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ANALYSE D'ARTICLE

Polluants environnementaux et santé de l’enfant : apports des récentes publications

S’appuyant sur des études épidémiologiques, des revues et des méta-analyses récentes, cet article dresse un panorama des connaissances relatives aux effets d’expositions pré- et postnatales diverses sur la santé des enfants. La littérature s’étoffant, le nombre des associations pour lesquelles le niveau de preuve est bon ou assez bon s’accroit. Parmi les efforts de recherche nécessaires, la priorité est de prolonger le suivi des cohortes de naissances pour évaluer l’impact à l’âge adulte des perturbations du développement induites par des expositions précoces.

Based on recent epidemiological studies, reviews, and meta-analyses, this article provides a broad summary of current knowledge about the effects of various pre- and postnatal exposures on children's health. As more literature becomes available, the number of associations for which the level of proof is good or moderate increases. Among the further research needed, priority should be given to the follow-up of birth cohorts to assess the impact of developmental disorders caused by early exposures when these children reach adulthood.

La vulnérabilité particulière des fœtus et des enfants aux stresseurs environnementaux est reconnue depuis longtemps, et les travaux se multiplient pour valider le concept des origines développementales de la santé et des maladies (DOHaD) selon lequel des expositions précoces favorisent la survenue ultérieure de diverses maladies chroniques (cardiovasculaires, métaboliques, respiratoires, neurologiques, etc.).

La littérature épidémiologique consacrée aux effets sanitaires d’expositions pré- et postnatales s’est considérablement enrichie sur la période récente. Cet article en fait la synthèse pour une sélection de substances ubiquitaires : les polluants atmosphériques, les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium et arsenic), les composés organochlorés (polychlorobiphényles [PCB], dichlorodiphényl-trichloroéthane/dichloroéthylène [DDT et DDE], hexachlorobenzène [HCB] et dioxines), les composés perfluoroalkylés (PFAS), les polybromodiphényléthers (PBDE), les pesticides actuels (en particulier organophosphorés), les phtalates et le bisphénol A (BPA). Les auteurs se sont focalisés sur quatre types d’effets pouvant avoir de sérieuses conséquences à l’âge adulte : des effets obstétricaux (altération de la croissance fœtale et prématurité), neurodéveloppementaux (sur la cognition et le comportement, incluant diminution du quotient intellectuel, troubles du spectre autistique et trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité [TDAH]), des effets respiratoires et immunitaires (infections, réduction de la capacité pulmonaire, asthme, allergies, diminution de la réponse vaccinale), et enfin des effets sur la croissance pondérale (accélération, obésité et altérations cardiovasculaires et métaboliques associées).

Les revues de la littérature et les méta-analyses internationales publiées entre 2010 et 2015 ont été privilégiées. Lorsque ces sources étaient inexistantes ou insuffisantes, les auteurs ont recherché des articles originaux (études transversales, cas-témoins ou prospectives publiées en langue anglaise depuis 2010). Pour chaque combinaison exposition-effet, le niveau de preuve a été évalué (bon, modéré, insuffisant ou nul) sur la base de l’abondance et de la cohérence de la littérature.

Vue d’ensemble

Les publications passées en revue confirment l’existence d’associations auparavant mises en évidence entre la croissance fœtale et l’exposition à la pollution de l’air ou aux PCB, ainsi qu’entre la pollution atmosphérique et les pathologies respiratoires et allergiques. Elles renforcent également les preuves des effets neurotoxiques du plomb et du méthylmercure, ainsi que des PCB et des pesticides organophosphorés.

Un rôle potentiel de plusieurs contaminants environnementaux (plomb, PCB, polluants atmosphériques) dans l’autisme et le TDAH émerge de la littérature récente. Elle permet également d’attribuer un niveau de preuve modéré pour les effets respiratoires et immunitaires de l’exposition à des composés organochlorés (DDE et PCB), pour l’association entre l’exposition au DDE et le risque d’obésité, les effets neurodéveloppementaux des PBDE, et les effets de l’exposition à l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) sur la croissance fœtale. Pour d’autres substances faisant l’objet de préoccupations émergentes (phtalates et BPA en particulier), les études sont rares, très hétérogènes, et les preuves d’effets sanitaires sont jugées insuffisantes.

Forces et faiblesses de la littérature examinée

Les auteurs relèvent l’utilisation croissante de biomarqueurs pour évaluer l’exposition, ce qui peut être considéré comme un grand progrès par rapport à l’application d’autres méthodes (questionnaires notamment). Toutefois, si pour les polluants organiques persistants une seule détermination fournit une bonne indication de l’exposition à long terme et peut permettre d’établir la relation dose-réponse, la pertinence des biomarqueurs est limitée pour des substances à demi-vies brèves comme les phtalates, le BPA et les pesticides actuels, pour lesquels une mesure ponctuelle ne permet d’estimer que l’exposition très récente. L’interprétation de données de biosurveillance nécessite par ailleurs de tenir compte de l’influence possible de paramètres physiologiques et pharmacocinétiques. Les concentrations des biomarqueurs peuvent par exemple dépendre du débit urinaire, du taux de filtration glomérulaire ou de la prise de poids pendant la grossesse.

