JLE

Contaminants

Nanotechnologies

Year Book 2016

Fabrice Nesslany (1)
Francelyne Marano (2)

(1). Laboratoire de Toxicologie Génétique
Institut Pasteur de Lille
1, rue du Professeur Calmette
59019 Lille Cedex 2
France

(2). Laboratoire de Biologie Fonctionnelle et adaptative CNRS UMR 8251
Université Paris Diderot
4, rue M-A Lagroua Weill-Hallé
75205 Paris Cedex
France

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Synthèse publiée le : 01/04/2016

Quoi de nouveau sur les risques sanitaires des nanotechnologies ?

Nous sommes exposés depuis longtemps à des nanoparticules naturelles ou non fabriquées intentionnellement. Mais depuis quelques dizaines d’années, les nanotechnologies ont investi l’électronique, l’informatique, la construction automobile et aéronautique, le traitement de l’eau,... Les impacts sanitaires potentiels sont très mal connus mais la démonstration récente de la possibilité de franchir les barrières biologiques pour une fraction, même infime, de ces nanoparticules et leur capacité à s’accumuler dans certains organes pose la question de leur persistance et leurs effets à long terme dans un contexte d’exposition chronique.

 

On trouve aujourd’hui des nanomatériaux (NM) manufacturés dans de très nombreux articles et produits de consommation tels que les emballages alimentaires, les cosmétiques, les vêtements, les articles de sport, les claviers d’ordinateur, l’encre des imprimantes, la surface des vitres ou le béton autonettoyant... L’inventaire du « Project on Emerging Nanotechnologies (PEN) [1] de l’Institut Woodrow Wilson donne régulièrement des informations sur leur développement international. Leur liste n’est sûrement pas exhaustive car comme cette déclaration n’est pas obligatoire, on peut penser que leur nombre est largement sous-estimé. En 2010, 440 produits étaient comptabilisés en Europe et seulement 32 en France. Dans le dernier rapport (2014) de la déclaration nationale annuelle française des substances à l’état nanoparticulaire à l’ANSES [2], sur 9990 déclarations, il y avait 11010 secteurs d’utilisation, 2631 produits chimiques différents et 414 articles. Les secteurs d’utilisation « Agriculture, sylviculture, pêche » et « formulation de préparations et/ou reconditionnement (sauf alliages) » occupent les deux premières places avec respectivement 58,28 % et 19,36 % ; la « fabrication de produits alimentaires » n’arrive qu’en 4è place avec 2,12 %, vraisemblablement sous-estimés car l’industrie agroalimentaire applique à la lettre la définition européenne[a]. Par ailleurs, un gros utilisateur de nanomatériaux est l’industrie cosmétique dans les crèmes solaires et les produits de beauté. Pour les substances, le noir de carbone, le dioxyde de silice, le carbonate de calcium, le dioxyde de titane et l’oxyde d’aluminium occupent les 5 premières places de la déclaration dans l’ordre décroissant. Ce marché génère aujourd’hui plus de 1 000 milliards d’euros de chiffre d’affaire selon la FAO [3].

 

Quelles sont les données toxicologiques ?

Même si l’on dispose aujourd’hui d’études toxicologiques sur certains NM, les connaissances sur leurs effets sanitaires proviennent essentiellement des données obtenues pour les particules fines et ultrafines atmosphériques (PUF), en particulier les particules Diesel qui viennent d’être classées dans le groupe 1 (cancérogène certain pour l’homme) par le Centre International de Recherche sur le Cancer. Les NM et les PUF ont en commun des comportements biologiques qui restent encore largement inconnus. Ceci tient essentiellement à des propriétés associant leur très petite taille et leur surface proportionnellement considérable. Ces propriétés physico-chimiques et, en particulier, leur réactivité de surface, seraient à l’origine de leur réactivité biologique et de leur capacité potentielle à franchir des barrières biologiques et à pénétrer dans l’organisme.

Le rôle du stress oxydant a été particulièrement mis en avant comme un mécanisme fondamental capable de provoquer des réponses cellulaires multiples notamment inflammatoires et génotoxiques. Ces études expérimentales ont longtemps souffert d’un manque d’harmonisation (caractérisation des NM, protocoles d’études différents…) mais elles ont permis d’avancer dans la compréhension des mécanismes d’action des nanoparticules. En particulier, elles ont été utiles pour la détermination du rôle de certains paramètres dans la survenue des effets. Il s’agit de la taille/distribution, de la forme, de la composition chimique, de la solubilité en relation avec leur persistance dans l’organisme, de leur capacité à s’agréger et/ou à s’agglomérer [4].

