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Synthèse publiée le : 28/05/2018

SYNTHESE : Effets inter- et transgénérationnels des produits chimiques

On sait depuis le drame des enfants « Distilbène », dont les mères ont été traitées par le diéthylstilbestrol au cours de leur grossesse, qu’un traitement médicamenteux administré pendant cette période peut être à l’origine de troubles et de maladies graves dans la descendance. Ainsi, des précautions particulières concernent la prise de médicaments par les femmes enceintes. On sait également que le tabac et l’alcool ont des conséquences très néfastes sur le fœtus pendant la grossesse. Par contre, les données sur de tels effets induits par des polluants de l’environnement pendant la vie fœtale, et pouvant être transmis sur plusieurs générations, viennent essentiellement d’études expérimentales. Cependant, celles-ci s’accumulent et font penser que l’augmentation des maladies chroniques humaines pourrait s’expliquer au moins partiellement par ces expositions du fœtus à des mélanges de polluants venant du mode de vie maternel. Les mécanismes actuellement proposés impliquent des modifications épigénétiques, en particulier dans les cellules sexuelles, qui pourraient être conservées sur plusieurs générations.

 

Contexte

Les effets intergénérationnels de l’exposition humaine à des xénobiotiques sont connus depuis les observations cliniques réalisées sur les enfants «Distilbène ». Le diéthylstilbestrol (DES) est un médicament qui a été prescrit dès 1938 aux femmes enceintes pour éviter les avortements spontanés jusqu’à la constatation de ses effets néfastes sur les enfants nés après traitement, en particulier les filles, malformations congénitales, cancers du vagin et de l’utérus. Ces observations ont entraîné son interdiction pour les femmes enceintes à partir de 1971 aux États-Unis puis dans tous les pays, dont la France en 1977. Cependant, c’est seulement à la fin du XXe siècle, avec la problématique des perturbateurs endocriniens (PE) et de leurs mécanismes d’action, que la question de la transmission inter- et transgénérationnelle d’anomalies pouvant entraîner des pathologies s’est posée de manière beaucoup plus large. Des polluants environnementaux dont les PE, certains médicaments, des stress physiologiques comme la restriction calorique, subis pendant certaines périodes fœtales ou postnatales peuvent être à l’origine de troubles à l’âge adulte et dans la descendance. L’hypothèse de l’origine fœtale de pathologies chroniques, développée à la fin du XXe siècle sous le concept de Developmental Origins of Health and Disease Hypothesis (DOHaD), s’est confortée lentement au cours des dernières années. Elle propose que des stimuli environnementaux, dont des contaminants chimiques, subis par la mère à certaines périodes de la grossesse, voire avant, perturbent le développement embryonnaire et augmentent ainsi le risque de maladies chroniques à l’âge adulte. Des recherches expérimentales mettent en cause des altérations épigénétiques dans cette transmission. Les altérations épigénétiques se produisent sur l’environnement des gènes qui module leur expression : modifications de la méthylation de l’ADN, de l’acétylation ou la méthylation des histones, modifications qui sont héritables. Ces altérations de l’épigénome sont induites par le style de vie parental, tabagisme, alcool, stress, nutrition et polluants environnementaux. Quand elles se manifestent dans les cellules germinales et les gamètes matures, elles se retrouvent dans l’embryon, c’est la transmission intergénérationnelle. Si elles s’observent en deuxième ou troisième génération, c’est la transmission transgénérationnelle.

 

