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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution atmosphérique et prématurité dans les cohortes de naissances espagnoles INMA

L’hypothèse d’un effet de la pollution atmosphérique sur le risque de prématurité est renforcée par cette analyse dans la population combinée de quatre cohortes de naissances prospectives espagnoles. L’exposition des femmes enceintes pendant la deuxième moitié de la grossesse serait particulièrement néfaste.

This analysis of the combined population of four prospective Spanish birth cohorts supports the assumption that air pollution is a risk factor for preterm birth. Exposure during the second half of pregnancy is thought to be particularly harmful.

Le taux de naissances prématurées (avant 37 semaines d’aménorrhée) a été estimé à 11,1 % au niveau mondial pour l’année 2010 (environ 15 millions d’enfants). Un tiers de la mortalité néonatale est attribuable à la prématurité, et les enfants qui survivent demeurent à risque de développer de nombreuses complications (neurologiques, respiratoires, cardiovasculaires, métaboliques, etc.), parfois tardives. Le poids de la prématurité se mesure également en termes d’impact psychosocial et sur la qualité de vie, comme de fardeau économique pour les familles et les sociétés.

L’exposition des femmes enceintes à la pollution atmosphérique est l’un des facteurs de risque suspectés, mais les études épidémiologiques réalisées à ce jour ne sont pas concordantes. Des plans d’études différents, des échantillons de tailles variables, une évaluation de l’exposition plus ou moins précise et un contrôle plus ou moins bon des facteurs de confusion peuvent expliquer en partie les résultats hétérogènes de ces études, moins nombreuses que celles ayant examiné l’effet de la pollution sur le poids de naissance. Ce nouveau travail, qui présente plusieurs atouts importants, contribue à l’avancée des connaissances.

Présentation

Les auteurs ont utilisé les données de quatre cohortes de naissances – Asturies, Gipuzkoa, Sabadell et Valence – du projet INMA (Infancia y medio ambiante), qui ont suivi le même protocole d’estimation de l’exposition à la pollution atmosphérique pendant la grossesse. Au total, 2 644 femmes sont entrées dans ces cohortes entre novembre 2003 et février 2008 lors de leur première consultation prénatale hospitalière (à 10-13 semaines de gestation) dans l’établissement de référence de chaque région. Sur les 2 505 participantes suivies jusqu’à leur accouchement, 2 409 remplissaient les critères pour cette analyse (enfant né vivant, résidence dans la même région à des adresses pouvant être géocodées pendant au moins sept mois au cours de la grossesse). Le taux de prématurité allait de 3,4 % (région de Sabadell) à 6 % (Asturies) et était en moyenne de 4,7 %.

Deux polluants ont été considérés : le dioxyde d’azote (NO2), marqueur classique de la pollution liée au trafic routier, et le benzène (émanant des stations-service, des véhicules à moteur et de sources industrielles) rarement utilisé dans les études sur les issues de grossesse. En dehors d’une précédente analyse dans la cohorte INMA-Valence, une seule étude cas-témoins californienne a examiné l’effet de l’exposition au benzène sur la prématurité : elle rapporte une augmentation du risque de 9 % (odds ratio [OR] égal à 1,09 [IC95 : 1,06-1,13]) pour une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ : 0,20 μg/m3) de la concentration atmosphérique. L’exposition individuelle a été estimée (en prenant en compte les déménagements éventuels) à l’aide de modèles de type land-use regression (LUR) construits à partir de données de mesures répétées provenant d’un grand nombre d’échantillonneurs passifs disposés dans chaque région (de 57 pour Sabadell à 93 pour Valence). Les données de stations de base (fournissant les niveaux de fond journaliers) ont été utilisées pour l’ajustement temporel des concentrations de NO2. Pour le benzène, qui n’est pas surveillé en routine, l’ajustement a été effectué sur la base de la variation temporelle du polluant continuellement mesuré qui lui était le mieux corrélé dans chaque région. Les concentrations journalières prédites par les modèles ont été moyennées afin de produire des estimations pour chaque trimestre de la grossesse, ainsi que pour sa durée entière (valeurs médianes égales à 28,8 μg/m3 pour le NO2 [IIQ : 18,1] et à 1,3 μg/m3 pour le benzène [IIQ : 1,3]).