L’étude des effets biologiques des nanoparticules associés à leurs propriétés physico-chimiques spécifiques a donné naissance à une nouvelle discipline, la Nanotoxicologie. La question de l’utilisation des tests réglementaires pour l’évaluation de la toxicité des nanomatériaux est actuellement en débat. Certains tests devront être adaptés [5] et les propriétés spécifiques des nanomatériaux nécessitent le développement de nouveaux protocoles expérimentaux, en particulier pour les tests de cytotoxicité (ISO 2014).

 

L’évaluation de l’exposition à ces NM est difficile, car on ne connait pas, en général le cycle de vie des produits en contenant. Par ailleurs, la métrologie des NM dans l’environnement est très difficile et il faut souligner l’initiative du club Nanométrologie en la matière (cf encadré 1).

 

Le Club de nanométrologie, créé en 2010, est une initiative commune du LNE (Laboratoire National de métrologie et d’Essais) et du centre de Compétence en nanosciences, C’Nano. Son objectif est d’évaluer les besoins industriels dans le domaine de la métrologie des nanomatériaux et de favoriser les échanges entre les laboratoires académiques, les agences gouvernementales et le secteur industriel. Depuis 2014, le Club a organisé des inter-comparaisons de mesures, notamment pour les nanoparticules de SiO2, d’or et d’hématite (gFe2O3).

Nicolas Feltin

 

 

Le cas du dioxyde de titane dans l’alimentation

Le dioxyde de titane (TiO2) est un additif alimentaire (E171) autorisé depuis 1969 car il est considéré comme non toxique avec une absorption intestinale de l’ordre de 5%.Il est très largement utilisé pour apporter de la blancheur et de la brillance aux aliments, en particulier dans les confiseries et les gâteaux.L’exposition moyenne aux Etats Unis est de l’ordre de 0,5 à 1mg/kg/jour chez l’adulte et de 1 à 3mg/kg/j pour l’enfant [6]. Il est aussi largement utilisé dans les crèmes solaires. Les études toxicologiques montrent l’induction d’un stress oxydant et d’une inflammation. Récemment, une équipe du CEA a mis en évidence la possibilité de passage de la barrière intestinale du TiO2 chez l’animal [7].

D’autres publications récentes montrent qu’à des concentrations élevées (100mg/kg/jour) chez le rat, soit près de 30 à 50 fois l’exposition humaine, les nanoparticules de TiO2 s’accumulent dans le foie, la rate, le cœur et le cerveau [8]. L’accumulation du dioxyde de titane est vraisemblable lors d’une exposition chronique sans qu’on en connaisse les conséquences. Une autre étude chez le rat, utilisant des doses plus proches d’une exposition humaine (1 à 2mg/kg/jour), montre effectivement une faible accumulation de titane dans la rate [9]. Ces données expérimentales ne permettent pas de tirer des conclusions sur les conséquences réelles d’une exposition humaine mais elles démontrent que le passage de la barrière intestinale suivie d’une accumulation dans certains organes est possible.

D’autres données nouvelles concernent l’accumulation de ces nanoparticules dans les plaques de Peyer, cellules du système immunitaire intégrées dans l’épithélium de l’intestin grêle essentielles à la défense contre les infections et à la tolérance aux allergènes [10]. Parmi les nombreuses questions qui se posent actuellement, on retrouve celle du rôle possible de ces nanoparticules dans l’émergence ou la complication de maladies inflammatoires de l’intestin, en particulier la maladie de Crohn, mais cette question qui mérite sans doute d’être investiguée, reste totalement hypothétique.

 

Quelle exposition environnementale aux nanotubes de carbone (NTC) ?

La structure des NTC peut être représentée par un ou plusieurs feuillets (ou parois) de graphène enroulés sur eux-mêmes ou les uns autour des autres : on distingue ainsi les nanotubes de carbone mono-paroi (ou mono-feuillet) des nanotubes de carbone multi-parois (ou multi-feuillets). Ces cylindres creux démontrent des propriétés mécaniques et électriques remarquables. Un nanotube de carbone est 100 fois plus résistant et 6 fois plus léger que l’acier à section équivalente.

