JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Pollution de l’air et thrombose : mise à jour des connaissances

Les données de la littérature récente présentées dans cet article valident la piste des perturbations de l’hémostase dans la relation entre l’exposition aux particules atmosphériques et des événements thrombotiques cardio- et cérébrovasculaires. Le tableau est complexe et plusieurs voies mécanistiques sont probablement impliquées, mais un faisceau d’arguments converge vers une altération de la fonction plaquettaire.

Le rapport Global Burden of Diseases (GBD) de 2015 place en cinquième position des facteurs de risque de mortalité dans le monde la pollution de l’air ambiant (extérieur) par les particules fines (PM2,5 : particules en suspension [PM] de diamètre aérodynamique médian < 2,5 μm). Il indique que l’exposition aux PM2,5 contribue plus fortement à la morbi-mortalité de cause vasculaire (en prenant en compte les cardiopathies ischémiques et les accidents vasculaires cérébraux) qu’à celle de cause respiratoire (cancer du poumon, bronchopneumopathie chronique obstructive et infections respiratoires basses).

Comment des particules inhalées peuvent-elles agir sur le système vasculaire ? Trois hypothèses ont été proposées : celle du passage à travers la membrane alvéolo-capillaire de produits de la réponse inflammatoire pulmonaire (médiateurs pro-inflammatoires et pro-oxydants) ; celle de la translocation de particules elles-mêmes (fraction ultrafine [PUF : diamètre aérodynamique < 100 nm]) ou de composants des PM2,5 ; et celle d’une activation des récepteurs pulmonaires du système nerveux autonome.

Organisée par l’American Heart Association, une revue de la littérature sur le lien entre l’exposition aux particules et les maladies cardiovasculaires a été publiée en 2010. Ce travail de référence met l’accent sur l’altération de l’hémostase favorisant la survenue d’événements thrombotiques cardiaques et cérébraux, et retient le rôle probable de l’inflammation systémique, ainsi que la plausibilité de perturbations de la fonction plaquettaire.

Les études publiées par la suite soutiennent-elles l’idée que les PM induisent un état pro-thrombotique ? Les mécanismes biologiques sous-jacents sont-ils mieux connus ? En dehors des PM, a-t-on des arguments pour des effets pro-coagulants et/ou anti-fibrinolytiques des polluants gazeux ? Les articles en langue anglaise susceptibles d’éclairer ces questions ont été extraits d’une recherche dans PubMed sur la période de janvier 2009 à février 2016. Dans une importante somme de publications sur le sujet (2 326 références), les auteurs ont sélectionné 74 articles issus de revues à comité de lecture ou d’institutions reconnues, généralement considérés de haute qualité scientifique, dont 46 études épidémiologiques, 11 études d’expositions contrôlées chez l’homme et 17 études chez l’animal.

Tour d’horizon des études épidémiologiques

La majorité des études rapporte les effets à court terme (moins d’une semaine) de la pollution, ceux d’une exposition chronique étant rarement décrits. Le biomarqueur le plus couramment utilisé est le fibrinogène et les résultats sont discordants. Étant donné la complexité de l’hémostase, le nombre de facteurs plasmatiques et cellulaires impliqués dans la formation d’un thrombus et sa dissolution, leurs interactions et les boucles de rétrocontrôle, l’approche « mono-facteur » est peu informative d’un éventuel déséquilibre du processus global. Les auteurs notent cependant une évolution favorable, avec un plus grand nombre de substances mesurées dans les études les plus récentes et l’introduction de tests globaux de l’hémostase qui permettent d’en explorer simultanément les trois étapes (formation du clou plaquettaire, coagulation et fibrinolyse). Ils retiennent l’intérêt des études menées à l’occasion des Jeux olympiques de l’été 2008 à Pékin pour examiner les variations de plusieurs biomarqueurs de l’hémostase et de l’inflammation associées à la nette et brève diminution de la concentration atmosphérique des PM2,5. L’abaissement significatif des taux plasmatiques de facteurs de l’activation et de l’adhésion plaquettaires (P-sélectine soluble, facteur von Willebrand) mis en évidence chez de jeunes adultes sains appuie la notion de perturbations de la fonction plaquettaire induites par l’exposition aux PM. Elle est autrement soutenue par une étude dans une population de résidents âgés de Los Angeles souffrant de coronaropathies, qui rapporte une association avec la P-sélectine uniquement dans le sous-groupe non traité par le clopidogrel (antiplaquettaire). Concernant l’hémostase secondaire, les auteurs relèvent l’apport d’une autre étude états-unienne dans une population âgée (Normative Aging Study, résidents de Boston) qui ouvre le champ de l’épigénétique en reliant l’exposition au carbone suie à l’hypométhylation du gène d’un facteur clé de la cascade de la coagulation (facteur tissulaire), favorisant sa surexpression et le recrutement du fibrinogène.

