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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution particulaire et faible poids de naissance aux États-Unis et en Europe

Deux études épidémiologiques de grande envergure fournissent de nouveaux éléments sur la relation entre l’exposition à la pollution particulaire pendant la grossesse et le petit poids de naissance. La première objective la variabilité géographique de l’association sur le territoire des États-Unis. La seconde, combinant les données de huit cohortes de naissances européennes, identifie une toxicité particulière du soufre parmi huit constituants des particules.

Two large-scale epidemiological studies provide new information about the association between exposure to particulate pollution during pregnancy and low birth weight. The first investigated geographic variation in this association in the United States. The second, combining data from eight European birth cohorts, found that sulfur was the most toxic of eight particulate constituents.

Le faible poids de naissance à terme (moins de 2 500 g) est un facteur prédictif de morbi-mortalité infantile et un facteur de risque de maladies chroniques plus tard dans la vie. Si son lien possible avec l’exposition in utero aux particules atmosphériques retient de plus en plus l’attention, les résultats des travaux épidémiologiques menés jusqu’à présent en divers endroits sont discordants. Aux États-Unis, la plupart ont concerné des zones géographiques limitées du fait de la rareté des données de mesure par le passé. Une étude à travers 397 comtés montre que l’association entre l’exposition aux PM2,5 et le faible poids de naissance à terme varie grandement d’une région à l’autre, mais les travaux dans une vaste population couvrant une large zone manquent. Quatre études se sont intéressées à l’effet de la composition chimique des PM2,5, dont la variation spatio-temporelle peut expliquer les différences dans l’estimation de leurs effets sanitaires d’un rapport à l’autre. Les associations observées, avec le petit poids de naissance à terme ou le poids moyen ajusté sur l’âge gestationnel, sont hétérogènes. L’exposition était estimée sur la base des données de la station de surveillance la plus proche, ce qui ne rend pas bien compte des contrastes d’exposition intra-urbains.

L’extension du réseau de surveillance, la meilleure disponibilité des données, le développement des systèmes d’information géographique et les progrès de la modélisation permettent de mener des travaux plus ambitieux, comme en témoignent ces deux publications.

Étude nationale aux États-Unis*

Les auteurs ont examiné l’effet de l’exposition in utero aux PM2,5 sur le risque de faible poids de naissance dans une population de 3 271 203 naissances à terme (âge gestationnel compris entre 37 et 44 semaines d’aménorrhée [SA]) ayant eu lieu en 2002 dans les États-Unis contigus (48 États plus Washington DC, l’Alaska et Hawaï étant écartés). Cet échantillon représentait 96,5 % de la totalité des naissances d’enfants uniques enregistrées pour cette année, après exclusion de celles pour lesquelles manquaient des données (origine ethnique, parité, niveau d’études, participation au suivi prénatal ou tabagisme, qui ont été contrôlés avec d’autres covariables : sexe de l’enfant, âge gestationnel, âge maternel, statut marital, saison de naissance et division de recensement). La prévalence du faible poids de naissance à terme était de 3 %.

L’exposition aux PM2,5 a été déterminée à l’échelle du comté de résidence, sur la base de l’adresse figurant sur le certificat de naissance. Les données de base étaient les estimations journalières de la concentration des PM2,5 pour chaque secteur de recensement et pour les années 2001 et 2002, selon le modèle développé par l’Agence de protection de l’environnement (Community multiscale air quality modeling system). Ces données ont été agrégées au niveau du comté afin de produire des concentrations journalières moyennes pour chacun des 3 109 comtés, qui ont été reliées aux données individuelles (date de naissance et âge gestationnel) pour estimer l’exposition pendant la période entière de la grossesse et chaque trimestre individuellement. Les valeurs pour la période entière (concentrations journalières allant de 4,7 à 23,8 μg/m3, moyenne 12,5 μg/m3, intervalle interquartile 4,1 μg/m3) étaient fortement corrélées aux valeurs pour chaque trimestre (coefficient de Pearson compris entre 0,81 et 0,86), mais les corrélations entre les trimestres étaient plus faibles (0,46-0,59).