Quelques études très récentes utilisant de nouvelles techniques d’analyses statistiques ont examiné les effets de l’exposition conjointe à plusieurs substances, ce qui constitue une avancée notable par rapport aux approches mono-polluant traditionnelles qui ne reflètent pas la réalité de l’exposition à un mélange chimique complexe. Partageant des sources et/ou voies d’exposition communes, les substances mesurées dans l’organisme peuvent être étroitement corrélées au sein d’une même famille (comme pour les congénères PCB), mais aussi entre classes chimiques (PCB, PBDE, PFAS et phtalates, par exemple), ce qui complique l’identification du ou des responsable(s) d’un effet. Des progrès sont nécessaires pour relever ce défi et considérer plus largement les effets d’expositions multiples accumulées au cours de l’existence en référence au concept d’exposome. Le suivi des cohortes de naissances doit être prolongé pour examiner l’impact sanitaire à l’âge adulte des altérations du développement dues à des expositions précoces et pour en mesurer le fardeau économique, au-delà des récentes estimations publiées pour les perturbateurs endocriniens et la pollution atmosphérique. Considérant que l’exposition à un agent donné peut produire des effets dans plusieurs sphères, les chercheurs doivent s’efforcer d’améliorer la compréhension de la physiopathologie des maladies et des mécanismes d’action sous-jacents.

Les auteurs soulignent enfin que la majorité des nouvelles études disponibles ne concernent pas des situations d’exposition exceptionnelles, mais rapportent au contraire des résultats pour des niveaux d’exposition banals dans la population générale. Même si de nombreuses incertitudes demeurent, le corpus existant suggère, d’une manière générale, que le niveau de protection actuel des femmes enceintes et des jeunes enfants est insuffisant.

Commentaire

Le paradigme de l’origine développementale de la santé et des maladies (acronyme anglais : DOHaD) ne peut plus être considéré comme une simple hypothèse de recherche. Les progrès rapides de l’épigénétique lui apportent des fondements mécanistiques très prometteurs. Et l’accumulation d’observations épidémiologiques robustes augmente régulièrement le niveau de preuve : l’exposition pendant les 1 000 premiers jours de la vie humaine aux substances chimiques ordinaires aux doses habituellement rencontrées dans l’air, l’eau, les aliments et les biens de consommation, perturbe le processus de développement de l’individu avec des conséquences de santé pour la vie entière.

Cet article fait la synthèse des résultats des recherches épidémiologiques les plus récentes et les plus solides sur les effets pathologiques chez l’enfant de l’exposition péri-natale à un large panel de substances chimiques appartenant à des groupes de toxicité différents. La discussion et la conclusion s’adressent aux chercheurs du domaine. Bien sûr les lacunes de connaissance sur les effets des mélanges sont soulignés. Diverses autres perspectives de recherche sont dégagées. Par exemple, quand une exposition à une substance chimique est associée à plus d’un domaine de pathologie de l’enfant, des efforts doivent être faits pour comprendre les mécanismes physiopathologiques communs sous-jacents. Ou encore, comme l’essentiel de la preuve d’un lien entre exposition précoce aux substances chimiques et santé de l’enfant provient d’études prospectives de cohorte recrutée à la naissance, il est important que les études futures harmonisent les méthodes de mesure des expositions et d’évaluation des effets de santé pour permettre l’agrégation des observations et leur exploitation commune, démarche plus puissante que la méta-analyse d’études parfois difficilement comparables.

En ce qui concerne les effets de santé chez l’adulte, les auteurs font remarquer que le niveau de preuve d’une association entre l’exposition précoce aux substances chimiques et l’apparition de maladies chroniques non transmissibles est actuellement plus faible que pour l’enfant. Pour y remédier, il faudrait que les cohortes de grossesse ou de naissance puissent être suivies assez longtemps pour que leurs participants atteignent l’âge adulte, ce qui est encore rare en raison des gros moyens financiers nécessaires.

Mais les auteurs limitent leur propos au champ de la recherche. Pour eux « le corpus de connaissances existant suggère, même si de nombreuses incertitudes demeurent, que le niveau de protection actuel des femmes enceintes et des jeunes enfants est insuffisant », et ce constat sert à justifier le surcroit nécessaire d’effort de recherche.

Ces auteurs ne font pas le pas d’inciter les pouvoirs publics à mettre en place sans attendre des mesures de prévention précoce. Or, comme le rappellent les présidents de la Société française (SF)-DOHaD en citant dans un éditorial [1] une philosophe et psychiatre qui s’exprimait dans le journal Le Monde, Anne Fargot-Larjeault, « les chercheurs ont une obligation (…) d’informer leurs concitoyens quand ils jugent qu’on a passé le seuil au-delà duquel douter de la réalité du risque devient moins raisonnable que de le prendre au sérieux. Il revient ensuite aux décideurs de prendre leurs responsabilités ». Cette société savante milite pour une politique de prévention précoce des maladies chroniques non transmissibles fondée sur la preuve scientifique : agir sur les styles de vie des jeunes adultes en âge de procréer, des mères pendant la grossesse, et au cours de la toute première enfance, plutôt qu’agir sur les comportements des adultes, souvent déjà atteints. Des associations citoyennes et professionnelles comme Le grand forum des tout-petits ou APPIC-Santé (Agir Partager Prévenir Intervenir Convaincre, qui a pour objet de favoriser l’adoption d’une démarche citoyenne pour des pratiques professionnelles durables afin de redonner confiance aux consommateurs et de promouvoir des comportements favorables pour la santé) y travaillent déjà : la première a produit en 2014 un manifeste pour les 1 000 premiers jours de la vie, et en 2016, 28 suggestions d’actions dans le cadre du Plan National Nutrition Santé n̊4 ; la seconde lance en 2017 avec l’appui de la première une action expérimentale pilote d’éducation pour la santé destinée aux pharmaciens pour qu’ils deviennent des relais de sensibilisation auprès des futurs ou jeunes parents fréquentant leurs officines.

Jean Lesne


Publication analysée :

* Vrijheid M1, Casas M, Gascon M, Valvi D, Nieuwenhuijsen M. Environmental pollutants and child health - A review of recent concerns. Int J Hyg Environ Health 2016; 219: 331-49. doi: 10.1016/j.ijheh.2016.05.001

1 ISGlobal, Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.