Le diamètre moyen des NTC varie du nanomètre à quelques dizaines de nanomètres, jusqu’à 100 nm. Leur longueur varie également de quelques micromètres à quelques centaines de micromètres voire plus, le rapport longueur sur diamètre est donc élevé.

C’est leur caractéristique fibreuse qui a entrainé les premières interrogations sur leur toxicité respiratoire. Bien que cette toxicité fasse encore débat, il est actuellement bien établi que des nanotubes de carbone longs [11] et des gros agrégats de CNT courts peuvent induire une réaction granulomateuse[b]. Les nanomatériaux sous forme de fibres bio-persistantes se déposant au niveau des poumons peuvent induire stress oxydatif et inflammation, et pourraient être transportés vers la plèvre, conduisant finalement à la fibroplasie et néoplasie des poumons et de la plèvre [12].

Il existe en France un dispositif de surveillance épidémiologique prospective des travailleurs exposés professionnellement aux nanomatériaux intentionnellement produits basé sur un suivi de cohorte de travailleurs potentiellement exposés dont l’enregistrement a débuté en janvier 2014 [13]. Cette étude très attendue porte sur le suivi des effets à moyen et long terme mais aussi sur une sélection de biomarqueurs pour étudier les effets à court terme [14].

C’est dans ce contexte scientifique, sanitaire et réglementaire, que la publication récente de Kolosnjaj-Tabi et al [15] du LETIAM[c] à Orsay en collaboration notamment avec l’Université Rice à Houston (USA), apporte un éclairage spécifique et inédit sur la fraction nanoparticulaire présente dans les PM atmosphériques (cf encadré 2).

 

Présence de nanotubes de carbone dans les poumons d’enfants parisiens ?

L'objectif principal de cette étude franco-américaine a été de caractériser les éléments carbonés retrouvés dans les poumons d’enfants parisiens. L'étude a été menée sur 69 liquides de lavage broncho-alvéolaire (LBA) prélevés à des fins de diagnostic chez des nourrissons et des enfants asthmatiques, choisis aléatoirement. Globalement, d’après les auteurs, les résultats montrent que dans tous les échantillons analysés, les matières particulaires retrouvées sont principalement composées de NTC multi-parois d’origine anthropogénique. L’analyse au microscope électronique à transmission a révélé la présence de structures ressemblant à des nanotubes de carbone agrégés avec des diamètres allant de 10 à 60 nm et des longueurs de plusieurs centaines de nm, similaires à des nanotubes de carbone à multiples parois de synthèse et comparables à des NTC retrouvés dans des prélèvements recueillis dans des pots d’échappements automobiles et sur des rebords de fenêtres à Paris.

Toutefois, l’existence de NTC provenant du trafic automobile n’a jamais été signalée à Paris, même si des auteurs américains ont précédemment caractérisés des NTC dans les échantillons d'air ambiant prélevés à El Paso et Houston aux États-Unis [16, 17]. En ce qui concerne les NTC retrouvés dans les lavages broncho-alvéolaires des enfants asthmatiques, le manque de données chiffrées ne permet pas de conclure. La taille des nanotubes de carbone observés dans les macrophages au cours de cette étude n’est potentiellement pas assez grande pour induire la formation de granulomes, cependant, si ces observations, pour le moment uniques, étaient confirmées, leur présence nécessiterait de plus amples informations sur leur devenir et sur leur éventuelle toxicité. Cette étude pose la question d’une meilleure caractérisation de la fraction ultrafine des particules atmosphériques qui reste encore très mal connue.

 

Conclusion

L’exposition aux nanoparticules naturelles, non intentionnelles ou manufacturées est quotidienne pour l’ensemble de la population. Les études récentes montrent qu’elle n’est pas uniquement respiratoire mais que l’appareil digestif est également une voie d’entrée majeure. Les impacts sanitaires potentiels sont très mal connus mais la démonstration récente de la possibilité de franchir les barrières biologiques pour une fraction, même infime, de ces nanoparticules et leur capacité à s’accumuler dans certains organes pose la question de leur persistance et leurs effets à long terme dans un contexte d’exposition chronique.