L’analyse principale, dans la population totale, avec ajustement sur l’ensemble des covariables individuelles, ainsi que sur un indicateur socio-économique au niveau du comté (pourcentage de résidents en-dessous du seuil de pauvreté), ne montre pas de relation entre le faible poids de naissance et l’exposition, quelle que soit la fenêtre considérée. En revanche, les analyses stratifiées selon la division de recensement (le territoire est découpé en neuf divisions englobant chacune plusieurs États) font émerger des associations positives dans le Mid-Atlantic (qui rassemble les États de New York, du New Jersey et de Pennsylvanie), l’East North Central (Illinois, Indiana, Michigan, Ohio et Wisconsin), ainsi que le West North Central (Iowa, Kansas, Minnesota, Missouri, Nebraska, Dakota du Nord et du Sud). Les odds ratio (OR) pour une augmentation de 5 μg/m3 du niveau des PM2,5 pendant toute la grossesse sont élevés dans le Mid-Atlantic (OR = 1,14 [IC95 : 1,04-1,24]), où l’association est retrouvée pour le premier trimestre (OR = 1,08 [1,03-1,14]), ainsi que dans l’East North Central (OR = 1,11 [1,04-1,18]), où l’excès de risque est également significatif pour les premier (OR = 1,07 [1,02-1,12]) et deuxième (OR = 1,06 [1,01-1,10]) trimestres. Dans le West North Central, seul le résultat pour le deuxième trimestre est significatif (OR = 1,11 [1,02-1,20]). De façon inattendue, une association négative est mise en évidence dans les États des montagnes (Mountain : Arizona, Colorado, Idaho, Montana, Nevada, Nouveau-Mexique, Utah et Wyoming) : OR pour une augmentation de 5 μg/m3 sur la période entière de la grossesse égal à 0,78 (0,68-0,90). Cette division se caractérisait par un niveau de pollution plus faible qu’ailleurs (concentration journalière moyenne 9 μg/m3), mais l’estimation était également basse pour le West North Central (10,5 μg/m3), tandis qu’elle dépassait la moyenne nationale dans le Mid-Atlantic (13,7 μg/m3) et l’East North Central (13,8 μg/m3).

Les auteurs émettent trois hypothèses pouvant expliquer une distribution hétérogène de l’association entre le niveau ambiant des PM2,5 et le faible poids de naissance sur le territoire états-unien. La première est la variabilité régionale de la composition des particules. Des données de spéciation chimique indiquent en particulier leur richesse en sulfate et en nitrate dans le Mid-Atlantic et le West North Central, alors que ces deux éléments sont rares dans les particules des Mountain States. L’hypothèse d’un autre polluant responsable de l’association observée, qui co-varierait avec les PM2,5, est également évoquée, comme celle de différences régionales dans les comportements et l’usage de la climatisation, modulant l’exposition à la pollution extérieure.

Méta-analyse européenne**

Ce travail intègre les données de huit cohortes mère-enfant mises en place dans sept pays (Allemagne, Danemark, Espagne, Italie, Lituanie, Pays-Bas et Suède) dans le cadre du projet ESCAPE (European study of cohorts for air pollution effects), et participant au projet TRANSPHORM portant spécifiquement sur les particules (Transport-related air pollution and health impacts-integrated methodologies for assessing particulate matter). L’objectif était d’examiner l’impact de l’exposition à huit composants élémentaires des particules atmosphériques sur trois critères sanitaires : le faible poids de naissance à terme, le poids de naissance (traité comme une variable continue) dans la population des nouveau-nés à terme (> 37 SA), et le périmètre crânien dans la population totale (n = 34 923 naissances uniques entre 1994 et 2008, taux de prématurité : 4,3 %, prévalence du faible poids de naissance à terme : 1,2 %). Aucune des études dans ce champ ne s’était auparavant intéressée au périmètre crânien à la naissance, qui a été associé aux capacités cognitives et au quotient intellectuel de l’enfant. Les éléments constitutifs des particules considérés étaient le cuivre (Cu), le fer (Fe), le potassium (K), le nickel (Ni), le soufre (S), le silicium (Si), le vanadium (V) et le zinc (Zn), représentant en moyenne 6 % de la masse totale des PM2,5 et 7 % de celle des PM10. Leurs concentrations ambiantes (moyennes annuelles) ainsi que les concentrations massiques des deux fractions (PM2,5 et PM10) ont été estimées à l’adresse résidentielle de chaque participante par le modèle land-use regression développé pour les projets ESCAPE et TRANSPHORM et adapté aux zones étudiées.

