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Synthèse publiée le : 15/06/2020

Synthèse :
Evaluation de l’exposition des populations aux pyréthrinoïdes :
vision croisée des démarches de caractérisation

Le croisement des deux approches - mesure biologique et modélisation - doit être mené conjointement afin de permettre l’amélioration de l’efficacité des outils d’aide à la décision pour réduire les expositions.

 

Introduction

L’exposome représente l’ensemble des expositions couvrant la vie entière (incluant la période prénatale) qui peuvent influencer la santé humaine [1]. L’émergence de ce concept implique de nouveaux développements méthodologiques dans l’évaluation des expositions. Initialement développé pour des approches individuelles dans un cadre épidémiologique, le concept d’exposome n’est pas directement applicable dans le cadre de la caractérisation de l’exposition à l’échelle de territoires et de la surveillance de population. La construction d’une démarche d’évaluation intégrée de l’exposition dans une
logique d’exposome nécessite la complémentarité des démarches et de contourner les difficultés liées aux fortes variabilités spatio-temporelles des contaminants dans l’environnement, à la complexité des phénomènes de transfert des contaminants jusqu’aux organes cibles [2].

Les pesticides regroupent de nombreuses substances chimiques d’intérêt majeur au regard de leur large utilisation et des potentiels enjeux sanitaires associées aux expositions chroniques à faibles doses. Cette catégorie de substances constitue une application intéressante au vu de la complexité de la caractérisation de la contamination environnementale. Les expositions aux pesticides se caractérisent par la multiplicité des voies d’exposition (alimentation, eau, air, sol) liée à leur présence dans l’ensemble des milieux environnementaux [3]. Pour une caractérisation fine des expositions environnementales, un premier verrou réside dans la capacité à rassembler au sein d’un même système d’analyse un ensemble de données combinant le mode de vie des populations et la contamination locale des milieux environnementaux sur des résolutions spatiales appropriées et des territoires étendus (échelles régionales). Par ailleurs, l’analyse de biomarqueurs spécifiques permet une mesure directe de l’exposition totale d’un individu aux polluants de l’environnement, intégrant les différentes sources et voies d’exposition. Toutefois, pour chaque pesticide, il n’existe pas de biomarqueur d’exposition. En particulier, dans le cas des pyréthrinoïdes qui constituent des insecticides utilisés dans de nombreux domaines tels que l’agriculture, l’entretien des logements et la médecine humaine ou vétérinaire, ce sont des métabolites c’est-à-dire des produits de dégradation qui sont mesurés.

Le projet CartoEXPO [3] qui a permis de concilier différentes approches de modélisation avait pour objectif d’étudier l’exposition interne à cette famille de pesticides pour permettre l’analyse des déterminants environnementaux et la cartographie de l’exposition des populations. Pour ce faire, le projet utilise des outils innovants permettant de caractériser les transferts de contaminants dans les compartiments environnementaux et biologiques. Cette démarche de caractérisation du continuum de l’exposition source-environnement-population nécessite l’adaptation des outils développés : les systèmes d’information géographique (SIG), les modèles d’exposition multimédia, la modélisation atmosphérique et des modèles pharmacocinétiques physiologiques (PBPK). Il visait à cartographier des indicateurs d’exposition interne sur des résolutions spatiales et temporelles fines intégrant le mode de vie des populations et la contamination locale des milieux environnementaux. Le calcul d’exposition a été réalisé sur la région Picardie pour l’année 2013 pour deux classes d’âge, enfants (de la naissance à 3 ans) et adultes (de 17 à 70 ans), sur l’ensemble des mailles de 2 km de côté de la région. Les voies d’inhalation et d’ingestion ont été considérées intégrant les usages phytosanitaires de cinq substances
d’intérêt (dont deux pyréthrinoides, cyperméthrine et deltaméthrine). La modélisation a été réalisée jusqu’à l’estimation des concentrations internes dans l’ensemble des tissus, organes et fluides intégrés dans les modèles physiologiques PBPK.

L’étude a permis pour les substances d’intérêt :
• d’identifier des zones de surexposition potentielle par l’analyse des variations des indicateurs dans l’espace,
• d’analyser des sources et des compartiments environnementaux potentiellement associés aux surexpositions,
• d’expliquer la variabilité des inégalités d’exposition pour les polluants et les zones d’études.

L’évaluation de l’exposition intégrée a permis la combinaison des voies d’exposition par ingestion et inhalation au niveau des différents fluides et organes d’intérêts. Les incertitudes les plus importantes correspondent à l’alimentation de provenance commerciale pour laquelle, à ce stade, il n’est possible d’établir que des intervalles de concentrations très larges. Au vu des résultats des analyses statistiques, la contribution d’exposition spatiale (inhalation et ingestion d’aliments locaux) est très faible par rapport aux autres parts non spatialisées. Pour la plupart des substances, les zones où les expositions les plus élevées sont à proximité des parcelles sur lesquelles les substances actives sont potentiellement
plus épandues.
Concernant la biosurveillance, des dosages de biomarqueurs d’exposition peuvent être réalisés auprès d’échantillons représentatifs d’une population : population générale, certaines sous-populations vulnérables (enfants, femmes enceintes, etc.) ou des populations susceptibles d’être plus exposées (ex : travailleurs, riverains d’activités polluantes, occupants de sites pollués, forts consommateurs de certaines denrées alimentaires). À l’échelle de la population d’intérêt, les dosages ainsi réalisés offrentune description des expositions au moment de la réalisation des prélèvements, utiles en termes
de production de connaissance mais aussi d’aide à la décision. La réalisation des comparaisons des niveaux mesurés avec ceux observés antérieurement, avec des populations spécifiques ou des populations d’autres pays, essentielle pour que les résultats puissent être interprétés, nécessite notamment l’existence de valeurs de référence en population générale. C’est pourquoi de nombreux pays, dont la France, ont développé des programmes nationaux de biosurveillance qui visent (entre autres) à la production de ces valeurs de référence.

