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ANALYSE D'ARTICLE

Réchauffement climatique : doit-on s’attendre à une baisse de la mortalité hivernale ?

Certaines études prédisent une augmentation de la mortalité liée à la température sous l’effet du changement climatique, tandis que d’autres prédisent sa diminution, la baisse de la mortalité liée au froid dépassant la surmortalité liée à la chaleur. Pour les auteurs de ce travail, le froid n’a qu’une faible part de responsabilité dans la surmortalité hivernale à côté d’autres facteurs saisonniers. S’ils ne sont pas suffisamment contrôlés, ces facteurs corrélés à la température peuvent confondre la relation entre le froid et la mortalité.

Some studies predict an increase in temperature-related deaths associated with the effects of climate change, while others predict a decrease, with the reduction in cold-related mortality exceeding the high death rate due to heat. For the authors of this study, cold has only a limited influence on the excess mortality in winter, compared with other seasonal factors. If these temperature-related factors are not sufficiently controlled for, they can confound the relation between cold and mortality.

Si les périodes caniculaires sont associées à des pics de mortalité, c’est pendant les mois les plus froids de l’année que le taux de mortalité est généralement le plus élevé. Ce constat laisse espérer que le réchauffement climatique entraînera une diminution de la mortalité hivernale, susceptible, pour certains auteurs, de contrebalancer, voire de dépasser, l’excès de mortalité lié à l’augmentation des températures estivales. Cette hypothèse est valide sous réserve que la surmortalité hivernale puisse être mise en grande partie sur le compte du froid. Or, dans les pays développés, la population qui passe le plus clair de son temps dans des locaux chauffés est largement protégée contre le froid qui règne à l’extérieur. D’autres facteurs qu’une température basse pourraient expliquer la surmortalité hivernale, aux premiers rangs desquels les épidémies de grippe, mais aussi plus largement d’infections respiratoires, qui pourraient être favorisées par l’exposition à un air sec et contribuer à l’élévation de paramètres sanguins (concentrations plasmatiques de fibrinogène et de cholestérol, nombre et activité des plaquettes sanguines) augmentant le risque cardiovasculaire. La mortalité hivernale pourrait également être influencée par le manque d’exercice, les excès de la période des fêtes, et d’autres facteurs saisonniers liés au mode de vie.

Afin de déterminer dans quelle mesure le froid exerce un effet direct sur la mortalité, les auteurs de ce travail ont collecté les données de mortalité totale et de température (moyenne journalière) de 36 villes des États-Unis (sur une période allant de 1985 à 2006), ainsi que des trois principales villes françaises : Paris, Marseille et Lyon (période 1971-2007). Leur hypothèse de départ était la suivante : si les températures froides sont directement responsables d’une grande partie de la mortalité hivernale, l’excès de mortalité hivernale doit être plus prononcé dans les villes où ces températures sont les plus basses et/ou dans celles où la différence entre les températures estivales et hivernales est la plus marquée.

 

Estimation de l’effet du froid

L’excès de mortalité hivernal a été déterminé pour chacune des 39 villes, en faisant le rapport de la mortalité hivernale (mois de décembre, janvier et février) sur la mortalité estivale (juin, juillet et août). Les auteurs ont examiné sa relation avec la température moyenne hivernale et l’écart entre les températures moyennes estivales et hivernales.

L’excès de mortalité hivernal varie peu d’une ville à l’autre : il est compris entre 1,08 (à Miami) et 1,19 (à Marseille, Providence, Sacramento et Salt Lake City), avec une valeur moyenne égale à 1,16. Il n’apparaît pas corrélé à la température moyenne hivernale (qui va de -5,15 °C à Madison à 20,87 °C à Miami) ni à l’écart de température entre l’été et l’hiver, dont l’ampleur va de 6,13 °C (à Los Angeles) à 25,97 °C (à Madison). Ces résultats suggèrent que le froid en lui-même n’est pas un déterminant important de la mortalité hivernale. Ils s’accordent avec ceux de deux études comparant différents pays européens, qui rapportent des excès de mortalité hivernaux assez comparables entre les pays les plus chauds et les plus froids. Une troisième publication montre que le profil de variation saisonnière de la mortalité est similaire à Honolulu et à Détroit.

 

Importance du modèle statistique

Si l’influence du froid est mineure par rapport à celle d’autres facteurs saisonniers, sans un ajustement suffisant sur la saison, les modèles utilisés pour établir les relations température-mortalité pourraient surestimer les effets des basses températures. En conséquence, les projections appuyées sur ces modélisations surestimeraient les bénéfices attendus du réchauffement climatique. Une revue des quelques études disponibles, dont les conclusions sont disparates, suggère effectivement que la qualité du contrôle de la saison retentit largement sur l’estimation de la mortalité liée au froid.

Les auteurs ont choisi quatre villes pour examiner l’importance d’un ajustement sur la saison : Paris et New York (où le contraste des températures estivales et hivernales est net), Miami (au climat chaud et humide toute l’année) et Marseille (représentant un exemple intermédiaire). Sans ajustement, les effets du froid apparaissent beaucoup plus importants, et ceux de la chaleur moins importants, que quand l’effet de la saison est contrôlé.

La relation entre la température et la mortalité a finalement été examinée mois par mois dans les quatre villes. Sans décalage temporel, l’excès de mortalité hivernal n’apparaît pas fortement influencé par le froid, excepté en janvier à Paris et dans une moindre mesure à Marseille. Toutefois, l’excès de mortalité estival, qui apparaît quand la température dépasse 20 °C, est nettement plus important que l’excès de mortalité hivernal, qui est observé pour un petit nombre de jours en dessous de 0 °C. L’impact du froid sur la mortalité pouvant s’étendre sur plusieurs jours, une analyse de sensibilité a été effectuée en remplaçant la température moyenne journalière par la température moyenne des cinq jours précédant et incluant celui du décès. L’effet d’une température froide est alors plus important, mais toujours de moindre ampleur que l’effet d’une température chaude.

Le décalage temporel apparaît être un paramètre ayant une influence notable sur le résultat. Les études qui concluent à un nombre limité de décès dus aux températures froides s’appuient sur des modèles dans lesquels le décalage est limité (1 à 7 jours). À l’opposé, celles qui attribuent un grand nombre de décès au froid ont utilisé des modèles qui décrivent les effets d’une moyenne glissante de la température sur plusieurs semaines (habituellement 21 jours). Sur une période de temps aussi longue, l’effet potentiellement confondant de la saison est difficile à contrôler, même quand des variables saisonnières sont incluses dans le modèle.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Kinney P1, Schwartz J, Pascal M, et al. Winter season mortality: will climate warming bring benefits ? Environ Res Lett 2015; 10.

doi: 10.1088/1748-9326/10/6/064016

 

1 Mailman School of Public Health, Columbia University, New York, États-Unis.