Études expérimentales et hypothèse de la transmission épigénétique

La compréhension de ces mécanismes de transmission commence à se faire grâce à des études expérimentales chez l’animal de laboratoire. M.K. Skinner a été un des précurseurs de ces recherches en montrant une diminution de la fertilité de rats mâles dans la descendance de femelles gestantes traitées par la vinclozoline, un fongicide antiandrogénique. L’hypothèse d’une transmission épigénétique a été alors proposée sans qu’elle ait été démontrée clairement [1]. Cependant, une publication de 2017 la conforte grâce à l’avancée des connaissances sur l’épigénome en mettant en évidence des modifications épigénétiques de l’ADN du sperme à la 3e génération, F3 [2] De nombreuses données expérimentales obtenues au cours des dix dernières années sur différents PE, bisphénol A, phtalates, certains pesticides, et reprises dans une revue récente [3], vont également dans le sens de cette transmission épigénétique de modifications induites par les contaminants environnementaux ou alimentaires. L’une des dernières publications montre qu’une exposition de souris gestantes à un phtalate (le DEHP) altère la production d’hormones du stress telles que la corticostérone dans la descendance jusqu’à la F3 [4]. Une autre met en évidence des effets transgénérationnels dans la descendance de rates gestantes ayant reçu de l’atrazine à une concentration de 4 % de la DL50 du rat. L’atrazine est un herbicide, maintenant interdit en Europe pour sa contamination de l’eau et sa persistance, mais qui a été pendant longtemps utilisé très largement en agriculture et est encore autorisé aux États-Unis. La génération F1 ne présente pas de pathologies mais un poids inférieur à celui des témoins. C’est à la génération F2 que des anomalies sont trouvées avec une augmentation des pathologies du testicule, des tumeurs mammaires et une puberté avancée. Elles sont également augmentées en F3. Cette transmission s’exerce, d’après les chercheurs, par des modifications épigénétiques de la lignée germinale mâle. L’ADN des spermatozoïdes des F1, F2 et F3 montre des différences significatives de méthylation dans certaines régions qui ont été associées avec le développement des pathologies observées. Cette étude, publiée dans PLoS One en 2017 [5], donne des arguments très sérieux à l’hypothèse de la transmission trangénérationnelle par des modifications épigénétiques des cellules germinales.

 

Quelles données humaines d’un effet inter- et transgénérationnel d’une exposition environnementale ?

On sait depuis longtemps que le tabagisme de la femme pendant la grossesse est associé avec un risque d’avortement plus élevé et un poids de naissance réduit pour le nouveau-né. De plus, il induit une altération des fonctions respiratoires et immunes chez certains de ces enfants. Cependant, c’est plus récemment, à travers des études cliniques, que l’hypothèse d’une altération épigénétique chez le fœtus a été proposée pour expliquer ces effets délétères. En effet, des modifications de la méthylation de l’ADN ont été retrouvées dans le sang du cordon et dans le placenta [6]. Cependant, on ne peut pas affirmer que ces modifications épigénétiques sont responsables des anomalies observées à la naissance.

L’exposition fœtale à l’alcool est un autre problème grave de santé publique. Les effets sur le fœtus sont dévastateurs et décrits collectivement (Fetal Alcool Spectrum Disorders [FASD]). Ils se caractérisent en particulier par des perturbations neurodéveloppementales qui se traduiront chez l’enfant par un déficit d’attention, des difficultés de mémorisation et d’apprentissage. On connait mal les mécanismes impliqués pendant le développement fœtal cependant, des études expérimentales montrent à nouveau des effets sur l’épigénome. Dans des modèles animaux de rates ou souris gestantes exposées à l’alcool dans l’eau de boisson, des modifications épigénétiques sont observées et de nombreux gènes sont affectés par une modification de la méthylation de leur promoteur. Liu et al. [7] ont retrouvé des modifications de la méthylation de 84 gènes dont certains déterminants dans le fonctionnement cellulaire (contrôle du cycle cellulaire, apoptose).

Il existe actuellement peu de données fiables publiées sur une exposition de la femme enceinte à des PE entrainant des troubles dans la descendance. Cependant, une étude épidémiologique française récente [8] sur une cohorte de 300 patients dont il avait été vérifié qu’ils ne présentaient pas d’anomalie génétique et 302 témoins montre une association entre une exposition prénatale à une variété de PE dont des phtalates (exposition professionnelle ou environnementale des parents) et l’augmentation du risque de l’hypospadias chez les enfants. Cette étude a été critiquée et demande à être reproduite cependant, son mérite est de poser la question de l’origine d’une augmentation des troubles du développement de l’appareil reproducteur chez l’enfant.

Une autre étude [9] sur la cohorte française PELAGIE qui suit les enfants de femmes enceintes en Bretagne recrutées entre 2002 et 2006 vient de montrer un lien entre la présence de métabolites d’esters de glycol détectés dans l’urine de ces femmes pendant la grossesse et un retard dans la compréhension du langage de leurs enfants à 6 ans.

