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ANALYSE D'ARTICLE

Utilisation du téléphone portable pendant la grossesse et problèmes comportementaux chez l’enfant

La relation entre l’utilisation par la femme enceinte d’un téléphone portable et les problèmes comportementaux de son enfant, âgé de cinq à sept ans, a été examinée dans un vaste échantillon de population provenant de cinq cohortes de naissances, dont quatre européennes et une coréenne. Les informations relatives à l’utilisation du portable avaient été recueillies durant la grossesse dans trois d’entre elles, rétrospectivement dans les deux autres. L’étude montre une association entre l’importance de l’utilisation et le risque de troubles de type hyperactivité/inattention, qui reste à vérifier et expliquer.

The relation between mobile phone use by pregnant women and behavioral problems in their children aged 5-7 years was examined in a vast population sample from five birth cohorts (four European and one Korean). Data on mobile phone use was collected prospectively during pregnancy in three of the cohorts, and retrospectively in the other two. The study shows an association between frequency of use and risk of hyperactivity/inattention type disorders, although further verification and clarification are needed.

Dans le cadre du projet GERONIMO (Generalized EMF Research Using Novel Methods), des données permettant d’analyser la relation entre l’utilisation maternelle d’un téléphone portable et les problèmes comportementaux de l’enfant ont été collectées dans cinq cohortes de naissances, constituées au Danemark (recrutement sur la période 1996-2002), aux Pays-Bas (2003-2004), en Espagne (2003-2008), en Norvège (2004-2008) et en Corée (2006-2011). Dans les deux premières cohortes, la mère a été interrogée sur sa fréquence d’utilisation d’un portable durant sa grossesse lorsque son enfant avait sept ans, simultanément à (cohorte danoise) ou deux ans après (cohorte néerlandaise) l’administration d’un questionnaire de dépistage des problèmes comportementaux (rempli par les parents) : le SDQ (Strenghts and Difficulties Questionnaire) qui comporte 25 questions explorant cinq dimensions (difficultés émotionnelles, problèmes de conduite, hyperactivité/inattention, problèmes relationnels avec les autres enfants et comportement pro-social). Dans les trois autres cohortes, les données d’utilisation d’un portable avaient été collectées durant la grossesse (au premier et/ou troisième trimestre), ce qui prévient le biais de restitution. L’enfant a été évalué à un âge compris entre quatre et sept ans dans la cohorte espagnole, sur la base du SDQ, et à l’âge de cinq ans dans les cohortes coréenne et norvégienne qui ont utilisé la Child Behavior Checklist (CBCL). Cet outil, qui comporte 99 questions, est considéré d’une fiabilité comparable à celle du SDQ pour le dépistage des problèmes comportementaux, et couvre les mêmes champs. Une version courte avait été utilisée dans la cohorte norvégienne, réduite à 25 questions (dont pratiquement toutes celles permettant de dépister les problèmes d’hyperactivité/inattention) jusqu’en 2009, deux autres questions complétant l’évaluation de la sphère émotionnelle ayant été ajoutées par la suite.

La population analysable s’élevait à 83 884 paires mères-enfants pour lesquelles toutes les données étaient réunies, incluant (covariables contrôlées) l’âge de l’enfant au moment de l’évaluation, la région géographique (pour les cohortes espagnole et coréenne hétérogènes sur ce critère), ainsi que les caractéristiques maternelles suivantes : âge à la naissance, parité, pays d’origine (cohortes néerlandaise, danoise et espagnole), statut marital, niveau d’études, antécédents psychopathologiques, tabagisme actif ou passif et consommation d’alcool durant la grossesse, indice de masse corporelle de pré-grossesse et taille.

Analyse principale

La population des mères a été répartie en quatre groupes selon la fréquence d’utilisation du portable. Les non-utilisatrices représentaient 38,8 % de la population totale, la cohorte danoise (dont le recrutement avait démarré à une époque où les portables étaient encore peu répandus) pesant très fortement dans cette moyenne (60,8 % de non-utilisatrices versus 6,7 % dans la cohorte néerlandaise, 2,9 % dans l’espagnole, 0,8 % dans la coréenne et 6,5 % dans la norvégienne où la classification était différente [jamais/rarement]). Les faibles utilisatrices (0 à 1 appel par jour dans les cohortes danoise, néerlandaise et espagnole, 1 à 2 appels par jour dans la coréenne, et quelques appels par semaine dans la norvégienne) représentaient 28,7 % de la population totale. Le groupe des utilisatrices modérées (respectivement 2 à 3 appels par jour, 3 à 5, usage quotidien) rassemblait 26,8 % de la population et celui des fortes utilisatrices 5,7 % (respectivement 4 appels ou plus par semaine, au moins 6, plus d’1 h de communication par jour).

