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Consommation de fruits et légumes contenant des résidus de pesticides : évaluation bénéfices/risques pour la population québecoise Volume 17, numéro 3, Mai-Juin 2018

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La présence de résidus de pesticides dans les fruits et légumes constitue un sujet de préoccupation pour les autorités sanitaires comme pour le grand public et apparaît contradictoire avec la promotion de leur consommation. Considérant leurs effets protecteurs contre plusieurs affections chroniques (incluant les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et certains cancers), les autorités québecoises recommandent, comme en France, d’en consommer au moins cinq portions par jour, mais il n’existe pas de programme de surveillance de l’exposition alimentaire aux pesticides et d’évaluation des risques qui en découlent. Ce travail a été conduit dans l’objectif de combler cette lacune.

 

Estimation de l’exposition

Les auteurs ont utilisé deux bases de données pour estimer l’exposition chronique de la population québecoise aux résidus de pesticides présents dans les fruits et légumes : celle de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) qui a mesuré entre 2005 et 2008 les résidus de 169 pesticides dans 285 produits sur le marché national (fruits et légumes frais ou transformés d’origine canadienne ou importés), et celle de l’Enquête de santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) qui a collecté en 2004 les données de consommation de fruits et légumes frais ou transformés de 4 727 Québecois âgés de 1 à 79 ans (méthode du rappel alimentaire de 24 heures).

Après avoir établi une liste de 89 fruits et légumes les plus consommés, les auteurs ont calculé l’exposition individuelle quotidienne totale à chaque pesticide (en μg/kg de poids corporel/j) à l’aide d’une formule intégrant le nombre d’aliments contenant ce pesticide et, pour chaque aliment, sa quantité quotidiennement consommée et son niveau de contamination moyen. La distribution des doses d’exposition a été établie pour la population totale ainsi que pour six groupes d’âges : 1-3 ans (n = 320), 4-8 ans (n = 498), 9-13 ans (n = 578), 14-18 ans (n = 684), 19-50 ans (n = 1 359) et au-delà (n = 1 288).

Évaluation du risque de cancer

Un coefficient de cancérogénicité pertinent était disponible dans les bases de données états-uniennes (Agence de protection de l’environnement fédérale [US EPA] ou californienne [CalEPA]) pour 28 des 169 pesticides considérés (coefficient commun pour les substances de la famille des dithiocarbamates[incluant le mancozèbe, le manèbe et le métirame], sinon individuel). Ce coefficient (oral cancer slope factor) permet d’estimer le nombre de cas de cancer en excès lié à une exposition constante « vie entière » (durant 70 ans) à une substance cancérogène. L’application à la population totale (dose d’exposition moyenne) indique que l’exposition chronique au mirex, à la dieldrine, à l’imazalil et aux dithiocarbamates entraîne un excès de risque non négligeable (dépassant 1 cas supplémentaire pour 100 000 individus). En cumulant les effets individuels de l’exposition aux 28 pesticides, l’excès de risque est d’environ trois cas de cancer pour 10 000 personnes (3,25 × 10-4), ce qui, rapporté à la population totale du Québec (8,33 millions d’habitants), se traduit par 39 nouveaux cas chaque année.

En regard, le nombre de cas de cancer évités annuellement par la consommation de fruits et légumes serait compris entre 3 374 et 4 407, l’estimation reposant sur les relations décrites dans la littérature (méta-analyses du World Cancer Research Fund et de l’American Institute for Cancer Research) pour quatre localisations (poumon, estomac, œsophage et voies aérodigestives supérieures).

Risque de toxicité chronique

Diverses sources gouvernementales et institutionnelles (incluant Santé Canada, l’US EPA, l’Agency for toxic substances and disease registry [ATSDR], l’Autorité européenne de sécurité des aliments [EFSA] et l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) fournissaient des valeurs toxicologiques de référence pertinentes (VTR pour l’exposition chronique par voie orale) pour 135 pesticides (dont le groupe des thiocarbamates). En utilisant les VTR les plus conservatrices, des dépassements sont observés pour 10 pesticides au 95e percentile de la distribution des expositions pour au moins un des groupes d’âges considérés. Ainsi, les VTR sont dépassées dans tous les groupes d’âge pour le chlorpyriphos, le méthamidophos, les dithiocarbamates et leur métabolite éthylène thiourée (ETU), et chez les enfants seulement pour le chlorpyriphos-méthyl, le diazinon, le dicofol, la dieldrine, le diméthoate et le pyrimiphos-méthyl. En utilisant les VTR les moins sévères, aucun dépassement n’est observé à aucun centile d’exposition.

Les auteurs ont examiné l’influence du nombre de portions de fruits et légumes quotidiennement consommées sur le risque de dépasser la VTR pour ces 10 pesticides dans la population totale. Par rapport à une consommation inférieure à cinq portions par jour, une consommation de cinq à six portions peut entraîner un dépassement de la VTR chronique la plus conservatrice pour le chlorpyriphos et les dithiocarbamates, tandis qu’un apport plus important (au moins sept portions par jour) est nécessaire pour dépasser la VTR du méthamidophos.

Tenant compte des hypothèses et arbitrages inhérents à tout exercice d’évaluation des risques et des limites propres à ce travail (en particulier l’absence de prise en compte des autres sources possibles d’exposition aux pesticides comme les jus de fruits et des expositions simultanées), ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Ils permettent néanmoins d’établir une liste de substances méritant une attention spécifique. Si les organophosphorés comme le mirex et la dieldrine sont aujourd’hui interdits au Canada, ils peuvent se trouver dans des produits importés. D’autres pesticides pour lesquels la marge de sécurité apparaît faible, notamment les dithiocarbamates, sont toujours autorisés. Sachant que la consommation de fruits et légumes est un contributeur majeur de l’exposition alimentaire à ces substances, des efforts particuliers devraient être consacrés à la recherche de méthodes alternatives de protection des cultures.

 


* Valcke M1, Bourgault M-H, Rochette L, et al. Human health risk assessment on the consumption of fruits and vegetables containing residual pesticides: a cancer and non-cancer risk/benefit perspective. Environment International 2017 ; 108 : 63-74. doi : 10.1016/j.envint.2017.07.023

1 Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Québec, Canada; École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM), Département de santé environnementale et santé au travail, Montréal, Canada.

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