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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution de l’air et système nerveux central : état actuel de la recherche épidémiologique

Bien qu’il s’agisse d’un champ de recherche émergent, les effets neurologiques de la pollution de l’air ont déjà fait l’objet d’un nombre conséquent d’études épidémiologiques. La revue de cette littérature hétérogène fait émerger deux défauts majeurs, communs à la plupart des études et susceptibles d’influencer fortement les résultats : une estimation trop grossière de l’exposition et un contrôle inadéquat des facteurs de confusion potentiels.

Although this is an emerging field of research, the neurological effects of air pollution have already been examined in a large number of epidemiological studies. This review of the diverse literature reveals two major defects common to most studies and likely to have strong influence on the results: inaccuracy in exposure assessment and the lack of control for potential confounders.

 

Les preuves de la toxicité de la pollution de l’air se sont accumulées au cours des 30 dernières années. Après l’excès de morbi-mortalité cardiovasculaire et respiratoire, ce sont des risques pour la grossesse qui ont été mis à jour (incluant retard de croissance intra-utérin, prématurité et petit poids de naissance), puis, dernièrement, des effets sur le système nerveux central (SNC). La plupart des études passées en revue dans cet article ont été publiées après 2010.

Le stress oxydant et l’inflammation générés par le mélange de polluants atmosphériques ont été reconnus à la base des dommages causés aux systèmes cardiovasculaire et respiratoire. L’hypothèse d’une neurotoxicité supportée par les mêmes mécanismes est d’autant plus plausible que le cerveau semble être un organe particulièrement vulnérable au stress oxydant. Sa demande métabolique et sa consommation énergétique sont élevées, ses cellules sont riches en composants lipidiques, et le système de défense endogène contre les radicaux libres est relativement faible. La sensibilité du cerveau au stress oxydant induit par des toxiques environnementaux est probablement accrue au cours de l’enfance, période de neurodéveloppement intense et prolongé et d’immaturité de la barrière hémato-encéphalique.

Si un grand nombre d’études chez l’animal indique que l’exposition à la pollution de l’air entraîne une neuroinflammation, chez l’homme, les données biologiques et histologiques assises sur l’examen de tissu cérébral sont rares et le resteront. Les quelques études fonctionnelles mesurant l’activité cérébrale (par résonance magnétique ou électroencéphalographie) portent sur un petit nombre de sujets et sont peu indicatives. En revanche, les études épidémiologiques ayant examiné l’impact de l’exposition à la pollution atmosphérique sur les fonctions ou capacités neurocognitives et neurocomportementales, ainsi que sur l’incidence de maladies neurodégénératives (chez l’adulte) ou de troubles neurodéveloppementaux (chez l’enfant), forment déjà une littérature relativement abondante. Pour les auteurs de cet article, le moment était venu d’en tirer les premiers enseignements.

Aperçu général

À l’issue d’une recherche arrêtée au mois de mai 2016 dans trois grandes bases de données bibliographiques (PubMed, Google Scholar et ISI Web of Knowledge), 66 études publiées en langue anglaise dans une revue scientifique majeure ont été identifiées. Cette sélection comportait 13 études rapportant des effets de la pollution atmosphérique ambiante ou due au trafic sur les fonctions cognitives dans des populations adultes, 24 investigations de l’effet de l’exposition pré- et/ou postnatale sur le développement neurocognitif de l’enfant, ainsi que 22 études sur des pathologies neurologiques (sept chez l’adulte : maladies de Parkinson, d’Alzheimer, démence, sclérose latérale amyotrophique ; et 15 chez l’enfant : trouble déficit de l’attention/hyperactivité et troubles du spectre autistique essentiellement).

L’ensemble est disparate du fait de la diversité des critères sanitaires examinés, mais aussi, à l’intérieur d’un groupe rassemblant des études sur le même sujet, en raison du manque d’uniformité méthodologique. La variété des tests neuropsychologiques utilisés rend, par exemple, les études sur la fonction cognitive peu comparables, chez l’adulte comme chez l’enfant.

Malgré sa grande hétérogénéité, cette littérature fournit des arguments qui justifient pleinement la poursuite des explorations concernant les effets neurotoxiques de la pollution de l’air. Mais pour parvenir à établir une relation directe entre l’exposition et un effet quelconque et pour progresser dans la compréhension de cette relation, les études doivent s’améliorer sur deux plans : l’estimation de l’exposition et le contrôle des facteurs de confusion potentiels.

Affiner la mesure de l’exposition

Alors que les effets neurotoxiques de la pollution de l’air résultent probablement d’une exposition chronique, les méthodes classiquement utilisées fournissent une estimation plus représentative de l’exposition du sujet à un moment donné de sa vie que de son exposition à long terme. Celle-ci ne peut être correctement mesurée qu’en prenant en compte le budget temps-activité, la mobilité résidentielle et professionnelle, ainsi que la variation temporo-spatiale des concentrations de polluants sur une période suffisante. Les modèles de type land-use regression doivent être raffinés en ce sens par l’inclusion d’informations sur l’histoire résidentielle et l’activité des sujets, dans l’objectif de réduire la probabilité d’erreurs de classement.