Les effets d’une augmentation du niveau de la concentration de chaque polluant (incréments fixés individuellement) ont d’abord été recherchés dans des modèles mono-polluant, puis dans des modèles bi-polluants tenant compte de corrélations particulières entre des concentrations élémentaires et massiques, pour les paires de polluants sélectionnés à l’issue des analyses mono-polluant. Les covariables contrôlées étaient l’âge gestationnel et le sexe de l’enfant, la parité, la taille de la mère et son poids de pré-grossesse, son âge, son tabagisme durant le deuxième trimestre de la grossesse, son niveau d’études et la saison de conception.

Dans les analyses mono-polluant, le risque de faible poids de naissance à terme augmente significativement avec l’élévation du niveau des PM2,5 (OR = 1,21 [1,08-1,36] pour un incrément de 5 μg/m3), des PM10 (OR = 1,22 [1,03-1,45], incrément de 10 μg/m3) et du soufre dans les PM2,5 (OR = 1,36 [1,17-1,58], incrément de 200 ng/m3) comme dans les PM10 (OR = 1,27 [1,13-1,43]). Un effet du niveau du nickel et du zinc est également constaté (OR respectifs pour une augmentation de 1 ng/m3 [Ni] et 10 ng/m3 [Zn] dans les PM2,5 égaux à 1,14 [1-1,29] et 1,23 [0,98-1,54]). Les résultats des analyses bi-polluants, ainsi que des analyses de sensibilité (exclusion de la cohorte danoise la plus nombreuse, des femmes ayant déménagé durant leur grossesse, participé pour plusieurs naissances, des zones où la valeur prédictive du modèle était la moins bonne, et ajustements supplémentaires) soutiennent l’association avec le soufre, qui apparaît la plus robuste. Dans les modèles bi-polluants avec ajustements sur la concentration massique des particules (respectivement PM2,5 et PM10), les OR sont ainsi égaux à 1,24 (0,96-1,61) et 1,27 (1,03-1,56). L’effet du soufre persiste après ajustement sur le zinc (OR = 1,39 [1,13-1,70]). À l’inverse, l’ajustement sur le soufre atténue ou fait disparaître les effets des PM2,5 (OR = 1,08 [0,90-1,30]), des PM10 (OR = 1 [0,80-1,25]) et du zinc (OR = 0,96 [0,75-1,23]). Des associations négatives sont par ailleurs mises en évidence entre le soufre et le poids de naissance (qui apparaît également sensible aux PM2,5), ainsi qu’avec le périmètre crânien, associé à tous les éléments sauf le potassium, l’effet du soufre apparaissant le plus important et le plus robuste.

Dans cette étude, la variabilité de l’exposition au soufre était nettement plus importante entre les zones étudiées (minimale en Suède et maximale en Allemagne) qu’à l’intérieur d’une même zone. La variabilité interurbaine peut s’expliquer en partie par la cartographie du trafic, toutefois en Europe les émissions des moteurs ne sont responsables que d’une fraction mineure du soufre présent dans les particules. Leur contenu en sulfate résulte essentiellement de la transformation dans l’atmosphère du dioxyde de soufre rejeté par les activités industrielles et notamment de production d’énergie, les différences entre les pays expliquant probablement la variabilité inter-zones observée.

 


Publication analysée :

* Hao Y1, Strosnider H, Balluz L, Qualters JR. Geographic variation in the association between ambient fine particulate matter (PM2,5) and low term birth weight in the United States. Environ Health Perspect 2016; 124: 250-5. doi: 10.1289/ehp.1408798

1 National Center for Environmental Health, Centers for Disease Control and Prevention, Atlanta, États-Unis.

** Pedersen M1, Gehring U, Beelen R, et al.Elemental constituents of particulate matter and newborn's size in eight European cohorts. Environ Health Perspect 2016; 124: 141-50.doi: 10.1289/ehp.1409546

1 Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.