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ANALYSE D'ARTICLE

Tempêtes de poussière et mortalité de cause non accidentelle aux États-Unis

Cette estimation de l’impact des tempêtes de poussière sur la mortalité non accidentelle aux États-Unis suggère que l’exposition aux particules liée à ces phénomènes naturels constitue un problème de santé publique plus pressant qu’imaginé. Les auteurs plaident pour la mise en place de campagnes d’information et de systèmes d’alerte précoce.

This estimation of the impact of dust storms on non-accidental mortality in the United States suggests that exposure to particles during these natural events is a more pressing public health problem than previously thought. The authors argue for information campaigns and early warning systems.

Outre le risque d’accident de la route lié au manque de visibilité, les tempêtes de poussière exposent de manière aiguë à un nuage de particules grossières. Véhiculant des spores fongiques, des cyanobactéries et d’autres composants microbiens en suspension, elles peuvent aussi générer des cas d’infections comme la coccidioïdomycose (« fièvre de la vallée ») qui sévit notamment dans le sud-ouest des États-Unis. C’est sur cet aspect que ce sont concentrées les récentes recherches dans ce pays, alors que le risque lié à l’exposition aux particules a été peu évalué. La dernière étude, publiée en 1999, avait conclu à l’absence d’impact de l’exposition aux PM10 sur la mortalité de cause non accidentelle. L’intérêt pour les événements climatique extrêmes augmentant et la toxicité des particules grossières commençant à être reconnue, plusieurs travaux ont été depuis réalisés dans diverses régions touchées par des tempêtes de poussière ou de sable (Australie, Asie, Moyen-Orient, Caraïbes), ainsi qu’en Europe (incursions de poussières du Sahara). Bien que cette littérature soit hétérogène en termes de critère sanitaire examiné, de niveau d’exposition des populations, de caractéristiques des tempêtes et de composition des aérosols, les associations rapportées ont fait émerger le besoin de réévaluer la mortalité liée aux tempêtes américaines.

Vaste étude sur la période 1993-2005

Cette étude porte sur l’ensemble du territoire avec des analyses spécifiques pour les deux États où les tempêtes sont les plus fréquentes : l’Arizona et la Californie (respectivement 77 et 55 tempêtes sur les 209 rapportées entre 1993 et 2005). La base de données permettant d’identifier ces événements (dates et localisations) est alimentée par diverses sources (services d’urgences, forces de l’ordre, observations aériennes, médias, signalements citoyens, compagnies d’assurance, etc.) et ne garantit pas l’exactitude des informations qu’elle contient. En l’absence de protocole de détection et de déclaration standardisé, cette base de données de l’U.S. National Weather Service constitue toutefois le registre le plus complet des tempêtes qui s’abattent sur le territoire états-unien. Ces événements, qui tendent à se multiplier et/ou à être mieux rapportés (en moyenne 16 par an sur la période d’observation considérée [1993-2005] contre 33,8 au cours de la période 2006-2010) surviennent principalement au printemps et en été (avec un pic en juillet) et la moitié d’entre eux dure moins d’une heure.

Les comptes journaliers de mortalité de cause non accidentelle, et plus spécifiquement cardiovasculaire et respiratoire, ont été obtenus auprès du National Center for Health Statistics qui collecte des informations extraites des certificats de décès (dont date et cause principale, codée selon la Classification internationale des maladies [CIM-9 entre 1985 et 1998 et CIM-10 ensuite]). Dans l’objectif d’examiner l’effet à court terme d’une tempête sur la mortalité, les auteurs ont sélectionné pour chaque comté les décès survenus le jour de l’événement ainsi que les cinq jours suivants. L’effet a été estimé par une méthode cas-croisé, avec pour chaque période « tempête », une période « témoin » constituée des mêmes jours de la semaine que celui de l’événement au cours du même mois, avec leurs cinq jours consécutifs.

Comme les données de mortalité, celles concernant les tempêtes ont été agrégées au niveau du comté. Une tempête était assignée à un comté lorsque les données du service météorologique national montraient qu’elle avait touché au moins 10 % de sa surface. Des analyses de sensibilité ont été réalisées en faisant varier ce seuil entre 5 et 25 %, ce qui n’a eu qu’un faible impact sur les résultats.

