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Environnement, Risques & Santé

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Des arbres dans la cour de l’école peuvent-ils améliorer les performances des élèves ? Volume 17, numéro 6, Novembre-Décembre 2018

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Pourquoi le contact avec un environnement naturel nous fait-il du bien ? Les mécanismes psychologiques en jeu font l’objet de deux grandes théories. Selon la première, cette expérience nous repose de nos efforts d’attention sélective et soutenue, remplacée par une attention qui ne demande aucune concentration particulière (fascination douce de la contemplation), nous permettant de récupérer d’une fatigue mentale et de restaurer nos capacités attentionnelles. La théorie psycho-évolutionniste s’appuie sur la relation très proche et nourrissante que l’homme a entretenu pendant des millions d’années avec la nature : il en garde un sentiment de communauté, d’appartenance, et un besoin de connexion qui lui procure immédiatement bien-être et apaisement.

L’apprentissage scolaire nécessite attention et acuité mentale. Certaines tâches – en particulier la résolution de problèmes mathématiques complexes – peuvent générer une tension anxieuse qui brouille la mémoire et le raisonnement.

La présence de verdure dans l’enceinte d’un établissement pourrait-elle améliorer ses performances académiques ?

Cette hypothèse est soutenue par deux récentes études provenant des États-Unis ayant contrôlé les facteurs d’ordre socio-économique dont l’influence sur les résultats scolaires est considérée prééminente (origine ethnique, niveau d’études atteint par les parents et leurs professions, revenus de la famille, etc.). La première (101 lycées publics du Michigan) montre une relation entre la surface verte de l’établissement et les performances des étudiants, et plus particulièrement entre la quantité d’arbres et d’arbustes visibles depuis les fenêtres des classes et de la cafétéria et les scores à des tests d’évaluation standardisés, le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires, ainsi que le pourcentage d’élèves s’orientant vers des études supérieures. La seconde (étude écologique à l’échelle de l’État du Massachusetts : 905 écoles primaires) établit une corrélation entre l’indice de végétation par différence normalisé (NDVI) dans la zone de l’établissement et ses performances à l’évaluation de fin de 3e année du cycle élémentaire (enfants âgés de 8-9 ans : tests de compétence en anglais et mathématiques).

Cette nouvelle étude à Toronto concerne également des écoles primaires, mais elle est focalisée sur le couvert arboré, alors que le NDVI, sensible à la quantité et à la vigueur de la végétation de tout type dans un périmètre donné, ne permet pas d’examiner spécifiquement l’influence des arbres plantés sur le terrain de l’établissement.

Matériel de l’étude

Les données relatives aux performances académiques et au « statut socio-économique » de 387 écoles ont été obtenues auprès du Conseil scolaire du district de Toronto (TDSB pour Toronto District School Board). Les performances étaient définies par le pourcentage d’élèves dont les résultats aux tests de compétence (en lecture, écriture, mathématiques) de fin de 3e année et de 6e année (enfants âgés de 11-12 ans) atteignaient ou dépassaient la norme provinciale (Ontario). Le statut socio-économique de l’établissement était représenté par son learning opportunity index (LOI) qui indique le niveau de difficulté auquel il doit faire face pour assurer sa mission de service public (conditionnant l’allocation de ressources). Cet indice compris entre 0 et 1 (niveau maximum de challenge externe) est établi sur la base de six critères statistiques au niveau du quartier : revenu médian, pourcentage de familles avec un revenu inférieur au revenu médian de la ville, de familles recevant des aides gouvernementales, d’adultes sans diplôme du secondaire, d’adultes avec au moins un degré universitaire, et de familles monoparentales. Le LOI avait été déterminé en 2009. Pour les performances académiques, la période allant de 2005 à 2010 a été considérée. Les écoles alternatives ou avec données manquantes ont été écartées des analyses qui ont respectivement inclus 251 et 281 écoles pour les évaluations de fin de 3e et de 6e années.

La base de données Urban Tree Canopy Assessment for Toronto (cartographie satellitaire de la canopée) a servi à estimer le couvert arboré de chaque établissement en proportion de la surface totale de son terrain. Les auteurs ont également utilisé l’inventaire des arbres du TDSB, débuté en 2004 avec l’aide de la faculté de foresterie de l’université de Toronto et répertoriant 20 639 arbres plantés sur les terrains d’établissements scolaires, avec leurs caractéristiques détaillées (essence, hauteur, envergure, état de santé, etc.). L’objectif était d’examiner l’impact potentiel de la diversité des espèces, ainsi que de la proportion d’arbres à feuillage persistant.

