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Bulletin du Cancer

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Les héparines de bas poids moléculaire sont‐elles un nouveau traitement du cancer ? Volume 92, numéro 7, Juillet - Août 2005

Auteur

Auteur(s) : Eric Voog

L’activation de l’hémostase au cours du cancer serait impliquée dans la formation du stroma tumoral et faciliterait la dissémination métastatique par voie hématogène. Des travaux expérimentaux ont montré que les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) pouvaient interférer avec l’angiogenèse, l’adhésion des cellules cancéreuses à l’endothélium vasculaire et leur invasion des tissus sains [1]. Il a été proposé l’hypothèse qu’un traitement anti‐thrombotique puisse modifier la progression néoplasique mais sans démonstration nette [2, 3]. La question se repose actuellement à l’occasion de la parution, dans le Journal of Clinical Oncology du mois d’avril 2005, de deux nouvelles études totalement concordantes, montrant qu’un traitement par HBPM augmentait la survie des patients atteints de cancer : l’une émane d’une équipe hollandaise, Clerk et al. [4], l’autre de l’équipe de Levine [5]. L’étude hollandaise est un essai prospectif qui a randomisé la nadroparine à une dose curative pendant 2 semaines puis une dose prophylactique pendant 4 semaines contre placebo, chez des patients atteints de diverses tumeurs solides non accessibles à un traitement curatif et non compliquées de maladie thromboembolique (MTE). L’objectif principal était la survie globale. Un modèle de Cox a été utilisé pour ajuster les effets du traitement par nadroparine selon des facteurs confondants potentiels : survie prévisible ≥ ou < 6 mois, PS, traitement spécifique du cancer (chimiothérapie, hormonothérapie, radiothérapie, autre), localisation (sein, colorectal, cou, autre) et histologie (adénocarcinome, carcinome épidermoïde, autre). Après un suivi médian de 12 mois, la survie à 6 mois était de 61 % dans le bras HBPM contre 56 % dans le bras placebo, avec des médianes de survie de 8 et 6,6 mois respectivement. Le hazard ratio pour la mortalité était de 0,75 (IC 95 % ∓ 0,59‐0,96 ; p ∓ 0,021) en faveur du bras HBPM. Les résultats restaient significatifs après ajustement pour l’espérance de vie, le PS, le traitement spécifique du cancer et le type histologique. Notamment l’effet de la nadroparine était identique que les patients reçoivent ou non une chimiothérapie. Il n’y a pas eu de différence significative de complications hémorragiques graves (3 versus 1 %).

L’étude du groupe de Levine a comparé rétrospectivement la survie des patients atteints de cancer compliqué d’une MTE, traités dans un essai prospectif soit par HBPM, soit par coumadine (étude Clot). Après le diagnostic de MTE, les patients recevaient une semaine de daltéparine puis étaient randomisés entre daltéparine (200 U\kg pendant 1 mois puis 150 U\kg pendant 5 mois) et warfarine (INR entre 2 et 3) pendant 6 mois. Cette étude a montré que la daltéparine réduisait le risque de récidive symptomatique de MTE de 52 % (p ∓ 0,002). Après un suivi médian de 12 mois, le nombre de décès dans les deux groupes n’était pas significativement différent. Dans le sous‐groupe des patients non métastatiques, la différence de survie était significative en faveur du bras HBPM (36 versus 20 % ; hazard ratio ∓ 0,5 (IC95 % ∓ 0,27‐0,95 ; p ∓ 0,03). Les résultats étaient peu modifiés après ajustement aux paramètres pronostiques. Par contre il n’y avait pas de différence de survie chez les patients métastatiques.

Ces deux études ont bien sûr leurs limites, celle de Lee en particulier (ses résultats ne sont significatifs que dans une étude rétrospective de sous‐groupe dont l’analyse statistique a été décidée a posteriori) ; elles laissent cependant penser que les HBPM modifient l’histoire naturelle des cancers, au bout de 6 semaines d’HBPM seulement, et peuvent modifier la survie des patients sans que leur efficacité ne soit fondée sur une diminution de l’incidence des complications thromboemboliques du cancer. D’autres études sont nécessaires pour confirmer ces résultats, identifier la population chez laquelle les HBPM sont les plus efficaces, définir le meilleur schéma d’administration et leurs mécanismes d’action.

Références



1 . Cattan A. Hemostasis and tumor invasion. Therapeutic implications Bull Cancer 1984 ; 71 : 481‐93.

2 . Zacharski LR, WG Henderson, FR Rickles, WB Forman, CJ Cornell, J Forcier et al. Effect of warfarin on survival in small cell carcinoma of the lung : Veterans Administration study n°75. JAMA 1981 ; 245 : 831‐5.

3 . Lebeau B, Chastang C, Brechot JM, Capron F, Dautzenberg B, Delaisements C et al. Subcutaneous heparin treatment increase survival in small cell lung cancer : « Petites Cellules » Group. Cancer 1994 ; 74 : 38‐45.

4 . Klerk CPW, SM Smorenburg, HM Otten, AW Lensing, MH Prins, F Piovellaet et al. The effect of low molecular weight heparin on survival in patients with advanced malignancy. J Clin Oncol 2005 ; 23 : 2130‐5

5 . Lee AY, FR Rickles, JA Julian, M Gent, RI Baker, C Bowden et al. Randomized comparison of low molecular weight heparin and coumarin derivatives on the survival of patients with cancer and venous thromboembolism. J Clin Oncol 2005 ; 23 : 2123‐9.