Dans l’étude ENNS 2006-2007 [4], ce sont cinq métabolites communs à différents pyréthrinoïdes qui ont été dosés. Ils ont été retrouvés dans plus de 80 % des échantillons , à l’exception du F-BPA (30 %) et du Cis-Cl2 CA (55 %). Les niveaux les plus élevés de métabolites de pyréthrinoïdes ont été retrouvés pour le 3-BPA, qui est un métabolite de nombreux insecticides pyréthrinoïdes, dont la cyperméthrine, la deltaméthrine, la perméthrine. Les niveaux moyens français des métabolites des pyréthrinoïdes semblaient environ trois fois plus élevés que ceux observés aux États-Unis et encore supérieurs aux niveaux allemands. Dans cette étude, étaient également retrouvées que l’alimentation et l’utilisation domestique de pesticides pour les traitments antipuces ou le traitement d’un potager influençaient de façon notable les concentrations mesurées. Les résultats du volet périnatal du programme national de biosurveillance s’appuyant sur la cohorte Elfe [5] montraient également qu’en 2011 comparativement aux États-Unis, il existait une surimprégnation des femmes enceintes par les pyréthrinoïdes en France. L’imprégnation augmentait avec les usages domestiques des pesticides (insecticides, anti-poux et anti-puces), la consommation de tabac et d’alcool. La présence de certaines cultures agricoles à proximité du lieu de résidence était associée à une augmentation des niveaux d’imprégnation. Toutefois, en l’absence de mesures de concentration en pesticides dans l’air et dans les poussières au domicile, il n’était pas possible de juger de la causalité entre la présence de ces cultures et l’imprégnation.

 

Conclusion

Les approches de mesures et de modélisation permettent toutes deux d’évaluer l’exposition des populations considérées, avec des limites et incertitudes qui leurs sont propres. Le croisement de ces démarches complémentaires permet d’améliorer l’efficacité des outils d’aide à la décision pour
réduire les impacts sanitaires et environnementaux liés aux expositions et ces approches doivent être menées conjointement de front et en concertation (Figure 1).

Figure 1. Démarche intégrée de l’évaluation l’exposition.

La stratification de la population réalisée dans le cadre du plan d’échantillonnage à partir des estimations de l’exposition peut permettre de réduire le nombre d’échantillons dans les campagnes de biosurveillance en sélectionnant des individus plus contrastés en termes d’exposition. La confrontation
des doses internes spatialisées avec les données mesurées dans les études de biosurveillance peut permettre d’apprécier les valeurs prédites. Toutefois, la mesure des biomarqueurs d’exposition prend en compte indistinctement l’ensemble des sources et des voies d’exposition au niveau d’un individu. Combinées aux questionnaires renseignant les habitudes de vie, les mesures de biomarqueur et les estimations des concentrations internes modélisées permettent de fournir les contributions environnementales pour discriminer facteurs comportementaux et professionnels dans le cadre des analyses explicatives de l’imprégnation.

 

 

 

Références

[1] Wild CP. Complementing the genome with an “exposome”: the outstanding challenge of environmental exposure measurement in molecular epidemiology. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2005 ; 14 : 1847-50.
[2] Wild CP. Future research perspectives on environment and health: the requirement for a more expansive concept of translational cancer research. Environ Health 2011 ; 10(Suppl 1) : S15.
[3] Caudeville J, Regrain C, Bonnard R, Lemaire V, Letinois L, Tognet F, Brochot C, Bach V, Chardon K, Zeman F. Caractérisation de l’exposition environnementale spatialisée à un pyréthrinoîde en Picardie. Environ Risque Sante 2019 ; 18 : 1-9. doi : 10.1684/ers.2019.1340
[4] Fréry N, Guldner L, Saoudi A, Garnier R, Zeghnoun A, Bidondo ML. Exposition de la population française aux substances chimiques de l’environnement. Tome 2 – Polychlorobiphényles (PCBNDL) et pesticides. Saint Maurice. Santé publique France ; 2013 : 178 p. Disponible à partir de
l’URL : http://www.santepubliquefrance.fr
[5] Dereumeaux C, Saoudi A, Goria S, Wagner V, De Crouy-Chanel P, Pecheux M, Berat B, Zaros C, Guldner L. Urinary levels of pyrethroid pesticides and determinants in pregnant French women from the Elfe cohort. Environ Int 2018 ; 119 : 89-99. doi: 10.1016/j.envint.2018.04.042.