Enfin, selon l’OMS, « l’épidémie » mondiale d’obésité et de maladies métaboliques tels que le diabète est extrêmement préoccupante. Elle est associée essentiellement à une nourriture industrielle trop riche et au manque d’exercice physique (voir article S. Ronga). Cependant, certains contaminants chimiques présents dans l’alimentation et dans l’environnement ont été montrés comme étant « obésogènes ». En 2030, il est prédit que la population mondiale en surpoids pourrait atteindre 3,3 milliards avec 400 millions de diabétiques ! Dans une revue récente de plus d’une centaine de publications, Magueresse-Battistoni et al. [10] pointent le rôle de la perturbation endocrinienne induite par des mélanges de polluants environnementaux pendant la vie fœtale comme un des facteurs de cette « épidémie ». La période fœtale et néonatale est hautement sensible aux signaux hormonaux, non seulement les hormones responsables du développement sexuel (testostérone, estradiol) et cognitif (hormone thyroïdienne) mais également celles qui concerne le comportement alimentaire futur (glucocorticoïdes, leptine). Les dioxines, retardateurs de flamme, certains pesticides, les phtalates, PCBs, BPA et BPS, peuvent induire l’augmentation de poids et la différenciation des adipocytes chez des animaux de laboratoire Ces effets ont été retrouvés sur trois générations après traitement de souris gestantes par le tributhylétain (TBT).

 

Conclusion

Il parait de plus en plus probable que l’exposition de la femme enceinte à des polluants de l’environnement puisse induire des perturbations du développement fœtal avec des conséquences après la naissance. Ces polluants seraient responsables de modifications épigénétiques, en particulier sur les cellules germinales, transmissibles et à l’origine de pathologies chroniques au cours de la vie, voire dans la descendance. Cependant, la majorité des données acquises ont été obtenues chez l’animal, il est donc essentiel de développer des études dans des cohortes de femmes enceintes, ce qui implique une meilleure connaissance de leur exposition et d’acquérir des marqueurs fiables de ces modifications de l’épigénome pouvant être détectées dans la descendance.

Liens d’intérêts

 

Références

  1. Anway MD, Cupp AS, Uzumcu M, Skinner MK. Epigenetic transgenerational actions of endocrine disruptors and male fertility. Science 2005 ; 308 : 1466-146.
  2. Beck D, Sadler-Riggleman I, Skinner M.K. Generational comparisons (F1 versus F3) of vinclozolin induced epigenetic transgenerational inheritance of sperm differential DNA methylation regions (epimutations) using MeDIP-Seq. Environ Epigenet 2017 ; 3.
  3. Jimenez-Chillaron JC, Nijland MJ, et al. Back to the future : transgenerational transmissionof xenobiotic-induced epigenetic remodeling. Epigenetics 2015 ; 10 : 259-73.
  4. Quinnies KM, Doyle TJ, Kim KH, Rissman EF. Trangenerational effects of di-(2-ethyl) phthalate (DEHP) on stress hormones and behavior. Endocrinology 2015 ; 156 : 3077-83.
  5. McBirney M, King S.E, Pappalardo M, et al. Atrazine induced epigenetic transgenerational inheritance of disease, lean phenotype and sperm epimutation pathology biomarkers. PLoS One 2017 ; 12(9) : e0184306.
  6. Suter MA, Anders AM, Aagaard KM. Maternal smoking as a model for environmental epigenetic changesaffecting birthweight and fetal programming. Mol Hum Reprod 2013 ; 19 : 1-6.
  7. Liu Y, Balaraman Y, Wang G, Nephew KP, Zhou FC. Alcohol exposure alters DNA methylation profiles in mouse embryos at early neurulation. Epigenetics 2009 ; 4 : 500-11.
  8. Kalfa N, Paris F, Phillibert P, et al. Is hypospadias associated with prenatal exposure to endocrine disruptor? A French collaborative controlled study of a cohort of 300 consecutive children without genetic defect. Eur Urol 2015 ; 68 : 1023-30.
  9. Béranger R, Garlantézec R, Le Maner-Idrissi G, Lacroix A, et al.Prenatal exposure to glycol ethers and neurocognitive abilities in 6-year-old children : PELAGIE Cohort Study.Environm Health Persp 2017 ; 125 : 684-90.
  10. Le Magueresse-Battistoni B, Labaronne E, Vidal H, Naville D. Endocrine disrupting chemicals in mixture and obesity, diabetes and related metabolic disorders. World J Biol Chem2017 ; 8 : 108-119.