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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution atmosphérique et asthme infantile : vaste étude québécoise sur les cas incidents

L’exposition résidentielle aux polluants atmosphériques augmente le risque de survenue d’un asthme dans cette cohorte québécoise de plus d’un million d’enfants. Les sources utilisées ont permis d’authentifier et de dater précisément les cas incidents d’asthme, et les auteurs ont considéré l’évolution de l’exposition au cours du suivi.

Residential exposure to air pollutants increases the risk of new asthma onset in this Québec cohort of over one million children. The authors were able to authenticate and accurately date the incident cases of asthma and examined the trends in exposure during the follow-up.

Si la relation entre l’exposition à la pollution atmosphérique et l’exacerbation d’un asthme existant est bien établie, le lien avec l’asthme de novo est moins clair. La question se pose notamment pour l’asthme infantile, devenu l’une des maladies chroniques les plus répandues au monde. La pollution de l’air pourrait être particulièrement asthmogène pour les jeunes enfants qui respirent souvent par la bouche, ont un débit de ventilation élevé, des voies respiratoires étroites, un système immunitaire immature, et passent une relativement grande partie de leur temps dehors. Des associations entre l’exposition à divers polluants durant la première année de vie et l’apparition ultérieure d’un asthme ont été mises en évidence dans plusieurs cohortes. Toutefois, des résultats négatifs ont également été publiés et des incertitudes demeurent. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’hétérogénéité de la littérature, dont des différences en termes de populations (sensibilité, exposition, etc.), de composition du mélange de polluants, et d’approche méthodologique. À ce titre, ce nouveau travail présente plusieurs atouts.

 

Caractéristiques de l'étude

Les auteurs ont utilisé le Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ) pour constituer une cohorte ouverte de tous les enfants nés dans cette province canadienne entre le 1er avril 1996 et le 31 mars 2011 (n = 1 183 865), dans laquelle les cas incidents d’asthme ont été identifiés (n = 162 752 à l’issue d’un suivi total de 7 752 083 personnes-années). Le SISMACQ résulte de la mise en commun des données de cinq fichiers médico-administratifs : celui des assurés sociaux (le numéro d’assurance maladie constituant un identifiant unique) et ceux des services médicaux, des services pharmaceutiques, des hospitalisations et des décès. Son utilisation a permis de dater les diagnostics d’asthme selon la définition retenue par les institutions sanitaires canadiennes : premier bulletin de sortie hospitalier mentionnant ce diagnostic, ou deuxième acte médical pour asthme (en médecine de ville ou à l’hôpital) dans un délai de deux ans maximum. Les informations extraites de ce registre centralisé peuvent être considérées comme plus fiables que les déclarations parentales ; néanmoins l’approche classique (questionnaire ou entretien) permet de recueillir des variables individuelles importantes à contrôler qui n’étaient pas accessibles ici, comme les antécédents familiaux d’asthme et l’exposition à la fumée de tabac.

Les auteurs ont considéré les niveaux (concentrations annuelles moyennes) de trois polluants : le dioxyde d’azote (NO2), l’ozone (O3), et les particules fines (PM2,5). Pour les deux derniers, les données disponibles couvraient tout le territoire du Québec : elles provenaient de modélisations à plus fine échelle pour l’O3 (grille : 1 × 1 km) que pour les PM2,5 (pas de grille : 10 km), mais étaient limitées dans le temps pour l’ozone (saisons estivales des années 1999 à 2010 uniquement, ce qui a exclu de l’analyse 23 % de la population et a pu entraîner une surestimation des concentrations annuelles calculées à partir de valeurs estivales habituellement plus élevées qu’en hiver). Les données concernant le NO2 étaient disponibles seulement pour l’île de Montréal (modélisations à haute résolution : grille de 5 × 5 km) et la période 1996-2006. Les auteurs ont créé une sous-cohorte adéquate de 319 356 enfants montréalais (suivi total : 1 651 294 personnes-années), qui se distinguait de la cohorte mère par une plus grande disparité du statut socio-économique, évalué au niveau de l’unité de recensement par un indice de défaveur matérielle et sociale combinant six indicateurs statistiques.