 

Remerciements à Paul Tossa pour sa relecture

 

 

Bibliographie

  1. www.nanotechproject.org/inventories/
  2. www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-nano-2014.pdf
  3. FAO/OMS [Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture/Organisation mondiale de la santé]. Réunion d’experts FAO/OMS sur l’application des nanotechnologies dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture: incidences possibles sur la sécurité alimentaire. Rapport de la réunion Rome. 144 pages. 2011
  4. F. Marano et R. Guadagnini, « Que sait-on des impacts sanitaires des nanomatériaux sur la santé ? », dans Nanosciences et nanotechnologies.Évolution ou révolution ?, ed Belin sous la direction de J.-M. Lourtioz , M. Lahmani, C. Dupas-Haeberlin, P. Hesto, Belin, p. 272-285, 2014
  5. F. Nesslany and L Benameur. Genotoxicity of Nanoparticles. Encyclopedia of Nanotechnology. Editors: Bharat Bhushan. Springer Science+Business Media Dordrecht 2015
    DOI 10.1007/978-94-007-6178-0_335-2
  6. A. Weir et al., Titanium dioxide nanoparticles in food and personal care products. Environ SciTechnol. 21;46:2242-50. 2012, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3288463
  7. E. Brun et al., Titanium dioxide nanoparticle impact and translocation through ex vivo, in vivo and in vitro gut epithelia. Part Fibre Toxicol. 25; 11:13, 2014, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3987106
  8. W.S. Cho et al., Comparative absorption, distribution, and excretion of titaniumdioxide and zinc oxidenanoparticlesafterrepeated oral administration. Part FibreToxicol. 26; 10:9.2013
  9.  R. Tassinari et al., Oral, short-term exposure to titanium dioxide nanoparticles in Sprague-Dawley rat: focus on reproductive and endocrine systems and spleen. Nanotoxicology.8 :654-62, 2014.
  10.  S. Bettini, E. Houdeau, Exposition orale aux nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) : du franchissement de l'épithélium buccal et intestinal au devenir et aux effets dans l’organisme. Biol Aujourdhui.208:167-75, 2014.
  11. Poland, C.A., Duffin, R., Kinloch, I., Maynard, A., Wallace, W.A.H., Seaton, A., et al.Carbon nanotubes introduced into the abdominal cavity of mice show asbestos-like pathogenicity in a pilot study. Nat. Nanotechnol. 3, 423–428, 2008
  12. Guarnieri, M., Balmes, J.R., Outdoor air pollution and asthma. Lancet 383 (9928),1581–1592. 2014
  13. Canu IG, Ducamp S, Delabre L, Audignon-Durand S, Ducros C, Durand C, Iwatsubo Y, Jezewski-Serra D, LeBihan O, Malard S, Raduceanu A, Reynier M, Ricaud M et Witschger O. Proposition d’une méthode de repérage des postes de travail potentiellement exposants aux nano-objets, leurs agrégats ou agglomérats (NOAA) dans les entreprises mettant en œuvre des nanomateriaux. Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement.Doi : 10.1016/j.admp.2014.12.013
  14. Canu IG, Boutou-Kempf O, Delabre L, Ducamp S, Iwatsubo Y, Marchand JL, Imbernon E. French registry of workers handling engineered nanomaterials as an instrument of integrated system for surveillance and research. Conference series. J. Phys. 429: 6, 2013
  15. Kolosnjaj-Tabi J, Just J, Hartman KB, Laoudi Y, Boudjemaa S, Alloyeau D, Szwar H, Wilso LJ, Moussa F. Anthropogenic Carbon Nanotubes Found in the Airways of Parisian Children. EBioMedicine. 2015
  16. Murr, L.E., Guerrero, P.A., 2006. Carbon nanotubes in wood soot. Atmos. Sci. Lett. 7 (4), 93–95.
  17. Murr, L.E., Bang, J.J., Esquivel, E.V., Guerrero, P.A., Lopez, A., 2004. Carbon nanotubes, nanocrystalforms, and complex nanoparticle aggregates in common fuel-gas combustion sources and the ambient air. J. Nanoparticle Res. 6 (2–3), 241–251.
Notes

[a] Un nanomatériau doit avoir au moins une dimension inférieure à 100nm et la poudre doit comporter au moins 50% de nanoparticules.

[b] Inflammation où prédominent les phénomènes de mobilisation et de prolifération cellulaire (infiltration abondante et persistante de cellules majoritairement mononucléées)

[c] Laboratoire d’étude des techniques et instruments d’analyse moléculaire