JLE

Bulletin du Cancer

MENU

Des fonctions inattendues pour une métalloprotéase matricielle, la stromélysine 3 Volume 91, numéro 2, Février 2004

Auteurs

Auteur(s) : Carole Mathelin, Marie-Christine Rio

Les métalloprotéases matricielles (MMP) et, parmi celles-ci, la MMP11 ou stromélysine 3 (ST3), jouent un rôle prépondérant dans le développement tumoral [1-3]. Ainsi, la surexpression de la ST3 au niveau des fibroblastes du stroma tumoral est associée au caractère invasif des carcinomes de la peau, de l'œsophage, du côlon, du sein et de la sphère ORL [4]. Ces données ont conduit plusieurs compagnies pharmaceutiques à développer des inhibiteurs synthétiques des MMP. Cependant, les essais cliniques n'ont pas permis d'observer d'efficacité thérapeutique majeure chez l'homme, une aggravation du pronostic ayant même été parfois rapportée [5]. Ces échecs thérapeutiques pourraient s'expliquer, en partie du moins, par des résultats récents concernant la ST3, obtenus in vivo sur des modèles de tumorigenèse réalisés chez la souris [6-8]. 
Tout d'abord, il a été observé que, lorsque des cellules cancéreuses syngéniques C26 (dérivant d'un carcinome murin colique) sont injectées sous la peau de souris déficientes en ST3 (souris n'ayant plus la capacité de synthétiser la ST3), les tumeurs apparaissent plus tardivement et sont plus petites. De plus, dans les premiers jours suivant leur implantation en l'absence de ST3 chez la souris hôte, un grand nombre de ces cellules meurent par apoptose [6]. La ST3 exerce donc un effet paracrine sur la survie des cellules cancéreuses et favorise la formation de tumeurs primitives grâce à une fonction anti-apoptotique très originale pour une MMP. En effet, les autres MMP présentent plutôt, à l'inverse, des effets pro-apoptotiques. Une seconde étude mettant en œuvre des souris immunodéficientes est venue confirmer cette fonction anti-apoptotique de la ST3 [7]. 
De plus, jusqu'à présent, toutes les études concernant le rôle de la ST3 dans la cancérogenèse étaient focalisées sur le développement de tumeurs primitives. Une étude [8] concernant l'impact de la ST3 sur la survenue de métastases vient d'être réalisée sur des souris double-transgéniques, déficientes ou non en ST3 et surexprimant l'oncogène Ha-ras au niveau de leurs glandes mammaires. L'avantage de ce modèle est qu'il récapitule l'histoire naturelle de la maladie cancéreuse telle qu'elle évolue chez l'homme, c'est-à-dire impliquant des étapes de transformation cellulaire, d'implantation et d'invasion locale (tumeurs primitives invasives) et à distance (métastases). En accord avec les travaux précédents [6, 7], la synthèse de ST3 dans leur environnement favorise le développement de tumeurs mammaires à partir des cellules épithéliales « activées » par l'oncogène Ha-ras et donc induites à la transformation. Cependant, de façon inattendue, à nombre ou volume de tumeurs primitives identique, les souris déficientes en ST3 développent un nombre de métastases (exclusivement localisées au niveau pulmonaire) significativement plus élevé. La ST3 associe donc à son effet activateur vis-à-vis des tumeurs primitives un effet inhibiteur de métastases. De façon similaire, il a été rapporté que l'inactivation du gène de la MMP9 (gélatinase B) diminue l'incidence tumorale dans un modèle de tumorigenèse cutanée, mais les carcinomes qui se développent sont plus agressifs [9]. 
Ces nouvelles données montrent la diversité de fonctions, parfois diamétralement opposées, que peuvent avoir non seulement les MMP les unes par rapport aux autres mais aussi une même MMP en fonction du moment et du lieu de sa synthèse. En conséquence,une meilleure connaissance spatio-temporelle des MMP paraît indispensable à la conception d'inhibiteurs de MMP plus efficaces car mieux ciblés.  

Références

1. Remy L, Bellaton C, Pourreyron C, Anderson W, Pereira A, Dumortier J, Jacquier MF. Integrins and metalloproteinases: an efficient collaboration in the invasive process. Bull Cancer 1999 ; 86 : 154-8.

2. Poupon MF, Burtin P. Focus on stromelysine-3. Bull Cancer 1991 ; 78 : 767-8.

3. Hornebeck W. Matrix metalloproteinases and cancer: role and control. Bull Cancer 1992 ; 79 : 221-5.

4. Basset P, Okada A, Chenard MP, Kannan R, Stoll I, Anglard P et al. Matrix metalloproteinases as stromal effectors of human carcinoma progression: therapeutic implications. Matrix Biol 1997 ; 15 : 535-41.

5. Overall C, Lopez-Otin C. Strategies for MMP inhibition in cancer: innovations for the post-trial era. Nature Rev Cancer 2002 ; 2 : 657-72.

6. Boulay A, Masson R, Chenard MP, El Fahime M, Cassard L, Bellocq JP et al. High cancer cell death in syngeneic tumors developed in host mice deficient for Stromelysin-3 matrix metalloproteinase. Cancer Res 2001 ; 61 : 2189-93.

7. Wu E, Mari P, Wang F, Anderson IC, Sunday ME, Shipp MA. Stromelysin-3 suppresses tumor cell apoptosis in a murin model. J Cell Bioch 2001 ; 82 : 549-55.

8. Andarawewa KL, Boulay A, Masson R, Mathelin C, Stoll I, Tomasetto C et al. Dual Stromelysin-3 function during natural mouse MMTV-ras tumor progression. Cancer Res 2003 ; 18 : 5844-9.

9. Coussens LM, Tinkle CL, Hanahan D, Werb Z. MMP9 supplied by bone marrow-derived cells contributes to skin carcinogenesis. Cell 2000 ; 103 : 481-90.