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Concentration spermatique : évolution au cours des quatre dernières décennies Volume 17, numéro 2, Mars-Avril 2018

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Publiée en 1992, une première méta-analyse de 61 études provenant de 20 pays (aux trois quarts occidentaux) rapportait une tendance linéaire à l’appauvrissement du sperme sur les cinq décennies précédentes [1]. Le nombre des spermatozoïdes était passé en moyenne de 113 millions par mL de sperme en 1940 à 66 millions/mL en 1990, soit une diminution de la concentration spermatique de 0,93 million/mL/an. Ce résultat était reproduit quasiment à l’identique (pente de la droite de régression « r » = -0,94 million/mL/an) dans une deuxième analyse selon la même méthode (régression linéaire simple), incluant un plus grand nombre d’études (101 au total, publiées entre 1934 et 1996, dont 54 reprises de la première sélection et 47 nouvelles) [2]. D’importantes différences régionales étaient mises en évidence, la tendance au déclin étant significative en Amérique du Nord (r = -0,80 [-1,37 à -0,24]), ainsi qu’en Europe (r = -2,35 [-3,66 à -1,05]), mais pas dans le groupe des autres pays (r = -0,21 [-2,30 à 1,88]) pour lesquels 23 études seulement étaient disponibles.

 

 

Cette nouvelle méta-analyse inclut des études publiées entre 1981 et 2013, rapportant les données d’analyses d’échantillons de sperme collectés entre 1973 et 2011 dans une population totale de 42 935 hommes. L’une des critiques formulées à l’encontre des travaux précédents (qui incluaient des études anciennes sur des échantillons dont la collecte remontait jusqu’en 1931) était l’absence de prise en compte de l’évolution des techniques de numération des spermatozoïdes. Seules les études mentionnant un comptage selon la méthode de référence à l’hémocytomètre (recommandée par l’Organisation mondiale de la santé [OMS] depuis 1980) dans un échantillon obtenu par masturbation ont été retenues pour cette nouvelle méta-analyse. Les auteurs ont également rejeté les études dans des populations spécifiques (hommes infertiles ou hypofertiles, sélectionnés sur des caractéristiques du spermogramme, présentant des anomalies génitales, des pathologies particulières, professionnellement exposés à des agents pouvant affecter la fertilité, etc.). Les études dans des populations de candidats à la vasectomie ou au don de sperme ont été conservées uniquement si la qualité du sperme n’était pas un critère de sélection. Les très petites études (moins de 10 participants) ont été écartées.

Des 7 518 articles (publications en anglais dans des revues à comité de lecture) présélectionnés sur la base de leurs résumés, 185 études rapportant 244 estimations de la concentration spermatique moyenne ont finalement été incluses.

Analyses des tendances temporelles

Les auteurs ont d’abord modélisé l’évolution dans le temps de la concentration spermatique ainsi que du compte total des spermatozoïdes (concentration spermatique x volume de l’éjaculat) par régression linéaire simple, sans ajustement mais avec pondération de l’estimation sur la taille de l’échantillon de population inclus dans l’étude. La tendance est identique pour les deux paramètres : baisse de 0,75 % par an en moyenne entre 1973 et 2011 et de 28,5 % au total sur l’ensemble de la période considérée.

Un modèle de méta-régression a ensuite été appliqué, avec pondération sur la précision de l’estimation et prise en compte de plusieurs facteurs de confusion potentiels : la fertilité (population connue pour être fertile ou population « tout venant » non sélectionnée sur la fertilité), la zone géographique (pays occidentaux [incluant les États d’Amérique du Nord et d’Europe, ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande] ou autres pays [d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique]), l’âge, la durée d’abstinence, le nombre d’échantillons analysés par participant, ainsi que divers éléments d’ordre méthodologique mentionnés dans les articles (relatifs à la sélection de la population, aux méthodes de laboratoire et aux méthodes statistiques). Le résultat (diminution de la concentration spermatique de 0,64 million/mL/an [-1,06 à -0,22]) est proche de celui obtenu avec le modèle de régression linéaire simple non ajusté (r = -0,70 [-0,72 à -0,69]).

Tenant compte de l’influence significative des covariables « fertilité » et « zone géographique », les auteurs ont procédé à des analyses par groupes. Les données les plus nombreuses (110 estimations) concernaient des hommes de pays occidentaux non sélectionnés sur leur fertilité. Leur méta-analyse montre un net déclin de la concentration spermatique (-1,38 million/mL/an [-2,02 à -0,74]) comme du compte total (-5,33 millions/an [-7,56 à -3,11]) entre 1973 et 2011. Celle des 65 estimations dans des populations dont le statut fertile était connu (a priori moins représentatives de la population générale) aboutit à des résultats plus modérés : -0,68 million/mL/an (-1,31 à -0,05) pour la concentration spermatique et -2,12 millions/an (-4,31 à 0,07) pour le compte total. Les méta-analyses dans le groupe des autres régions n’indiquent pas de tendance au déclin, mais les données sont limitées et la période d’observation est moins longue (39 estimations dans la population fertile et seulement 30 dans la population « tout venant » sur la base de spermogrammes réalisés à partir de 1986).

