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Bulletin du Cancer

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Un nouvel oncogène, Pokemon, est répresseur du supresseur de tumeur ARF Volume 92, numéro 2, Février 2005

Auteur

Auteur(s) : Gilles L’Allemain

Les histones, protéines assurant la cohésion de la chromatine, sont principalement régulées par des réactions d’acétylation qui induisent un remodelage de la chromatine en exposant différemment la molécule d’ADN à la machinerie transcriptionnelle. La désacétylation des histones ayant été décrite comme favorisant le processus de cancérisation cellulaire à travers une répression de la transcription, des inhibiteurs de HDAC (histone désacétylases) sont aujourd’hui testés dans le traitement du cancer [1].
Par ailleurs, les protéines POK sont des répresseurs transcriptionnels agissant sur ces HDAC [2]. L’une d’entre elles, la protéine BCL6 (B-cell lymphoma), impliquée dans les translocations chromosomiques qui ont lieu dans les lymphomes non hodgkiniens, interagit directement avec un autre membre de la famille, la protéine Pokemon (POK erythroid myeloid ontogenic factor). L’équipe de Pier Paolo Pandolfi du Sloan Kettering Institute de New York [3] montre que l’invalidation du gène codant Pokemon permet de bloquer la transformation cellulaire normalement obtenue par la combinaison de deux oncogènes choisis parmi Myc, Ras, et/ou l’adénovirus E1A. L’expression de ces derniers n’étant pas altérée dans les cellules invalidées, ce blocage suggère que Pokemon agit en aval sur le mécanisme de transformation lui-même.
Alors que l’addition unique de Myc ou de Ras n’induit respectivement que l’apoptose ou la sénescence dans les cultures primaires de fibroblastes embryonnaires, le rajout de Pokemon fait acquérir aux cellules les caractères typiques de transformation comme la formation de colonies en l’absence de substratum. Les auteurs s’attachent alors à comprendre comment Pokemon exerce son activité oncogénique. Pokemon étant un répresseur transcriptionnel, ils caractérisent, par électrophorèse de retard sur gel, une séquence nucléotidique spécifique comme site de fixation de Pokemon. Ils retrouvent ensuite la même séquence dans le promoteur de l’inhibiteur de croissance ARF. Pour rappel, la protéine ARF représente, avec p16 Ink4A, deux suppresseurs de tumeur codés par un même locus génique et dont l’importance cruciale dans la croissance et le cancer a précédemment été abordée dans le Bulletin [4-6]. Après s’être assurés que, in vitro, Pokemon était capable de réprimer l’expression du gène ARF en se fixant sur les mêmes sites du promoteur, l’équipe américaine [3] utilise des expériences d’immunoprécipitation sur chromatine pour montrer que Pokemon s’associe spécifiquement avec le promoteur de ARF in vivo. Les auteurs notent alors que les cellules dépourvues de Pokemon présentent des taux d’ARNm et de protéine systématiquement plus élevés pour ARF, tout comme pour la protéine p53, importante cible en aval de ARF, tandis que les taux de p16/Ink4A restent inchangés, ce qui renforce encore la spécificité d’action de Pokemon. En revanche, la surexpression de Pokemon fait baisser les taux de protéine ARF. Une même corrélation inverse est retrouvée in vivo suite à l’analyse, par RT-PCR quantitative en temps réel, d’une grande série de lymphomes B à larges cellules.
Lorsque les cellules invalidées pour Pokemon sont ensuite invalidées pour le gène ARF, elles perdent alors leur défaut de croissance et leur phénotype de sénescence prématurée pour acquérir une plus grande sensibilité aux oncogènes, tels Ras qui, seul, devient alors transformant chez ces cellules doublement invalidées.
Ce remarquable travail est poursuivi par de très élégantes expériences de transgenèse chez l’animal permettant de surexprimer Pokemon sélectivement, grâce à un promoteur tissu-spécifique, dans les lignées lymphoïdes de type T et B. Les souris transgéniques obtenues développent des tumeurs agressives de type lymphomes avec une pénétrance d’autant plus élevée que Pokemon est hautement exprimée. Une analyse fine et détaillée sur les réarrangements d’ADN qui se produisent chez ces lignées transgéniques conclut que l’origine des lymphomes est monoclonale.
Dans les lignées humaines, Pokemon est également retrouvée surexprimée dans des lymphomes à cellules T et à cellules B. Une analyse extensive par micropuces de l’expression croisée Pokemon/Bcl6 sur la très large collection de lymphomes que possède la banque du Sloan Kettering permet aux auteurs de proposer que seuls les patients souffrant du lymphome B à larges cellules possèdent, pour une raison qui reste à éclaircir, un meilleur taux de survie lorsque Pokemon est exprimée, la présence de Bcl6 améliorant encore ce taux.
Enfin, Pokemon étant aussi présente à de hauts niveaux dans toute une série de carcinomes d’origines tissulaires variées, il est raisonnable de la considérer comme une potentielle future cible thérapeutique.

Références

1. Marks PA, Richon VM, Miller T, Kelly WK. Histone deacetylase inhibitors. Adv Cancer Res 2004 ; 91 : 137-68.

2. Lin RJ, Nagy L, Inoue S, Shao W, Miller WH Jr, Evans RM. Role of the histone deacetylase complex in acute promyelocytic leukaemia. Nature 1998 ; 391, 811-4.

3. Maeda T, Hobbs RM, Merghoub T, Guernah I, Zelent A, Cordon-Cardo C, et al. Role of the proto-oncogene Pokemon in cellular transformation and ARF repression. Nature 2005 ; 433 : 278-85.

4. Larsen CJ. Quand p19ARF trouve un partenaire ou les nouvelles « liaisons dangereuses ». Bull Cancer 1998 ; 85 : 523-6.

5. Larsen CJ Alternative protein p19ARF : a genuine tumor suppressor gene. Bull Cancer 1998 ; 85 : 304-6.

6. Larsen CJ. pRB, p53, p16INK4a, sénescence et transformation maligne. Bull Cancer 2004 ; 91 : 399-402.