Les troubles du comportement ont été définis conformément aux valeurs seuils (état limite et anomalie clinique) du score SDQ ou CBCL total (problèmes comportementaux en général) et des sous-scores de difficultés émotionnelles et d’hyperactivité/inattention. Pour la cohorte norvégienne, les valeurs retenues étaient le 93e percentile de la distribution dans la population (état limite) et le 98e percentile (anomalie clinique). La prévalence des problèmes comportementaux en général était de 6,6 %, dont 3,9 % des enfants présentant un état limite et 2,7 % un comportement franchement anormal. La prévalence des difficultés émotionnelles était de 12 % et celle des problèmes d’hyperactivité/inattention était de 8,3 % (avec, dans les deux cas, la moitié des enfants dans la fourchette des anomalies cliniques).

Quel que soit le trouble considéré et son intensité, sa prévalence est moindre chez les enfants de mères n’ayant pas utilisé de portable pendant leur grossesse par rapport au groupe de référence des enfants nés de faibles utilisatrices. Dans la sous-catégorie des anomalies cliniques, les odds ratio (OR) vont de 0,76 (IC95 : 0,68-0,87) pour les problèmes comportementaux en général à 0,87 (0,79-0,96) pour l’hyperactivité/inattention, dont le risque augmente avec l’importance de l’utilisation du portable : OR = 1,11 (1,01-1,22) chez les enfants d’utilisatrices modérées et OR = 1,28 (1,12-1,48) chez ceux des fortes utilisatrices. La tendance dose-réponse n’est pas significative pour les problèmes comportementaux en général et les difficultés émotionnelles en particulier.

Analyses de sensibilité et interprétation

La relation entre l’utilisation du portable pendant la grossesse et un score d’hyperactivité/inattention anormal chez l’enfant de cinq à sept ans perdure après exclusion des cohortes une à une. Les OR chez les enfants de fortes utilisatrices par rapport aux faibles utilisatrices vont ainsi de 1,27 (1,10-1,48) sans la cohorte espagnole à 1,30 (1,11-1,51) sans la norvégienne. Par ailleurs, l’analyse restreinte aux trois cohortes dans lesquelles les données d’utilisation du portable ont été collectées durant la grossesse aboutit à une estimation (OR = 1,28 [0,99-1,64]) équivalente à celle de la méta-analyse des deux cohortes avec recueil rétrospectif (OR = 1,29 [1,09-1,52]).

Les auteurs appellent à une interprétation prudente de ces résultats, qui ne peuvent pas être reliés à l’exposition fœtale au champ électromagnétique de radiofréquence (CEM-RF) à ce stade. Les études de débit d’absorption spécifique (DAS) indiquent que cette exposition est très faible, mais la modélisation reste compliquée du fait des nombreux paramètres à considérer (façon dont la mère porte son téléphone, position du fœtus, stade de la grossesse, etc.).

Bien que plusieurs facteurs de confusion potentiels aient été pris en compte, d’autres, non mesurés ici (comme le style d’éducation parental, les soins et l’attention portés à l’enfant) ou résiduels (comme les problèmes d’hyperactivité/inattention de la mère qui n’ont pas été précisément évalués dans les antécédents psychopathologiques) pourraient expliquer l’association observée. Les facteurs susceptibles d’influencer à la fois l’utilisation maternelle du portable (pas uniquement pendant sa grossesse) et les troubles comportementaux de l’enfant sont nombreux et complexes. Étant donné l’enjeu, ce sujet mérite la poursuite des explorations.

 


Publication analysée :

* Birks L1, Guxens M, Papadopoulou E, et al. Maternal cell phone use during pregnancy and child behavioral problems in five birth cohorts. Environ Int 2017; 104: 122-31. doi: 10.1016/j.envint.2017.03.024

1 ISGlobal, Center for Research in Environmental Epidemiology, Barcelone, Espagne.