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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution atmosphérique et santé mentale des enfants et adolescents suédois

Réalisée selon une approche longitudinale et fondée sur les données de registres, cette vaste étude suggère que l’exposition à la pollution de l’air nuit à la santé mentale des enfants et adolescents. L’investigation doit être poursuivie en utilisant des critères de mesure de la santé mentale plus précis et discriminants.

This extensive longitudinal study based on register data suggests that air pollution exposure is harmful to the mental health of children and adolescents. Further investigation is necessary, with more accurate criteria for measuring mental health.

En Suède, le coût sociétal des troubles mentaux représente 2 % du produit intérieur brut. Lorsqu’ils surviennent chez des jeunes, ces troubles peuvent avoir une grande influence sur la trajectoire de vie, obérant les études, l’épanouissement personnel et la capacité à mener une vie riche et productive. La rémission n’est pas toujours possible et, pour beaucoup, les symptômes persistent malgré les traitements.

Les effets de la pollution de l’air sur la santé mentale font l’objet de recherches depuis une dizaine d’années. La littérature épidémiologique naissante embrasse un large champ de critères sanitaires (niveau d’anxiété, stress perçu, symptômes dépressifs, suicide, démence), dont les liens avec l’exposition à divers polluants ont été recherchés dans des populations adultes, souvent âgées [1, 2]. Les quelques études chez les enfants sont focalisées sur le développement neurocognitif, les troubles comportementaux et du spectre autistique. Cette étude observationnelle dans une large population d’enfants et d’adolescents suédois est la première à considérer l’association entre l’exposition à long terme à la pollution de l’air et la santé mentale des moins de 18 ans.

Données utilisées

L’association a été examinée sur la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2010 dans une cohorte ouverte, en permanence constituée de tous les résidents mineurs des comtés de Stockholm (le plus densément peuplé du pays avec 338 habitants/km2), de Västra Götaland (sur la côte ouest, incluant Göteborg, deuxième ville la plus importante, avec une densité de population de 68 habitants/km2), de Skåne (pointe sud de la Suède, incluant sa troisième ville, Malmö, 114 habitants/km2), et de Västerbotten (au nord, 5 habitants/km2). Outre qu’ils diffèrent par leurs situations géographiques et densités de population, ces quatre comtés, qui rassemblent environ la moitié de la population suédoise, offrent des contrastes en termes de caractéristiques socio-économiques, de degré d’urbanisation et de pollution atmosphérique.

L’exposition résidentielle à long terme à la pollution a été estimée sur la base des concentrations moyennes de dioxyde d’azote (NO2) et de PM10 de l’année d’inclusion dans la cohorte. L’utilisation conjointe du modèle land-use regression développé par l’Institut national de recherche environnementale pour la pollution urbaine et d’un modèle régional des niveaux de fond, permet de disposer de ces données pour l’ensemble du territoire, à une résolution spatiale d’1 km2.

Le Registre national de dispensation des médicaments, en place depuis le 1er juillet 2005, a été utilisé pour identifier toute délivrance d’un médicament classé ATC (classification anatomique, thérapeutique et chimique) N05 (N pour « système nerveux », le code 05 correspondant à un psycholeptique) au cours de la période d’observation. Ce groupe inclut des neuroleptiques, des anxiolytiques et des hypnotiques, mais ni antidépresseur ni médicament contre le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). La consultation du registre a permis de savoir combien de fois un médicament du groupe « N05 » a été délivré à une même personne au cours du suivi, en revanche les investigateurs n’ont pas eu accès au type de médicament délivré, orientant vers le trouble traité. L’événement « dispensation d’un médicament du groupe N05 » constitue donc un indicateur très grossier de la santé mentale de la population étudiée, mélangeant des cas de troubles légers (probablement très majoritaires) relevant d’une prescription ponctuelle de tranquillisants ou de somnifères, et des cas graves (schizophrénie, psychose) traités par neuroleptiques.

Afin de centrer leur analyse sur les événements incidents, les auteurs ont exclu les membres de la cohorte pour lesquels le registre indiquait une dispensation de médicament du groupe « N05 » antérieure au début du suivi (soit sur une période d’un an et demi entre le 1er juillet 2005 et le 1er janvier 2007). Ont également été exclus les enfants dont les parents avaient reçu un médicament de ce groupe à dater de la mise en place du registre jusqu’à la fin du suivi, tenant compte de l’influence de la santé mentale des parents sur celle de leurs enfants, directe ou indirecte (via notamment les conditions socio-économiques déterminant le lieu de résidence et l’exposition à la pollution). Parmi les données disponibles dans les registres nationaux, quatre variables prises pour indicateur du statut socio-économique ont par ailleurs été contrôlées : le niveau d’études des parents, l’indice de masse corporelle et le tabagisme maternel en début de grossesse, et la proportion de sujets diplômés dans la catégorie d’âge 25-65 ans à l’échelon de l’unité de recensement. Le modèle principal était également ajusté sur l’âge de l’enfant à l’entrée dans la cohorte et sur son sexe. Toutes les informations nécessaires à l’analyse étaient réunies pour 552 221 membres de la cohorte. Le nombre d’événements (au moins une dispensation au cours du suivi) allait de 19,5 pour 1 000 individus dans le comté de Skåne à 22,9 pour 1 000 dans celui de Västerbotten.

Mise en évidence d’un effet de la pollution

L’étude indique un effet de l’exposition résidentielle à la pollution atmosphérique sur la dispensation de psychotropes : le hazard ratio (HR) est égal à 1,09 (IC95 : 1,06-1,12) pour une augmentation de 10 μg/m3 du niveau de concentration du NO2, et égal à 1,04 (IC95 : 1-1,08) pour une même augmentation du niveau des PM10.

La puissance statistique était suffisante pour réaliser des analyses dans chaque région séparément. L’association avec le NO2 est retrouvée dans les comtés de Stockholm, de Västerbotten et de Västra Götaland, l’ampleur de l’effet estimé étant similaire (HR compris entre 1,11 et 1,13). Les résultats concernant les PM10 sont plus hétérogènes, et pour les deux polluants, l’association est inexistante dans le comté de Skåne. Les estimations sont par ailleurs équivalentes dans les deux sexes.

Considérant les limites de leur travail, les auteurs appellent à réaliser des explorations à un niveau plus fin, tant pour l’exposition (les données de modélisation à un pas de grille d’1 km « lissant » le contraste d’exposition intra-urbain) que pour le critère sanitaire examiné. Une segmentation des pathologies couvertes par les médicaments du groupe N05 aurait été nécessaire pour faire émerger celle(s) favorisée(s) par l’exposition à la pollution de l’air, amenant trois questions : cette pathologie est-elle induite ou exacerbée par la pollution ? Existe-t-il une fenêtre d’exposition particulièrement délétère au cours de l’enfance ? Quelle est la part de responsabilité du co-facteur « bruit du trafic » dans l’association observée ?


Publication analysée :

* Oudin A1, Bråbäck L, Åström DO, Strömgren M. Association between neighbourhood air pollution concentrations and dispensed medication for psychiatric disorders in a large longitudinal cohort of Swedish children and adolescents. BMJ Open 2016; 6: e010004. doi:10.1136/bmjopen-2015-010004

1 Department of Public Health and Clinical Medicine, Occupational and Environmental Medicine, Umeå University, Suède.