Si des capteurs individuels échantillonnant en continu l’air respiré permettent de mesurer l’exposition de la manière la plus fiable, cette option est peu envisageable pour de vastes études dans des populations adultes. En revanche, elle peut être retenue pour des études focalisées sur des périodes particulières du développement pré- ou postnatal, demandant des moyens plus raisonnables (nombre de mesures suffisant au cours d’une période d’échantillonnage relativement brève). Seules deux des études rassemblées pour cette analyse ont utilisé cette possibilité. Deux autres, chez l’enfant également, ont quantifié les adduits d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) à l’ADN, considérés comme des biomarqueurs intéressants de l’exposition chronique aux polluants atmosphériques. Cette méthode nécessite un prélèvement sanguin et présente des limites : les adduits à l’ADN peuvent être formés par des HAP provenant d’autres sources que la pollution liée au trafic, comme la fumée de cigarette ou des aliments. De plus, les biomarqueurs périphériques pourraient mal représenter l’environnement du SNC. L’utilisation d’outils de biosurveillance mérite toutefois d’être développée, comme celle des dispositifs de mesure individuels, en complément de la modélisation.

Mieux contrôler les facteurs de confusion

Les substances neurotoxiques sont potentiellement nombreuses et, pour certaines d’entre elles comme le plomb, la pollution de l’air est l’une des principales sources d’exposition, ce qui complique le contrôle de leurs effets confondants en vue d’identifier ceux d’un polluant particulier. Dans cette optique, il faut également considérer la forte corrélation entre les concentrations de plusieurs polluants, qui expose au risque d’un résultat faussement négatif par surajustement. Ces éléments pointent la nécessité d’investiguer les effets neurologiques potentiellement additifs ou synergiques de multiples polluants du mélange.

Plusieurs facteurs personnels, dépendant du mode de vie ou d’ordre socio-économique, à l’échelon individuel ou de la communauté, peuvent à la fois influencer l’exposition à la pollution de l’air et avoir des effets sur le système nerveux. Malgré l’importance de contrôler ces variables, peu d’études consultées indiquent les avoir prises en compte en opérant des ajustements ou en examinant leur effet modificateur. La génétique est un autre facteur susceptible de modifier la relation exposition-effet constamment négligé. Les interactions gène-environnement nécessitent d’être explorées, non seulement pour améliorer la qualité des études épidémiologiques, mais aussi pour identifier des groupes de populations qui seraient plus sensibles aux effets délétères de la pollution de l’air et devraient faire l’objet d’interventions prioritaires.

Commentaires

La pollution de l’air commun – et celle de l’air intérieur – continuent à être des sujets importants de santé publique, et cela dans le monde entier. Des progrès constants dans la réduction des émissions de polluants dans l’air commun sont enregistrés dans les régions économiquement les plus développées, en application de régulations publiques basées à la fois sur le développement des connaissances scientifiques et de la technologie. Mais pour de nombreux polluants « historiques », pourtant anciennement installés dans la réglementation, les objectifs de qualité de l’air ne sont toujours pas atteints, même en contexte favorable de richesse économique.

Parallèlement, le développement intensif de l’épidémiologie de la pollution de l’air, relayé par celui de la toxicologie, a considérablement élargi l’éventail des effets reconnus de cette pollution sur la santé humaine, et permis de compléter la liste des critères de pollution à contrôler et de réviser des valeurs limites. Mais les instances de régulation peinent à traduire le foisonnement récent de la production scientifique en améliorations de la politique de santé publique, confrontées qu’elles sont à la résistance de certains acteurs économiques (au mépris de la responsabilité sociale par ailleurs revendiquée), au manque d’investissements financiers dans le développement des technologies propres, et « last but not least » à la commode et fameuse incertitude scientifique, mère des controverses publiques et redoutable levier d’inaction lorsqu’elle n’est pas encadrée par le principe de précaution.

La revue bibliographique de Xu et al. examine une sélection explicitée de 66 études récentes qui explorent la relation statistique entre pollution de l’air et fonction neuro-comportementale (désordres neuro-développementaux chez l’enfant et maladies neurodégénératives chez l’adulte), pour déterminer s’il existe un niveau de preuve suffisant pour l’existence d’un lien causal, pour identifier les lacunes de connaissance et pour aider à guider les efforts futurs de recherche dans ce domaine. Dans une discussion d’une clarté remarquable, ils inventorient les points critiques et analysent les difficultés méthodologiques qui sont à surmonter, concernant la mesure de l’exposition et les facteurs de confusion. Mais dans leur conclusion, les chercheurs ne se contentent pas de s’adresser aux financeurs de recherche avec le traditionnel « more research is required to fully understand the relationships » ! L’amélioration des politiques publiques est vigoureusement avancée comme devant guider les recherches futures : pouvoir pointer un toxique spécifique d’importance (incluant les polluants gazeux), connaître les effets combinés de plusieurs polluants, explorer les facteurs pouvant avoir des effets modificateurs de la neurotoxicité, et identifier les facteurs qui déterminent la sensibilité aux neurotoxiques pour mieux caractériser les groupes sensibles dans la population. Car le résultat de cet effort de recherche pourra conduire à la révision des critères et à l’abaissement de certaines limites règlementaires pour protéger la santé de tous les groupes sensibles dans la population.

Jean Lesne

 


Publication analysée :

* Xu X1, Ha SU, Basnet R. A review of epidemiological research on adverse neurological effects of exposure to ambient air pollution. Front Public Health 2016; 4: 157. doi:10.3389/fpubh.2016.00157

1 Department of Epidemiology and Biostatistics, School of Public Health, Texas A&M Health Science Center, College Station, États-Unis.