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ANALYSE D'ARTICLE

Toxicité des pesticides pour la santé humaine : vue d’ensemble

Cet article de revue dresse un panorama des champs d’investigation de la toxicité des pesticides pour l’homme. Par le nombre d’études accumulées et d’associations positives rapportées, la cancérogénicité se détache nettement. D’importantes indications d’effets neurotoxiques sont également réunies.

This article provides an overview of the fields of investigation into the toxic effect of pesticides on humans. The vast number of studies reviewed and the positive associations they report indicate carcinogenicity as the main risk factor, with many indications of neurotoxic effects also present.

Vaste et hétérogène, la famille des pesticides rassemble des substances dont le point commun est d’être toxique pour des organismes vivants. Cette propriété mise à profit pour lutter contre des « nuisibles » a rendu et continue de rendre de grands services à l’humanité dans des domaines variés (production et conservation de produits agricoles, assainissement de l’habitat, contrôle des maladies vectorielles, etc.). Mais elle soulève inévitablement des préoccupations pour la santé des espèces non ciblées.

L’homme peut être exposé aux pesticides lors de leur manipulation, de leur application, de la consommation d’aliments contenant des résidus, par sa présence dans une zone traitée et d’autres manières, incluant l’exposition in utero. Les risques de cette exposition chronique à faible dose (les cas d’intoxication aiguë étant écartés) motivent un nombre croissant de travaux de recherche expérimentale et épidémiologique. Dans une précédente revue exhaustive de la littérature, publiée en 2013, les auteurs ont examiné les données épidémiologiques pour diverses maladies chroniques (cancers, maladies neurodégénératives, diabète, etc.) et divers mécanismes possibles de toxicité cellulaire (dommages génétiques, modifications épigénétiques, perturbation endocrinienne, dysfonction mitochondriale, stress oxydant, stress du réticulum endoplasmique, réponse inflammatoire, etc.). Au-delà d’actualiser les connaissances, cette nouvelle revue les hiérarchise par groupe de toxicité, dégageant les relations les plus évidentes au vu du volume des preuves épidémiologiques existantes.

Matériel

La recherche dans PubMed d’articles parus depuis 1980 traitant des effets sanitaires de l’exposition aux pesticides a ramené 7 419 publications. Les auteurs ont conservé les articles écrits et publiés en anglais, rapportant les résultats d’études (transversales, cas-témoins, de cohortes, écologiques) ou de méta-analyses d’études ayant quantifié (sous forme d’odds ratio, de hazard ratio, de risque relatif, de rapport de mortalité ou d’incidence) les effets de l’exposition (estimée par questionnaire, matrice emploi-exposition, système d’information géographique ou analyse d’échantillons biologiques) sur des maladies chroniques.

La sélection finale comportait 448 articles publiés jusqu’en 2016, concernant 43 pathologies. Ils ont été classés en six groupes de toxicité : cancérogénicité, neurotoxicité, toxicité pulmonaire, reproductive, développementale et métabolique.

La cancérogénicité : premier sujet d’investigation

Plus de la moitié des articles (n = 243) sont relatifs au cancer, rapportant des associations avec 28 localisations dans neuf organes, appareils ou systèmes. La relation entre l’exposition aux pesticides et la survenue d’un cancer hématopoïétique est particulièrement documentée (leucémies et lymphomes principalement). Le poids des preuves est également élevé pour les tumeurs cérébrales, qui ont généralement été, comme la leucémie, étudiées, d’une part, chez les enfants en relation avec l’exposition parentale, d’autre part, chez des adultes professionnellement exposés. Les autres localisations pour lesquelles existent d’importantes preuves d’une association avec l’exposition aux pesticides sont les cancers de la prostate, du sein, colorectaux, du pancréas et du poumon. Lorsque les études ont examiné l’effet de classes chimiques ou de molécules spécifiques, elles rapportent plus souvent des associations avec des insecticides (organochlorés ou organophosphorés) et, à un moindre degré des herbicides (en particulier acides phénoxyacétiques et triazines), qu’avec des fongicides et des fumigants. Les auteurs soulignent les limites à l’interprétation de ces données : la fréquence d’observation d’une association dépend de l’usage d’un produit (en l’occurrence les insecticides et les herbicides sont bien plus couramment utilisés que les deux autres classes) et de la prévalence de chaque type de cancer. La conclusion qu’ils tirent du tableau d’ensemble est que le volume des preuves est tel que l’on ne peut pas douter que l’exposition aux pesticides joue un rôle dans le développement d’un cancer en général.

Autres types de toxicité

En nombre d’articles, les champs d’investigation couverts sont, par ordre décroissant, la neurotoxicité (58 publications ayant trait à des maladies neurodégénératives : maladie de Parkinson devant la sclérose latérale amyotrophique et la maladie d’Alzheimer), la toxicité reproductive (n = 45 : infertilité, altération des concentrations d’hormones circulantes, altération de la qualité du sperme, anomalies congénitales, faible poids de naissance), la toxicité métabolique (n = 38 : diabète, obésité), la toxicité pulmonaire (n = 33 : asthme, sifflement, bronchite chronique, infections respiratoires basses) et la toxicité développementale. Ce dernier sujet émerge rapidement parmi les préoccupations liées à l’exposition aux pesticides, avec 31 articles publiés entre 2003 et 2016 relatifs au trouble déficit attentionnel avec hyperactivité, à l’autisme ou au retard de développement.

En termes d’associations positives identifiées, les maladies neurodégénératives conservent la première place (75 associations) devant les pathologies témoignant d’une reprotoxicité, puis de toxicités métabolique, pulmonaire et développementale. Ce classement suggère une sensibilité particulière de l’organisme humain aux effets neurotoxiques des pesticides, en adéquation avec le fait que le système nerveux est la première cible de grandes familles de pesticides parmi lesquels des insecticides organochlorés, organophosphorés et carbamates. Les articles passés en revue indiquent toutefois un niveau de risque similaire avec les herbicides, dont le paraquat incriminé dans la maladie de Parkinson. Ce composé agit principalement par l’induction d’un stress oxydant, mécanisme de toxicité partagé par de nombreux autres pesticides, ce qui ouvre des pistes.

D’une manière générale, la recherche concernant la toxicité des pesticides devrait, à l’avenir, bénéficier de l’attention croissante portée aux voies de toxicité impliquées dans la survenue des maladies chroniques.


Publication analysée :

* Mostafalou S1, Abdollahi M. Pesticides: an update of human exposure and toxicity. Arch Toxicol 2017; 91: 549-99. doi: 10.1007/s00204-016-1849-x

1 Department of Pharmacology and Toxicology, School of Pharmacy, Ardabil University of Medical Sciences, Ardabil, Iran.