Effets d’une tempête sur la concentration de PM10

Préalablement à l’étude de la relation tempête-mortalité, une analyse exploratoire a été effectuée pour connaître l’impact des tempêtes sur les concentrations de PM10 dans les zones où elles avaient été rapportées (cette étape a également permis d’estimer la qualité des informations de la base de données « tempêtes »). La concentration atmosphérique des PM10 mesurée par les stations de base de la zone concernée le jour de l’événement (moyenne des 24 h) a été comparée à la concentration moyenne en période témoin constituée des trois ou quatre autres mêmes jours de la semaine du mois. L’analyse de séries temporelles a été répétée en n’incluant que les données provenant des capteurs installés en zones rurales, où la présence de particules d’origine anthropique est moindre.

Les résultats montrent un fort impact des tempêtes sur le niveau des PM10. En moyenne, pour l’ensemble du territoire (204 tempêtes et 168 capteurs), la concentration des PM10 s’élève de 77,6 μg/m3, soit une augmentation de 99,1 % (IC95 : 83,6-115,9). L’effet estimé en zone rurale (136 tempêtes et 43 capteurs) est voisin : augmentation de 75,8 μg/m3 du niveau des PM10, soit + 81,3 % (45,8-125,4). En Californie, il dépasse celui estimé pour l’ensemble de l’État (augmentation de 234,3 % du niveau des PM10versus 153,9 %).

Impact sur la mortalité

L’analyse porte sur un total de 141 tempêtes (dont 65 en Arizona et 41 en Californie) et 49 427 décès, dominés par les maladies cardiovasculaires (20 075), tandis que les décès de cause respiratoire étaient peu nombreux (4 719).

Au niveau national, une augmentation significative de la mortalité non accidentelle est observée les deuxième (+ 7,4 % [1,6-13,5]) et troisième (+ 6,7 % [1,1-12,6]) jours après la tempête. Pour la totalité de la période « tempête » considérée, l’augmentation de la mortalité journalière est de 2,7 % (0,4-5,1). Des associations significatives sont mises en évidence en Arizona à J3 (augmentation de 8,6 % de la mortalité), et en Californie à J2 (+ 13,2 %) ainsi que pour toute la période « tempête » (+ 6,4 %). Ces résultats ne sont pas notablement modifiés par un ajustement sur des variables météorologiques (précipitations, vagues de chaleur) et de pollution à l’échelon du comté (concentration moyenne des PM10 et, pour un sous-échantillon avec données disponibles, des PM2,5 et de l’ozone).

Concernant la mortalité de causes spécifiques, aucun impact sur les décès par maladies respiratoires n’est observé (mais le nombre de cas était faible), en revanche, des excès significatifs de mortalité par maladies cardiovasculaires sont mis en évidence sur l’ensemble du territoire à J2 (+ 9,5 %), ainsi qu’en Arizona à J3 (+ 13 %). En Californie, la mortalité liée à d’autres causes que cardiovasculaires ou respiratoires (46,4 % des décès) augmente significativement dès le premier jour suivant la tempête (+16,8 %), avec un pic le deuxième jour (J2 : + 20,7 % et J3 : + 15,2 %).

Le fait que ces résultats viennent contredire les conclusions de l’étude publiée en 1999 peut s’expliquer par plusieurs différences entre les deux travaux. En particulier, la précédente étude n’intégrait que 17 tempêtes survenues entre 1990 et 1996 dans une zone limitée de l’État de Washington. L’association avec la mortalité avait été examinée le jour même de l’événement et le lendemain, alors qu’un décalage allant jusqu’à six jours a été considéré dans cette nouvelle étude.


Publication analysée :

* Crooks JL1, Cascio W, Percy M, Reyes J, Neas L, Hilborn E. The association between dust storms and daily non-accidental mortality in the United States, 1993-2005. Environ Health Perspect 2016; 124: 1735-43.doi: 10.1289/EHP216

1 Environmental Public Health Division, National Health and Environmental Effects Research Laboratory, U.S. Environmental Protection Agency, Chapel Hill, États-Unis.