Bulletin du Cancer
MENUL’inhibiteur d’Aurora kinases VX680, chef de file d’une nouvelle famille d’agents antitumoraux Volume 91, numéro 4, Avril 2004
- Mots-clés : Aurora kinase, VX680
- Page(s) : 300
- Année de parution : 2004
Auteur(s) : François Lavelle
Faut-il le rappeler, une cellule cancéreuse n’a qu’un objectif,
se diviser, et qu’un projet, s’en donner les moyens ! Empêcher
la division des cellules cancéreuses a été, est et restera la
pierre angulaire de l’oncologie médicale. Les antimitotiques
« vrais » que sont les alcaloïdes de la pervenche et les
taxanes perturbent la structure du fuseau mitotique par interaction
avec la tubuline et les microtubules ; ce sont des médicaments
importants, âgés certes mais toujours d’actualité [1]. Depuis la
découverte « empirique » de ces deux familles, la
recherche a identifié (et continue de le faire) les enzymes qui
sont impliquées dans la mitose et qui constituent des cibles
potentielles pour la recherche de nouveaux médicaments. Un travail
de grande qualité publié dans Nature Medecine de mars
2004 porte sur la molécule VX680 qui est un inhibiteur
puissant et sélectif des kinases mitotiques Aurora et qui possède
une activité antitumorale expérimentale in vivo convaincante
[2].
Les Aurora kinases, découvertes en 1997, sont des sérine/thréonine
kinases dont l’activité est essentielle pour la progression
mitotique, comme cela a été mis en évidence en déployant l’arsenal
habituel de la biologie moléculaire : micro-injection
d’anticorps anti-Aurora, ARN interférence, dominants négatifs,
knock out,... Trois membres ont été identifiés : Aurora
A qui intervient au tout début de la mitose et qui est plus
particulièrement impliquée dans la maturation et la duplication des
centrosomes ; Aurora B qui intervient en fin de mitose lors de
l’anaphase et de la cytokinèse, dont la surexpression cellulaire
conduit à la formation de cellules polyploïdes ; Aurora C
enfin, dont la fonction biologique reste encore méconnue. Plusieurs
substrats cellulaires de ces kinases ont été découverts, notamment
l’histone H3 dont on connaît le rôle dans la condensation
chromosomique et l’entrée en mitose.
Deux observations soulignent l’implication de cette famille de
kinases en cancérologie : d’une part, Aurora A peut être
considéré comme un oncogène puisque sa surexpression transforme des
fibroblastes normaux en cellules polyploïdes tumorales ;
d’autre part, les gènes Aurora A et B sont surexprimés dans
plusieurs types de tumeurs humaines (côlon, ovaire, sein,
estomac).
Tout cela constitue un solide rationnel biologique et
pharmacologique qui incita le Laboratoire Vertex à se lancer dans
la recherche d’inhibiteurs d’Aurora kinases. Une bonne nouvelle
vint tout d’abord de la cristallographie qui montra que la poche
ATP des Aurora kinases avait une structure différente de celles des
autres kinases, laissant entrevoir la possibilité de sélectionner
des inhibiteurs spécifiques. Mais la grande nouvelle vint quelques
temps plus tard avec la sélection de l’inhibiteur VX680, de
structure chimique distincte de celles des autres inhibiteurs
connus de kinases. VX680 inhibe les kinases Aurora avec une
bonne spécificité (Aurora A 0,6 nM, Aurora B 18 nM,
Aurora C 4 nM) ; les autres kinases ne sont inhibées qu’à
des concentrations 100 fois plus élevées, la seule exception,
sur laquelle nous reviendrons plus tard, étant la kinase FTL3
(fms-like tyrosine kinase, 30 nM).
VX680 exerce une activité antiproliférative sur toute une
gamme de lignées tumorales humaines
(15 nM < IC50 < 113 nM) mais possède
des propriétés proapoptotiques, ce qui n’était pas attendu. En
accord avec l’inhibition cellulaire in situ d’Aurora B, on
observe une inhibition de la phosphorylation de l’histone H3 et
l’apparition de cellules polyploïdes : les cellules traitées
par VX680 peuvent entrer en mitose puis accomplir une nouvelle
phase S, même en l’absence de division cellulaire. Les protéines
Aurora étant également exprimées dans les cellules normales
proliférantes (cellules sanguines notamment), il fallait maintenant
établir que VX680 passait l’obstacle redouté et redoutable de
l’activité antitumorale in vivo chez l’animal. Une activité
de VX680 a été mise en évidence dans plusieurs modèles de
xénogreffes tumorales humaines implantées chez la souris et le rat
nude (leucémie HL60, pancréas Mia PaCa, côlon HCT116) :
des stabilisations et des régressions tumorales sont notées après
administrations répétées de VX680 par voie IP ou par perfusion
prolongée, cela à des doses bien tolérées sur le plan général.
Comme dans les modèles cellulaires, on retrouve dans les tumeurs
des animaux traités des cellules polyploïdes, des cellules
apoptotiques et une inhibition de la phosphorylation des histones
H3. On ignore si VX680 est actif par voie orale, comme les autres
inhibiteurs de kinases actuellement développés en clinique ;
cette information est importante puisqu’il semble que des
administrations prolongées de VX680 soient nécessaires pour
obtenir une bonne activité antitumorale. L’association avec les
alcaloïdes de la pervenche et les taxanes sera intéressante à
évaluer. Deux points pour terminer : VX680 pourrait être
un médicament de choix pour le traitement des leucémies myéloïdes
aiguës (LMA) en raison de sa double activité inhibitrice notée sur
Aurora et FTL3 ; le gène FTL3, impliqué dans l’hématopoïèse,
se retrouve fréquemment muté dans les LMA de mauvais
pronostic ; VX680 inhibe le clonage de cellules leucémiques
primaires prélevées chez des malades réfractaires aux traitements
conventionnels et présentant pour certains d’entre eux des
mutations de FTL3. Enfin, c’est un plaisir de souligner une fois
encore la qualité de ce travail bien réalisé, bien exposé et qui
peut servir de paradigme pour la recherche et la pharmacologie des
nouveaux agents antitumoraux. Aux malades et aux médecins d’écrire
la suite de l’histoire!
Références
1. Lavelle F. Nouveaux taxanes et dérivés d’épothilones en cours d’études cliniques. Bull Cancer 2002 ; 89 : 343-50.
2. Harrington EA, Bebbington D, Moore J, Rasmussen RK, Ajose-Adeogun A, Nakayama T, et al. VX680, a potent and selective small-molecule inhibitor of the Aurora kinases, suppresses tumor growth in vivo. Nature Medecine 2003 ; 10 : 262-7