JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Typologie des réponses sanitaires à l’introduction d’une ligne à haute tension

L’implantation d’une nouvelle ligne de transport d’électricité à haute tension aux Pays-Bas a offert l’opportunité d’une étude de terrain prospective visant à explorer les réponses sanitaires de la population locale. Cette analyse dans le sous-échantillon des plus proches voisins de la ligne permet d’identifier et de caractériser cinq groupes de sujets sur la base de l’évolution de leurs croyances concernant la nocivité de la construction.

The installation of a new high-voltage power line in the Netherlands provided an opportunity for a prospective field study to examine the health responses of the local population. This analysis of the subgroup of people living closest to the line identified and characterized five classes of subjects based on trends over time in their beliefs of how harmful the construction might be.

L’exposition à un facteur environnemental dont la dangerosité est incertaine peut avoir un profond impact au niveau individuel comme sociétal, quand bien même le risque sanitaire n’est pas démontré et que les experts le considèrent très faible, voire improbable. C’est le cas du champ magnétique d’extrêmement basse fréquence (CM-EBF) généré par les lignes de transport d’électricité à haute tension (LHT). Bien qu’aucun mécanisme biophysique connu ne puisse expliquer les résultats de certaines études épidémiologiques montrant un lien avec la leucémie de l’enfant et qu’une relation avec d’autres types de cancers ou des pathologies neurologiques ayant fait l’objet d’investigations puisse être écartée, 70 % de la population européenne pense que les LHT peuvent affecter leur santé d’une manière ou d’une autre selon une enquête Eurobaromètre de 2010. Cette croyance est particulièrement répandue chez les voisins d’une LHT, amenant certaines personnes à attribuer des symptômes non spécifiques (céphalées, fatigue, difficultés de concentration, etc.) à leur exposition au CM-EBF.

En conséquence, au titre du principe de précaution ou pour éviter l’affrontement avec un mouvement d’opposition locale, plusieurs pays ont pris des mesures pour encadrer la construction d’une LHT (éviction des zones habitées, compensation financière, etc.). Ainsi, aux Pays-Bas où cette étude a été réalisée, lorsqu’un projet de construction passe à proximité de résidences, les propriétaires reçoivent une offre d’achat du gouvernement, qui a par ailleurs adopté un plan d’enfouissement sur 15 ans des lignes de tension allant jusqu’à 150 kV situées en zone résidentielle. Le coût estimé de cette opération, qui pourrait éviter la survenue d’un cas de leucémie infantile tous les deux ans dans l’hypothèse d’une relation causale, est de 440 millions d’euros.

Pour les auteurs de cet article, qui ont constaté la diversité des réponses sanitaires à l’introduction d’une nouvelle LHT dans le Sud de leur pays, une stratégie uniforme de gestion du risque ne peut satisfaire tout le monde. Une meilleure connaissance des facteurs déterminant les préocupations des riverains et leur évolution permettrait une communication et des interventions plus ciblées. Poursuivant l’analyse des données collectées durant la construction jusqu’après la mise en service de la LHT, ils identifient cinq profils évolutifs de la croyance en la nocivité des LHT et s’efforcent de les caractériser en termes de facteurs sociodémographiques et psychologiques.

Contexte et données collectées

Annoncé en 2006, le projet de construction d’une LHT (380 kV) entre les municipalités de Wateringer et Zoetermeer a fait l’objet d’une étude d’impact, d’une information de la population locale et de réunions publiques au cours desquelles les résidents ont pu participer à sa planification et recevoir des réponses à leurs questions sur les effets sanitaires potentiels des CM-EBF. Le tracé définitif, de 22 km, a été arrêté en 2009 et les travaux ont commencé en 2012. Pendant la mise en place des pylônes, 10 mois avant la mise en service de la ligne, un membre adulte de chaque foyer situé dans les 500 m autour du tracé et un échantillon aléatoire de la population plus éloignée (jusqu’à 2 km) ont été sollicités pour participer à une étude longitudinale dont l’objet annoncé était la relation entre la santé et l’environnement (le courrier d’invitation ne mentionnait pas la LHT). Le questionnaire permettait d’établir différents scores sur des échelles spécifiques (santé générale perçue, symptômes somatiques et plaintes cognitives non spécifiques, anxiété et dépression, préoccupations relatives à la santé), d’évaluer la force de la croyance en des causes environnementales d’altération de la santé (11 facteurs proposés parmi lesquels les LHT, les stations de base de téléphonie mobile, les voies ferroviaires, les grandes routes, les éoliennes, etc.), ainsi que le niveau des craintes (proximité perçue de l’objet dangereux et attente d’effets sanitaires négatifs). Cinq mois après l’achèvement de la construction et avant l’activation de la ligne, un deuxième questionnaire a été envoyé, qui reprenait en grande partie les mêmes items (permettant de recruter des participants n’ayant pas répondu au premier) et mesurait en plus la dimension névrotique de la personnalité et le sentiment de maîtrise. Respectivement deux et sept mois après le début du fonctionnement de la ligne, les participants ont reçu deux questionnaires de suivi, axés sur la perception de changements dans leur environnement et l’évolution de leur état de santé ainsi que des niveaux de préoccupation et de croyance.

