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ANALYSE D'ARTICLE

Symptômes, santé, recours aux soins : qu’est-ce qui caractérise les hypersensibles au bruit ?

Contribuant à combler un manque de connaissance sur le profil symptomatique, l’état de santé et le comportement de recours aux soins des personnes disant souffrir d’une hypersensibilité au bruit, cette étude transversale soutient la notion de caractéristiques communes avec d’autres manifestations d’hypersensibilité environnementale.

This cross-sectional study helps to fill the gaps in knowledge about the symptom profile, health status, and illness behavior of people who say they are hypersensitive to noise. It supports the notion of common characteristics with other manifestations of environmental hypersensitivity.

Si l’hypersensibilité au bruit fait l’objet de beaucoup d’allégations, peu d’études scientifiques lui ont été consacrées. Plusieurs hypothèses étiologiques co-existent, exclusives ou complémentaires (lésion physique, trouble psychologique, vulnérabilité génétique ou acquise aux stresseurs environnementaux, effets indésirables de médicaments, etc.). Pour certains, ce syndrome appartiendrait au groupe des sensibilités environnementales subjectives ou intolérances environnementales idiopathiques, incluant l’hypersensibilité aux produits chimiques et aux champs électromagnétiques (CEM). Quel que soit l’agent incriminé, leur caractéristique commune est l’attribution de symptômes multiples et variés (fatigue, faiblesse générale, céphalées, altération du sommeil, difficultés de concentration, sensations vertigineuses, douleurs musculaires, troubles digestifs, difficultés respiratoires, etc.) à une exposition de faible niveau par rapport aux limites établies pour la protection de la santé publique. Touchant diverses sphères et pouvant être dus à de multiples facteurs, connus ou pas, ces symptômes non spécifiques restent inexpliqués dans 30 à 50 % des cas en médecine de soins primaires. Chez les individus qualifiés d’hypersensibles, leur perception et leur impact fonctionnel sont accrus, entraînant une souffrance psychologique et un handicap parfois sévères, et de fréquents recours à des soins « alternatifs ».

Les sujets sensibles au bruit étant généralement sous-représentés dans les populations étudiées, il n’est pas certain que ces généralités leur soient applicables.

Enquête dans un vaste échantillon de patients néerlandais

Vingt-et-un médecins généralistes (porte d’entrée obligatoire du système de santé néerlandais) exerçant dans 20 régions aux niveaux d’urbanisation variables, ont fourni la liste des sujets inscrits dans leur patientèle. Un échantillon aléatoire de 13 007 adultes (≥ 18 ans), constitué dans la base des 76 684 adresses pouvant être géocodées, a reçu un questionnaire intitulé « Environnement de vie, technologie et santé ». Le taux de participation a été de 46 % (5 933 questionnaires retournés). Par rapport aux non-participants, les répondants étaient plus jeunes (âge moyen : 51,8 versus 55 ans) et diplômés (niveau universitaire : 32 versus 21,5 %), mais la distribution des sexes était comparable (58 versus 59,5 % de femmes).

La sensibilité à neuf facteurs (bruit, CEM [stations de base, équipements de communication, appareils électriques], substances chimiques, détergents parfumés, odeurs, lumière, couleurs, matériaux, température, changements de température) a été évaluée sur le degré d’accord (cinq niveaux, de « pas du tout » à « tout à fait ») avec l’énoncé : « je suis sensible à… ». La population très sensible était constituée des sujets ayant répondu « tout à fait d’accord » pour tous les facteurs environnementaux sauf les CEM pour lesquels elle a été étendue aux sujets ayant répondu « d’accord » (quatrième niveau).

L’échantillon analysable pour la sensibilité au bruit comportait 5 806 participants (127 questionnaires invalidés), dont 722 formant le groupe très sensible (high-noise sensitivity : HNS), qui a été comparé au groupe des 5 084 participants moins sensibles (lower-noise sensitivity : LNS).

Association à d’autres sensibilités

Le taux de co-occurence avec d’autres sensibilités environnementales allait de 9 % (CEM) à 50 % (chaleur/froid) et 88 % des sujets HNS étaient également sensibles à au moins un autre facteur. La prévalence d’une forte sensibilité aux neuf facteurs était significativement plus élevée dans le groupe HNS par rapport au groupe LNS, avec des odds ratio (OR) compris entre 2,09 (IC95 : 1,75-2,5) pour la sensibilité à la couleur et 6,48 (5,21-8,04) pour les substances chimiques, après ajustement sur des covariables sociodémographiques (âge, sexe, niveau d’études, origine ethnique, niveau d’urbanisation du lieu de résidence), ainsi que sur des critères sanitaires provenant de la base de données du Netherlands Institute for Health Services Research, alimentée par les rapports d’un réseau de 150 médecins généralistes dont les 21 participants à l’étude. Les comorbidités prises en compte étaient des maladies chroniques, physiques (dont : asthme, bronchopneumopathie obstructive, diabète, hypertension artérielle, migraine, syndrome du côlon irritable, polyarthrite rhumatoïde et cancer) et psychiatriques (trouble anxieux, dépression, dépendance à l’alcool ou aux drogues).

Profil symptomatique

Les sujets étaient interrogés sur la présence de 27 symptômes non spécifiques au cours du mois précédant l’enquête, ainsi que sur leur caractère chronique (symptômes présents depuis au moins quatre mois). Le groupe HNS se distingue du groupe témoin par une prévalence supérieure de 22 symptômes durant le mois écoulé, avec des OR allant de 1,21 (1,01-1,47) pour l’irritation nasale à 2,41 (1,96-2,97) pour l’humeur dépressive après ajustement sur les covariables précédentes, ainsi que sur l’exposition résidentielle au bruit nocturne (entre 22h et 6h), donnée par le modèle du National Institute for Public Health and the Environment (RIVM). La prévalence des symptômes chroniques est également supérieure dans le groupe HNS avec des différences significatives pour 23 des 27 symptômes. Ces résultats sont cohérents avec la fréquence des symptômes non expliqués par un diagnostic au cours de l’année précédente dans la base de données médicales, qui est de 45,2 % dans le groupe HNS contre 36 % dans le groupe LNS. Concernant les prescriptions rapportées pour l’année écoulée dans cette base de données, les deux groupes se différencient clairement pour les benzodiazépines (taux de prescription égal à 18,3 % dans le groupe HNS versus 9 % dans le groupe LNS) ainsi que les antidépresseurs (14,7 versus 6,9 %), tandis que l’écart est faible (21,9 versus 20,4 %) pour les antalgiques.

L’analyse des questionnaires montre par ailleurs des différences statistiquement significatives entre les deux groupes, dans le sens attendu, en termes d’état de santé perçu, de qualité du sommeil, de score d’intensité des symptômes, de niveau de détresse psychologique, ainsi que de recours à l’automédication, à un psychothérapeute ou à des thérapies alternatives à la médecine classique (homéopathie, acupuncture, autre).

Dans leur ensemble, ces éléments soutiennent l’appartenance de la sensibilité au bruit au groupe des intolérances environnementales idiopathiques.


Publication analysée :

* Baliatsas C1, van Kamp I, Swart W, Hooiveld M, Yzermans J. Noise sensitivity: symptoms, health status, illness behavior and co-occuring environmental sensitivities. Environ Res 2016; 150: 8-13.doi: 10.1016/j.envres.2016.05.029

1 Netherlands Institute for Health Services Research (NIVEL), Utrecht, Pays-Bas.