Nécessité d’études exploratoires

Sur la totalité de la période considérée, la concentration spermatique a chûté de 52,4 % (1,4 % par an en moyenne) et le compte total de 59,3 % (1,6 % par an) chez les hommes des pays occidentaux (populations non sélectionnées sur leur fertilité). Ces estimations apparaissent robustes à six analyses de sensibilité qui montrent toutes une diminution significative (p < 0,01) et marquée (plus d’1 million/mL/an) de la concentration spermatique. La restriction de la période d’observation aux années postérieures à 1995 (53 estimations) n’annonce pas le ralentissement de cette tendance, la pente semble même s’accentuer : -2,06 millions/mL/an (-3,38 à -0,74).

À l’échelle de la population, un déclin continuel de la richesse du sperme se traduit par une proportion croissante d’hommes ayant un spermogramme dans des valeurs limites ou anormalement basses et des difficultés à procréer. Mais les implications pour la santé publique pourraient être plus larges. De récentes études indiquant que la qualité du sperme est un facteur prédictif de morbi-mortalité, incitent à la considérer comme un marqueur sensible de la santé des hommes tout au long de leur vie, une sorte de « canari dans la mine de charbon ». Quels facteurs environnementaux liés à la vie moderne pourraient expliquer la dégradation de la qualité du sperme ? Pour les auteurs de cet article, il est urgent d’accélérer les recherches.

 

Commentaires

Cette étude obtient des résultats très comparables dans leur ordre de grandeur à ceux du travail effectué en 2012 à l’Institut de veille sanitaire (InVS, devenu depuis Santé Publique France) [1]. En effet, Rolland et al. avaient alors mis en évidence une diminution de la concentration spermatique de 1,9 % par an (32,2 % de 1989 à 2005) en France alors que Levine et al. montrent une réduction de 1,4 % par an (52,4 % au total de 1973 à 2011) dans les pays occidentaux. Or ces résultats convergents ont été obtenus sur des jeux de données et avec des méthodes très différentes : l’étude InVS était une analyse des spermogrammes effectués chez 26 609 hommes en France lors d’une première tentative de fécondation in vitro ou d’injection intracytoplasmique (ICSI) pour des couples dont la partenaire féminine présentait une stérilité tubaire totale (trompes bouchées ou absentes), ce qui permettait d’obtenir un échantillon sans a priori sur la fertilité du donneur. L’étude de Lévine et al. est une méta-analyse portant sur 185 études rapportant les données de 42 935 hommes, non sélectionnés pour leur fertilité, ou déjà identifiés comme fertiles. Il est à noter que cette méta-analyse a également inclus des études réalisées ailleurs que dans les pays occidentaux (Amérique du Nord, Europe, Australie, Nouvelle-Zélande), mais n’a pas mis en évidence dans ces « autres pays » un déclin similaire (peut-être en partie pour des raisons de limites méthodologiques).

Nous disposons désormais d’une série d’études (Lévine et al., Rolland et al. mais aussi les méta-analyses précédentes de Carlsen et al. et de Swan et al.) établissant de manière de plus en plus solide que la concentration spermatique (mais aussi d’autres indicateurs comme le nombre total de spermatozoïdes par éjaculat ou encore la mobilité ou le pourcentage d’anomalies morphologiques des spermatozoïdes) se détériore de manière très significative depuis plusieurs décennies au moins sur trois continents. Malgré de nombreuses hypothèses (perturbateurs endocriniens [PE], tabagisme maternel, régime alimentaire, sédentarité, chaleur, etc.), les causes de ce phénomène demeurent inconnues, et l’on ne peut que partager l’appel des auteurs à encourager la recherche étiologique dans ce domaine.

1. Rolland M, Le Moal J, Wagner V, Royère D, De Mouzon J. Decline in semen concentration and morphology in a sample of 26,609 men close to general population between 1989 and 2005 in France. Hum Reprod 2013; 28: 462-70. doi: 10.1093/humrep/des415

Georges Salines

 

 

 


*Levine H1, Jørgensen N, Martino-Andrade A, et al. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis. Hum Reprod Update 2017 ; 23 : 646-59. doi: 10.1093/humupd/dmx022

1 Braun School of Public Health and Community Medicine, Hadassah-Hebrew University, the Hebrew University Center of Excellence in Agriculture and Environmental Health, Jérusalem, Israël.

1. Carlsen E, Giwercman A, Keiding N, Skakkebaek NE. Evidence for decreasing quality of semen during past 50 years. Br Med J 1992 ; 305 : 609-13.

2. Swan SH, Elkin EP, Fenster L. The question of declining sperm density revisited: an analysis of 101 studies published 1934-1996. Environ Health Perspect 2000 ; 108 : 961-6.

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