Les auteurs ont tenu compte des limites de l’évaluation de l’exposition fondée uniquement sur la pollution de l’air extérieur à l’adresse de résidence. L’influence des principales sources d’émissions intérieures des deux polluants (appareils de chauffage ou de cuisine à gaz, tabagisme dans l’entourage des mères) a été examinée, ainsi que celle d’un autre facteur de confusion potentiel peu considéré jusqu’à présent : l’exposition à la verdure, sur la base de l’indice moyen de végétation par différence normalisée (NDVI) dans les 500 mètres autour de la résidence. Par ailleurs, des analyses de sensibilité ont été réalisées dans la sous-population des femmes ayant passé au moins 15 heures par jour chez elles pendant leur grossesse (n = 1 435), dans laquelle la probabilité d’erreur de classement est moindre.

Effets de l’exposition

Les effets d’une augmentation de 10 μg/m3 de la concentration ambiante du NO2 et de 1 μg/m3 de celle du benzène ont été examinés dans un modèle mono-polluant, d’une part, et dans un modèle bi-polluants d’autre part, avec ajustement sur l’âge maternel, le tabagisme pendant la grossesse, le statut socio-économique (apprécié par la catégorie professionnelle), le sexe de l’enfant, le type d’environnement (urbain ou rural) et la saison de naissance. Des analyses internes à chaque cohorte ont été réalisées avant les méta-analyses avec des modèles à effets fixes, l’hétérogénéité étant faible.

Dans la population totale, toutes les analyses, quelle que soit la période considérée (chaque trimestre de la grossesse ou toute sa durée) aboutissent à des OR supérieurs à 1, mais seule l’augmentation de l’exposition au benzène pendant toute la durée de la grossesse augmente de manière significative le risque de prématurité dans le modèle mono-polluant : OR égal à 1,38 (IC95 : 1,03-1,84). Cette association est renforcée (OR = 1,55 [1,13-2,13]) dans la sous-population des femmes qui sont restées à la maison au moins 15 h par jour, et les effets de l’exposition au benzène au cours du premier et du troisième trimestres sont également statistiquement significatifs (OR respectifs : 1,41 [1,07-1,85] et 1,59 [1,17-2,15]). L’analyse selon le modèle bi-polluants met en évidence des associations entre le risque de prématurité et l’exposition au NO2 au cours du deuxième trimestre (OR = 1,60 [1,11-2,30]) et de la totalité de la grossesse (OR = 1,58 [1,04-2,42]) dans la population restreinte aux femmes ayant passé le plus de temps à leur domicile.

Les résultats obtenus avec le modèle bi-polluants apparaissent robustes à des analyses de sensibilité excluant les participantes aux extrêmes de la distribution des niveaux de polluants (valeur éloignée de plus de trois écarts-types de la moyenne). L’inclusion dans les modèles de la variable « exposition à la verdure » ne modifie pas les estimations pour le NO2 et majore de 10 à 15 % les effets estimés de l’exposition au benzène au cours du troisième trimestre (qui deviennent significatifs), ainsi que de la totalité de la grossesse, dans la population entière comme restreinte.

Dans leur ensemble, les résultats de cette étude suggèrent que le troisième trimestre de la grossesse est une période de sensibilité particulière au benzène, tandis que pour le NO2, la fenêtre du deuxième trimestre serait plus pertinente. Pour les deux polluants, les concentrations au cours de chaque trimestre étaient toutefois bien corrélées aux concentrations moyennes pendant toute la durée de la grossesse (coefficient de Pearson allant de 0,64 à 0,95 pour le NO2 et de 0,57 à 0,98 pour le benzène). La poursuite des recherches est nécessaire pour mieux cerner la période de sensibilité à ces deux polluants et pour déterminer leur responsabilité réelle dans les associations observées, qui pourraient être dues à d’autres composants de la pollution auxquels ils sont associés (particules ou hydrocarbures aromatiques polycycliques par exemple).

 


Publication analysée :

* Estarlich M1, Ballester F, Dadvand P, et al. Exposure to ambient air pollution during pregnancy and preterm birth: a Spanish multicenter birth cohort study. Environ Res 2016; 147: 50-8. doi: 10.1016/j.envres.2016.01.037

1 Epidemiology and Environmental Health Joint Research Unit, FISABIO-Universitat Jaume I-Universitat de Valencia, Espagne.