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Amélioration de la qualité microbiologique de l’eau de boisson à domicile dans les communes de Lalo et de Zè (Bénin) Volume 17, numéro 6, Novembre-Décembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

Tableaux

La couverture nationale en sources d’eau améliorées au Bénin est de 78 % [1]. Celle des zones rurales est de 72 % [1]. Malgré cela, les populations consomment encore de l’eau de mauvaise qualité microbiologique à domicile. Des études réalisées dans plusieurs localités rurales du Bénin ont révélé que, même quand la qualité microbiologique de l’eau de boisson est bonne à la source, elle est médiocre dans les récipients de stockage au point d’utilisation [2-4]. Ce constat a été rapporté par d’autres auteurs [5]. En conséquence, les populations des milieux ruraux sont fortement exposées aux maladies diarrhéiques. Ces maladies sont une cause majeure de morbidité et de mortalité dans la population béninoise. Les maladies liées à l’eau, comme les affections gastro-intestinales et les diarrhées, représenteraient 49 % des pathologies notifiées en milieu rural au Bénin [6]. De plus, environ 7 000 Béninois, dont 4 300 enfants de moins de 5 ans, meurent de diarrhée chaque année [7]. Plusieurs programmes, comme pS-Eau [8], ont édité des directives relatives au traitement de l’eau à domicile utilisables dans les milieux ruraux. Se basant sur ces directives, plusieurs campagnes ont été mises en œuvre. Parmi les méthodes recommandées, peut être citée la filtration qui correspond à un prétraitement. Elle est souvent utilisée en complément de la sédimentation pour enlever les matières solides et les particules en suspension. Ce prétraitement doit être complété par des méthodes de désinfection, telles que l’ébullition ou les comprimés de troclosène sodique (DCCNa) commercialisés sous la dénomination d’Aquatabs. Notons que l’utilisation des comprimés Aquatabs nécessite une eau exempte de matières organiques.

Malgré ces sensibilisations, les populations des communes de Zè et de Lalo ne mettent pas toujours en pratique les méthodes enseignées et préfèrent utiliser des méthodes inadaptées et parfois dangereuses comme le crésyl et le pétrole pour traiter l’eau de boisson [9]. De plus, elles sont réticentes à l’utilisation de certaines méthodes comme l’ébullition et les comprimés Aquatabs, à cause des modifications des propriétés organoleptiques qu’elles induisent [9]. L’idéal serait de mettre en place des interventions simples, d’utilisation facile, à moindre coût et durables au niveau des ménages de ces communes cibles.

L’efficacité de l’utilisation des filtres à céramique, commercialisés au Bénin par le Centre Songhaï sous l’appellation filtre « Songhaï », dans la réduction de la contamination microbiologique de l’eau de boisson, et par conséquent des maladies diarrhéiques, a été démontrée surtout dans les milieux ruraux [10-16]. Toutefois, ces filtres ont montré leurs limites dans la réduction de la contamination virale et la contamination chimique de l’eau [12]. Les filtres à céramique sont fabriqués localement avec un mélange d’argile, de sciure de bois et d’eau, modelé dans des moules. Une fois secs, cuits dans un four à 900 ̊C et refroidis, les filtres sont immergés dans une solution d’eau et d’argent colloïdal [14]. Malheureusement, le faible débit rend difficile l’utilisation des filtres « Songhaï » dans les ménages. Malgré les preuves de l’efficacité de ces différentes méthodes de traitement de l’eau à domicile [10-16], pour diverses raisons, les populations de certaines communes rurales du Bénin sont réticentes à les mettre en pratique.