Facteurs influençant les performances

Si les performances aux évaluations de 3e et 6e années sont sans surprise fortement corrélées au LOI (p < 0,001), l’importance du couvert arboré n’apparaît pas influencer de manière significative la performance à l’évaluation de 3e année. Elle est en revanche identifiée comme une variable prédictrice de la performance aux tests de 6e année, expliquant 13 % de sa variance. Les deux facteurs ont un effet conjoint sur le score total (p = 0,027) et ses trois composantes (lecture [p = 0,017], écriture [p = 0,029], mathématiques [p = 0,064]) dans un modèle incluant un terme d’interaction. L’hypothèse d’une influence variable du couvert arboré selon le statut de l’établissement est confirmée par une analyse stratifiée qui retrouve une relation dans le sous-groupe des établissements « défavorisés » (LOI ≥ 0,5) uniquement, avec le score total (p = 0,005) et ses composantes (lecture [p = 0,006], écriture [p = 0,02], mathématiques[p = 0,02]).

L’importance de la surface verte non plantée d’arbres n’apparaît pas influencer les performances académiques, dans l’échantillon total ou en considérant séparément les établissements favorisés et défavorisés.

La recherche d’un « effet diversité » est négative, mais la variété limitée des essences plantées dans les terrains d’écoles réduit la puissance statistique pour détecter un tel effet avec un modèle de régression multiple. La relative abondance des conifères n’apparaît pas non plus différenciante. Une analyse factorielle identifiant une influence de la composition du jeu d’espèces plantées sur les résultats aux tests de mathématiques pour les écoles défavorisées suggère toutefois l’intérêt d’un mélange d’arbres à feuillages caducs et persistants.

Soulignant la faiblesse des budgets des écoles de Toronto alloués à la plantation et à la maintenance d’arbres (considérés à visée purement esthétique), les auteurs souhaitent que les résultats de leur étude engagent à augmenter les investissements et rappellent les autres bénéfices sanitaires potentiels d’un terrain arboré, dont l’atténuation de l’exposition à la chaleur et au rayonnement ultraviolet en saison estivale.

 

Commentaires

Le contact avec la nature, c’est bon pour la santé. De plus en plus d’études sont réalisées autour de cette thématique, qui devient de ce fait presque aussi présente dans les brèves d’ERS que les relations entre la santé et la qualité de l’air ou l’exposition aux pesticides. Au-delà de la démonstration d’un effet positif global qui paraît aujourd’hui faire consensus, les nouveaux travaux portent sur des questions plus spécifiques :

  • Quels effets ? Ici, c’est l’obésité qui est la variable expliquée dans les articles de Villeneuve et al. et de Petraviciene et al., alors que ce sont les performances académiques dans celui de Sivarajah et al. ;
  • Quels éléments spécifiques de la nature ont cet effet ? Si Villeneuve et Petraviciene s’en tiennent à une approche assez classique avec des indicateurs de surface et de proximité, Sivarajah va plus loin en distinguant les surfaces plantées d’arbres et les autres espaces verts, et même en tentant d’analyser l’effet de la diversité des essences ;
  • Et surtout, quels mécanismes sont en jeu dans une éventuelle chaîne causale ? Sivarajah émet des hypothèses (mais qui ne sont pas testées ici) basées sur un effet de réduction du stress par contact visuel avec les arbres, qui faciliterait la capacité de concentration et donc d’apprentissage. Villeneuve analyse quantitativement la relation entre disponibilité des espaces verts, activité physique et obésité et montre qu’il existe un effet favorable des espaces verts sur la réduction de l’obésité indépendamment de l’accroissement de l’activité physique qu’ils permettent (mais sans identifier ce qui explique cet effet).

Il est essentiel de poursuivre ce type de « dissection » pour pouvoir apporter une aide ciblée à la décision publique.

Georges Salines

 


* Sivarajah S1, Smith SM, Thomas SC. Tree cover and species composition effects on academic performance of primary school students. PLoS One 2018 ; 13(2):e0193254. doi: 10.1371/journal.pone.0193254.

1 Faculty of Forestry, University of Toronto, Canada.

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