Cette étude a donné lieu à deux publications antérieures à celle-ci, focalisée sur le groupe des résidents les plus proches de la ligne (dans les 300 m) réunissant 213 personnes (âge moyen 52 ans, 54 % de femmes, 55,2 % de diplômés du supérieur et 96 % de propriétaires de leur logement). Avec un taux de réponse au premier questionnaire de 23 %, 168 personnes étaient entrées dans l’étude à son début, puis 45 l’avaient rejointe à l’occasion du deuxième questionnaire. Trois quart des sujets avaient participé à trois (27,7 %) ou aux quatre temps de l’évaluation (46,9 %).

Évolution de la croyance en la nocivité des LHT

Le groupe était caractérisé, dans son ensemble, par un niveau de croyance en un effet délétère des LHT déjà élevé aux deux premiers temps de l’évaluation (T1 et T2), qui s’est accentué après la mise en service de la ligne (T3 et T4). Une analyse plus fine de l’évolution de cette croyance permet de distinguer cinq trajectoires.

Le sous-groupe dominant (49 % des participants) rassemble des sujets persuadés que leurs troubles ne sont pas causés par une LHT à T1. Ils en sont un peu moins certains à T2 mais la croyance en la responsabilité de la LHT n’augmente pas après sa mise en service. Pour un deuxième sous-groupe (9 % des participants), la conviction de départ que les LHT ne peuvent affecter leur santé se renverse par la suite, ces sujets présentant le plus haut niveau de croyance en une participation des LHT à leurs troubles à T3. Le troisième sous-groupe (12 %) se caractérise par un faible niveau de croyance à la base, qui s’accentue légèrement après la mise en service de la ligne. La force de la croyance fluctue autour d’un niveau modéré dans le quatrième (19 %) avec une baisse à T2 et une augmentation à T3. Enfin, chez les sujets les plus convaincus au départ que les LHT sont nocives (11 % des participants), cette conviction s’affaiblit graduellement jusqu’à T3 puis remonte à T4 pour terminer au plus haut niveau.

Déterminants psychosociaux

Le premier sous-groupe peut être décrit comme émotionnellement stable (faibles scores de névrosisme, d’anxiété et de dépression) et présente une bonne santé qui ne s’altère pas sur la période de l’étude. Comparativement, le score d’anxiété et le sentiment de manque de maîtrise sont élevés dans le deuxième sous-groupe (montrant une forte réaction dès l’achèvement de la construction et une détérioration de l’état de santé après la mise en service) qui présente un plus fort niveau d’attention aux risques environnementaux. Le troisième sous-groupe (faibles répondeurs à l’activation) se distingue du premier par le pourcentage de femmes (72 versus 46,7 %) et de sujets très diplômés (76 versus 51,9 %), ainsi que par un score plus élevé d’affects négatifs et de symptômes de type cognitifs à la base. Les deux derniers sous-groupes, dont la force de la conviction en une nocivité des LHT a d’abord décru pour remonter ensuite, se perçoivent en moins bonne santé physique et mentale que le premier, présentent des traits névrotiques plus marqués, de plus fortes préoccupations de santé et une perception accrue des changements de leur environnement allant de pair avec une altération de leur état de santé après l’activation de la ligne. Ils diffèrent principalement sur deux aspects : les sujets du quatrième sous-groupe rapportent une forte répercussion de leurs problèmes de santé dans les activités quotidiennes, et ceux du cinquième un degré élevé d’insatisfaction de leur environnement.

Si ce travail est limité par son caractère exploratoire et la classification par Latent Class Growth Modelling (LCGM) réductrice d’une réalité plus complexe, il fournit un éclairage pour la gestion du risque et permet de générer des hypothèses pour de futures recherches.

 


Publication analysée :

* Porsius J1, Claassen L, Woudenberg F, Smid T, Timmermans D. « These power lines make me ill »: a typology of residents’ health responses to a new high-voltage power line. Risk Analysis 2017 [Epub ahead of print]. doi: 10.1111/risa.12786.

1 Department of Public and Occupational Health, Amsterdam Public Health Research Institute, VU University Medical Center, Amsterdam, Pays-Bas.