L’eau étant de bonne qualité microbiologique au niveau des sources d’eau améliorées, respectant les directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [2], la contamination lors du stockage est essentiellement causée par les facteurs comportementaux. Il est donc important d’agir sur ces facteurs. En effet, les récipients de stockage sont le plus souvent des jarres en argile cuite (figure 1). Ces jarres ne sont pas facilement lavables à l’eau et au savon. Elles hébergent le plus souvent des larves de moustiques. L’eau de boisson y est stockée pendant plusieurs jours, laissant parfois au fond de la jarre des dépôts de salissures provenant de la poussière, des mains sales ou des gobelets de puisage (figure 2). Cette eau est prélevée avec des gobelets de puisage sans respect des règles d’hygiène, à savoir lavage des mains avant le prélèvement et lavage quotidien du gobelet de puisage. Cette situation est à risque de contamination microbiologique de l’eau. Pour remédier à cela, des récipients de stockage de l’eau de boisson, munis de robinets, ont été mis à la disposition des ménages. Ces récipients sont en plastique, lavables, disponibles sur les marchés à un coût accessible pour la population. Pour éviter le contact avec la main souillée lors du prélèvement de l’eau par les gobelets de puisage classique, un robinet a été adapté. Ces robinets sont également accessibles et disponibles sur les marchés (figure 3). Cette intervention a été couplée avec des sensibilisations à l’hygiène : lavage des récipients de transport de l’eau de la source à la maison, lavage des récipients de stockage munis de robinets, lavage des mains avant le prélèvement de l’eau et lavage quotidien du gobelet de puisage. Cette étude a pour objectif d’évaluer l’efficacité de l’utilisation de ces récipients de stockage comme intervention adaptée, pour améliorer la qualité microbiologique de l’eau de boisson au niveau des ménages en milieu rural au Bénin.

Matériels et méthodes

Cadre d’étude

L’étude a été réalisée dans les communes de Lalo et de Zè au sud du Bénin. La commune de Lalo (figure 4) est une subdivision administrative du département du Couffo. Elle compte 11 arrondissements et sa population est de 119 926 habitants [18]. La commune de Zè (figure 5) est située dans le département de l’Atlantique. La population de la commune de Zè est de 106 913 habitants [18]. Ces deux sites sont des communes endémiques à l’ulcère de Buruli. Les interventions liées au volet « hygiène et assainissement », ainsi que des travaux antérieurs [2, 9, 17], ont permis de constater les difficultés des populations à avoir accès à domicile à une eau de boisson respectant les directives de l’OMS.

Type d’étude

Il s’agit d’une étude pré- et post-intervention qui a permis d’évaluer l’efficacité des récipients de stockage de l’eau de boisson munis de robinets.

Description de l’intervention

Comme précisé ci-avant, le dispositif de stockage de l’eau est composé d’un seau muni de couvercle en plastique auquel a été adapté un robinet (figure 3) ; le seau est posé sur un trépied en fer. Le récipient peut être facilement retiré du trépied pour son nettoyage. Ces récipients ont été distribués aux populations cibles. Cette distribution a été précédée de plusieurs séances de sensibilisation faites pour leur en expliquer le fonctionnement ainsi que les dispositions à prendre pour réduire les risques de contamination de l’eau de boisson lors du transport et du stockage. Cette sensibilisation a été exécutée suivant l’approche Participation à l’amélioration de l’hygiène et de l’assainissement (PAHA ou Participatory Hygiene and Sanitation Transformation [PHAST]) de l’OMS. L’intervention a duré au total trois mois. Six cents (600) ménages, résidant dans ces deux communes, ont bénéficié de l’intervention. Les femmes ont été les principales cibles puisqu’elles sont souvent les responsables de la gestion de l’eau dans les ménages. Des hommes et des enfants ont également participé aux séances de sensibilisation.

Analyse microbiologique de l’eau

Avant le début de l’intervention, 52 prélèvements d’eau ont été effectués par échantillonnage aléatoire simple au niveau des cibles. Ces prélèvements ont été effectués dans les jarres en argile utilisées par les ménages pour stocker habituellement l’eau de boisson.

Six mois après la mise en place de l’intervention, 40 prélèvements ont été à nouveau réalisés par échantillonnage aléatoire simple au niveau des récipients en plastique.

Les échantillons d’eau ont été prélevés dans des flacons stériles de 500 ml. Ces flacons ont été remplis aux trois-quarts.

