques sanitaires dès 1999 comme outil d’aide à la décision a créé des besoins de disposer de données nationales. Cela a déclenché des initiatives de recueil des FE spécifiques à la population française et permis d’identifier des manques. Ainsi, en 2003, la base de données Ciblex de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a été rendue disponible [2].

Depuis 2003, des études décrivent les FE de la population française de métropole et, à ce titre, Santé publique France (anciennement Institut de veille sanitaire [InVs]) contribue, aux côtés d’autres acteurs1, depuis une dizaine d’années, à diffuser les paramètres pouvant être utilisés aussi bien dans les démarches déterministes que probabilistes d’évaluation des risques sanitaires [4-9].

Concernant la masse corporelle, la dernière étude publiée proposant des distributions de masse corporelle datait de 2007 et s’appuyait sur les données de l’étude décennale de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) menée entre 2002 et 2003 [7].

L’Insee n’a pas mené depuis de nouvelles études permettant une mise à jour des données de 2002. De son côté, Santé publique France a dirigé depuis cette période des études aux objectifs variés et qui présentent l’avantage d’être représentatives de la population française. Certaines sont très récentes et la masse corporelle y a été collectée systématiquement lors d’un examen médical [10, 11].

L’objectif de cet article est de proposer une mise à jour de la distribution de la masse corporelle de la population métropolitaine, dans le but d’une utilisation dans le cadre d’une évaluation des risques sanitaires déterministes et probabilistes, à partir de l’Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban), dont les données ont été recueillies entre 2014 et 20162.

Méthodes

Données anthropométriques utilisées

Les données anthropométriques utilisées sont issues de l’enquête Esteban. Menée entre 2014 et 2016, cette enquête est réalisée sur deux populations en France continentale :

  • les enfants de 6 à 17 ans ;
  • les adultes de 18 à 74 ans.

Elle porte sur plusieurs aspects de santé : l’exposition à certaines substances de l’environnement, l’alimentation, l’activité physique et certaines maladies chroniques ou facteurs de risque (diabète, allergies, maladies respiratoires, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, etc.).

Elle est construite pour être répétée tous les 10 ans environ afin de surveiller l’état de santé, la nutrition et l’exposition de la population française aux substances chimiques de l’environnement.

L’inclusion des participants s’est déroulée en quatre vagues successives de durées égales afin de prendre en compte la saisonnalité de l’alimentation et des expositions environnementales entre 2014 à 2016.

Le plan de sondages était probabiliste à trois degrés :

  • au premier degré, un échantillon d’unités primaires (communes ou regroupement de communes) a été tiré au sort ;
  • au deuxième degré, des ménages ont été tirés au sort par échantillonnage téléphonique ;
  • et au troisième degré, un individu a été tiré au sort par ménage parmi les membres éligibles de celui-ci.

Le protocole de l’étude incluait une enquête alimentaire, la passation d’auto-questionnaires et la réalisation d’un examen de santé avec des prélèvements biologiques. Une présentation du protocole et des aspects opérationnels de la réalisation de ces études (dont le taux de participation et les caractéristiques des participants) est disponible dans un article publié récemment [10].

Les données anthropométriques (masse, taille, tour de hanche) ont été recueillies lors d’un examen de santé réalisé à domicile pour les enfants, et soit dans un centre d’examen de santé (CES) de l’assurance maladie soit à domicile pour les adultes. Cet examen de santé a été réalisé par un infirmier diplômé d’État. Chaque participant a été pesé et mesuré au moyen de pèse-personne et de toises dédiés spécifiquement à l’enquête et selon des procédures standardisées.

Par ailleurs, la masse corporelle a été aussi préalablement recueillie auprès de chaque participant (ou parent de participant pour les enfants), ce qui a permis de bénéficier d’une donnée déclarée et d’une donnée mesurée.

Description et analyse des données

Dans l’étude Esteban, 2 504 adultes et 1 106 enfants ont réalisé l’examen de santé. Dans ce travail, nous avons fait le choix de ne pas inclure les données de masse corporelle des femmes ayant déclaré être enceintes (n = 13).

Les effectifs sont trop réduits pour pouvoir mener une étude âge par âge ; il est proposé ici de donner les résultats par classes d’âge.

Pour les enfants, les tranches d’âge correspondent aux tranches d’âge de fréquentation des structures éducatives susceptibles de les accueillir. Ainsi, ont été privilégiées, dans l’optique d’une utilisation en évaluation des risques sanitaires, les classes d’âge suivantes :

  • 6-10 ans pour les écoles élémentaires ;
  • 11-14 ans pour les collèges ;
  • 15-17 ans pour les lycées.

Les données disponibles pour les adolescents de 15 à 17 ans ont été traitées en tenant compte de l’apparition de différences morphologiques entre garçons et filles pour cette tranche d’âge et sont présentées par sexe.

