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Environnement, Risques & Santé

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Changement climatique, pollution et santé : même combat ? Volume 17, numéro 1, Janvier-Février 2018

Les scientifiques peuvent-ils jouer un rôle dans les orientations politiques mondiales ?

Le 13 novembre dernier, plus de 15 000 scientifiques de 184 pays publiaient dans la revue BioScience un « Avertissement des scientifiques du monde à l’humanité » [1], en raison du péril imminent pesant sur notre planète. Depuis 1992, année de leur premier cri d’alarme, le bilan dressé est sévère : à l’exception de la stabilisation de la couche d’ozone stratosphérique, aucun signe d’amélioration. Si l’on prend l’exemple particulièrement préoccupant des émissions de gaz à effet de serre, elles continuent à croître du fait, notamment, de l’augmentation de l’utilisation des ressources fossiles, de la déforestation et de la production agricole, en particulier l’élevage des ruminants.

Dans la même logique, le 19 octobre dernier, la revue Britannique The Lancet publiait un rapport de 51 pages intitulé « Pollution et santé » assorti de nombreuses recommandations [2]. Le bilan dressé converge avec celui déjà publié par d’autres institutions : la pollution serait responsable de 9 millions de morts dans le monde, soit 16 % des décès. La « pollution de l’air » en serait la cause principale avec près de 6,5 millions de morts, touchant essentiellement les pays les plus pauvres et les personnes les plus fragiles. Le coût annuel lié à la perte de « bien-être » est estimé à 4 600 milliards de dollars, ce qui représente près de 6 % de la richesse produite annuellement à l’échelle mondiale. Les auteurs soulignent également que ces questions ont été négligées, notamment dans les pays les plus pauvres, avec l’argument fallacieux que la pollution serait inévitable car liée au développement de ces pays.

Si la Chine a maintenant pris la mesure des enjeux suite à des années de croissance de la pollution urbaine, force est de constater, ces derniers temps, des niveaux records de pollution ambiante à New Delhi avec plus de 1 000 μg/m3 de particules fines dans l’atmosphère, rappelant le Londres des années 1950 où il fallait allumer les lampadaires à midi ! Cette situation, devenue la norme à New Delhi, mais aussi dans d’autres villes indiennes, ne semble pas inquiéter outre mesure le gouvernement de ce pays. En effet, son ministre de l’Environnement, Harsh Vardhan, a estimé au cours d’un entretien diffusé le 14 novembre 2017 par la chaîne CNN-News18, que cette pollution n’était pas une vraie urgencecomme la qualifient les médecins, à la différence de la catastrophe de Bhopal. Certes, l’explosion de l’usine d’Union Carbide et la dispersion d’isocyanate de méthyle en 1984 ont fait près de 4 000 morts immédiats et sans doute des dizaines de milliers d’autres par la suite, mais ce que semble oublier M. Vardhan, c’est que la pollution de l’air est responsable d’autant de morts à New Delhi, et ce chaque année ! Les catastrophes frappent toujours plus les esprits que les décès au fil de l’eau.

Les recommandations des experts signataires du dossier du Lancet sont regroupées en six axes, dont les cinq premiers concernent la prise de conscience politique et les stratégies de contrôle et de gestion du risque, et le sixième la recherche.

Quinze jours plus tard, le même journal sortait un dossier analogue sur le changement climatique et la santé : « Le compte à rebours du Lancet sur la santé et le changement climatique : de 25 ans d’inaction à une transformation globale pour la santé publique » [3]. Ce rapport collaboratif (24 institutions académiques et organisations intergouvernementales) a vocation à devenir annuel jusqu’en 2030 pour rendre compte de l’avancée des actions découlant de l’Accord de Paris (COP21) et des engagements successifs, ainsi que des bénéfices sanitaires en résultant. Il présentera les résultats d’indicateurs regroupés en cinq sections (impacts du changement climatique, expositions et vulnérabilités ; actions mises en place pour l’adaptation et la résilience ; actions d’atténuation et co-bénéfices pour la santé ; économie et finances ; engagement public et politique).

Le bilan sanitaire dressé dans ce premier rapport rappelle l’augmentation importante du nombre de personnes exposées aux vagues de chaleur entre 2000 et 2016 (125 millions de personnes supplémentaires) ; l’augmentation de 46 % des événements climatiques extrêmes depuis 2000, mais sans réelle tendance en termes de mortalité, suggérant un effet bénéfique des mesures d’adaptation ; et l’augmentation de près de 10 % de la transmission de la dengue par Aedes aegypti. La sous-alimentation a été identifiée comme le principal impact sanitaire provoqué par le réchauffement climatique. Chaque élévation de température d’un degré provoque une baisse de 6 % dans la récolte mondiale de blé et de 10 % dans la récolte mondiale de riz.

Les auteurs reconnaissent que de multiples stratégies d’adaptation ont été déclinées, et ce, à divers niveaux, comme les États ou les villes. Ils insistent surtout sur les limites de ces stratégies, estimant que les actions d’atténuation du changement climatique sont préférables. Or les choses n’ont pas réellement progressé selon cet axe, à l’exception de modestes avancées dans le domaine de la production d’électricité et des déplacements, et encore uniquement dans certaines villes et certains pays.

Il est frappant de voir paraître simultanément ces alarmes convergentes issues de larges communautés scientifiques. Trop souvent les experts se sont censurés pour ménager les contraintes externes, qu’elles soient économiques ou corporatistes, voire hiérarchiques [4]. Ils ont également souvent du mal à affirmer l’existence d’un risque, l’incertitude étant leur pain quotidien. Mais les risques associés à la pollution de l’air ne se situent plus dans un univers incertain et pas dans un lointain futur. Les décideurs ne peuvent se retrancher derrière les controverses scientifiques : les mesures de réduction des émissions polluantes sont bien du domaine de la prévention et non de la précaution.

Il en est de même en ce qui concerne les risques associés au changement climatique. Néanmoins, quelques politiques choisissent de s’engouffrer dans les brèches ouvertes par de rares voix discordantes. Ils répondent ainsi aux attentes de certains acteurs économiques, inquiets de voir leur « business » faire les frais de choix énergétiques ou industriels guidés par la protection sanitaire.

La publication des deux rapports dans le Lancet à 15 jours d’intervalle fait sens. En effet, comme cela a été rappelé lors de la COP21, les actions visant à atténuer le réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre auront un impact visible à court et moyen terme sur la santé des populations, par la diminution du niveau de nombreux polluants et l’adoption d’un mode de vie plus sain. Une autre équipe a publié le 14 novembre dernier un article dans Environmental Research Letter [5], une évaluation des bénéfices sanitaires à court et moyen termes associés à la mise en place de mesures visant à atténuer le changement climatique au niveau mondial. Selon leurs hypothèses, réalistes, les bénéfices attendus aux États-Unis de telles mesures seraient de 137 dollars par tonne de CO2 évitée pour le scénario le plus favorable, et de 45 dollars pour le moins favorable (31 % de ces bénéfices aux États-Unis viendraient des réductions des émissions des autres pays). Ces bénéfices dépassent largement les coûts associés à la mise en place de ces réductions à l’horizon 2050. Les auteurs insistent sur la nécessité des mesures à l’échelle mondiale, y compris pour les bénéfices sanitaires à court et moyen termes associés à une baisse de la pollution, particulaire notamment. Cette évaluation devrait permettre d’influencer les choix politiques en cours sur le prix de la taxe CO2 !

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun ; liens d’intérêts : salarié du groupe EDF.

L’éditorial n’engage que son auteur.

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