Transport et conservation au laboratoire

Les flacons ont été soigneusement étiquetés et numérotés. Le transport, depuis le point de prélèvement jusqu’au laboratoire HECOTES du Centre interfacultaire de formation et de recherche en environnement pour le développement durable (CIFRED), a été fait dans une glacière à 4 ̊C, en une heure pour les prélèvements de la commune de Zè et en trois heures pour les prélèvements de la commune de Lalo. Une fois au laboratoire, les échantillons ont été conservés au réfrigérateur. Les analyses ont été effectuées dans les douze heures qui ont suivi les prélèvements. Les échantillons ont été conservés jusqu’à l’obtention de tous les résultats.

Analyses au laboratoire

Lors des analyses microbiologiques, Escherichia coli, les coliformes fécaux, les coliformes totaux et les entérocoques fécaux ont été recherchés dans les échantillons d’eau. La méthode de la filtration sur membrane cellulosique de 0,45 μm a été utilisée.

  • Les coliformes totaux ont été identifiés sur la gélose Rapid’E Coli 2 de Microxpress (ISO 9001 : 2000 ; ISO 13485 : 2003 NF EN ISO 13485 : 2004 Certified, REF : AM50252) après incubation des boîtes de pétri à 37 ̊C pendant 24 heures.
  • Les coliformes fécaux et E. coli ont été identifiés sur la gélose Rapid’E Coli 2 de Microxpress (ISO 9001 : 2000 ; ISO 13485 : 2003 NF EN ISO 13485 : 2004 Certified, REF : AM50252) après incubation des boîtes de pétri à 44 ̊C pendant 24 heures.
  • Les entérocoques fécaux ont été identifiés sur la gélose Slanetz/Bartley de Biokar diagnostics (REF BK 037 HA) après incubation des boîtes de pétri à 37 ̊C pendant 48 heures.

Le tableau 1 présente un récapitulatif des différentes étapes de dénombrement des paramètres microbiologiques des échantillons d’eau.

Analyse et traitement des données

Les moyennes des contaminations ont été calculées pour chaque germe test recherché. Il a été procédé à la somme des colonies dénombrées dans chaque échantillon, puis la moyenne a été calculée. Les résultats des analyses microbiologiques ont été interprétés suivant les directives de l’OMS. Pour évaluer l’effet de l’intervention, les résultats obtenus après ont été comparés à ceux obtenus avant. La réduction des germes a été indiquée en Log Reduction Value (LRV).

LRV=log10ABouLRV=log10Alog10B

Avec :

A = nombre de germes avant le traitement ;

B = nombre de germes après le traitement.

Résultats

Les résultats des analyses microbiologiques avant et après l’intervention, ainsi que la comparaison de ces résultats, sont présentés dans le tableau 2.

Tous les échantillons d’eau prélevés dans les ménages avant et après la mise en place de l’intervention sont exempts de E. coli. Ces échantillons sont fortement contaminés par les entérocoques fécaux. Il y a une réduction des coliformes totaux, des coliformes fécaux et des entérocoques fécaux dans les échantillons d’eau prélevés dans les ménages utilisant les récipients de stockage de l’eau de boisson munis de robinets.

Discussion

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’efficacité de l’utilisation des récipients de stockage de l’eau de boisson munis de robinets, couplée à la sensibilisation PAHA ou PHAST, comme intervention adaptée pour améliorer la qualité microbiologique de l’eau de boisson. Les résultats de cette étude ont montré que la qualité microbiologique des échantillons d’eau prélevés dans les ménages avant l’intervention est mauvaise. Plusieurs études ont déjà démontré la forte contamination de l’eau de boisson lors du stockage dans les ménages [2-5, 19-21]. Cette contamination est causée par plusieurs facteurs dont les principaux sont les facteurs comportementaux [9].