Dans son ensemble, la littérature passée en revue renforce le niveau des preuves d’un effet pro-thrombotique de l’exposition aux PM, mais les variations biologiques observées sont généralement modestes et leur signification clinique est incertaine. Elle demande à être étudiée, en particulier dans des groupes de population potentiellement sensibles (du fait de leur âge, de leur sexe et/ou d’un état pathologique pré-existant) chez lesquels des perturbations mineures de l’hémostase pourraient augmenter le risque d’accidents thrombotiques. Les auteurs souhaitent par ailleurs plus d’études s’efforçant d’analyser les relations entre les biomarqueurs de l’hémostase et la composition qualitative des PM. Sa variation temporo-spatiale contribue probablement au manque de cohérence de la littérature, et quelques observations orientent vers une responsabilité particulière de la fraction métallique (en particulier des métaux de transition comme le fer, le titane et le cobalt).

Apports des études expérimentales

Les études d’exposition en conditions contrôlées et celles dans des modèles animaux fournissent des éléments plus convaincants que l’épidémiologie. Malgré la diversité des protocoles et même en tenant compte d’un possible biais de publication, les résultats des études expérimentales chez l’homme (exposition aiguë [durant 1 à 2 h] à des fumées diesel ou à un concentré de particules ambiantes principalement) laissent peu de doute sur l’activité pro-thrombotique des PM. Les tests de formation ex vivo d’un thrombus en chambre de Badimon (mimant le flux circulatoire d’une artère coronaire) soutiennent particulièrement la promotion de l’activation plaquettaire, qui ne semble pas nécessiter l’installation d’un stress inflammatoire et oxydant. Quelques études visant à identifier l’agent responsable au sein d’émissions diesel suggèrent la relative innocuité des polluants gazeux. D’une manière générale, les effets de ces polluants sur l’hémostase ont fait l’objet de trop peu d’investigations pour étayer les rares observations épidémiologiques d’associations entre les concentrations atmosphériques d’oxydes d’azote ou d’ozone et des biomarqueurs de l’hémostase.

Si les études expérimentales chez l’homme peuvent être critiquées pour l’intensité de l’exposition (compatible toutefois avec ce qui est mesuré durant un fort pic de pollution ou dans un trafic urbain dense), les études chez l’animal peuvent également l’être pour l’administration intratrachéale des PM, utilisée en alternative à l’inhalation d’un mélange de polluants de l’air ambiant. En revanche, elles offrent la possibilité d’examiner la formation de thrombi in vivo, dans des conditions naturelles d’échanges entre le flux sanguin et l’endothélium vasculaire qui participe au processus. Plusieurs perturbations biologiques sont identifiées au stade de la coagulation, impliquant notamment le facteur tissulaire et son interaction avec l’interleukine-6 (médiateur inflammatoire). En cohérence avec les observations chez l’homme, l’expérimentation animale indique que l’activation plaquettaire joue un grand rôle dans l’induction d’un état pro-thrombotique par les PM.

 


Publication analysée :

* Robertson S1, Miller MR. Ambient air pollution and thrombosis. Particle and Fibre Toxicology 2018 ; 15 : 1. doi : 10.1186/s12989-017-0237-x

1 Centre for Radiation, Chemical and Environmental Hazards, Public Health England, Harwell Science and Innovation Campus, Didcot, Royaume-Uni.