Les analyses ont été effectuées d’une part selon l’approche classiquement employée dans les études examinant l’effet de l’exposition au cours de la première année de vie (l’exposition étant donnée par les concentrations atmosphériques de polluants à l’adresse de naissance), d’autre part avec un modèle à paramètres pouvant varier dans le temps, prenant en compte l’évolution des concentrations durant le suivi (jusqu’à la date de survenue d’un asthme ou d’un autre événement : départ du Québec, décès, anniversaire des 13 ans), ainsi que les éventuels déménagements. L’adresse était géolocalisée sur la base du code postal alphanumérique à six caractères disponible. En ville, ce code correspond généralement à un court segment de rue (moins de 50 habitants), mais il peut couvrir une vaste surface en zone rurale peu peuplée, ce qui rend le géocodage moins précis (les concentrations de polluants ont été assignées au niveau de la grille contenant le centroïde du code postal). Par ailleurs, en cas de déménagement, l’actualisation de l’adresse enregistrée dans le SISMACQ nécessite une démarche de l’assuré (sa mise à jour est toutefois automatiquement requise tous les quatre ans pour la réédition de la carte d’assurance maladie). Enfin, comme pour toutes les études fondées sur l’adresse résidentielle, l’absence de prise en compte de l’exposition dans les autres lieux fréquentés par l’enfant (école, notamment) a pu entraîner des erreurs de classement.

 

Effets de la pollution

La plupart des cas d’asthme (60,16 %) avaient été diagnostiqués avant l’âge de six ans, avec un pic entre un et deux ans. L’incidence était plus élevée chez les garçons que chez les filles à tous les âges.

Après ajustement sur le sexe et l’indice de défaveur matérielle et sociale, l’augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) du niveau des trois polluants est associée à une augmentation du risque d’asthme dans les deux modèles. Les hazard ratio (HR) les plus élevés sont observés pour les PM2,5 : HR pour une augmentation d’un IIQ de la concentration à l’adresse de naissance (soit 6,50 μg/m3) égal à 1,31 (IC95 : 1,28-1,33), et HR pour une augmentation d’un IIQ de la concentration annuelle moyenne variable au cours du suivi (soit 6,53 μg/m3) égal à 1,32 (1,31-1,33). Les estimations sont également légèrement plus élevées avec le modèle tenant compte de l’évolution de l’exposition dans le temps pour l’O3 (HR = 1,13 [1,11-1,14], IIQ = 3,26 parties par milliard [ppb] versus HR = 1,11 [1,10-1,12], IIQ = 3,22 ppb avec le modèle classique), ainsi que pour le NO2 dans la sous-cohorte de Montréal (HR = 1,07 [1,05-1,09], IIQ = 5,27 ppb versus HR = 1,04 [1,02-1,05], IIQ = 5,45 ppb). Après ajustement supplémentaire sur l’année de naissance, les estimations sont similaires pour les PM2,5 et l’O3, mais l’effet du NO2 à l’adresse de naissance disparaît.

Ces résultats, en accord avec ceux de la majorité des études de cohorte sur l’effet de l’exposition précoce, apparaissent robustes à plusieurs analyses de sensibilité, incluant la restriction de la population aux enfants n’ayant pas déménagé ou aux cas d’asthme diagnostiqués avant l’âge de cinq ans confirmés par les données ultérieures. Les associations sont similaires pour les deux sexes et la stratification selon le degré d’urbanisation montre un effet légèrement plus marqué de l’exposition aux polluants en zone rurale. Enfin, les résultats de la sous-cohorte de Montréal ne changent pas après ajustement supplémentaire sur l’exposition domestique à la fumée de tabac, estimée à partir de sources indirectes (enquête auprès des habitants réalisée en 2006 et méta-analyse de l’association avec l’asthme infantile).


Publication analysée :

* Tétreault LF1, Doucet M, Gamache P, et al. Childhood exposure to ambient air pollutants and the onset of asthma: an administrative cohort study in Quebec. Environ Health Perspect 2016; 124: 1276-82. doi: 10.1289/ehp.1509838

1 Department of Environmental and Occupational Health, School of Public Health University of Montreal, Canada.