La comparaison entre les paramètres microbiologiques obtenus avant et après l’intervention montre une réduction significative des germes responsables de la contamination fécale de l’eau de boisson. Toutefois, cette réduction n’est pas complète et il est toujours observé une contamination fécale de l’eau de boisson. Ces contaminations se sont sûrement produites lors du transport ou lors du remplissage des récipients de stockage, car l’utilisateur n’a plus de contact direct avec l’eau quand il veut se servir. Pour éviter ces contaminations, Lalanne [20] avait proposé une solution, qui simplifie au maximum la corvée de l’eau et qui garantit le maintien de la qualité depuis la source : l’utilisation d’un seul et même récipient muni d’une ouverture large et d’un robinet pour le transport et le stockage. Ainsi, une fois le récipient rempli à la source et le couvercle replacé et attaché à l’aide d’une bande de caoutchouc élastique, l’utilisateur n’est plus en contact direct avec l’eau que grâce au robinet [20]. Toutefois, lors du transport, les robinets des récipients de stockage pourraient être endommagés, ce qui provoquerait des fuites d’eau et donc l’impossibilité d’une utilisation des récipients pendant longtemps. Une contamination fécale au niveau du robinet est également possible. Dans une étude réalisée au Cambodge, Holman et Brown [22] ont trouvé que l’eau de boisson conditionnée dans des bidons de 20 litres et vendue aux populations n’a pas eu pour effet la consommation d’une eau de bonne qualité microbiologique dans les ménages. Dans ce cas, la contamination de l’eau semble s’être produite dans le ménage malgré l’emballage à embouchure étroite de l’eau traitée.

Les pourcentages de réduction des germes responsables de la contamination de l’eau de boisson (coliformes totaux : 58,39 % soit LRV = 0,38 ; coliformes fécaux : 86,07 % soit LRV = 0,85 et entérocoques fécaux : 82,18 % soit LRV = 0,74) sont inférieurs aux réductions de germes obtenus avec d’autres méthodes de traitement de l’eau à domicile. Mohamed et al. [16] ont décrit, dans une étude réalisée en Tanzanie, une réduction des coliformes fécaux de 99,3 % pour l’ébullition (soit LRV = 2,2), de 99,5 % pour le filtre en céramique localement produit par Safe Water Ceramics of East Africa (soit LRV = 2,5) et de 99,5 % pour Aquatabs (soit LRV = 2,5). De plus, nos résultats ne respectent pas les critères de l’OMS. Pour le traitement efficace de l’eau de boisson, il faut une réduction moyenne de 99 % (LRV = 2) [23].

Suite aux différentes sensibilisations, les populations s’approvisionnent désormais aux sources d’eau améliorées. Ces sources respectent les directives de l’OMS en matière de qualité microbiologique de l’eau de boisson. Seulement, n’ayant pas encore correctement intégré les enseignements sur les règles d’hygiène, reçus lors des séances de sensibilisation, la réduction des germes responsables de la contamination microbiologique de l’eau n’est pas complète, malgré l’utilisation des récipients de stockage munis de robinets. Toutefois, ces dispositifs peuvent être fabriqués avec des matériaux disponibles sur les marchés à un coût accessible et pourront être utilisés pendant longtemps. Aussi, du fait qu’aucun additif ne sera ajouté à l’eau pour la traiter, il n’y aura pas de résidu de chlore dans l’eau ni de changement des propriétés organoleptiques provoqué par l’ébullition ou les comprimés Aquatabs [9]. Les méthodes de traitement de l’eau à domicile ne peuvent améliorer la qualité de l’eau et prévenir les maladies que si elles sont utilisées correctement et régulièrement [21]. La poursuite des campagnes de sensibilisation sur le lavage des mains et des gobelets, les bonnes pratiques d’hygiène lors du transport de l’eau de boisson, du nettoyage et du remplissage des récipients de transport et de stockage contribueraient à une réduction encore plus significative de la contamination de l’eau de boisson.

Conclusion

Les récipients de stockage de l’eau de boisson munis de robinets peuvent être proposés comme intervention adaptée pour améliorer la qualité microbiologique de l’eau de boisson. Néanmoins, cette intervention devrait être accompagnée d’une sensibilisation des populations sur les bonnes pratiques d’hygiène lors du transport de l’eau de boisson, du nettoyage et du remplissage des récipients de stockage et du service pour limiter la contamination microbiologique de l’eau de boisson, puisqu’elle est potable au niveau des sources d’eau améliorées.

Remerciements et autres mentions

Nos reconnaissances vont à l’endroit des populations des communes de Lalo et de Zè. Nous remercions la Fondation Anesvad par son soutien partiel des travaux de terrain.

Financement : Fondation Anesvad et Université d’Abomey-Calavi ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

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