Par ailleurs, pour les adultes, les tranches d’âge étudiées sont les mêmes que celles que nous avions retenues dans notre publication [6] sur les surfaces corporelles, soit quatre tranches d’âge définies et stratifiées par sexe : 18-29, 30-54, 55-74 et la tranche d’âge globale 18-74 ans.

Analyse statistique

Les statistiques descriptives présentées pour la masse corporelle sont le minimum, le maximum, différents percentiles dont la médiane et le 95e percentile, ainsi que la moyenne arithmétique et l’écart-type dans la population. Ces statistiques ont pour but de mener des évaluations des risques sanitaires selon une approche déterministe.

Dans le cadre d’une utilisation en évaluation de risques probabilistes, des distributions de probabilité ont été ajustées aux données de masse corporelle observées. Différentes distributions théoriques ont été supposées a priori (log-normale, normale, gamma). La qualité de l’ajustement a été vérifiée en comparant les différents percentiles théoriques avec les percentiles observés pour la masse corporelle. Les graphiques quantile/quantile, la fonction de répartition et des histogrammes ont été également utilisés.

Toutes les analyses statistiques réalisées ont pris en compte le plan de sondage complexe de l’étude Esteban (degré de sondage, stratification, pondération, etc.). Pour ce faire, le package « Survey » du logiciel R a été utilisé [13].

Résultats

Résultats descriptifs de la masse corporelle

Les statistiques descriptives du poids corporel pour les tranches d’âge retenues sont présentées dans le tableau 1. Pour les enfants, les données sont présentées par sexe pour la tranche d’âge de 15 à 17 ans. Pour les adultes, les données sont présentées par sexe mais aussi sans distinction, puisqu’en évaluation des risques les calculs peuvent être réalisés pour un individu standard représentatif de la population.

En s’appuyant sur les résultats de l’enquête Esteban, la médiane de la masse corporelle des adultes (sexe et âge confondus) s’établit à 71,4 kg ; la moyenne arithmétique se situe quant à elle à 73,6 kg. La moitié des individus adultes pèse entre 62,4 et 82,6 kg.

Pour les enfants de 6 à 10 ans, la médiane se situe à 29 kg et la moyenne à 31 kg ; pour les enfants de 11 à 14 ans, la médiane est à 49,3 kg et la moyenne arithmétique à 51,3 kg.

Enfin, pour les jeunes filles de 15 à 17 ans, la médiane est à 56,3 kg et la moyenne à 58,8 kg, alors que pour les garçons de cette tranche d’âge, la médiane est à 65 kg et la moyenne à 67,1 kg.

Distribution théorique ajustée aux données observées de la masse corporelle par sexe et classes d’âge

La figure 1 illustre l’histogramme de la masse corporelle observée chez les adultes (18-74 ans), ainsi que la fonction de densité. La distribution est asymétrique avec une queue de distribution à droite. Parmi les distributions théoriques testées (log-normale, normale, gamma), celle qui caractérise le mieux la variabilité de la masse corporelle observée dans les différentes classes d’âge est la distribution log-normale.

Les paramètres de cette distribution ajustée aux données observées de la masse corporelle sont présentés par sexe et classe d’âge dans le tableau 2. Ceux-ci peuvent être utilisés pour reproduire les distributions observées par simulations Monte Carlo dans le cadre d’une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) probabiliste. La fonction « rlnorm » implémentée dans le package « stats » du logiciel R peut être utilisée pour cela.

Discussion

Évolution depuis 2002

Nous avons publié en 2007 une description du poids corporel à partir des données de l’enquête décennale de l’Insee de 2002-2003. La médiane adulte était alors de 69,9 kg. Au vu des travaux menés cette fois à partir de l’étude Esteban, nous avons pu calculer la médiane à partir des données mesurées mais aussi à partir des données déclarées. Cette médiane sur les données déclarées est de 70 kg, similaire à celle trouvée avec les données de l’Insee de 2002-2003 [4, 7].

En 2013, les travaux que nous avions menés pour définir la distribution de la surface corporelle s’étaient appuyés sur les données anthropométriques mesurées de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) pour estimer les surfaces corporelles de la population française. Nous disposions également des masses corporelles. La médiane à partir des données mesurées d’ENNS de 2006 s’établissait à 71 kg (78 kg pour les hommes et 63 kg pour les femmes). À partir des données d’Esteban, la médiane des données mesurées est ici de 71,4 kg (78,3 kg pour les hommes et 64,1 kg). Les médianes sont donc très proches pour ces deux études.

Comparaison avec les données à l’étranger

Les données disponibles à l’étranger sont aujourd’hui assez anciennes. Néanmoins dans l’Exposure Factor Handbook [3] publié en 2011, nous disposons des moyennes estimées en 2006. Si les valeurs des masses corporelles pour les enfants de 6 à 11 ans sont comparables (moyenne : 31 kg), les masses corporelles des Américains sont plus élevées au-delà de 11 ans. Pour les adultes, la moyenne pour les Américains est à 79,5 kg versus 73,6 kg pour les Français.

Paramètres standards, masse corporelle et calcul de risques

En évaluation des risques sanitaires, le plus souvent c’est une démarche déterministe qui est utilisée et le résultat, « le risque sanitaire » calculé, a une validité pour un individu représentatif de la population ou d’une sous-population (avec, par exemple, un comportement extrême). La portée du résultat n’a en revanche aucune signification à l’échelle individuelle.

Pour se rapprocher le plus de l’individu standard français, il faut utiliser les données issues des études françaises.

Actuellement, dans les calculs de risques dans le domaine de la politique des sites et sols pollués, la valeur souvent utilisée par défaut reste la même que celle des années 2000, à savoir 70 kg pour la population adulte (et 15 kg pour les enfants). Elle est issue des recommandations de l’US-EPA dans les années 1990. Elle est légèrement inférieure à la médiane pour la population française (71,4 kg) trouvée dans l’étude Esteban. L’erreur liée à l’utilisation de cette donnée standard, majoration du risque de l’ordre de 2 %, est marginale par rapport aux autres incertitudes. En effet, l’objectif dans la phase de calcul étant d’estimer une dose journalière d’exposition, il faut donc rapporter la dose à une masse. Plus la masse utilisée pour la population est faible, plus la dose journalière sera élevée, d’où cette légère majoration.

Partant du principe que les calculs menés sont souvent réalisés en France à partir de la donnée standard de 70 kg, aussi bien pour les hommes que les femmes (cf. politique des sites et sols pollués et instauration des interprétations de l’état des milieux [IEM]), nous nous sommes intéressés ici à la signification de l’utilisation de ce paramètre par rapport à la valeur médiane disponible pour les hommes, d’une part, et les femmes, d’autre part. Ainsi, la valeur médiane des femmes (adultes) est de 64,1 kg quand celle des hommes est de 78,3 kg. Ces valeurs correspondent dans la distribution des adultes (hommes et femmes confondus) au percentile 30 % et 67 %. Cela a pour conséquence une sous-estimation systématique des risques pour les femmes lorsque l’approche déterministe est utilisée (politique des sites et sols pollués, EQRS de zone, etc.). À l’inverse, en utilisant 70 kg pour les hommes, leur risque est surestimé et donc le résultat est protecteur.

Données mesurées versus données déclarées

Comme indiqué précédemment, disposant des deux types de données dans l’étude Esteban, il existe globalement peu d’écart entre elles pour les adultes. Nous l’illustrons ici par la différence au niveau des médianes (70 kg pour les masses déclarées et 71,4 kg pour les masses mesurées). La comparaison des données déclarées et mesurées est étudiée de manière plus approfondie dans une publication de Julia et al.[12].

Limites de l’utilisation des données Esteban dans le cadre d’une évaluation des risques sanitaires

L’étude Esteban ne s’intéresse pas aux individus de moins de 6 ans. Il n’est donc pas possible à ce stade de mettre à jour les données pour cette population. Néanmoins, le volet anthropométrique de l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE) doit paraître prochainement. Il pourra apporter des éléments pour les enfants de moins de 6 ans puisqu’il devrait présenter les percentiles et les distributions en termes d’éléments de croissance de l’enfant.

Validité temporelle

L’indice de masse corporelle moyen mesuré dans Esteban était comparable à celui d’ENNS 2006. La tendance est à la stabilisation, sur 10 ans, de la prévalence du surpoids aussi bien chez les adultes que chez les enfants. Néanmoins la prévalence du surpoids et de l’obésité reste importante [13].

Si l’étude est répétée tous les sept à dix ans environ, comme il a été prévu à l’origine, les données anthropométriques pourront aussi être mises à jour et répondre à la question d’une éventuelle évolution des masses corporelles.

Conclusion

Les données présentées dans cet article sont les premières en France établies à partir de données mesurées en population générale et sont représentatives de la France métropolitaine (hors Corse). Les comparaisons avec les études antérieures montrent peu d’évolution.

La distribution théorique qui caractérise le mieux la distribution observée de la masse corporelle des Français dans les différentes classes d’âge est la distribution log-normale.

Cet article devra être complété par les travaux issus d’autres études françaises comme ELFE pour les enfants de moins de 6 ans.

Remerciements et autres mentions

Les auteurs remercient l’équipe projet Esteban de Santé publique France et l’équipe de surveillance et d’épidemiologie nutritionnelle (ESEN) de Santé publique France - Université Paris 13, ainsi que l’ensemble des personnes ayant contribué au recueil des données anthropométriques : les infirmiers et les centres d’examen de la Cnam TS.

Financement : aucun ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


1 Ademe, Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

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